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All my troubles on a burning pile
All lit up and I start to smile

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199X premier miracle, premier amour. l'enfant que l'on n'osait attendre pointe son nez et ses petites ailes. la malédiction du père continue mais le bonheur, le bonheur qui efface chaque larme, chaque peur, chaque prière au désespoir.

02.02.1999 le second arrive sans crier gare, tellement petit et facile à perdre mais sarkan résiste, ses petits yeux - ceux de sa mère - qui annoncent son avenir, ses chagrins qui ne se calment qu'entre les bras et les plumes, et déjà la solitude le terrifie.

2001-2005 entre les mains de sarkan les jouets périssent. rien qu'en les tenant ils se disloquent, tombent en morceau à ses pieds et il ne lui reste plus rien pour s'amuser que d'observer les passants par la fenêtre de la chambre. D'ici, personne ne peut voir ses yeux et il peut guetter le retour du frère, du père, du voisin qui lui fait toujours des grimaces en passant.
 cf. home sweet home pt.1

2005-2009 les yeux rouges tous les soirs, sarkan se fiche pas mal d'avoir l'air d'un petit geignard. il tient sa promesse avec une volonté de fer : les lentilles brunes contre l'école, contre les jeux dehors. les parents aiment leurs voisins sans leur faire confiance. à l'âge des premières bêtises il suit son grand frère comme son ombre, veut tout faire pour l'impressionner, le convaincre de rester avec lui pour toujours.
 cf. up in the sky, man i'm feeling so high
 cf. ceux qui rêvent ont bien de la chance pt.1 TW mésinterprétation d'abus sur mineur, disparition d'enfant

2010 papa disparait pendant trop de jours et maman cache mal son inquiétude. dans son petit sac à dos, sarkan a mis son kit de survie pour aller le chercher vers le noir, là où les petits azantys ne mettent pas les pieds. cette fois c'est à kane de le suivre. pour le meilleur et surtout pour le pire, l'aventure dans les tréfonds de zaun signe la fin d'une époque, la fin d'une famille qui n'a pas su rester discrète.
 cf. daídalos
 cf. sugar, honey, ice and tea

2011-2017 sa nouvelle famille est bizarre, son mentor cruel et l'académie une plaie suintante qui lui offre pourtant la normalité dont il avait toujours manqué. plus de lentilles, rien que des yeux mordorés brillants qui veulent dévorer tout ce que la jeunesse peut lui donner sur les pavés de celestia.
 cf. j’avais les mots et puis plus rien, sinon de l’à peu près
 cf. chacun sa façon de traverser sa solitude peuplée
 cf. ah, it's more courageous to overcome TW violence physique, sang
 cf. you bring out the worst in me TW violence physique, sang

2018 ce n'est qu'une fois devant le fold qu'il apprend que l'ordre n'a pas approuvé la mission. une fois de plus, il se sent jeté en pâture par la soif d'une connaissance qu'il ne saisira jamais. il aimerait que cette fois soit la dernière, se surprend à prier pour que son vœu soit exaucé. Se surprend, dans sa chambre d'hôpital, que quelqu'un l'ait entendu.
 cf. gonna get you, karma
 cf. in memoriam
 cf. home sweet home pt.2

depuis 2019 retour à l'école, retour à la vie. sarkan profite de la liberté pour chercher ce qu'il sait faire de mieux : retourner à la servitude. celle-ci se dévoile en uniformes et en badges lustrés. de retour dans sa seule vraie maison, il lutte pour lui donner un sens qu'il ne trouvait pas dans la haute-ville. sa vocation, il veut l'offrir à ceux qui sont de l'autre côté du mur - ceux qui en ont besoin. Nouvelle illusion précieuse, ancrée jusque dans les valises qu'il traine sous les yeux.
 cf. and there may not be meaning, so find one and seize it
 cf. ceux qui rêvent ont bien de la chance pt.2

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Maman a cuisiné le plat préféré de papa et pour les enfants, c’est le signe du retour tant espéré. D’abord parce qu’enfin, enfin il rentre et avec un peu de chance il aura tout son corps d’humain pour les serrer dans ses bras – et ensuite parce que papa ramène toujours des cadeaux, même s’ils n’avoueront jamais qu’ils les attendent avec impatience. Cette fois, Sarkan a demandé des craies pour dessiner dans la cour, quand il a le droit d’aller prendre l’air. Il les rêve de toutes les couleurs, énormes dans sa petite main de grand artiste. Kane est penché à la fenêtre avec une paire de jumelles et quand il donne le signal, il n’y a plus de fraternité, juste des bousculades jusque sur le palier pour être le premier à recevoir les offrandes. Le grand vole la victoire au petit et le voilà obligé d’attendre.

