❝ Des stellar whale ? C’est quoi ? ❞
❝ Des baleines qui volent dans le ciel. On dirait qu’elles sont faites d’étoiles, c’est un spectacle magnifique à voir. ❞
❝ Et t’en as déjà vu beaucoup ? ❞
❝ De là d’où je viens, elles survolent la ville par centaine. On peut les apercevoir chaque soir depuis les hauteurs de Velaris. Je t’emmenerai dans quelques années, si tu veux. ❞
❝ Oui. Oui je veux tout voir de tes histoires ! ❞
❝ Tu sais, un jour, j’ai réussi à monter sur l’une d’entre elles et elle m’a emmené si loin que ça m’a pris des jours pour rentrer. Je crois que le plus drôle, c’était ce moment où elle a [...] ❞




Des histoires.
C’était bien ce que c’était.
Chaque soir, une avant de se coucher.
Plutôt deux ou trois en réalité. Milo Teler avait toujours eu le don de faire faiblir son père. Les négociations, il en était toujours le vainqueur.
Ou peut-être…
Parce que le rêve dans les yeux de son dernier né, c’était au final un trop beau cadeau pour se considérer comme le perdant de l’histoire.
Même si, un jour, il y pensait, il faudrait bien lui avouer qu’il avait ❝ un peu ❞ embellit la réalité.
Des Stellar Whale, Korin Teler n’en n’avait vu qu’une dans sa vie. Pour son dernier soir à Velaris avant de partir vers un monde nouveau… en faisant ce choix de ne plus jamais regarder derrière lui.

La chance.
Un bon présage.
Il y avait cru. Il avait vu en cette apparition le signe que sa nouvelle vie à Kelós serait aussi belle qu'il l’espérait.
Elle l’avait été, jusqu’à un certain jour…
Plus de 20 belles années, voilà ce que la stellar whale lui avait donné…
Alors laisser un enfant en rêver, s’imaginer un monde où elles couvraient le ciel d’étoiles par milliers… ce n’était que rendre justice à la légende de cette créature qui lui avait portée chance.




❝ Le Roi du Monde ❞ était en réalité enquêteur privé. Une bien modeste carrière comparée à celle qu’il avait laissée derrière lui à Velaris. Une vie offerte dès sa naissance dont il n’avait jamais voulu.
Il avait préféré partir, du jour au lendemain. Il avait préféré dire non et choisir son destin. Un fils unique qui abandonne le foyer en volant l’artefact familial pour monter dans le premier bateau pour Kelós.
Il n’avait jamais revu ni sa mère, ni son père. Pas un seul message, des ponts coupés, à jamais, avec une famille dont il avait toujours eu le sentiment qu’elle était trop éloignée de lui.

Alors Korin avait pensé qu’il n’aurait jamais la sienne, qu’il n’en voudrait pas.
Son père n’avait pas su en être un pour lui, il n’y avait aucune raison pour qu’il soit doué dans le domaine.
Et pourtant, un jour, elle, Fanya Greylin, était entrée dans son cabinet pour une classique affaire de suspicion d’adultère. Il avait fournit les preuves. Trois mois plus tard, il demandait sa main. Un coup de foudre. L’amour de sa vie selon lui. Et la mère des trois enfants qui emporteraient son coeur.
Il ne s’en n’était jamais douté. Il l’avait appris en tenant l’aîné dans ses bras.
Être père… c’était au final tout ce qu’il avait toujours attendu.

Faren, Ilvana puis Milo.
Une famille heureuse, sans prétention, lui qui en avait pourtant une quelque part dans Celestia.
De fines sculptures, des scènes de vie, des endroits de Kelós et parfois des fleurs marines, voilà ce que Fanya Teler emprisonnait sous le verre. Un commerce sans prétention, une passion de manuelle qui avait toujours rêvé un peu plus, mais n’espérait pourtant pas tant que la vie simple qu’on avait placé sur sa route. Des rêves d’une vie plus riche oubliés contre celle d’une vie d’amour.

L’histoire était jolie.
Milo l’avait parfois regardé depuis les pages d’un livre. D’autres fois, il l’espionnait depuis une chambre qu’il quittait la nuit en douce quand l’heure du coucher était dépassée depuis longtemps. Et quand il fallait souffler les bougies d’un gâteau d’anniversaire, il lui arrivait de souhaiter que demain soit encore aujourd’hui.
…
Comme si une partie de lui savait qu’un jour viendrait… où il se perdrait à espérer que demain redevienne ses hier qu’il avait tant aimés.
Un souhait de rêveur impossible… qu’il ne confierait jamais à aucune bougie.


