Ninomiya faisaient des rêves étranges, ces derniers temps. Parmi ceux-là, un qui aura fichu en l’air tout le bazar organisé de ses souvenirs en vrac, tous les mensonges qu’ils s’étaient créés pour remplir les blancs dans son histoire. Il aurait pu avoir mille origines, le roi des pirates, peut-être qu’il était né dans l’océan et qu’il y retournera, peut-être qu’il avait été laissé devant cet orphelinat dans un dessein bien précis. Laissé, mais pas abandonné. Toutefois, depuis que le climat de peur s’emphase et s’insinue dans tous les recoins de zaun, des réminiscences semblant appartenir à une autre vie lui reviennent, des voix qui ne sont personne, des visages qui n’ont pas d’identité. Il avait lu dans un ouvrage scientifique que le cerveau n’était pas en capacité de créer de nouveaux visages, alors… L’idée qu’il s’agirait là de son super-pouvoir le tentait bien, mais les quelques restes de lucidité qui s’accrochaient tant bien que mal à ses pensées avaient fini par le ramener sur terre. Alors, qui étaient-ils ?

Il avait fait un drôle de rêve Nino. Dans celui-ci, il n’était pas seul. Un garçon, un peu plus âgé que lui, alors qu’il devait être à peine âgé de quatre ans, s’élance dans les ruelles rouges de la ville basse, entrainant par le poignet le jeune orphelin, qui s’essouffle à essayer de suivre son allure précipitée. Soudainement, l’étranger s’arrête, ses traits sont baignés dans la lumière des néons, et ce visage lui parait familier. Il sourit, et désigne d’un mouvement du menton le poignet de Ninomiya. Lui, ce n’est que de la peur qu’il ressent. Son coeur semble vouloir sortir de sa poitrine, il regarde l’autre avec appréhension. L’inconnu lui sourit avec bienveillance, comme pour lui dire tu peux me faire confiance, tu n’es pas seul. Lorsque le roi des pirates finit par gagner contre la terreur, lorsque ses yeux se baissent vers sa peau tachetée de grains de beauté… il se réveille, la respiration affreusement courte, les cheveux englués à sa peau, les yeux embués de larmes qu’il ne s’explique pas. Le reste de cette drôle de nuit, il ne se l’expliquera pas non plus. Il prendra à peine le temps d’enfiler ses baskets sans en nouer les lacets, s’élancera dans les rues de Zaun comme un dératé, tentant désespérément de retrouver l’endroit de ses rêves. Sans jamais en avoir foulé les pavés, il est certain qu’il existe. Il court à toute vitesse, les pensées trop en batailles, son pied glisse dans une flaque stagnante, il est sur le sol avant même de ne réaliser ce qui se passait. Ça le lance à l’intérieur du bras, comme si il s’était arraché la peau dans une tentative de protéger son coccyx du choc, il regarde pour constater l’étendu des dégâts.

Et puis, la respiration se coupe, comme si on lui enfonçait la tête sous l’eau. Les yeux s’agrandissent, la bouche s’entrouvre, il peine à conscientiser la spectacularité de ce qui se produit sous son regard. Brillant avec force, des lignes rouges vives se développent sur sa peau, achevant alors la constellation de grains de beauté sur son avant-bras, constellation qui s’apparentait alors finalement plus à une carte. Il était resté alors de longues dizaines de minutes, à contempler avec autant de fascination que de terreur le tatouage invisible jusque là, sans jamais en comprendre le sens, jusqu’à ce que le jour se lève et que ce dernier ne s’évapore.

Ça faisait maintenant cinq heures qu’il était assis dans son coin préféré du magic shop, une dizaine de bouquins autour de lui comme une forteresse, et le regard réprobateur de fay pour lui rappeler qu’il était sûrement en train de perdre les pédales une bonne fois pour toutes. Évidemment qu’elle ne l’avait pas cru, quand il était arrivé dans une excitation inarrêtable, et qu’il lui avait raconté avec enthousiasme qu’il avait une carte au trésor sur le bras, qu’il allait sûrement devenir riche et qu’il allait pouvoir acheter une maison aux enfants perdus. Ça n’était pas le roulement de yeux et son soupir las qui allait arrêter sa volonté de trouver des réponses, alors Ninomiya se plonge dans les plus vieux bouquins du shop, sortis expressément de l’arrière boutique par Joji, les épluche un à un pour trouver quelque chose qui ressemblerait à cette carte.

