sexe • vulgarité • sang • violence

« On se revoit la semaine prochaine ? Même jour ? » pas grand chose de plus à dire que cette tête qui s’était hochée en passant une chemise abandonnée sur le sol un peu plus tôt. Une chemise qui ne couvrait pas grand chose mais qui apportait le style nécessaire à l’endroit.
Elle avait toujours son petit succès. En dépit des fleurs que certains qualifiaient de niaiserie.
C’était la dentelle qui faisait le tout.
Ou le manque de tissu.
Elle marchait en tout cas, il avait toujours des compliments sur elle.
Au Silence & d’or, on ne le jugerait pas pour porter cet accoutrement.
Dans la rue, évidemment, c’était une autre histoire.
Mais pour Eden, simplement Eden, il était bien rare de sortir la nuit. Quand le soleil se couchait, il restait entre les murs de cette maison close, ne prenant plus l’air que pour une pause clope ou deux en solitaire.

Une dose de nicotine, c’était ce qu’il avait glissé dans sa bouche sans avoir le temps de l’allumer. Le client avait sorti un zippo qu’il avait regardé avec intérêt. Un zippo qui devait valoir quelques crescents qui pourraient bien remplir un peu les caisses dramatiquement vides de celui qui n’avait plus de nom.

« Sympa »
« Il te plait ? Tiens, j’en ai d’autres. »

ça prenait rarement plus.
Un compliment. Un regard intéressé. Souvent, il n’en fallait pas plus pour avoir un petit bonus.
Ce soir-là, voilà comment il était sorti avec un zippo qu’il ne garderait probablement pas malgré le côté réellement sympa de l’objet. Sa valeur était plus intéressante pour lui.
La valeur avait toujours davantage d’importance ici
Quand on ne valait plus grand chose en tout cas, l’obsédante question de nos pensées devenait généralement :

Combien ça vaut ?

Forme d’ironie ou non. Il n’y avait pas pensé en glissant le briquet dans sa poche.
Porte ouverte au client bienheureux des jetons dépensés, il avait descendu les escaliers à sa suite, les jetons gagnés dans son autre poche.
C’est sur les premières marches qu’il avait croisé l’une des “petites mains sans cervelle” qui bossait dans le coin « Y’a ton clébard qui t’attend au bar. » il ne lui fallait pas plus d’information pour traduire les quelques mots.
Le terme clébard suffisait à définir Kieran dans le coin, du moins quand on s’adressait à Eden.
Peut-être à raison.
Sauf que personne, en dehors de lui, ne savait vraiment pourquoi.

De loin, sur la dernière marche, il l’avait aperçu. Pourtant, il avait eu l’audace de ne pas aller vers lui tout de suite. Une volonté de chercher la merde, le “clébard” le penserait sans doute. Lui, pour sa défense, il dirait qu’il n’avait fait que vider ses jetons dans sa boite, dire au revoir à son client, quelques mots échangés avant de s’accouder sur le bar, près d’un Sköll et de souffler avec son meilleur sourire sur les lèvres « Mauvaise humeur ? » c’était si évident que ça ? « Trop pour m’offrir un verre ? » était-il seulement venu pour remplir son gosier ?
… en manquant pas mal de classe, on pourrait le dire…
Vu sa tenue, il ne s’en vexerait pas.

. . . . ╰──╮ETE 2021╭──╯ . . . .

« C’est bon pour nous. » il n’avait pas attendu plus de mots pour virer de là, laissant la place à ses collègues. A chaque fin de soirée, c’était la même routine. L’un.e après l’autre, on vidait leur boîte, comptait les jetons, inscrivait un chiffre sur un carnet, et on les laissait disposer jusqu’au soir.
Les autres allaient généralement se coucher après avoir mangé un bout.
Lui, il commençait toujours par sortir pour s’allumer une clope. Après, il prenait une douche, se changeait et traînait dans Zaun un moment avant de rentrer chercher le sommeil.
Ce matin-là, il n’irait pas plus loin que la première étape.

Sa cigarette allumée, la fumée recrachée aux dernières couleurs de la nuit… et un râle était venu le couper de toute réflexion.
Quelques secondes, sans bouger, à laisser son regard sonder les environs pour lui jusqu’à tomber sur une silhouette au sol.
Puis quelques pas, pas plus, pour déterminer qu’elle n’avait rien d’humain … pour y rattacher un probable danger qui ne l’avait sans doute pas arrêté assez…
ça ne bougeait pas.
ça n’avait pas plus bougé quand il s’était rapproché… alors il l’avait fait un peu plus… jusqu’à définitivement engager sa vie…

Et puis la lune s’était éteinte… et la forme menaçante, mais amochée… n’avait plus été qu’un corps clairement trop abimé pour s’en tirer ici… au milieu des poubelles.
Il n’aurait pas su le dire, un an plus tard, qu’est-ce qu’il avait vraiment pensé. Il se souviendrait bien ne pas avoir tellement hésité à balancer sa clope et à batailler pour soulever un corps plus massif que le sien.
La lutte, moins raisonnable, s’était faite à le charger sur son dos, ruinant une chemise qui ne serait plus son arme favorite pour faire un peu de chiffre.

Une porte poussée du pied. Des escaliers montés tant bien que mal. Que tout le monde soit aux jetons lui avait profité. Jusqu’à sa chambre dont il avait ouvert la porte tant bien que mal, il n’avait croisé personne.
Du pied, il l’avait repoussée avant de laisser retomber l’homme entièrement nu dans son lit. A clé, il avait refermé son antre… la pensée l’avait un peu piquée… personne n’était supposé y entrer… encore moins un client…
Parce que c’était bien la nature de celui qu’il venait de reposer dans son lit… il en avait même déjà obtenu quelques jetons… il était capable de le nommer.
Même si ce soir-là, Kieran Sköll avait clairement perdu de sa superbe.

Un soir où lui, la pute, n’avait pas eu à donner de son énergie à soigner quelques bobos.
Jusqu’à ce matin là où, accroupi près du lit, ses mains s’étaient tendues vers une blessure plus alarmante que les autres….
A l’arrière d’une nuque, l’autre sur le devant d’une gorge, ses mains avaient réchauffé une peau tandis que les premières douleur étaient venues le refroidir.
Ils n’étaient pourtant pas amis.
Sa condition, celui qui se faisait appeler simplement Eden… n’en n’avait jamais rien su…
Une voix aurait dû lui souffler :
Mais ses yeux s’étaient fermés et les premières gouttes de sueur avaient perlé sur son front tandis qu’il avait abandonné davantage d’énergie pour refermer une plaie.
L’impression de suffoquer, cette violente sensation de brûlure à la gorge, ne l’avaient pas arrêtées… ses mains s’étaient pressées plus fort, et il avait persisté.
Une blessure après l’autre. Une douleur partagée pour expérimenter la suivante… et une fatigue, de plus en plus pesante, qu’il devrait s’efforcer d’ignorer maintenant que, pour la première fois dans cette maison close, il lui avait pris la folie de faire rentrer le chien errant dans sa chambre.