Il retourne le paquet entre ses mains, retient mal sa déception quand un peu de poussière blanche reste sur ses paumes. Ses craies sont toutes petites, toutes blanches et il ne sera pas un grand artiste, finalement. Tout le monde l’entend, mais personne ne dit rien quand son « thank you » se retrouve à moitié étranglé par un sanglot.


« Higher ! Higher Kane ! » Il rit, il hurle, il se fiche que tout le monde les entende. Quand Kane l’emmène voler, il se sent roi du monde. Même le mur ne parait plus si haut, si infranchissable. « Higher ! » Il a envie de toucher les nuages, de savoir s’ils sont vraiment en sucre comme l’a dit un garçon de sa classe. Sauf qu’ils sont vachement hauts, les nuages, et que Kane n’a pas les ailes et les bras assez forts pour un mioche qui ne sait pas se tenir. « Kane ? »

Quand Sarkan se réveille il est dans son petit lit, le médecin de famille penché au-dessus de lui. Il panique en ne voyant pas son protecteur à côté de lui et il bondit, ignore la douleur qui lui transperce le torse pour le retrouver face à maman qui crie et pleure et crie encore. Il comprend sa peur, mais ne comprend pas pourquoi Kane est le seul à devoir baisser la tête et promettre de ne plus jamais l’emmener voler.


TW mésinterprétation d'abus sur mineur, disparition d'enfant
La petite porte un nom de fruit, de fleur, d’une chose qui se décline en motif sur toutes ses robes comme si ses parents craignaient d’oublier. Elle habite juste en face, leurs chambres si proches qu’ils peuvent presque s’attraper les mains. Sarkan ne la voit jamais à l’école, elle n’a pas le droit de sortir. Ses yeux sont pourtant normaux – quoique qu’il n’ait jamais vu de vert aussi beau, elle n’a pas de drôle de plumes comme Kane, rien qui pourrait l’isoler autant. Elle dit que c’est son papa à elle qui ne veut pas, que c’est dangereux dehors. Sarkan est triste, il lui a dessiné une marelle sur le trottoir mais elle n’a pas voulu descendre. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est partager leurs mots à travers les fenêtres. C’est la première fois qu’il a un secret rien qu’à lui. Plusieurs, même, parce qu’elle lui en raconte beaucoup, des secrets qu’il ne faut dire à personne. Elle raconte des histoires de monstre qui viennent pendant la nuit mais dont elle ne se rappelle pas vraiment, elle parle de ses rideaux toujours fermés le matin alors que le lampadaire lui sert de veilleuse, elle chuchote que parfois, elle l’entend ouvrir la porte.

En héros il jure de la protéger, parce qu’il sait que les monstres ne viennent que chez les enfants qui dorment. Alors il résiste au sommeil, il reste à la fenêtre avec les jumelles de Kane et il veille sur la fille au nom de fleur, la clé de sa chambre qu’elle lui a jeté pour être sûre de l’empêcher d’entrer.

Clic.

Sarkan ne pensait pas que les monstres avaient le double des clés, alors il s’est assoupi. Un pas, puis deux, puis une main qui vient fermer la fenêtre et tirer le rideau. Le temps pour le monstre de lui lancer un regard plein de colère et le petit bondit pour se cacher. Pas dans ses draps, dans ceux de Kane. Parce que lui le protègera si le monstre vient se venger.

Au petit matin, après avoir tout raconté sous les regards concernés de ses parents, les pacifieurs ne trouvent pas une âme au milieu des meubles abandonnés.


