Ce masque qu'il affichait en permanence maintenant, qui lui permettait de tenir à distance ceux qu’il pouvait côtoyer. Pour les empêcher de s’attacher à lui. Pour les convaincre de l’abandonner. Car il avait peur, Silver. De blesser ceux qui lui étaient proches. Il l'avait fait une fois. Et le moment où il ne pourra contenir sa soif, il recommencera. S'éloigner pour les protéger. S'obliger à la solitude et aux ténèbres, car c'était tout ce qu'il méritait.

Mais malgré cette froideur qu'il montrait, cette insensibilité qu'il surjouait, il y avait toujours, au fond de son regard, cette lueur qui s’en voulait énormément.

Personnalité cachée. Douceur qu'il refusait d'accorder. Caractère d'un garçon attentif et attentionné. À l'âme artistique et créative. Autonome et responsable. D'une patience persévérante. Polyvalent et réceptif. Mais se montrant têtu et résolu. Ayant toujours été distant et inaccessible. Plutôt renfermé et anxieux sans l'avouer.

Let me tell you a story

There is always a beginning Un bambin laissé au pas de la porte et une surprise soudaine pour ce professeur renommé. Le petit être — le sien — qui avait trouvé ses bras. Les larmes d’un abandon qu’il ne réalisait pas encore, mais qu’il refuserait de laisser l’affecter. Belle maison de Midrias dans laquelle il grandit, dont les pièces en trop contenaient de nombreux bouquins, de nombreuses recherches. Ce père qui lui partageait le plaisir de la lecture, les merveilles de l’imaginaire. Grandir dans l’enchantement prodigué par les mots, par les récits. Sans don, sans magie dans cette famille de deux, mais ils pouvaient vivre heureux.

Garçon populaire, Silver. Aimable, serviable. Facile à approcher. Toujours une certaine distance malgré tout, cette impression de ne jamais pouvoir le comprendre totalement. Lui qui concentrait l’attention aux autres, qui brillait tout en les faisant briller à ses côtés. Sourire présent, à les accueillir près de lui. S’il s’ouvrait peu, il n’en était pas moins charmant et attirant. Petites amies qu’il avait eues, mais qui finissaient par se lasser. Gentil, mais avec indifférence, Silver. À accepter les sentiments d’un haussement d’épaules, à plaire sans que ses émotions à lui s’en mêlent. Peu sérieux, à ne jamais tenter de retenir quelqu’un près de lui. L’intérêt n’y était pas. Jeunesse qui s’amusait sans se prendre la tête. Jeunesse insouciante, facile. Simplement. Jours qui s’écoulaient dans un bonheur préfabriqué.


Followed by a trigger Histoires de peurs qui se racontaient, qui se partageaient. Avec le rire toujours au coin des lèvres. Les frousses qu’on essayait de causer aux autres. Adolescents inconscients, à la bravoure naïve. Les récits d’horreur qui n’étaient que des racontars pour ceux qui n’avaient jamais constaté la violence du monde. La dureté de celui-ci. La noirceur des âmes et des monstres qui se profilaient dans les ombres. Défi lancé, comme si souvent pour s’amuser. Les paris pour passer le temps et tester le courage de l’orgueil. Le voilà qui s’aventurait dans les bas-quartiers. Zaun comme destination pour prendre une simple photo de cette cabane dont on parlait. Rumeurs qui s’élevaient entre les corridors et pour les jeunes hommes qu’ils étaient, un nouveau jeu d’aller prendre en photo l’endroit qui hantait les discours.

Cependant, chaque fois que l’on se pensait à l’abri de tout danger, que l’on pensait que ça n’arriverait jamais à sa personne, c’était à ce moment que la fragilité refaisait surface, que la fatalité se rappelait à la réalité. Le moment où la mort décidait de venir les cueillir. Dans le creux de sa paume, en se désolant de l’inconscience qui les avait poussés vers le gouffre. Vampire assoiffé de qui il avait croisé le chemin, Silver. Fléau qui se fit un plaisir de le choisir comme repas du soir. Et d’en faire un monstre comme lui. De l’abandonner ensuite et de se rire de sa perte. Vengeance d’un inconnu qui s’était abattu sur lui. Midriais qui avait osé s’aventurer jusqu’ici.

Making the story unfold in darkness Il était rentré en panique, Silver. En pleurant. Incohérence et crainte. La douleur, les images. La logique qui lui échappait. Le refuge qu’il voulait retrouver. Et ça avait été si dur de retrouver la maison. La chaleur de ce foyer et les bras de son paternel. Un regard dans lequel il avait vu un reflet de sa hantise, mais qui avait pu le conforter par la suite. Tenter de l’apaiser, de lui promettre que tout irait bien. Qu’il allait s’en sortir. Ensemble.  

L’adaptation pourtant difficile — impossible — pour celui qui ne comprenait pas, qui ne voulait pas. Les changements qu’il ne savait pas comment accepter. Ce besoin de sang, le creux dans son estomac. Cette lumière qui l’aveuglait, astre solaire qui devenait brûlant sur sa peau. Les ombres qui l’accompagnaient et dans lesquels ils pouvaient se fondre. Il se sentait dépassé, Silver. Désorienté, troublé. Par chance, un père toujours présent pour lui, à vouloir l’aider dans cette épreuve soudaine. Retraire devancée pour le vieux professeur et l’attention portée à son fils qui se perdait dans ses cauchemars. Proposer un déménagement le temps de s’adapter. Afin de s’éloigner des cercles qu’il souhaitait maintenant éviter. Petit appartement dans lequel ils se retrouvaient. Piles de livres qu’ils ne savaient plus où placer et Silver qui se renfermait, qui s’enfermait. Qui s’inquiétait des besoins du fléau, du monstre qu’il sentait dans ses veines. Le sang qu’il récupérait en petite quantité. Ne sachant pas comment bien se fournir, comment bien se nourrir.

