Le penthouse déborde de monde jusqu'à sa terrasse aménagée, ce soir la terre tourne autour de neomä et les dragons savent combien il se réjouit de cet instant. de la liberté toute neuve qu'est l'acquisition de son propre appartement.

soulagement tardif qu'il n'oserait exprimer à haute voix, et lorsqu'on lui demande ce qui l'a retenu si longtemps il n'évoque pas le souffle insistant de son père sur sa nuque, ne parle pas de pression, mais offre un baratin aisé selon lequel les dépendances de la demeure familiale demeurent sans égal ; à moins que la justification du moment ne soit son refus d'investir tant qu'il n'aurait mûrement pesé la décision, la dépense, et choisi un lieu dont il pourrait réellement profiter. neomä, si pris par son sport et par les fêtes. toujours est-il qu'un poids considérable semble lui avoir été ôté des épaules à l'instant où, nerveux dans l'attente d'une réponse, il s'est vu offrir l'accord paternel tant espéré. frémit encore à la pensée du regard dur qui l'a jaugé de la tête aux pieds, des avertissements qui ont plu par dizaines, des exigences quant à son assiduité aux entraînements. acquiescer avait le poids d'un contrat signé, plus encore que le bail sur lequel il a apposé son nom, mais qu'importe. rien ne saurait le détourner du hoverball, de toute façon.

l'interphone buzz pour la énième fois, petite bulle de technologie venant se percher sur l'épaule de neomä pour lui dévoiler la personne l'attendant au bas de l'immeuble. il découvre à travers l'écran une jessamine constellée de couleurs. a un pincement au cœur sur lequel il ne s'attarde pas, refuse de songer aux mois qui se sont écoulés sur un quasi silence entre eux ; mutisme seulement rompu en présence d'autrui, qu'il s'agisse de romance, de leur famille ou d'étrangers.

mais il n'y a plus d'elle et lui et c'est à moitié surpris qu'il découvre qu'elle a accepté son invitation.

i'll be back, annonce-t-il en s'éclipsant d'un énième groupe de presque-inconnus conviés par des amis d'amis (…), une normalité à ses soirées. déterminé à l'accueillir de lui-même pour, peut-être briser le froid jeté par leur altercation à utopia, des semaines auparavant, il se rend à la porte avec, en mains, deux gobelets rouges aux cocktails épicés.

venue voir comment on fête chez- l'interrogation cocky meurt alors qu'un coup invisible lui est porté en pleine poitrine : à côté de jazz se tient sa mère.

pas elinor, non. sa génitrice. le regard se tourne à nouveau vers sa "sœur", présumée coupable, et un : pourquoi ? lui échappe alors que, déjà, il s'imagine qu'elle ait pu être à l'origine de cette odieuse blague. la porte de l'appartement claque derrière neomä, qui croise les bras sur son torse en les dévisageant toutes les deux, vision comme sortie de ses cauchemars. je suis venue de moi-même, corrige l'intruse. comment tu m'as trouvé ? elle éclate d'un rire emprunté. par les journaux, honey. il la jauge du regard, blême, détermine qu'elle ne ment pas, et entrouvre la porte pour laisser le passage à jazz à qui il confie les verres, tandis qu'entre lui et sa mère, le ton monte.
•••
c'est une éternité plus tard, lui semble-t-il, qu'elle le laisse enfin, usé et malade. nœud d'angoisse dans le ventre, blême comme s'il avait croisé le pire de ses fantômes — car c'est le cas. il croise jazz demeurée à proximité de la porte, lui prend l'un des verres qu'il engloutit d'une traite avant de s'en débarrasser, et trace droit jusqu'à la plus proche salle de bain. cogne contre la porte close un ordre de lui ouvrir, insiste jusqu'à ce que le panneau de bois s'écarte. dehors. et c'est à l'intérieur qu'il trouve refuge, un cri étouffé au bord des lèvres.

un haut-le-cœur retourne son estomac seulement comblé d'un peu d'alcool, mais rien ne sort. le mal reste là, tenace et bouleversant. il se prend la tête entre les mains, tente d'étouffer ses pensées, finit assis au sol, près du bain, lorsque s'introduit à l'intérieur la seule personne qui oserait l'approcher dans cet état. il l'accueille d'un œil éteint, la gorge râpant sur un rire sec. tu viens enfoncer le clou ? à toujours s'attendre au pire venant d'elle désormais, sans lui-même savoir pourquoi. le talon de ses paumes s'ancre à ses paupières et il frotte, tentant de chasser la fatigue mentale qui le terrasse. désolé. l'habitude. celle de piquer et d'être piqué. mais il n'a pas la force ce soir. à vrai dire, il ne veut qu'une chose—

qu'ils fassent semblant d'être encore frère et sœur.
que pour cette nuit, elle soit à nouveau la famille qu'il s'est choisie ; lui fasse oublier celle qui lui a été donnée de nature.

il se décale pour lui laisser la place de s'asseoir à ses côtés, hésite un instant avant d'abdiquer : et d'une façon dont il ne s'est jamais autorisé à le faire, il se cale contre elle, la tête sur ses genoux, le temps d'une parenthèse ; à espérer que la terre cesse de tourner à son rythme désaxé.