❝ C’est rien. ça arrive des fois. Rien qu’un peu de brouillard ❞
❝ Hum… on devrait peut-être le signaler. ❞
❝ ça a déjà dû être fait ! Ils connaissent leur boulot. Allez Teler, qu’est-ce que t’imagines ? Que Kelós peut sombrer ! C’est pas pour rien qu’on appelle la ville : la beauté immortelle ❞
❝ J’irai quand même les voir… ça coûte rien d’être trop prudent ❞




Il avait 17 ans à l’époque. Et il n’était pas certain de ce qu’il ferait de sa vie.
Les caducées dans les paumes de ses mains le poussaient vers une carrière de soigneur.
Pour tout le monde, c’était un peu évident depuis que la chance avait marqué la famille au creux des mains du cadet.
Les yeux rêveur d’un enfant, qui n’avaient jamais cessé de regarder toutes ses créatures marines passer au dessus de leurs têtes, songeaient à une vie passée à leurs études pour en prendre soin.
La fierté d’un père qui voyait en son fils un sens de l’observation hérité selon lui de l’enquêteur qu’il était… rêvait de le voir un jour emprunter le même chemin que lui.

Milo, lui, il n’en savait rien.
Il se figurait qu’il avait la vie devant lui.
Ses nuits, il les passait parfois à faire rêver les autres de ce don qu’il avait reçu à 8 ans. Au point d’en oublier comment rêver sa propre vie.
Une vie qui ne faisait que commencer pour lui.
Une vie sur laquelle il ne voyait pas planer l’ombre qui doucement était en train de grignoter leur bonheur…





Et puis sa soeur était tombée malade une semaine avant la catastrophe.
Elle avait toujours eu une constitution fragile. Il était supposé posséder la santé qui payait le plus à cause des symboles dans ses mains.
Mais Ilvana avait passé une partie de son enfance au lit. Ce qu’elle avait, on ne l’avait jamais su.
Le mal qu’elle ressentait, Milo avait essayé d’en faire taire une partie, se moquant bien du prix.
Et ce jour-là, tandis qu’elle le repoussait comme souvent, il avait pris sa décision.
Les caducées qui ornaient ses paumes avaient choisi pour lui à sa naissance après tout…
Il avait finit par le comprendre… qu’il était né pour l’aider… elle qui l’avait toujours tant aimé.
Une fille malade. Un fils healer. Dans le fond, l’équation était parfaite.
Mais le choix qu’il avait fait ce jour-là… il n’avait jamais eu le temps de l’annoncer…


Des créatures du fold, de plus en plus à la surface.
Davantage encore à s’en prendre aux parois qui les avaient toujours protégé.
Son père avait raccroché sa carrière pour rejoindre les rangs des pourfendeurs.
Teler était toujours un fou. Mais certains murmures s’étaient mis à trahir l’inquiétude quand une attaque au port à la surface avait laissé bon nombre de familles avec des morts à pleurer.
Pourtant, personne n’avait imaginé au cours de cette dernière semaine que la grande Kelós serait engloutie.
On la prétendait plus belle que Velaris.
On la vantait joyau invincible.
Certains racontaient que ses habitants étaient des bénis et qu’il naissait davantage d’enfants avec des dons ici.
La magie ne les avait pas abandonnée comme ailleurs.
Alors pourquoi cesserait-elle aujourd’hui de repousser les attaques du fold ?

C’était pourtant de sa faute…
C’était elle que ses créatures venaient grignoter quand ils s’en prenaient aux parois qui protégeaient la cité…
Des créatures un peu plus avides chaque jour… à la recherche d’un désespoir que personne n’aurait pu empêcher.




Ils avaient ramassé leurs affaires. La veille, son père leur avait fait emballer le nécessaire.
Partir. C’était ce qu’ils devaient faire.
De son côté, il tenterait de convaincre un maximum d’habitants de les imiter.

Un dernier tour de Kelós. Les seuls adieux qu’on lui avait accordés…. C’était à ça que Milo Teler avait passé ses dernières heures avant de se coucher pour la dernière fois dans une chambre bercée par la lumière des méduses lumineuses qu’il avait tant aimé contempler.