Dans son petit sac à dos un petit dragon en plastique – réplique bas de gamme des sauveurs de l’ancien temps, sa gourde pleine de jus de pomme, un bout de pain rassis et son bonnet. Il fait une chaleur à crever dehors mais il ne sait pas à quoi s’attendre là-bas. « Dad should be home, I’m going to bring him back. » Les poings serrés sur les hanches, il l’annonce avec une confiance indécente. Le plan est simple : descendre, chercher, demander, ramener papa auprès de maman qui se tend à chaque fois que les enfants l’évoquent. « Are you going with me ? If we fly, it will be easier. »

Trop de mauvaises décisions et les voilà errants. Plus de jus de pomme ni de pain sec pour les maintenir en forme, ils marchent sans but dans des ruelles qui les éloignent encore de la maison sans les rapprocher de papa. Les gens les regardent un peu bizarrement, les deux mômes à l’allure bizarre, mais personne n’en dit rien. Régulièrement, Sarkan s’obstine à décrire son père que les gens ne connaissent jamais. Il faut dire qu’ils ont leur propre lot de bizarreries, à Zaun, les membres de métal côtoient les chairs comme si tout était normal, alors papa fait pâle figure à côté.
Il lutte pour ne pas s’endormir sur le petit bout de trottoir qu’ils ont trouvé pour se reposer. Le dédale est sans fin. Plusieurs fois ils se sont rapprochés du vide et y ont entendu des bruits qui lui font aussi peur que le monstre, ont manqué de manger des baies sauvages qu’une grand-mère leur a arraché des mains avant de les écraser devant eux en vociférant leur inconscience. Plusieurs fois aussi, ils ont cru sortir enfin du labyrinthe pour seulement s’y enfoncer un peu plus. C’était une mauvaise idée.

« Hey, they’re here ! » Des uniformes se pressent autour d’eux et les relèvent de force. Le pacifieur qui tient Sarkan par le bras lui fait mal alors il essaye de le pousser, surpris que cela fonctionne. Un autre homme l’attrape et cette fois, l’étau est trop serré pour qu’il se sauve. « Aren’t you a strong one ? » Celui-ci ne porte pas l’insigne et ses vêtements sont désespérément normaux. Tout fait ressortir l’or qu’il a dans les yeux. Le même que celui de Sarkan. Il n’y a pourtant rien de rassurant dans leur ressemblance quand, au téléphone, il déclare triomphalement « I think I found one. »


Maman lui tient fermement la main sans le regarder. C’est elle qui a insisté pour qu’ils terminent le trajet à pied, sous le regard pesant du chasseur de tête dans leur dos. Elle parle vite, ne reprend même pas son souffle entre les phrases. « You’ll be fine, okay? You will love the academy, and the family will take great care of you, okay? You’ll be fine. » L’enfant ne comprend rien, trop occupé à trottiner pour suivre le rythme sans trébucher. Autour d’eux des maisons immenses et bien droites, moins grises que celles de leur quartier. Sarkan essaye de regarder comme il peut les jardins fleuris, les façades polies, les portails forgés. Même le pavé sur lequel il marche semble trop précieux pour ses petits pas. « You will love your room, I loved it when I was your age. » Ils s’arrêtent un instant, le temps d’un sourire qui contamine les yeux rougis de sa mère et les voilà repartis. « The twins are a bit weird but they are nice, don’t forget to thank them for taking you in, alright? »

Le terminus cette fois, devant une demeure de pierre colossale. Décadente. Il faut une dizaine de secondes à Sarkan pour décider qu’il déteste cet endroit de toutes ses forces et il tire pour faire demi-tour. Devant la porte ils sont là, la première avec sa dégaine de directrice d’école qu’on ne voit que dans les films et lui avec son regard fou incapable de se fixer sur l’enfant qui leur est offert. À leur droite un être de travers, cabossé de partout mais aux iris luisantes qui effacent les rides et les cicatrices. La nouvelle famille au grand complet l’accueille en fausse tendresse, promet à la mère l’épanouissement, les retours mensuels à Ketterdam et tout le monde ignore ses sanglots de petit qui commence à comprendre que maman, elle rentrera à la maison toute seule.


