août 2022
«regarde, songe-t-elle, voilà ta vie. tu en es satisfaite ? son reflet à travers la vitre jouxtant la baignoire lui renvoie une mine épuisée, déterrée, elle a l'aura de la défaite et de l'instabilité, cristallisées en teinte vert mélèse. ding — le tintement d'une notification. ding. ding. ding. sur le bord du bain le téléphone s'affole et l'attraction est irrésistible, les doigts trempés se referment autour du combiné, d'un pouce las mais addict elle scrolle à travers les notifications. tapote sa cigarette contre le cendrier, laisse s'écrouler le surplus de cendres tandis qu'elle avise les messages qui se profilent par dizaines : articles relayés par sa manager furieuse. hina caught up in yet another dating scandal!, scande la presse.

i litteraly did nothing, you can trust me. VELVET is my one and only love and i'm deeply sorry for all the trouble, texte-t-elle en retour. are you lying straight to my face?? just practicing my speech honey. why so dramatic? you will have to do better than that. i'm on my way, be ready asap, we have a tight schedule for today. elle repose le téléphone, nuque basculée en arrière et regard sur le plafond, sa fatigue est un bleu acier chagrin.

ding. ding. ding.

elle s'en fiche.

qu'ils parlent, l'épient, ding. ding. ding. qu'ils la blâment, elle s'en fiche. qu'a-t-elle fait de si terrible après tout ? ding. ding. ding! si ce n'est tomber sous le charme d'un homme, tout oublier dans ses bras le temps de quelques heures d'éternité. ding. ding. ding! let me l i v e! la cigarette échoue dans l'eau du bain et elle plaque ses mains contre ses oreilles, s'enfonce sous la surface et crie. crie en silence, sa voix muée en bulle d'oxygène, et elle y reste jusqu'à ce que ses poumons brûlent, jusqu'à ce qu'une poigne extérieure agrippe son épaule et l'arrache à l'étreinte de l'eau. what do you think you're doing? are you crazy hina? l'est-elle ? elle n'a pas la force de répondre, la gorge en feu, du savon dans les yeux, crache ses poumons en quinte de toux. sa manager ôte ses mèches sombres de ses yeux, les repousse en arrière, l'attire dans ses bras. don't scare me like that, souffle-t-elle, maternelle, et hinatea se raccroche à elle. by the dragons, you look terrible… oh, elle le sait. le ressent au plus profond de sa chair, sent approcher le fond, sent s'effondrer les apparences. l'épuisement des répétitions, interminables, des horaires indécents, des insomnies ; l'approche du come back, le poids des secrets, des sourires faux, l'étau acide de l'anxiété — et sous ses airs bravaches, son pseudo m'en-foutisme, derrière le paravent d'insolence, les coups et critiques qui l'assomment. i'm tired, souffle-t-elle faiblement entre deux toux, i'm too tired, please don't make me move… les tentatives de sa manager pour la redresser sont un échec, ses genoux dérapent contre l'émail, membres affaiblis par un énième régime drastique. c'est vers une boîte de médicaments que se tend la main qui la soutenait, pillules glissées entre ses lèvres bleues. i'm too tired, répète-t-elle en boucle. leave me alone, les talons de ses paumes pressent contre ses paupières chargées de larmes, et pour la première fois depuis des semaines, elle craque.

——

follow me. ses lèvres se serrent. de mauvaise grâce elle s'exécute — ils l'ont forcée. à se rendre au temple des vescio comme on enverrait une addict en désintox, un animal à l'abattoir, ils l'ont forcée alors même qu'elle n'en a pas besoin. elle n'a pas besoin d'aide, hina ; l'écroulement était passager, anecdotique, elle n'a pas besoin d'eux. this room is magic, no one can hear us here, assure-t-il, et sa voix portant un ton champagne qui pétille dans les veines, alors même qu'ils se trouvent au cœur de toutes les attentions. elle demeure de marbre, hina ; ne lui fait pas confiance, cloîtrée derrière ses lunettes de soleil, les plus imposantes qu'on ait pu lui trouver, celles qui couvrent son faciès épuisé et le bleu dérangeant qu'elle s'est fait en s'effondrant contre la baignoire, tous les secrets qu'elle couve et couvre et ne souhaite dévoiler aux vautours avides placés en premier rang pour se repaître du spectacle.

mais n'est-il pas, lui, pire qu'eux encore ?