Juste avant l’aube, un premier cri avait déchiré l’océan. Un second avait fait naître la panique. Les Teler avait attrapé dans l’urgence ce qu’ils avaient rassemblé et ils étaient sortis de leur logement en même temps que certains voisins.
Des gens qui couraient, certains qui en piétinaient d’autres qui avaient chuté au sol… et de grands boums… encore et encore… contre les parois…
Il n’avait jamais fait si noir à Kelós. Aucunes méduses pour éclairer les rues…rien que le fold qui avait finalement tout recouvert…

Dans la foule, quelqu’un avait crié que le port était tombé.
Un autre lui avait répondu, quelques secondes plus tard, que les navettes étaient leur seul espoir.
Il n’y en aurait jamais assez pour tout le monde…
Mais tout le monde n’était pas destiné à s’en sortir.
Sa soeur… c’était la pensée obsédante dans sa tête…
Quand est-ce qu’ils allaient chercher sa soeur ?

La main de son père dans la sienne, celle de sa mère dans celle de son frère, ils avaient couru.
Les premiers craquements des parois s’étaient fait entendre en chemin. Sans réfléchir, son père les avait poussé dans une navette avant de dire qu’il allait à l’hôpital chercher Ilvana.
Il n’avait pas réfléchi non plus quand il l’avait quitté, échappant à la surveillance de sa mère pour rattraper son père.
Il venait avec lui. Il ne l’abandonnait pas. Il n’abandonnait pas …


La navette qui emportait sa mère et son frère s’était refermée.
Lui, il avait secoué la tête, convaincu de sa décision.


Son père l’avait attrapé par le bras.
Lui avait voulu se dégager.
Non. Il ne comprenait pas. Pourquoi il fallait le laisser seul…
Il pouvait aider… et ils prendraient une navette tous les trois ensuite..


Avec force, son père l’avait poussé dans une navette prête à partir avant d'appuyer sur le bouton de la fermeture des portes…


C’était les trois derniers mots qu’il avait entendus de sa voix… avant de le voir s’éloigner… avant que la navette ne commence à mettre davantage de distance entre eux.
Pas ❝ à tout de suite ❞
Mais ❝ je t’aime ❞.
Comme un aveu….
Korin le savait… il ne reviendrait sans doute pas…

Son coeur l’avait senti. Mais il ne l’avait compris que des jours plus tard à Velaris… au cours de cette cérémonie d’hommage organisée par de trop rares survivants.
❝ Je reviens ❞, ❝ Promis ❞, c’était les mots que son père aurait choisi…
Mais ce père qu’il avait regardé s’éloigner jusqu’à le perdre de vue… il savait, que c’était déjà trop tard pour lui… pour tous ces gens qui n’arriveraient jamais aux navettes….

Dans l’océan, celle qu’il occupait s’était élevée un peu plus…
Certains avaient regardé avec silence.
D’autres s’étaient contentés de cris horrifiés.
… devant toutes ces fissures qui gagnaient de plus en plus de terrain.
Derrière son verre, il avait vu une navette voisine se faire balayer par une créature sortie de l’ombre… ses yeux l’avaient suivi jusqu’à ce qu’elle percute les parois du grand dôme…
…
… et retombe dans Kelós accompagnée des eaux déchaînées et des premiers monstres…
Des galeries avaient cédés, d’autres dômes se remplissaient, certains se brisaient… et les cris qu’il avait entendus alors ne venaient plus de sa navette… mais de cette cité, autrefois si fière, qui payait le prix de sa vanité….
C’était comme ça en tout cas… qu’on le raconterait plus tard dans les livres d’histoire.


❝ Nom, prénom. ❞
❝ Teler Milo ❞
❝ Tu peux regarder la liste à côté si tu vois un nom. Dans la tente là-bas y’a des couvertures, de quoi manger. Tu peux t’installer dans celle juste à droite, ou celle d’après. Y’a encore de la place. On pensait que vous seriez plus nombreux ❞
❝ ... ❞
❝ Tu m’écoutes ? Je te demandais si tu avais de la famille dans le coin. ❞
❝ ...Oui… je crois… ❞
❝ Alors tu fais partie des veinards ! ❞




Peu de navettes étaient arrivées à Velaris. Alors les regards qui avaient tenté de se charger d’espoir pendant le trajet s’étaient rapidement vidés.
Pourtant, beaucoup avait erré sans fin dans ce camp. Allant du coin qu’ils s’étaient choisi, à la liste, encore et encore, certains plusieurs fois par jour, alors que plus personne ne venait plus s’y inscrire.
Sa mère et son frère avaient été les derniers à mettre leurs noms, sans chercher à en trouver un autre.
Chassés par les Teler, ils ne leur avaient plus resté que l’aide provisoire de Velaris.

