«MAIS RENTRE-LUI DEDANS PUTAIN DE MERDE- j'deviens fou ! c'est vendredi soir et à l'écran le match bat son plein, c'est vendredi soir et l'appartement déborde de monde. ça danse, à côté, tandis qu'une partie du salon s'est transformée en home cinéma, écran géant diffusant le game devant lequel s'emballent les passionnés. une partie de l'équipe est là, dont dusk qu'il a convaincue de faire le mur et qui vit sa meilleure vie contrairement à lui — parce qu'elle soutient l'autre team, pour une raison qui échappe à neo. t'es contente de quoi là, c'était un but de merde le goal le lui a offert c'est bon. mauvais perdant, perdant rageur. il réclame une autre bière à la première personne qui se lève, frustré par la mauvaise performance de ses favoris. dépité de voir les têtes d'affiches tantôt se louper, tantôt feindre les blessures pour gagner du temps — ça fait aussi partie du jeu, mais le résultat est de piètre qualité, et ses attentes ce soir étaient élevées.

j'y comprends rien, se plaint daisy sur ses genoux et il met un temps à s'apercevoir de sa moue boudeuse, qui se veut adorable. elle l'est, mais neo est trop occupé à bondir toutes les deux secondes du canapé pour remarquer — la délogeant à chaque fois, assez pour qu'elle commence à s'agacer. tu peux pas tenir en place ? FUCKING HELL, THANKS FOR NOTHING RUSSEL! j'me tire. ok. t'en as rien à faire connard ? elle fronce les sourcils, de la manière dont elle le gronde à chaque fois qu'il ne lui accorde pas l'intérêt qu'elle attend. de ? neo raccroche enfin à la conversation— s'est contenté jusque-là de répondre en pilote automatique, s'aperçoit presque tout juste qu'elle aligne de véritables mots et attend de véritables réponse. what were you sayin', il demande avec un temps de retard et elle a l'air gavée. ok, that's enough. i'm leaving. c'est pas que ça l'impacte, pas réellement, mais il n'a pas envie de se chercher une nouvelle compagne avec laquelle finir la soirée une fois le match conclu. alors il la retient ; elle perd l'équilibre et bascule contre lui, il en profite pour lui rouler la pelle pour laquelle elle s'impatientait. c'est le moment que choisit soleil pour rentrer et neo ne sait pas pourquoi il s'en rend immédiatement compte, pourquoi tous ses sens perçoivent sa présence. daisy se réinstalle contre lui, mais il n'est plus vraiment d'humeur. glisse un bras autour de sa taille pour donner le change, tandis que toute son attention se porte sur soleil, regard cherchant le sien. une fossette creuse sa joue, automatisme. you came! nice to see you bro, il l'accueille en tendant le poing pour le heurter au sien. i was leaving, actually. have a very nice night.

c'est chargé de sous-entendus. ça le heurte. ça ne devrait pas. ils se parlent constamment en ce moment ; ça n'a rien du silence radio de la rupture précédente. c'est de l'amitié pure et ils s'entendent mieux que jamais. n'est-ce pas ? cool, il réplique, insatisfait pour une raison qu'il ne s'explique pas. se détourne sans attendre de le voir passer la porte, luttant contre l'étrange envie de se lancer à sa poursuite, lui qui pourtant ne retient habituellement les gens que par pur intérêt. on en était où ? susurre la belle à son oreille et il s'efforce de simuler un intérêt crédible. il n'en a aucune idée, l'embrasse à nouveau pour la faire taire. turns out que c'était la réponse attendue. ils s'emballent, ça le détourne du match mais il est si merdique que pour une fois neo ne s'en plaint pas. ses mains épousent la courbe de ses hanches, glissent plus bas. l'attirent plus près, lorsqu'un visage familier réapparait à leurs côtés— piteux. il ne sait pas ce qui a ramené soleil, mais une impulsion le pousse à lâcher sa compagne d'un bras pour le passer autour de ses épaules à lui. dans la cohue générale on ne remarquera pas ses ongles ras qui effleurent la nuque en douceur, courant de la naissance du cou à celle des cheveux pour lui arracher des frissons, en toute amitié.  