Les salauds ont attendu le dessert. Ils auraient pu lâcher la bombe avant le repas, les lâches, mais ils refusent que Sarkan saute un repas. Ça fait partie de leurs recherches, qu’ils disent. La tarte aux fraises arrive devant ses yeux et il sait que c’est leur manière de se montrer compatissants. « You’re too soft. » qu’elle explique avec sa voix de corneille pendant que l’autre hoche la tête avec admiration. C’est toujours elle qui parle des choses compliquées, lui a trop peur. « We tried to find a way to keep you happy. I’m glad you are, but I need you to be useful. » Abélard regarde ailleurs.

Et juste comme ça, les lettres s’arrêtent, les trop rares journées à ketterdam, les quelques visites de sa mère dans les jardins de la maison, poussière. C’est la première fois qu’il se rend compte qu’il est le rat de laboratoire, l’expérience accordée par un ordre qui se méfie de son sang au point de le confier à des parias excentriques. « Fine. » Puisqu’il n’y a rien d’autre à faire il se lève et garde le silence dans la salle à manger, dans les escaliers, dans le couloir, dans la salle de bain, dans sa chambre. Toujours pas un son quand le mentor vient fouiller sa chambre pour y enlever toutes les traces de sa vie d’avant ni quand il le traîne dans le petit salon pour alimenter le feu de tout ce qui le faisait tenir debout. Les witchers utiles se taisent et endurent. À l’intérieur, la flamme s’éteint.


Hild a des yeux magnifiques et il est persuadé que c’est ça, être amoureux. Se regarder dans les yeux au lieu de travailler ensemble sur les propriétés des plantes séchées étalées sur la table. Ça le rend léger, l’amour, ça le rend stupide aussi. Il y croit dur comme fer, ils finiront heureux comme ses parents. Il n’a besoin de rien d’autre qu’elle, leurs fugues dans les rues de Celestia pour échapper aux cours particuliers et à la violence des entrainements, ses mains sur ses bleus qui d’un coup lui font moins mal. Même si elle sourit juste à ces « I love you », il se raccroche à elle, la seule lumière qu’il lui reste.


TW violence physique, sang
« I’m sixty-one. – Then maybe you aren’t that good at your job. » C’est la première fois qu’il tape juste. Pas aussi juste que le coup de pied qui s’écrase en plein milieu de son visage, lui fait temporairement voir une galaxie lointaine au goût métallique. Quelque part, il a entendu le craquement, se demande s’il n’a résonné que dans sa tête ou si les murs l’ont propagé. Le plafond tangue violemment, les fleurs peintes s’animent lentement et c’est beau, tellement beau. Il avait oublié à quel point sa maison était belle. « At least I know how to dodge. » Une pression contre ses côtes ruine la magie. Abélard le regarde de haut, sa foutue jambe de fer qui ne sait que faire mal qui appuie, appuie, appuie jusqu’à ce que l’air s’échappe. C’est un cadeau des vieux, une œuvre d’art décorée de reliefs pour compenser la perte et trop d’années à aboyer. A défaut d’être un bon professeur, l’abbé est un chien admirable. Sarkan en voit à peine la cheville sous l’ourlet du pantalon, en devine les initiales de leurs maîtres. Un jour, si tout se passe mal, lui aussi les exposera sur un corps qui ne sera plus le sien. Il préfère regarder les fleurs. « Get up », mais le poids se fait plus présent et il n’a pas la force de se débattre. C’est qu’il a le cerveau qui grésille, et le corps qui ne répond plus. Dans ses oreilles un amas de mot, getupgetupgetupgetup qu’il n’arrive pas à comprendre. Mais il sent. Il sent le renoncement frustré du mentor, il sent son pied qui glisse sur son ventre avant de se poser lourdement sur le marbre, il sent la vibration des pas qui quittent la pièce, de la porte qui claque pendant que lui reste là. Sur son t-shirt, l’emprunte humide d’une chaussure sale avec laquelle il devra traverser la maison, le menton haut.

TW violence physique, sang
Il a les mains posées sur les genoux, le regard fixé sur leurs éraflures. Il n’ose pas essuyer les perles de sang sur son pantalon. Est-ce seulement le sien ? Autour de lui les jumeaux font les cent pas en silence et le voilà piégé, assis sur sa chaise dans l’attente du jugement. « Should we send him to the healer? – No, he’ll never learn. » Il a la tête dure mais le coin du casier y a laissé une fissure qui chauffe tout son crâne – il apprend. Ce qu’il ne comprend pas, c’est pourquoi c’est dans la poitrine qu’il a le plus mal.