dirk vescio la dévisage comme s'il discernait la carcasse délabrée par-delà les apparences qu'elle rassemble péniblement de ses mains fatiguées. dirk vescio la transperce de ses yeux sombres comme s'il discernait ses mensonges. i don't wish to waste too much of your time, so shall we start? you're wasting yours, i'm perfectly fine. ses paumes s'élèvent en invitation et elle tarde à décroiser les bras pour les prendre. souffle audiblement pour lui faire savoir qu'elle s'exécute bien malgré elle, mais finit par glisser ses mains entre les siennes, ses mains dont la manucure parfaite lui a fraîchement déchiré la peau des bras, ses mains dont la manucure parfaite masque des ongles rongés et hideux. elle connaît une healer. il y a reine dans sa vie et reine est douée avec les énergies ; mais ce n'est pas assez, selon CELESTIAL RECORDS. ce n'est pas assez, son état s'avère inquiétant, paraît-il, et son attitude ingérable, et il lui faut plus qu'un simple apaisement ; il lui faut un reboot, une base saine, un nouveau départ que seul le culte vesciosien semble à même de lui offrir dans le plus bref des délais. oh, elle croit en les gifted. elle en est une elle-même. mais que peut-il lui apporter si ce n'est un-

oh.
oh.

la surprise s'épanouit sur ses traits crispés, qui sous les effluves de magie se détendent progressivement. oh. c'est agréable — c'est délicieux — la façon dont leurs magies se tissent et s'entremêlent, celle de vescio épurant la sienne ; elle sent disparaître les égratignures, mais pas que. s'atténuer les chagrins, les peines, s'alléger le nœud au creux de son ventre, la sensation de faim qui constamment la ronge, la fatigue, la faiblesse, l'angoisse qui la consume à grand feu ; elle sent son corps réclamer ce don qui l'enlace comme un cocon protecteur et qui l'allège du moindre de ses maux.

est-ce cela, de se sentir en vie ?

how did you- ((know?)) l'interrogation s'interrompt, les paupières papillonnent. elle ouvre sur lui de grands yeux interrogateurs. i can smell people's pain, wether physically or mentally, i know what's happening to them and how deep they suffer. anxiety, meds... sous les vérités qu'il assène elle tente d'ôter ses mains mais il resserre sa prise, la gardant prisonnière d'un don qu'elle n'est pas certaine de vouloir réellement fuir. et comme une promesse : i'll make you feel better. but it's not permanent, you know that right? disparaît, dans un ultime rush-délice, jusqu'au flou apaisant mais éreintant dans lequel la plongent les médicaments, avant que les sensations ne s'effacent, progressivement encore.

elle se sent immaculée, bénie. renaître ? la magie crépite sous sa peau — les leurs réunies, en un mélange de leurs couleurs : un violet savoureux.

i'm sorry for asking, commence-t-il, and it might sound weird, but i can't help... are you perhaps scared of me? i'd better be, shouldn't i? car l'évidence s'impose d'elle-même, en dépit de ses airs innocents, you read me so easily and i hate it. se déleste des lunettes dont elle n'a plus besoin à présent que les lumières n'agressent plus ses rétines rougies. also you're not the pale, reassuring color that you should be on my spectrum, reprend-elle, arrangeant ses mèches brunes pour retrouver une apparence convenable, moins délétère. i see things— like, emotions, personalities, auras, and from what i heard i figured you'd be a kind and boring light yellow. but you're… elle s'arrête, penche la tête, cherchant la teinte exacte, a rich burgundy red, décrété d'une voix suave, a tornado of power and danger. et c'est un fait curieux, que cette complémentarité entre eux, l'un sensible à des odeurs que nul·le autre ne perçoit, l'autre à des couleurs que peu voient, aussi liés que leurs magies ont semblé l'être le temps d'une guérison. but my magic liked yours and i can't deny how curious you make me, avoue aisément telle l'artiste qu'elle est, intrigué par les muses qui font naître sous ses doigts des couleurs et dans ses pensées des paroles de chansons. isn't it overwhelming? to smell the pain. everybody suffers at some level. à l'exception d'elle, à cet étrange instant. elle se sent plus légère qu'elle ne l'a été depuis des lustres, l'esprit clair et le corps vibrant d'énergie, de la hâte de tout donner quitte à se bousiller à nouveau corps et âme sur les récifs de ses rêves et erreurs à répétition. ivre d'une rare ardeur que tout en elle n'attend que de dépenser, alors elle demande : will you do it again? heal me, if i come back? pas avec l'espoir innocent de goûter encore à quelque chose de bénéfique, mais plutôt le désespoir de s'agripper férocement à une nouvelle addiction.