J'me tire !" qu'elle dit, l'inconnue, et soleil pense aussi : j'me tire. parce qu'il n'en peut plus de voir cette fille sur les genoux de neomä. parce qu'il n'en peut plus de voir neomä tout court. le pire, c'est de les regarder se bécoter. heureusement que les cris du match sont suffisamment forts pour couvrir les bruits de succion qui accompagnent inévitablement les baisers. il ne tient plus, à peine quelques secondes qu'il est là mais c'est déjà trop, et dans l'effervescence de la soirée snyder le remarque enfin et ose lui lancer un "nice to see you bro !" leurs poings se heurtent, parce qu'ils sont amis, n'est-ce pas, et soleil lui répond "nice to see you too, bro" parce qu'ils sont amis, n'est-ce pas. avec un sourire vampirique, qu'on sent tout sauf sincère, les canines bien pointues (un type, à l'autre bout du canapé, a un léger mouvement de recul). "i was leaving, actually. have a very nice night." il appuie sur very nice, charge les deux mots d'une bonne tonne de sous-entendus, et dans ses yeux ses prunelles sont à la fois piquantes, dérangées et insistantes.

a very nice night, qu'il n'arrête pas de se répéter tandis qu'il s'enroule dans son manteau noir et marche d'un bon pas jusqu'à sa voiture. a very fucking nice night. il s'effondre sur le cuir du siège avant, ferme les yeux un instant, se masse les tempes. il a détesté cette soirée. il déteste toutes les soirées avec neomä snyder-karani.

quelques secondes pour se reprendre ; puis il tourne la clé. mais le moteur ne démarre pas. "what the-" c'est alors qu'il remarque le voyant rouge allumé. celui de la batterie. et les phares eux aussi restés allumés une bonne partie de la nuit. "oh, putain." il a désactivé l'option faisant sonner le bolide comme un taré si le conducteur oublie les phares, ou la radio, ou quoi que ce soit qui pourrait impacter la batterie. ça l'énervait, parfois son vampirisme lui rend les sons insupportables, surtout ceux qui sont aiguës et répétitifs. "oh mais putain, putain, et putain de ta race, putain." quel con. il frappe le tableau de bord de rage, se fait mal à la main, s'exhorte à respirer. il peut appeler son ancien chauffeur, voir s'il est en train de bosser. oui, faisons ça.

j'arrive dans deux heures. bloqué dans des embouteillages sur un pont à celestia à cause d'un accident.
bon. il ne va tout de même pas passer deux heures seul dans sa voiture. surtout avec le chauffage qui ne fonctionne plus. il n'a plus qu'une solution : retourner d'où il vient.

entre temps, la soirée s'est relativement vidée. il se fait tard, presque le petit matin, les gens commencent à rentrer. le match est terminé, la télé a enchainé sur la rediffusion d'un autre, et par conséquent les gens n'y prêtent plus vraiment attention. en somme, il ne reste que ceux qui sont trop déchirés pour décaler, et ceux qui sont trop occupés à se bécoter. dépité, il se laisse tomber sur un siège à côté de neo. soleil se dit qu'il est tellement occupé avec sa nouvelle dulcinée qu'il ne le captera même pas — mais c'est alors qu'il sent une main dans sa nuque. what the- ? il se retient de justesse de le dire à voix haute, tente de ne pas broncher pour ne pas attirer l'attention, réflexe façonné par des années à se cacher, mais ne peut pas s'empêcher de lancer un regard interloqué à neo. snyder a la langue toujours aussi bien occupée — et pourtant il le regarde, et pourtant il le caresse. "you better stop playing." murmure soleil sous la musique et sous la panique. il espère que l'inconnue ne l'entendra pas — mais alors elle se retourne, et elle le regarde. "eh. i'm désirée. you can call me daisy. nice to meet you." et, amicalement, comme si elle n'était pas en train d'embrasser son ex sous ses yeux (note to self : elle ne le sait probablement pas), elle lui tend une main amicale. "daisy." répète soleil par automatisme, pour gagner du temps, une seconde grappillée pour trouver comment réagir. par égard pour elle, il est amical aussi. "i'm arkham. soleil arkham. nice to meet you too." weird, qu'il se dit en lui-même, mais elle n'a pas l'air de trouver ça weird du tout. elle part d'un petit rire cristallin, la tête légèrement penchée en arrière, un peu alcoolisée sans être bourrée, et propose en sachant très bien ce qu'elle propose : "want a threesome, handsome?"

ce n'est pas la proposition en elle-même qui le fait arrêter de bouger net et lui donne l'air con perdu ; c'est l'idée d'avoir de nouveau neomä contre lui, comme s'il ne s'était rien passé. neomä qui lui avait déjà confié certains de ses fantasmes, celui-ci en particulier, en précisant bien : three people, but not with another guy. i'm not gay. more like, you — with two girls. and me watching. il se rappelle lui avoir répondu ok, let me think about it, we'll talk about that later tout en pensant : that's never happening. il voit là une superbe porte de sortie. "i don't think that guy…" (il pointe neomä du doigt comme s'il ne le connaissait pas) "… is into that kind of thing. but thanks for asking."