Certains disaient que ça ne durerait pas. Que pour l’image, on les aiderait un temps puis  le camp finirait par fermer. Les moins chanceux termineraient à Zaun. Ceux qui avaient de quoi se vendre pourraient toujours se trouver une famille.


C’était ce que Kogaan, un ami de son père lui avait dit en désignant ses mains.
Lui, pour toute réponse, il avait haussé les épaules.


ça n’avait plus tellement d’importance. Peu importe où il irait.


ça n’avait plus tellement d’importance. Parce que la nuit, il n’arrivait plus à les retrouver.
Quand ce camp fermerait, il irait simplement là où on lui dirait d’aller.


Kogaan était revenu une ou deux fois.
Le seul qui était venu lui faire la conversation.
Et puis, trois jours après leur arrivée ici, de loin, il avait vu Milo en compagnie de sa mère et de son frère. Alors il avait finalement renoncé à le garder avec lui.
Il avait tâché de se construire une vie. Milo était parti avant que le camp ne ferme. Il avait choisi la mer de son côté. Il ne l’avait appris que des mois plus tard, sur le port, que Fanya s’était remariée et que toute la petite famille vivait désormais à Midrias.
Elle avait refait sa vie avec ❝ un homme extrêmement riche ❞, un médecin ou quelque chose comme ça. Il n’avait jamais cherché à en savoir plus.
Les restes de Kelós, tout comme ses habitants, s’étaient dispersés.





Au début, c’était celui qui portait le rôle de son mécène qui l’avait trop été avec lui.
Des cadeaux, des mots trop mielleux à son goût… et si l’homme se vexait qu’il n’accepte pas les premiers, il avait fini par ajouter plus de sous-entendus au miel dans les seconds.
Quand son frère ne jurait plus que par lui, quand il avait la connerie de féliciter sa mère à l’annonce des fiançailles… quand il se présentait comme le ❝ beau-fils de Govey Morokei ❞ pour finalement enlever le ❝ beau ❞ quelques mois plus tard.

Lui il préférait partir, aller voir ailleurs, c’était ce qu’il avait finalement soufflé à sa mère quand elle lui avait annoncé ce grand changement dans leur vie.


Faren lui avait bien souvent reproché son attitude, d’être un ❝ ptit con ❞, un mec chiant et peu reconnaissant.
Sa mère lui disait d’être plus aimable parfois.
Et lui…


Il avait pensé partir.
Il aurait dû.
Les choses avaient dégénéré avant le mariage.
De gestes déplacés, son beau-père s’était laissé aller à davantage, et lui… quand ça avait été trop tard, il s’était muré dans le silence avec des idées étranges dans la tête pour essayer de faire taire la honte.

C’est pour maman. Ils ne s’en sortiraient pas dehors.
Je dois les aider.
C’est comme ça maintenant… c’est trop tard de toute façon…
Alors encaisse Milo… encaisse… ça ne fait pas si mal… et t’es déjà fichu maintenant…




A l’époque où Korin Teler avait quitté Velaris pour prendre la mer, sa famille avait changé de voie depuis de nombreuses années.
Petit, il se souvenait avoir demandé à son père ❝ Pourquoi ? ❞.
Une visite au musée, des trésors qui brillaient dans les yeux d’un enfant, le rêve d’une vie d’aventures quand il serait plus grand… et la déception de la réalité l’avaient poussé à la curiosité.
Pourquoi est-ce qu’aujourd’hui, les Teler se contentaient de louer leurs bateaux pour des services de plaisance. Des croisières aux soirées en passant par des mariages en mer ?

Autrefois, ils étaient des chasseurs de trésors. Et le musée maritime qui portait leur nom, fondé il y a plusieurs générations de Teler de ça, était encore là pour raconter leurs nombreuses aventures en mer.
Alors son père lui avait raconté la mort de son grand-frère que lui n’avait jamais connu. Disparu en mer, comme d’autres avant lui. Une perte trop douloureuse, la perte de trop pour les Teler qui s’étaient décidés vers un chemin plus sûr.