Le fautif, c’est celui qui porte le premier coup. Et le deuxième. Le troisième. S’en prend un en retour. Le quatrième. Celui qui laisse sa rage l’emporter dans un autre monde et qui l’arrête, une seconde, d’exister complètement. L’abbé lui donne une tape de fierté mal placée sur l’épaule, lui demande pourquoi il ne met pas toute cette force dans leurs entraînements. Jusqu’ici, la réponse lui échappait mais là, sur cette chaise, elle est limpide : parce qu’elle est terrifiante, cette force brute usée contre un autre. Il a senti les os craquer sous ses poings, sous ses pieds. Il a entendu la respiration de plus en plus difficile, les gémissements, les supplications de l’enfoiré qu’il a démoli juste pour une peine de coeur et celles des autres élèves dans le couloir. En essuyant enfin ses mains sur le tissu déjà imbibé de sang, il revoit les flaques sur le carrelage du couloir et il se jure que plus jamais, il n’explosera.


Sarkan a développé une peur du noir en même temps que ses maîtres l’y ont envoyé. Pourtant il est là, Abélard à ses côtés dans le coin le pus reculé de Zaun. Le moins surveillé, aussi, les jumeaux n’aiment pas les choses officielles. « Your fucking ancestors, real bastards eh ? » Il ne réagit plus aux piques depuis un bail. Comme tout le monde, il a lu des livres, écouté en classe et comme tout le monde, il n’a pas eu de solution miracle à proposer pour réparer les atrocités commises au nom de dieu sait quelle cause. « Yeah, I’ll just tell’em you said hi. » Le vieux rigole, et que tous les Azantys, morts ou vifs, aillent se faire foutre. Sans eux et les autres tordus, ils ne seraient pas là à récupérer des échantillons pour des fous à lier. Ou alors ce sont eux, les malades qui acceptent le casse-pipe par pure loyauté.

Le plus jeune ne sait même pas exactement ce qu’ils viennent faire là. Une centaine de mètre plus loin, les jumeaux ont installé leurs sièges pliables et discutent tranquillement, pas déphasés par la proximité du brouillard. « We find these damn plants and we leave, don’t even try to explore. » Sauf que Sarkan est nul avec les plantes, il confond les fleurs et est incapable de décrire correctement la forme d’une feuille. Explorer, c’est tout ce qu’il lui reste pour aujourd’hui. Il a des adieux à faire, un au revoir cordial à l’objet de ses craintes et aux vies plus ou moins conscientes qui s’y trouvent. Sans savoir comment, il y échappera, se mettra à courir s’il le faut, traversera Midrias, escaladera le mur et rentrera chez lui avant de finir lobotomisé comme l’abbé.

Il aurait vraiment dû se concentrer sur ses foutues plantes. Il aurait entendu les pas, il n’aurait pas senti les crocs.


L’ordre exige fidélité, les jumeaux réparation pour leur jouet cassé, Sarkan la liberté. Autour de la table, même les anges n’osent pas passer de peur de s’en prendre une par Abélard, qui n’est plus que fureur depuis l’incident. Ils signent et s’échangent trois versions du même contrat en silence. Seule sa signature à lui est tremblante à côté de celles, nettes, de ses adversaires. Sur un bout de papier il jure de ne pas disparaître, de ne pas s’engager dans tout un tas de choses qui pourraient porter atteinte à son ordre, d’accepter les missions familiales quand elles se présentent et en échange, on lui cède le choix de partir, de rentrer dans son taudis de Ketterdam auprès des siens.

L’abbé fait une remarque sur la génétique de la désertion, le compare une dernière fois à sa mère si brillante, mais si farouche. Lui dit qu’il ne survivra pas comme elle, qu’il ne survivra pas tout court parce qu’il ne sait faire que ce qu’on lui dit. « You will come back », qu’il dit entre ses dents en mettant en évidence sa manche désormais vide. Sans savoir par quelle magie cela fonctionne, c’est sa propre douleur au flanc qui se réveille et il grimace. Le vieux lui en veut : s’il n’avait pas rêvé de sa foutue liberté ce jour-là, il aurait réagi plus vite, plus fort, il aurait empêché la bête d’emporter avec elle le bras de son mentor et quelques morceaux de lui. « I won’t. » La pression ne fonctionne plus. Il soutient son regard et c’est là-dessus qu’ils se quittent, de l’amertume dans la gorge et les poumons prêts à exploser quand il prend sa première bouffée d’air frais. D’air libre.