C'est étrange de les voir interagir. des années qu'ils sillonnent les mêmes cercles sans réellement se calculer, daisy et soleil ; elle la meilleure amie de jazz, lui le plus jeune de ce qui n'a jamais tout à fait été un groupe soudé. cercle social rassemblé par l'argent et la popularité plus que par une forte amitié. neo regarde l'échange sans trop savoir quoi penser du fait qu'ils se présentent pour la première fois après des années, l'interaction si tardive qu'elle semble irréelle. cela dit il ne sait même pas si soleil reconnait désirée, lui qui est demeuré incarcéré deux ans ; lui qui en veut encore à ses connaissances d'antan de ne pas l'avoir visité en prison, rancoeur englobant probablement jazz, romance et tous ceux qui leur sont liés.

c'est peut-être, cependant, parce qu'il reste "l'ami d'un ami" ou tout du moins un visage familier, que daisy propose sans la moindre hésitation : want a threesome, handsome? de surprise mêlée d'envie, la mâchoire de neo s'ouvre, se referme, se rouvre sans qu'il ne parvienne à piper mot. sa main a cessé de cajoler la nuque de soleil aussitôt que désirée s'est tournée vers ce dernier ; il n'est pas assez ivre pour se moquer du risque. neo ne veut pas qu'on lui pose les questions qui dérangent.

il essuie ses paumes moites contre son pantalon, attendant une réaction. ce n'est pas la proposition en elle-même qui le fige ; c'est l'idée d'avoir de nouveau soleil contre lui. de partager à nouveau avec lui un moment d'intimité tout en prétendant qu'il s'agit du premier, qu'il ne connaît pas par cœur ses attentes, ses préférences, ses gémissements, ses soupirs. comme il se doit déjà de prétendre ne pas y penser souvent. i don't think that guy… is into that kind of thing. but thanks for asking, répond finalement soleil, et les regards retombent sur lui, comme s'il lui appartenait à présent de déterminer le tournant que prendrait la soirée. le sang lui bat désagréablement aux tempes, position dont il se délecterait habituellement mais qui cette fois lui pèse tant qu'il en demeure muet. uh… daisy embrasse le bout de son nez d'une façon adorable que contredit la façon diabolique dont ses reins taquinent les siens, percevant un désir naissant qu'il ne peut nier.

i can assure you, that guy isn't against it at all, rigole-t-elle, d'un rire de peste qu'il a vaguement envie de lui faire ravaler. dénoncé, il déglutit péniblement et fixe le sol plutôt que l'un d'entre eux. l'envie d'acquiescer le démange, mais c'est plus fort que lui, d'agir comme si on le forçait, lui dont les veines bouillonnent déjà d'envie de plus. ow honey don't act shy, it doesn't suit you at all. elle secoue doucement la tête d'un air nullement convaincu par ses hésitations. we both know you've done worse, don't we? prend-elle soleil à parti en chuchotant, comme un secret entre eux trois. yeah but- together- like, il en trébuche sur ses mots, conclut misérablement : we're both guys, désignant soleil, puis lui-même, du pouce. so what? elle semble sincèrement perplexe, il se demande si elle est stupide. wouldn't it be weird. daisy lève les yeux au ciel mais fait mine d'y penser, pour le show songe-t-il aussitôt qu'elle papillonne des cils et répond : i don't know. you tell me, pour se pencher sur soleil et l'embrasser.

elle prend son temps, comme une interrogation muette d'abord, puis pour savourer le moment, et neo n'en perd pas une miette, le souffle coupé. he likes it, conclut-elle contre les lèvres de soleil, sans l'ombre d'un doute désormais à propos de neomä. puis, à son intention à lui : but do you? l'une de ses mains s'est libérée pour épouser la courbe du visage de soleil, remonter jusqu'à son cou, lui caresser la joue du pouce. it's okay if you don't want that. porte de sortie offerte, et neo qui espère qu'il ne s'enfuira pas.