La réponse n’était jamais parvenue à convaincre Korin.
Lui c’était l’aventure qu’il voulait, pas l’ennui.
Il voulait faire preuve d’audace… pas de talents économiques.
Les désaccords s’étaient fait plus nombreux en grandissant. Son chemin s’était peu à peu éloigné de celui tracé par sa famille. De nombreuses disputes pour les scinder un peu plus. Et enfin un mariage arrangé pour définitivement le convaincre de mener sa propre vie.

Mais de trésors, il n’en n’avait jamais ramené pour agrandir la collection du musée Teler.
Sur sa route, il avait trouvé Kelós et les trop nombreux trésors capturés par ses yeux l’y avaient finalement retenu jusqu’à la fin.




Il n’avait plus la force.
C’était trop. Il ne pouvait plus. Pas même une fois de plus.
Alors un jour, il avait décidé d’abandonner ceux qui n’étaient plus vraiment les siens.
En pleine nuit, il avait rassemblé ses affaires, pris l’argent qu’il avait pu trouver… et l’artefact Teler.
Un vol pour les autres. Une injure sans doute pour Faren. Une revanche pour lui… ou une juste justice.
Il se disait Morokei. Qu’il reste Morokei.
Il défendait une vie qui allait de l’avant, voulait renier son passé et devenir quelqu’un d’influent à Midrias… Milo n’avait fait que lui donner un coup de main pour ça, en emportant le plus beau souvenir de son père dans sa fuite.

Des années plus tôt, Korin avait tout quitté en volant un artefact.
Avant sa vingtième année, son fils cadet avait donné à l’histoire une répétition….

Trop peu de crescents dans les poches, sans projets en dehors de l’idée de prendre le large à son tour, c’était pourtant à Zaun qu’il avait atterri…
Le temps de se poser, s’organiser et voir, sans s’approcher de Midrias… sans s’approcher de lui…

Quelques villes en tête. Vendre quelques objets pour avoir le prix d’un billet. Et se tirer loin d’ici.
Pour lui, c’était un bon début…
Mais rien ne s’était passé comme prévu…


❝ Y’a bien des petits boulots chez nous. On devrait te trouver de quoi faire si t’as besoin d’argent. Ce sera pas le grand luxe, mais c’est toujours mieux que la rue. T’en fais pas pour la nourriture, finis ton assiette, on verra ça plus tard. ❞
❝ J’ai presque rien pour… ❞
❝ Le loyer ? ça aussi on verra ça plus tard. T’en fais pas, tu nous voleras pas. Ici on aime bien filer des coups de main aux gens comme toi. Je te l’ai dit, on s’arrangera plus tard ❞
❝ ... ❞
❝ Me regarde pas comme ça, c’est clean j’te dis. Au fait, tu m’as pas dit comment tu t’appelais. ❞
❝ ... ❞
❝ Perds pas ta langue. J’vais pas te bouffer. ❞
❝ Eden. Je m’appelle Eden. ❞
❝ Et il a pas nom Eden ? ❞
❝ Non. C’est juste Eden. ❞
❝ Alors t’es à la bonne place. Des Juste, on en a quelques uns ici. ❞




Le premier soir, il avait trouvé un endroit où dormir contre un peu d’argent.
Le second, il s’était encore permis cette dépense avant de consacrer sa journée, comme celle de la veille, à errer dans Zaun. Il n’avait rien trouvé. Aucune porte de sortie. Aucun moyen de se faire un peu d’argent pour quitter Velaris une bonne fois pour toute.
Le troisième, il avait pensé, une dernière nuit, un dernier jour, et je tente ma chance ailleurs. Son argent était parti entre les mains d’un inconnu qui courait plus vite que lui ce jour-là.
Alors il avait récupéré ses affaires dans sa chambre, et il avait passé la quatrième nuit à la rue.

La vague pensée ridicule de visiter sa mère en rêves. La rancoeur pour le tenir éveillé et ne rien s’accorder comme ❝ distraction ❞ histoire de passer la nuit.
Au camp, ils étaient rationnés. Mais il n’avait jamais rien connu de la faim avant ce soir-là.
Ses affaires serrés contre lui par peur de perdre le reste, il avait résisté au sommeil. La nuit suivante, il avait préféré errer sans fin.