TW  :Meurtre La soif lui brûlait la gorge si souvent. Folie qui l’atteignait alors que les sens se perdaient. Pensées qui devenaient brouillonnes, qui s’échappaient dans les méandres de la faim. Besoin de s’abreuver. Tout de suite. L’odeur du vermeil pulsant dans les artères le rendait fou. Il voulait s’enfermer. Tenter de se retenir. Jusqu’à perdre le cap sur la réalité, sur ce qui l’entourait. Un seul objectif qui s’imposait à lui. Lueur foncée dans le regard et les canines douloureuses. Transe qui le dominait. Il se souvenait encore de la sensation de ses crocs qui s’enfonçait dans la chair. Pour une première fois. Liquide épais, chaud qui coulait entre ses lèvres. Faim intarissable. Impossible à arrêter. Jusqu’à la dernière goutte. Jusqu’à sentir ce corps reposé dans ses bras. La vie dérobée. De ce père qui l’avait élevé, qui l’avait protégé. De cet homme qui avait tout fait pour lui. L’incompréhension d’abord. Le refus d’une réalité qui ne pouvait exister. Chercher à ce qu’il se réveille. L’appeler plusieurs fois. Avant que l’effroi s’empare de lui, avant que le désespoir se lève sur lui. Seule solution de fuir. De courir le plus loin possible. Dans les rues encore inconnues de Ketterdam. Dans ce labyrinthe dans lequel il pouvait se perdre.

Puis, la collision, la rencontre avec un être aux attributs étranges. Shymer qui l’arrêta dans sa course folle, qui lui offrit un vœu. Inconsciemment que Silver le fit. Dépit et dégoût. Regret et désolation. Souhait que la vérité disparaisse, qu’elle ne soit jamais découverte.


Puis, le retour au calme. Shymer rassurant, inquiétant. Silver qui ne comprit pas bien la portée de ses propos, de ses confidences. Retrouver cet appartement qu’il avait abandonné ensuite. Main tremblante sur la poignée, pas hésitants dans les couloirs. Pour ne trouver que le vide. Aucune trace de son péché. Disparu. Comme il avait si fort souhaité. Vérité enfouie, cachée. L’enquête ne put trouver aucun indice. Et personne ne savait. Sauf eux deux qui partageaient le secret de cette horreur. Le soulagement bien loin cependant. Aucun répit de ses pensées coupables. Le visage de son père qui s’effaçait peu à peu dans son esprit, incapable de redessiner ses traits. Les souvenirs heureux qui se faisaient flous alors que la vérité de ce fameux jour restait fraichement présente dans sa mémoire à lui.

Until there’s no hope TW :Automutilation
À partir de cet instant, vivre dans la noirceur. Se laisser envahir, se laisser noyer. Désarroi et angoisse. Culpabilité énorme qui lui pesait chaque seconde. Si lourde qu’il ne savait plus comment gérer le mal, comment vivre avec les images, avec les odeurs. La journée où la solitude et le désespoir se firent trop étouffants, trop violents, il trouva une maigre consolation dans le châtiment qu’il pouvait s’imposer, s’infliger. Lame au creux de sa paume et le dos qui était lentement entaillé. La douleur qui s’étendait dans son corps alors qu’il sentait le couteau percer sa peau et le carmin fuir la plaie pour pleurer contre l’épiderme glacé. Balafre réitérée plusieurs fois. Cicatrice qui se formait là où il ne cessait de recommencer. Dès que les souvenirs se faisaient trop durs, c’était la détresse, c’était la peine. C’était la condamnation.

Perte de contrôle qu’il appréhendait. Qu’il réprouvait, qu’il haïssait. Mais qui arrivait. Trop souvent à rester sur sa faim, Silver. Insatisfait de ses repas. Malgré les années, ne pas savoir comment gouverner son fléau. Victimes qui finissaient par trouver ses bras, ses crocs. Et s’il arrivait à s’arrêter à temps, il s’en voulait toujours. Affreusement. Chaque fois, le cœur à l’envers et le besoin de se punir. Côté droit de ce dos meurtri qu’il attaquait pour ceux qu’il avait blessés. Une plaie pour chacun de ceux qui avaient survécu. Tailladé à droite pour ceux qu’ils n’oubliaient pas. Une seule pour celui qu’il avait tué reposait du côté gauche. Solitaire, douloureuse plus que toutes les autres. Traces de sa culpabilité laissée sur son corps.

And no place for happy ending. Cours de sa vie qu’il tentait de reprendre en cachant la vérité. Contrôle qu’il cherchait à atteindre. Découverte de soi qu’il voulait poursuivre. Pour essayer de faire sens de cette vie qui était la sienne. Masque qu’il choisit d’endosser pour repousser, pour se faire détester. Pour s’enfermer dans cette solitude qu’il détestait, mais qu’il méritait. Toujours à vouloir se châtier pour ce qu’il était, pour les fautes qu’il avait commises. Des cours en littérature qu’il choisit de poursuivre — lui rappelant brièvement ce père dont le souvenir semblait vouloir lui échapper. Chercher un peu de réconfort dans les volumes qui trainaient chez lui, dans les bouquins qui lui permettraient peut-être de comprendre. Écriture pour s’évader l’espace de quelques heures. Textes dont la tristesse dominait parfois les mots. Pour apaiser son esprit troublé, son esprit déchiré. Chemin sombre qui s’étendait devant lui. Pourtant, il continuait de le suivre. Sans même espérer trouver la moindre lumière au bout.