À Ketterdam, rien n’a vraiment changé. Des magasins sont partis et d’autres sont arrivés, mais il retrouve les mêmes visages, les mêmes sourires, les mêmes recoins qu’il couvrait de craie blanche. Il s’attend presque à retrouver la minuscule chambre dans laquelle Kane lui racontait des histoires ou lui tendait la main depuis le lit du dessus. Il n’a jamais vraiment grandi, se revoit penché à la fenêtre pour étudier les passants. Une deuxième petite tête blonde surgit pour le regarder et il réalise que la chambre n’est plus à lui. Contrairement à lui, le monde a grandi.

Dans sa petite cuisine, maman sèche ses larmes en préparant du café. Pour elle aussi, le choc est violent. Sarkan n’a prévenu personne de son retour, a dû errer longtemps pour trouver son adresse. Entre deux gorgées elle lui raconte la séparation, le divorce, tout ce qu’elle a épargné dans ses lettres et tout ce dont les jumeaux l’ont privé. Triste histoire de gens qui s’aiment mais qui ne savent plus se le montrer. Alors ils se sont quittés dans le même calme que celui qu’ils avaient toujours enseigné à leurs fils et… la fin. Pour le meilleur mais incapable de résister au pire, ils préfèrent le vivre en solitaire. Il voit la honte dans ses yeux et il décide qu’il ne leur en veut pas, que c’est leur bonheur qui compte, à la fin. Quand il demande où est Kane, elle ne sait que lui répondre. Ailleurs.

La liberté ne lui semble plus si belle.


La première fois que son supérieur a posé une pile de dossier sur son bureau bancal, il s’est dit que c’était un passage obligé. Rien à l’école ne l’avait vraiment formé à ce genre d’activités mais il s’y est attelé avec trop de bonheur d’être enfin utile à quelque chose. La dixième fois, il s’est raccroché encore à l’espoir d’aller sur le terrain avec les autres. Au bout du troisième mois, il s’est fait une raison. Comme son père, son grand-père, peut-être même son frère et tous ceux avant eux, ils portent un nom qui ferme des portes.

Sa première sortie est une blague du commissariat. On l’envoie retrouver un chien perdu par une vieille femme qui lui offre des gâteaux et une tasse de thé trop sucré pour le remercier d’avoir fait tous les chenils, refuges, décharges de Ketterdam pour retrouver son meilleur ami. Toutes celles qui suivent sont de la même trempe, des délits mineurs aux frontières de Zaun, on l’envoie, concrètement, patauger dans la merde. Lui qui s’imaginait aider se retrouve à arrêter des désespérés que personne n’écoute, des voleurs de pomme émaciés, des jeunes plus en détresse qu’il ne l’a jamais été. Au lieu de les protéger il leur tape sur les doigts, rajoute des lignes dans leur dossier, retourne à ses archives mais ne manque jamais, jamais, le thé sucré et les gâteaux avec sa nouvelle grand-mère à la fin de la semaine, comme récompense de sa minuscule pierre à l’édifice.


La fille au nom de fleur. Les yeux enragés d’Hild. Le pauvre mec au visage tuméfié. Le bras d’Abélard. Le divorce des parents. La dérive de Kane. La fille au nom de fleur. Les yeux enragés d’Hild. Le pauvre mec au visage tuméfié. Le bras d’Abélard. Le divorce des parents. La dérive de Kane. La fille au nom de fleur. Les yeux enragés d’Hild. Le pauvre mec au visage tuméfié. Le bras d’Abélard. Le divorce des parents. La dérive de Kane.

Toutes les nuits le même mantra, la honte et la culpabilité, le j’aurais dû, le j’aurais mieux fait de, le c’est de ma faute. Toutes les nuits il cherche des solutions à des problèmes qui n’existent plus. Il ressasse et ça lui tord le ventre et il ressasse encore. Dévoré.

