Une sombre histoire de champignons.
C’était l’affaire du jour. ça sonnait un peu minable pour une sorceleuse, mais dans la mission dont Nyeleka Krane allait bien hériter, il était bien question de champignons.
Pas au début cependant. Même s’il y en avait peut-être dans le sac de courses qu’elle avait porté de chez elle au logement de son meilleur ami.
On notait le progrès, les différences dans le mouvement. Cette fois, il ne serait pas question de hasard. Il n’y aurait pas de “Je passais dans le coin” et autres phrases pour se justifier plutôt que de reconnaître quelconques sentiments.
Parce qu’elle était plus mature et intelligente avec Elan Pankratz ?
Non. Parce qu’elle avait abandonné certains trucs avec l’homme qui la connaissait trop bien. C’était fatigant, plutôt agaçant en réalité, de voir sur sa gueule l’air du mec qu’on ne pouvait pas duper. Ce je sais que tu m’aimes et autres phrases dégoulinantes de sucre.

C’est donc avec un diabète inexistant, mais prétendument menaçant, qu’elle s’était mise en chemin.
Quelques pas à faire, tout au plus.
Quand elle était revenue à Ketterdam il y a quelques mois de ça, emmenager dans le même quartier qu’Elan avait été une évidence. De la même manière qu’elle avait frappé à sa porte en premier, elle avait regardé les petites annonces des logements libres dans les parages.
Oui… même si elle ne le dirait jamais, vivre proche de Elan l’avait rendue…
…
Heureuse ?
C’était sans doute le mot. Et si elle se plaignait injustement de l’avoir dans son voisinage, elle le définirait comme un coloc trop fatigant pour elle si quelqu’un osait lui poser la question folle :
“Pourquoi tu n’as pas simplement emménagé avec lui ?”
On voulait sa mort !
Voilà ce qu’elle répondrait.

Alors qu’en réalité, peut-être et seulement peut-être, l’idée lui avait effleuré l’esprit… genre de très loin ! Un quart de seconde... grand max !
Mais à l’époque, Elan était père de deux gamins qu’il hébergeait à son domicile avec ses faibles moyens.
…
Elle avait arrêté d’essayer de comprendre le manque d’instinct de survie de ses finances depuis longtemps.
En revanche, ce sac rempli de courses n’était donc pas là sans raisons.
Et évidemment, puisqu’elle était plus mature et intelligente avec lui, ce qu’elle lui avait dit en le voyant sortir de l'antre Pankratz, le sac de courses tendu, c'était la déclaration franche d’une amitié où on aidait l’autre à terminer son mois :

« Salut. J’ai trop acheté, ça va se perdre. Tiens. »

…
Oui, bon… fallait pas non plus trop lui en demander !
Mais notons la forme de la phrase. Il y avait une salutation. Et même une conversation lancée « Tu fais quoi ? Tu vas déjà bosser à cette heure-là ?  » alors certes, il n’était pas tout dit, la déception n’était pas trahie sous l’ajout d’un espoir qui tombait à l’eau de traîner un peu avec lui.
Mais, quoiqu’on en dise, de Nyeleka Krane, Elan Pankratz en avait toujours plus. Dans le milieu des individus pas très adroit socialement, on appelait ça un privilégié.

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Il n’avait pas la moindre idée de comment il était en arrivé là. Tout ce dont il se souvient, c’est de cette mère de famille, les yeux larmoyant le suppliant de l’aider. Avait-elle besoin de quelqu’un pour porter ses courses ? Non. Avait-elle une fuite chez elle, à l’instar des plus grands scénarios dont je tairai le nom ? Hell, no. Il ne la toucherait pas avec un bâton. Mais alors qu’est-ce que cela pouvait bien être ? Une fugue. Un champignon. Une fugue de champignon.

Il avait accepté en soupirant. Motivé par la fatigue, conséquence d’un sommeil perturbé ces derniers temps mais pas seulement : Quand bien même il n’aurait pas été crevé, il aurait accepté. Parce qu’il est comme ça Elan. Il donne à peu près tout et a à peu près tout le monde. Un poil trop généreux, un poil trop serviable.

