Le temps est à l'orage, le temps est à la rage. les gouttes se fracassent au sol en milliards d'éclats féroces, muant le terrain en un miasme infernal. neo le surplombe sans y faire attention, occupé à fusiller du regard une silhouette à travers le brouillard, sourcils froncés sur sa mine furibonde.

comme ce mec l'insupporte,
avec son sourire goguenard et ses grands airs qui hurlent : je vous ai lâchés et je n'en éprouve aucun regret, neo voudrait le tabasser.

comme à chaque rencontre impliquant krum, ils ont tous deux été placés à l'arrière du terrain. défenseurs de leur équipe respective, mais les yeux vrillés dans ceux de l'autre, à attendre l'heure ; à attendre leur heure. et ça arrive. toujours, inévitablement, car ils ne peuvent partager le même espace sans se rentrer dedans. ça s'prend au col, ça s'insulte et le tout s'envenime, chaque mot en entraîne un autre plus virulent, chaque coup éveille un peu plus la rage à vif sur des plaies qui datent. à croire que jamais elles ne se fermeront.

quand l'arbitre siffle neo l'ignore ; quand coach l'interpèle neo l'ignore. même le carton rouge érigé vers le ciel chargé de nuages noirs ne suffit pas — il faut que dusk tire sur son bras et qu'il manque de peu de la déloger de son hoverboard pour qu'il cesse. on ne peut pas le garder dans les environs dans ces conditions, jamais, alors coach exige qu'il dégage. au vestiaire, et que je ne te revoie pas de si tôt, qu'il lui crache, ajoute comme une menace : on règlera ça à l'entraînement. et neo sait qu'il le sentira passer, à la maison autant si ce n'est plus encore que la prochaine fois qu'ils se reverront.

ses affaires sont balancées à travers la pièce, il se désappe à l'arrache et jette ses fringues boueuses pêle-mêle au sol avant de se réfugier sous le jet brûlant. il est maculé de brun, de s'être battu dans les airs et à terre, et des écorchures lui parsèment le corps, les plus superflues commençant doucement à se réparer d'elles-mêmes. c'est longtemps plus tard qu'il s'arrache au jet, calmé, mais encore furieux contre lui-même d'avoir ainsi foiré son propre jeu.

sur l'un des bancs, une mine familière qu'il n'a pas croisée depuis une petite éternité.
neo serre les dents, se gratte l'épaule. le geste n'apaise pas la sensation étrange, comme une perpétuelle démangeaison, qui le dérange constamment depuis leur dernière altercation. il le dépasse sans un mot d'abord s'arrête à ses côtés là où ont échoué ses affaires. what brings you here? qu'il demande en s'habillant, seulement pour se heurter à un mur de silence. come on, il se lasse, mais pour la première fois depuis toujours, il n'y a pas une pointe d'amusement dans sa voix. pas ce petit quelque chose de moqueur qui a toujours indiqué à quel point il ne le prenait jamais au sérieux.

cette fois, c'est pour de vrai.

you gonna act as if i wasn't even here?

silence.
silence.

so you were serious where you said we were over. whatever we used to be. what if i'm not okay with that? il y a de l'agacement dans ses mots, ses yeux se tournent vers le mur blanc et froid, aussi froids que soleil à cet instant. i tried to make you stay, the other night, avoue-t-il plus bas. but you were already gone. il a un rire amer, autodérisoire. guess i was late again, et cette fois le murmure est pour lui-même.

Il ne vient pas pour voir neomä, il vient pour voir ash.
il le jure.

"what brings you here?" nonchalamment assis sur le banc des vestiaires, il prend le parti de ne pas répondre. c'est ce qu'ils se sont promis la dernière fois, en se quittant : ne plus s'adresser la parole. ne plus se voir, ne plus se regarder. disparaître du monde de l'autre. soleil l'a déjà prévenu, il l'a rayé.

"come on." presque par défaut, presque parce qu'il n'a rien d'autre à regarder, ses prunelles rouges se fixent sur un neomä agacé. il a sur le visage des traces de coups qui lui rappellent leur dernière altercation. krum, cette fois-ci, il présume. quand neomä et lui étaient ensemble non, se fréquentaient non plus, se voyaient? — quand neomä et lui se parlaient encore, krum était un sujet de conversation inépuisable. et parfois soleil prenait une compresse imbibée de désinfectant pour soigner les blessures du witcher, parfois il prenait un sac de glace pour le lui appliquer sur la joue, le front, la lèvre.

un autre temps, définitivement.