@zhao kozuki 02.APR.23 magic shop outfit

Quand bien même il s’évertue à mener ses recherches avec le plus grand des sérieux, les livres-portails vers des mondes nouveaux finissent toujours par gagner sa curiosité. L’entièreté de son être se plonge dans la découverte des lignes terra incognita. Les yeux se ravissent de nouvelles images, de dessins représentant des légendes jamais contées, le cerveau se gave de nouvelles données sur des siècles d’histoires et l’imaginaire s’enrichit de nouvelles couleurs et d’une magie plus précieuse que tous les pouvoirs. Quand Ninomiya lit, il s’efface du monde des humains, comme si il avait sauté à pieds joints dans les bouquins, il déconnecte complètement de la réalité, n’entend plus les gens qui parlent autour de lui, petite bulle sécuritaire et confortable dans une vie bien miséreuse, elle est vitale. Aujourd’hui ne fait pas exception, il se fascine de cet ouvrage contant de vieux mythes de Velaris, quand une voix se distingue du tumulte silencieux du magic shop. Elle est calme. Elle n’est pas tellement différente de celles des autres. Pourtant, elle provoque chez Nino un sentiment curieux, dont son coeur était vierge jusque là. C’est une explosion de joie incompréhensible qu’il se garde bien de dévoiler, et à la fois, une immense tristesse qui l’envahit, qui pourrait le faire fondre en larmes, là, tout de suite, violemment. Ce sentiment, c’est un truc dont il a toujours été privé. C’est une crise brutale de nostalgie, qui ne trouve pas de salut, parce que les souvenirs qui y sont rattachés, il n’y a pas accès, Ninomiya. Ce sont des souvenirs qui n’existent pas. Ses yeux s’écarquillent sur sa lecture, il ravale la boule soudaine qui s’est logé dans sa gorge, inspire profondément pour revenir sur terre.

C’est sûrement rien, pas vrai ? Il avait lu quelque part que c’était comme ça, les émotions, qu’elles pouvaient surgir sans crier garde, à cause d’une odeur qui rappelle un endroit, d’un sourire qui vous ramène à quelqu’un que vous avez connu, d’une voix qui semble être la clef de tout ce que vous avez toujours cherché, sans comprendre.


De toute façon, Nino avait jamais vraiment fait dans les sentiments, pas vrai ? La question de la curieuse voix crée un bonheur si immense qu’il en bouffera toute la mélancolie, c’était rare qu’on s’intéresse à ses lectures, et encore plus qu’on lui demande son avis. Ça dépend, c’est pas vraiment mon préféré, mais si tu préfères les histoires de vampires aux histoires de monstres… et alors qu’il s’emballe dans une explication trop précipitée et enthousiaste, ses yeux finissent par décrocher des pages pour découvrir le visage de celui qui s’adressait à lui, et les mots se meurent. Aussitôt, le trouble se trahit dans ses iris qui s’agrandissent, signe du grand intérêt qu’il porte à cet étranger aux traits si familiers. Lèvres entrouvertes démontrent la confusion qui l’éprend, son visage se penche légèrement sur le côté, comme un animal qui tenterait de comprendre, d’analyser l’autre. C’est quasi douloureux, cette sensation de déjà vu écrasante, sans mettre un mot, un souvenir dessus, comme si on l’avait privé d’une partie de sa mémoire, comme si il était trop idiot pour faire les connexions. Ses sourcils se froncent, il oublie Emera, les règles de politesse, la carte au trésor et tout le reste.

Comment tu t’appelles ?

L’interrogation s’impose naturellement, le battant qui s’affole comme si sa réponse allait être déterminante pour tout le reste de sa vie. Comme si son nom était la clef qui menait à son grand trésor.
@zhao kozuki 02.APR.23 magic shop outfit