Quelques minutes à peine après avoir eu le droit à un visage exprimant une détresse certaine, il enfilait déjà sa veste pour partir à l’aventure. Et quelle grande aventure … C’est en sortant de son appartement qu’il tombait nez à nez avec sa meilleure amie. « Ah salut ! Quoi de neuf ? » Cherchant rapidement ses clés dans ses poches, qu’il ne trouvera pas ici, ses yeux glissaient sur le sac qu’elle lui tendait. « Oh. » Prenant le sac de ses mains, il jetait un rapide coup d’œil à l’intérieur. « Merci, OH ! Comme par hasard, il y a mes bonbons préférés ! » Un hasard, vraiment ? Un léger sourire taquin dessinés sur les lèvres, il posait rapidement son sac de course à l’intérieur, retrouvant par la même occasion ses clés sur le meuble.

« Quoi ? Non, il est trop tôt là encore. » Il bougeait la tête négativement tandis qu’il s’assurait de verrouiller sa porte. « Au fait, t’as pas vu un champi passer par hasard ? » Cet enchaînement de parole pouvait sembler lunaire. Pourtant, c’est ainsi que les choses s’étaient enchainées. Bien trop souvent, Elan oublie de mentionner les tenants et les aboutissants des choses. Un peu comme si les autres étaient dans sa tête ou alors avait un accès VIP dans son cerveau. Ecoutez, si jamais l’occasion se présente réellement : n’y allait surtout pas. C’est donc dans l’innocence la plus totale qu’il poursuivait. « Il est grand comme ça j’crois … Il s'appelle Denis. » Joignant la parole au geste pour lui signifier quelque chose de pas très grand. « Il flotte. » Mais encore ? Ce n’est qu’en constatant le vide intersidéral présent dans les yeux de son amie qu’il se ressaisit finalement. « La voisine a perdu son Yellow Windfoot. La gosse chiale. Les murs sont pas épais. J’ai besoin de dormir des fois Nyel : j’ai confondu ma laque et mon déo ce matin. J’ai mis du jus d’orange dans mon café et j’ai tapé un croc dans la friandise de Meg pendant que je lui donnais mon petit dej. » La voix légèrement tremblotante, tandis que le goût lui revenait en bouche, bien malgré lui. « J’ai tapé un croc dans de la bouffe pour Moon Fox, Nyel. » Il répétait. Dramaqueen, encore abattue par les évènements. Ressentait-il la moindre once de honte en lui avouant une telle chose ? Non. Après tant d’années, il en était fini des niaiseries. Elle devait se coltiner le vrai, le con, l’authentique Elan, jusqu’à la fin de ses jours.

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« Pas grand chose. La routine. » deux, trois dents cassées. Un nez refait parce qu’à son stade, le type pouvait clairement la remercier pour cette modification apportée à son visage, des monstres en moins, un ou deux contrats, un litre de tequila, les retrouvailles avec Personne dont on ne parlerait bien évidemment pas, la routine ouais.
Et si elle comptait lui retourner la question, l’air sur le visage de son ami d’enfance l’en avait empêché.
Quelque chose lui disait qu’il avait beaucoup à raconter. Et que ce beaucoup ne serait pas entièrement compréhensible.

ça faisait combien de temps qu’ils se connaissaient maintenant ?
Quand elle avait fait la rencontre de Elan Pankratz, elle n’était pas plus haute que trois pommes. Et si on avait du mal à voir l’évolution de ce côté-là, les années avaient pourtant passé… sans changer pour autant la plus fidèle compagnie à ses côtés.
Le coeur trop fier aurait du mal à l’admettre, mais Elan faisait pourtant bien partie des certitudes dans son existence.
…
Même s’il était incroyablement chiant avec son histoire de bonbons et ce sourire sur les lèvres.
Une envie de gnagnater retenue et le culot de répondre
« Ah ouais ? Comme quoi, le hasard fait bien les choses.  »
Il savait.
Elle savait qu’il savait.
Il savait qu’elle savait qu’il savait.
Alors à quoi bon ?
Fallait plus se poser de questions sur sa fierté, c’était une perte de temps.