"you gonna act as if i wasn't even here?" c'est là tout l'intérêt de t'avoir effacé de ma vie, qu'il pourrait répondre. faire comme si tu n'étais plus là. pour ne plus souffrir à cause de toi. "so you were serious when you said we were over." il a un sale goût dans la bouche, le soleil, une petite haine qui pousse à l'intérieur de lui, une plante indésirable qui lui bloque le souffle dans la gorge. car ce n'est pas lui qui a décidé qu'ils soient over — c'est celui qui l'a abandonné. parfois pour s'endormir il se raconte encore cette jolie histoire : comment le soleil a pris le contrôle d'un charriot tiré par mille chevaux et, parce que le soleil avait trop bu, au moins bu toute l'eau de la terre, il n'a pas vu l'arbre immense qui se dressait au milieu de sa route ni même le traitre qui se prélassait à ses côtés.

quand il se la raconte, il a toujours la rage.

"what if i'm not okay with that?" il ne hausse même pas les épaules, il reste stoïque. absolument figé, comme une statue de marbre ou de pierre. "i tried to make you stay, the other night" continue neomä, et soleil essaye de ne pas entendre. il est une statue qui n'a pas d'oreilles. ni d'oreilles pour entendre, ni de bouche pour parler, ni d'yeux pour voir. il est les trois singes de la sagesse, plus rien n'a d'importance. "but you were already gone. guess i was late again." comme c'est étrange, snyder qui fait la conversation tout seul en ramassant ses affaires. comme c'est étrange, ne pas lui répondre. sa bouche est pâteuse mais ses mots sont secs. il a mille fois essayé de se faire entendre mais ils ne sont pas sur la même longueur d'onde, il ne sert plus à rien de parler.

il sent l'impatience de neomä qui bouillonne à côté de lui, le regard de neomä qui se pose sur lui. pour le faire partir, il lui dit : "i'm here for ash. i'm not here for you. go away." et il continue de fixer le mur devant lui, esquivant avec une maîtrise incroyable les yeux recouverts de lentilles pour masquer le doré. pourtant c'est plus fort que lui, ses lèvres esquissent un sourire en coin qu'il est incapable de contrôler. parce que : "apparently krum and i have a huge common point." te démolir les os, te faire des traces sur la peau.

(jamais le soleil d'avant la transformation n'aurait dit ça,
jamais le soleil d'avant la transformation n'aurait fait ça).

Pas un mot, pas un geste, il se sent transparent, inexistant.

transparent comme il l'est rarement à l'extérieur — là où on l'acclame ou le déteste, jamais d'entre-deux ; là où s'accumulent les attentes et se multiplient les regards, là où il se repaît de l'attention, positive ou nocive ((qu'on parle de lui, en mal ou en bien, mais qu'on en parle)). transparent comme il l'a pourtant souvent été entre les murs de la demeure familiale, père exigeant ne souffrant aucun refus, aucun écart, vis-à-vis de lui qui n'en avait déjà que trop cumulé. et combien de fois neo a rant auprès du soleil pour s'en plaindre. de ces silences à vous glacer le sang, de ces yeux qui traversent la chair comme si elle n'était que néant ; combien de fois, à s'écouter parler plus qu'il ne parlait à l'autre, blessure égocentrée. combien de fois lui a-t-il dire haïr, haïr subir l'ignorance ; et en sous-texte, jamais tout à fait exprimés, ses efforts pour y échapper, neomä que "père" a plus d'une fois fait ramper en échange de son pardon.

il déteste- et soleil le sait.
l'envie de s'emporter, le sang en ébullition encore, mais un goût de défaite sur la langue. se battre ils l'ont déjà fait, et voilà où ça les a menés : nulle part. même lui ne répéterait pas le scénario, se souvient de l'air hanté de soleil, se souvient du parfum de l'erreur, bien qu'il n'en comprenne pas les raisons. i'm here for ash. i'm not here for you. go away. ce sont les vestiaires des joueurs, il fait remarquer du tac-au-tac, réflexe de protester : j'ai plus de raison d'être ici que toi. ça lui échappe et il ne regrette pas vraiment, mais capte le reste à retardement. yeah, what's that between you and ash, qu'il demande sans l'intonation d'une interrogation, manie bien à lui. curieux, malgré lui ; sans jalousie pourtant, parce que neomä ne sait pas ce que c'est, que d'être possessif. il ne comprend simplement pas ce que soleil peut trouver de plus à ash qu'à lui — sans offense particulière pour son pote.

il enfile son haut avec la frustration du joueur renvoyé du terrain, après avoir dévisagé le tissu comme s'il était coupable de tous ses maux. you've got a thing for hoverball players, don't you. pensif un instant, devrait peut-être se taire mais formule bluntly : and for, like, jerks, i guess. soleil éclatant lorsqu'on le révère, mais dont les flammes s'attisent pour les mauvaises étoiles ; celles qui refusent le commitment. apparently krum and i have a huge common point. brûle de répondre : you've got your next target then, la lèvre supérieure qui s'ourle méchamment sur ses dents encore sanglantes, énervement toujours à fleur de peau lorsque le sujet est abordé. et ça aussi, le soleil le sait. et pour qu'il déchante : i heal fast anyway and i don't feel much. ses yeux se rivent pourtant sur ses poings qui se ferment, veines saillantes traversées de cicatrices neuves, except there. parce qu'il n'a pas demandé à lux de faire disparaître ces marques-là. you proud? commissures étirées en un demi-sourire dédaigneux, qui se gomme quand son regard échoue sur la mâchoire encore marquée de soleil ; là où transparaissent, à travers le maquillage, les marques des doigts de neo. ancrées trop fort au creux de ses joues cette nuit-là. i'm not, qu'il avoue — s'excuse à demi-mots, pour une fois.