Il ne tiendrait pas longtemps comme ça. En avoir conscience ne changeait rien.
Il était hors de question de faire demi-tour.
Hors de question de retourner là-bas et que tout recommence.
Et puis, un jour, ce type l’avait abordé sous une fausse compassion.


Le repas proposé, il l’avait refusé. L’argent, il l’avait gardé… de quoi se payer un truc chaud.
Le lendemain, le type était revenu.


Il avait tenu. Une fois de plus. Mais le lendemain, l’homme l’avait cherché à la même place.


C’était la dernière fois qu’il avait décliné.
Le jour d’après, il l’avait finalement suivi.
Jusqu’au Silence & d’or.





Au début, ce n’était pas vraiment la question qu’il posait pourtant.
Celle-là, il avait mis un peu de temps pour comprendre que c’était l’essentielle. Encore plus pour savoir qu’elle était inutile… quand la première était débile.
Parce qu’au début, il demandait de l’argent. Il pensait gagner tout en remboursant la dette qu’on avait fini par lui annoncer… et il n’avait pas conscience de ne faire que l’augmenter à chaque jour passant.

Les premiers temps, on ne lui avait rien demandé. Il était nourri, logé, blanchi… et puis on lui avait dit qu’il commençait à devoir pas mal d’argent au bordel… avant de lui demander comment est-ce qu’il comptait payer ?
Question là pour faire jolie. Du boulot, on avait à lui en vendre. Le boulot rêvé et de quoi solder son compte en un rien de temps !
Une belle gueule comme la sienne, on ne lui proposait pas de servir des verres ou d’ouvrir la porte aux client.e.s. Non. De toute façon, ça ne rapportait pas assez pour tout rembourser à ce qu’on disait.
Prostitué, c’était le poste offert… plutôt imposé à moins de trouver la somme d’argent qu’il devait au patron dans la semaine.

A la fin de la semaine, il avait signé.
Il avait gagné sa boite à jetons. La boite des enfers.
Ici, le client ne payait pas directement celui qu’il achetait. Non, ça retirait du charme, ça manquait de naturel dans la relation.
A l’accueil, il achetait des jetons, pour payer tous les genres de consommations qu’il pourrait désirer ici. C’était mieux. Des fois ça venait pour un verre, quelque chose de plus fort, et au moins ça avait de quoi en poche pour céder.

Les jetons, on les donnait selon ce qu’on voulait. Tout était très bien tarifé.
Comme les autres, à la fin de chaque nuit, on ouvrait sa boite où il les avait déposé entre chaque passe.
On comptait, on notait sur son carnet, et la boite attendait la nuit suivante.
Une méthode parfaite quand un.e employé.e abuse des boissons et substances présentes en nombre au bordel… le compte, on le perd vite. Et le chiffre qu’on a vraiment fait, on n’en n’est plus si sûr… alors quand il manque quelques jetons dans la boite, on ne fait pas vraiment la différence.

Et si on la fait ?
On est gentiment invité à fermer sa gueule.
Proposition qu’Eden a souvent reçu, en devenant plus méfiant malgré le manque d’avertissements de ses collègues plus anciens.
❝ Tire toi pendant que tu peux encore ❞
Aucune chance d’entendre cette phrase au détour d’un couloir…




Ce n’était pas parfait, mais il avait fini par apprendre les ficelles. Au moins certaines.
Comme savoir que ce qu’il achetait au bordel était plus cher et qu’il valait mieux sortir dans Zaun pour faire ses courses.
Comprendre que se passer d’un repas, c’était préférable que de venir grignoter un truc en cuisine après le service.
Il se limitait. Comme il pouvait. Il se débrouillait pour l’essentiel. Il dépensait parfois en babioles… pour de précieux trésors ou des objets qu’il planquait soigneusement, comme tout ce qui avait de la valeur pour lui.

Il s’était déjà fait voler, plus d’une fois, alors il trouvait de meilleures cachettes.
Le besoin de solitude et l’envie d’avoir son cocon, en dehors des chambres où il faisait ses prestations, l’avaient poussé à la dépense de se prendre une chambre individuelle. Un jardin secret dans lequel il n’amenait jamais personne.
ça avait presque été sa seule folie de dépensier.
Il marchait bien. Il pouvait se le permettre. C’était ce que le tenancier lui avait dit.
Il ne s’était pas soucié de faire son affaire.