Le sac de courses confié, l’oreille qui traîne dans la conversation, l’histoire de champi vient libérer la traditionnelle pensée je le savais. Il y avait bien une histoire dont elle ne comprendrait rien sur la gueule de son ami « Non. » réponse courte et simple. La sorceleuse savait que la suite viendrait sans qu’elle ait besoin de la demander. Et s’il n’était pas certain qu’elle soit claire, elle avait tenté de mobiliser ses neurones au mieux.
Denis.
ça partait très mal.
Il flottait… mais ne le faisait-on pas tous en bas ?
Et il était à la voisine. L’histoire se précisait, elle parvenait même à devenir un peu plus claire. Compliqué de voir ce que Denis avait à foutre dans la vie d'Elan, mais quand on connaissait assez bien le Pankratz, on savait qu’il y avait des questions qu’il était inutile de se poser.

Version courte dans sa tête : Elan cherchait un champignon du nom de Denis. Il avait de la laque en dessous des bras et de la bouffe de moon fox dans la bouche.
Finalement, c’était pas si compliqué que ça.
ça ne l’était pas. Quand on avait un traducteur élanien dans sa tête.
… est-ce que ça devrait l’inquiéter qu’elle le comprenne si bien ?
…
« Ok, je crois que j’ai à peu près tout compris. J’ai encore des doutes sur la partie champi… mais je suis quasi certaine que c’est le genre de trucs où c’est mieux de ne pas chercher à tout comprendre. » ce type ne savait pas dire non. C’était tout. Elle le savait « Meg est dans le coin ? Parce que si t’as bouffé son assiette, y’a des chances pour qu’elle se soit rabattue sur Denis. » rude Nyel, rude.
…
N’empêche… c’était possible !

« Je sens que je vais le regretter…. » soupir. C’était le moment où elle faisait semblant d’hésiter un peu.
Comme si Elan n’avait pas le droit de lui demander n’importe quoi.
Comme si elle ne l’aidait pas, même dans ses trucs les plus cons.
Comme si Elan ne savait pas changer son “non” en “oui” de toute manière
« …. » alors dis juste oui, je vais t’aider à retrouver Denis avant qu’il ne pose la fameuse question.
« …. » un regard pour Elan. Un regard vers la fuite et une journée pas si étrange… le pauvre type avait quand même bouffé de la nourriture pour Moon Fox.
ça aurait pu être pire Nyel. Il aurait pu bouffer un truc que t’as cuisiné
… il manquait de sommeil… et malgré son envie de lui dire que sa vie serait moins fatigante s’il ne jouait pas les bons samaritains du quartier, malgré les quelques pas fait vers la libération « Hors de question que je gueule Denis dans le quartier par contre. » … il était doué, très doué le Pankratz à la voix tremblotante.

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Après réflexion, Elan venait à penser que c’est les Dieux qui avaient envoyés Nyel pile devant chez lui, exactement à ce moment-ci. Non pas qu’il soit réellement étonné de la voir débarquer à l’improviste. Il avait fini par ne plus croire en ces : non mais quel hasard, je sais pas du tout comment je me suis retrouvée devant chez toi ! En même temps, y a-t-il déjà cru ? Non.

Honnêtement, les astres auraient été sacrément con pour lui foutre une quête pareille sur les bras. Dépourvu de tout pouvoir, nullement enfant du fléau, quelle était actuellement la probabilité pour que lui, misérable PNJ, parvienne à trouver un champignon volant ? Exactement, 0.5%. On remercie Marie de la compta pour ces magnifiques statistiques.

Alors peut-être que l’univers se foutait de sa gueule (ça ne serait pas la première fois), peut-être que la fatigue le faisait divaguer (est-ce réellement la fatigue ?) ou alors cette mission ne lui a été attribuée qu’en considérant le fait que sa meilleure amie, qui va l’aider mais ne le sait pas encore, était une sorceuleuse.
Le hasard ? Non. Tout comme ses bonbons préférés dont la présence dans le sac était prétendument ignorée, tout ça était méticuleusement préparé. Destin 1 – Hasard 0.