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Papa n’a jamais su trouver les mots justes. Il grogne pour un oui, pour un non, pour un « je t’aime ». Il y a des choses qui ne se disent pas vraiment mais qui se montrent si fort qu’elles en deviennent tangibles. Son nom est une peau qu’il ne parvient pas à arracher. À chaque refus, à chaque échec, à chaque insulte elle devient plus dure. Lui aussi. L’amour passe mal à travers la carapace qu’il se forge. Ne transparaît que la fierté, celle qui empêche de dire que tout ne va pas bien, d’arrêter les frais qui bousillent le dos et le cœur. Celle, aussi, qui rend aveugle aux signes évidents que tout se casse la gueule.

Maman a fait tout ce qu’elle a pu pour maintenir les illusions. Dans ses câlins comme dans ses lettres, tout va bien, pas d’inquiétudes. Rien de nouveau, jamais rien de nouveau. À Ketterdam, il ne se passe rien d’autre qu’une routine qu’il a déjà connue. Elle lui fait croire qu’il retrouvera la vie d’avant, qu’elle sera juste un peu plus vieille, et lui un peu plus grand. Elle l’épargne et il la laisse faire. Parce qu’il en a toujours été ainsi, parce que c’est son privilège d’enfant absent. Elle fait de la rage de Kane un détail et de l’amour qui fout le camp, un silence. Gentiment, discrètement, elle fait taire le manque de la vie d’avant, l’encourage pour celle d’après. Lui, comme un con, y croit.

Kane est parti en vrille. Depuis quand les jeux d’enfants sont devenus des affaires sérieuses ? L’intelligence bousillée dans un monde qui ne devrait pas être le sien. Il méritait mieux, dans des souvenirs un peu vagues qui ne sont dédiés qu’à lui. Peut-être que la colère était déjà là, cachée sous ses ailes un peu trop lourdes. Maintenant, elle ressort sous chaque excuse, chaque justification qu’il se donne. Parfois, elle irradie. Le petit garçon espiègle et protecteur est réduit en cendres sous les pieds de l’aigreur corrosive qui fait pleurer leur mère, grogner leur père, déçoit l’admirateur qui parlait de lui des étoiles plein les yeux.

Abélard n’est pas méchant. Il est aussi flingué que les autres d’avoir vu, fait, souffert. Sa vie est une succession de douleurs. Il tient comme il peut, s’épuise à ne pas montrer que parfois, sa jambe peine à le soutenir. Sarkan l’entend crier la nuit, les plaintes rebondissent dans le couloir. Dans les chambres ils sont seuls, dans les lits ils sont libres. L’abbé y ouvre les vannes et se met à pleurer sur sa foutue loyauté qui ne lui rapporte rien. Incapable de partir, il en dégoute les autres de toutes ses forces.

Hild aime casser des trucs. Des cœurs, principalement. Elle joue avec les uns, les unes, les autres. Elle aime l’attention, se dope à toutes les premières fois qu’elle a volé. Ça la fait planer, la gamine, d’être celle dont les gens se souviendront. Alors elle se rend mémorable quand elle bat des cils, quand elle contrôle chaque effleurement subtil. Et puis elle va jouer ailleurs, tourmenter une autre âme pour un temps, passer à la suivante en les montant tous les uns contre les autres. Sarkan aurait tout fait pour elle ; il a tabassé un mec pour elle.

Les jumeaux parlent une langue qui n’appartient qu’à eux. À toute heure du jour ou de la nuit, ils sont collés l’un à l’autre, siamois divisés contre leur gré. Deux corps mais une seule âme, un seul esprit, une seule intelligence dévouée à la survie de leur monde. Une seule chambre aussi, aux deux lits symétriquement placés, le même livre sur les tables de nuit. Chaque objet se dédouble sitôt qu’il passe la porte d’entrée. Leur réalité n’existe que là, entre les murs de la maison familiale qu’ils ont refaite à leur image. Le reste est de trop, les empêche pleinement de se noyer dans l’univers qu’ils forgent depuis trop d’années. Déconnectés mais brillants, savants-fous méprisés aux œillères infranchissables. Ils se fichent que le monde disparaisse dans le noir, il n’est pas vraiment là. Seule compte leur petite existence, leur laboratoire et leurs mots inconnus.