C’était vrai, qu’il marchait bien. Il était populaire.
Séduire, charmer, il avait appris à le faire selon celui ou celle qu’il recevait.
Comment satisfaire, mais aussi comment avoir des extras qui ne terminaient pas dans la boite.
Quelques cadeaux à revendre, parfois de l’argent. Le moyen de ne pas avoir à en demander au patron.
Oui, il était doué.

Certains soirs étaient plus durs que d’autres.
Mais certains matins lui permettaient de trouver une babiole ou deux pour remplir ce vide dans sa poitrine. Ce son creux… parfois un peu douloureux, trop pour qu’il l’ignore.
Milo était loin.
Mais celui qui l’en avait éloigné avait peu de chance de passer dans le coin.
Milo… ce n’était pas au bordel qu’il était mort… c’était là-bas, à Midrias…




Observateur ☽ Solitaire ☽ Doux ☽ Indéchiffrable ☽ Esprit analytique ☽ Provocateur ☽ Rancunier ☽ Coquet ☽ Perspicace ☽ Curieux ☽ Bon sens du commerce ☽ Lucide ☽  Accumulateur de de trésors et de babioles ☽ Intelligent ☽ Logique ☽ Précaire ☽ Psychologue ☽ Séducteur ☽ Attentionné ☽ Méfiant ☽ Blessé ☽ Rêve au passé ☽ Ne conjugue plus au futur ☽ Pessimiste ☽  Matérialiste ☽ Pragmatique ☽ Emmerdeur  ☽ Indépendant ☽ Résigné


➲ L’artefact des Teler, volé d’abord par Korin puis par son fils, est une boussole maritime. Objet symbolisant le passé d’explorateurs des Teler. Objet de réconfort aujourd’hui pour le dernier né de la famille.
➲ Travailler dans une maison close n’invite pas vraiment à un mode de vie sain. Entre la cigarette, l’alcool partagé avec les clients et parfois quelques drogues, certaines soirées vous poussent parfois à brûler votre vie un peu plus.
➲ Si à Kelós, les mots étaient globalement les mêmes, si la langue n’est pas une barrière, Eden ne s’en exprime pas moins avec un accent remarquable facilement à l’oreille.
➲ Les expressions restent cependant un problème plus marquant. Habitude à les employer, l’incompréhension dans le regard des autres est systématique. Il faut dire que souhaiter à quelqu’un de se casser une jambe, dire une fois dans une lune bleue ou encore aussi facile que de la soupe de canard … ce n’est pas d’usage à Velaris. Alors sortir par temps de pluie et déclarer qu’il pleut vraiment des chiens et des chats, ce n’est pas mieux.
➲ S’il fait rêver les autres, Eden n’a malheureusement aucun contrôle sur ses propres rêves. Quand il s’accorde le repos, il subit donc ses cauchemars… un verre qui craque, la fin inévitable de Kelós qu’il ne peut jamais changer… ou son beau-père… viennent ainsi le pousser à faire rêver les autres plutôt qu’à chercher le sommeil.
➲ Collectionneur, et surtout chercheur de trésors, les objets de Kelós ont évidemment sa préférence. On pourrait penser que Zaun en est pauvre et pourtant… les naufragés qui ont atterri ici, ou y ont fait un passage, ont revendu bon nombre de leurs possessions.
➲ Il n’a jamais rencontré ses grands parents. Il n’a jamais su non plus que ceux-ci étaient passés par le camp après leur départ. Des remords pour avoir chassé leur belle-fille qui était venue leur demander de l’aide à l’époque. Des remords oubliés quand ils ont appris que celle-ci s’était rapidement remariée.
➲ Grand lecteur, les livres à profusion lui manquent beaucoup aujourd’hui. La série de livres ❝ Milo Hadrim ❞ était de loin leur favorite avec son père. Si l’auteur publie encore de nos jours, il n’a malheureusement jamais pu lire la suite, ni mettre la main sur d’anciens tomes.
➲ Peu de possessions, les économies imposées et à revendre la plupart des cadeaux qu’on lui fait : on pourrait penser sa chambre vide. Mais il a bien gardé quelques trucs ces derniers mois. Comme cette télévision sans laquelle il ne peut s’endormir offerte par un client…
➲ … client surnommé par des petits noms canins au bordel. S’ils savaient…
Son ❝ chien ❞ porte le nom de Kieran Sköll… et niveau rôle ou hiérarchie canine, il a curieusement pris la place de garde du corps.