Alors parce que on ne le changera certainement jamais et parce qu’ils se connaissaient depuis bien trop longtemps pour être restés figés dans la phase " lune de miel ", il lâchait le morceau. Etant plutôt naturellement étranger à la honte, la pauvre Nyel était certainement la moins épargnée sur cette Terre. S’il y avait bien une personne qui pouvait se vanter de le connaître de bout en bout, c’était bien elle. Elle en avait vu des vertes et des pas mures, elle en avait entendu des montagnes de conneries débitées à la seconde. Et pourtant, elle était toujours là. Et peu importe combien elle pouvait tenter de lui prouver le contraire, il savait qu’elle sera toujours là demain, après demain et même dans leurs prochaines vies. Dans un premier temps parce que jamais il ne la laisserai partir et dans un second, parce que il savait.

Alors il déballait tout sans le moindre remord : Le déo, le jus d’orange, la bouffe pour Moon Flox … Il avait beau avoir arrangé tout cela, attention permettez-moi de vous rassurer : il s’est re-lavé et de nouveau brossé les dents … toutes ces mésaventures lui restaient en travers de la gorge. Les yeux presque larmoyants par la détresse, il hochait la tête lorsqu’elle lui signifiait qu’elle avait plus ou moins compris. « Je cherche un Yellow Windfoot. » Il continuait d’agiter la tête, le regard un peu perdu. « Et il s’appelle Denis. » Voilà, un beau résumé de la situation. Un léger silence de quelques secondes s’installait avant qu’il ne reprenne, en même que ses esprits, les sourcils froncés. « Non mais qui appelle son légume de compagnie Denis ? » Oui non, les choses qu’il ne faut pas chercher à comprendre on a dit …

« Meg n’aurait jamais mangé Denis. » Il était presque outré d’entendre ces mots. Comment pouvait-elle douter de Meg ? « En plus mon petit dej’ était super, elle était bien trop contente pour se contenter d’un misérable champi après ça … » Il y repensait, à son super petit dej’. « Je m’étais fait des œufs brouillés avec du bacon … J’avais même mis du fromage rappé dans mes œufs … Il m’en restait que deux avant le drame ... » Bon sang, Elan, ressaisit-toi ! Reprenant, une nouvelle fois, ses esprits, il laissait le temps s’écouler. En silence. Parce qu’il savait. L’avantage dans sa relation avec la jeune femme, c’est qu’il n’avait pas toujours besoin de parler. Durant un certain passage de son enfance, il a pendant un moment cru qu’il était télépathe mais juste avec elle. Alors il avait essayé de lui demander des trucs : fait un salto si tu m’entends, ramène moi un verre d’eau, rigole à ma prochaine blague. … … Ca n’a jamais fonctionné. Ou alors elle a toujours fait la sourde oreille.

Néanmoins sur ce coup-ci, il était presque sûr de lui. Une mine déconfite, un début de regard de chien battu et … BINGO ! Immédiatement, un immense sourire s’installait sur ses lèvres et son regard précédemment rempli de tristesse laissait apparaître des feux d’artifices de joie. « T’es vraiment la meilleure du monde ! » Accompagnant ses paroles, il la prenait dans ses bras. Comme souvent, elle jouerait certainement à la morte mais peu importe. Parce que contrairement à elle, Elan n’a aucun problème à démontrer ses sentiments et pire, il adorait les exagérer avec elle. Alors comme il n’attendait aucune réponse de sa part, il continuait. « Allez, on y va ! » Une tape sur son épaule, il commençait à s’aventurer gaiement dans les couloirs. Peut-être un peu trop rapidement même. … A peine deux mètres plus loin, il s’arrêtait pour se tourner vers elle. « Comment on fait pour retrouver un putain de champi Nyel ? Ça se cache où ces machins-là ? Ça fait du bruit, pousse des cris, je sais pas ? »

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