Ce sont les vestiaires des joueurs", lui répond neo du tac au tac, mais soleil s'en fiche. "good point" qu'il dit simplement, maintenant son air désintéressé. ce sont les vestiaires des joueurs et il n'est pas un joueur mais il n'a pas l'intention de bouger. il restera sur ce banc jusqu'à ce que ash daigne se pointer. ils ont prévu un diner aux chandelles chez arkham, ce soir ; et il n'ira pas seul à son propre diner. (il voulait l'emmener au restaurant. mais ash n'aime pas être vu en public avec lui, et ash n'est pas intéressé par les restaurants avec lui. une petite pointe au coeur, mais il n'a rien dit). "what's that between you and ash" demande justement neo, en écho à ses pensées. "we're together, i guess." répond soleil, sans envolées lyriques ni ajouts amoureux. il sait depuis quelques temps qu'ash et lui ne sont pas sur la même longueur d'ondes, il ne se voile plus la face quant aux sentiments que le joueur de hoverball n'a pas mais que soleil pensait qu'il avait. bref — history repeats itself. comme chaque fois.

"you've got a thing for hoverball players, don't you." fait remarquer snyder, et il a raison. "and for, like, jerks, i guess." qu'il complète, et cette fois-ci aussi il a raison. "i do. they're my type." (ce n'est pas vrai — c'est un peu triste et amer et salé). "apparently krum and i have a huge common point. — you've got your next target then." c'est si bien répondu, si vite et si violemment, qu'un sourire naît sur ses lèvres. neomä s'est élevé (descendu ?) à son niveau, et ils rivalisent de mesquinerie et de sarcasme avec les mots. ils frappent là où ils savent que ça fait mal, car qu'ils le veuillent ou non, ils se connaissent bien, trop bien. ils trouvent des plaies mal cicatrisées et y enfoncent des lames affutées. "i do. i planned on asking him on a date, but in the meantime i learned he's not into men." c'est faux, bien sur. il est fidèle, contrairement à neomä — il a ash et il n'a que lui. krum ne l'intéresse pas plus que ça, et soleil n'a aucune idée de qui il peut bien aimer. une chose est certaine, en tout cas : ce n'est pas neomä.

"i heal fast anyway and i don't feel much. — i noticed that." que tu ne sentais pas grand chose. alors que moi je ressens tout décuplé en dix fois. "except there." il regarde ce que neomä lui montre : un poing amoché, couvert de peau rouge et neuve en train de cicatriser. il ne comprend pas pourquoi il porte encore les traces de leur dernière altercation, quand il a un.e healer dans sa famille. "why do you-" mais il ne sait pas comment terminer sa phrase et s'arrête en chemin. "you proud?"

non.
pas spécialement.
pas du tout.

"i'm not." ses prunelles rouges sont chargées de surprise quand elles remontent sur le visage de neo. "you're not?" hésitant, comme s'il s'attendait à découvrir d'un instant à l'autre une blague, une moquerie, un mensonge, un subterfuge. quelque chose de faux pour couvrir cette nuit-là. mais les regrets ont l'air vrais. il est abasourdi quelques secondes, avant d'avouer, d'un ton incertain et presque réticent : "i am... i am not either. i-" il regarde ses mains, dérange dans un réflexe inconscient ses ongles qui ne sont plus des griffes. "i'm not a big fan of... fights." une boule se forme dans sa gorge. elle est composée d'un ancien amant ayant trop pris pour habitude de parler en coups et en bleus ; composée aussi d'une attaque à zaun dont il n'a que des fragments de souvenirs mais l'assurance d'avoir souffert, le cou si déchiré qu'il s'est surpris à penser que sa tête allait tomber. "i, hum. i don't want this to happen again." et techniquement ça n'arrivera plus, car ils ne se parleront plus. "i mean, if we. if we try to be friends. if you-" il aimerait le retrouver, le retrouver comme avant, presque autant qu'il aimerait des excuses. "if you admit you let me down." qu'il balbutie avec espoir, et peut-être qu'il en demande trop, surement qu'il en demande trop, surement que neomä lui répondra d'aller se faire foutre, qu'il s'accrochera à ses excuses favorites : la prison est dans le fold, et personne n'irait dans le fold de son plein gré, et les autres du groupe ne sont pas venus le voir non plus, et-
mais neomä n'était pas les autres, et soleil ne couchait pas avec les autres.