Elle le regarde au ras du sol ((c'est peu dire)) la tête entre ses mains, le visage défait. Elle le contemple, du haut de ses talons vertigineux à fanfreluches de strass, et n'arrive pas à prononcer un mot, elle qui a t o u j o u r s quelque chose à dire. Ça le met sur la défensive, le pousse à la méfiance, lorsque sa bouche crache ses reproches elle a l'impression de se prendre un coup de poing dans le ventre. Elle n'en montre rien, bien évidement, refuse tout étalage de sentiments. — C'est vraiment ce que tu crois? lui demande-t-elle la gorge serrée, un mouvement d'épaules traduisant une fausse indifférence. Elle réalise, qu'elle vient de franchir un cap, celui où son propre frère l'a croit dénué de toute empathie.

Ce n'est pas sa faute si elle est devenue cette coquille vide, pourquoi se soucierait-elle des autres? Personne n'a jamais cherché à la comprendre elle. Dans ses cauchemars, elle entend encore la voix de son oncle qui lui hurle son mépris, lui apprend par la force de ses coups qu'elle n'est qu'une bonne à rien, qu'elle sera vendue, qu'elle a tué sa mère, sa sœur bien-aimée, que sa naissance même est une malédiction. Pourquoi croirait-elle en autrui, quand personne n'a jamais cru en elle? Elle a un jour espéré, que Neomä serait c e l u i qui la comprendrait, qu'ils étaient nés sous la même mauvaise étoile, que leur haine du monde les soudait, parce que derrière cette complaisance et ses risettes charmeuses Jazz n'est qu'une boule d'amertume, blasée jusqu'à l'os, qui finira par se laisser engloutir par ses propres névroses. Neomä a décidé de quitter l'arène de leur folie pour jouer dans la cour du succès, il se nourrit d'acclamations, devient celui sur lequel on parie, s'enhardit de son nouveau statut.



❝ de quel droit vas-tu mieux?
━━ ce n'est pas juste ━━



Finalement, il a sûrement raison, elle le sait bien au fond. L'empathie n'a pas motivé son impulsion, rien de sa démarche n'est générosité, bienveillance, t e n d r e s s e. Elle n'est là que pour se rassurer. Neo ne va pas mieux. Il est toujours avec elle dans le noir. Il n'a pas réussi à s'échapper, comme elle le croyait. Il est malade, malade de désespoir, malade de solitude. A l'intérieur elle le sent sur le point de flancher.

C'est un é c h o de soulagement qu'elle dissimule dans sa poitrine, un déni qui en rejoint d'autres. Une laideur du quotidien. Non. Ce n'est pas elle ça. C'est une autre. Elle veut seulement être auprès de ce frère qui lui manque tellement qu'elle s'en réveille parfois à s'en rendre fièvreuse, qu'il prend forme dans ses songes les plus douloureux pour l'insulter à son réveil, la menacer de la laisser pour toujours. Il ne sait pas lui, qu'il lui arrive encore tant de fois de le rêver, que quand parfois elle le fait taire d'une balle argentée, elle se surprend à être déçue de le voir disparaître.



Ce soir, Neomä a besoin d'elle,
d'elle et de personne d'autre.


Les doigts caressent ses cheveux tandis que le corps s'accroupit près à la baignoire, accueille dans son étreinte sa tête pleine de soucis, l’œil se plisse quand les opales étudient les contours de son doux visage ravagé par la fatigue. Une fatigue plus émotionnelle que physique. L'orage gronde déjà dans sa cage thoracique, fait éclater toute la chaîne de ses envoûtements, aussi sûrement que chaque âme est une bombe qu'il suffit d'enclencher. Elle sent Neomä sur le point de se ROMPRE. — Que voulait-elle?

Elle ne lui fera pas l'injure de lui demander son identité, Jazz la connait, elle l'a déjà vu, s'attarder, r ô d e r. Chacune de ses visites plonge Neo dans une spirale du chaos dont il ne s'éloigne jamais tout à fait. Souvent elle oublie, qu'il a encore une mère, ce lien nuisible qui le rattache encore trop au passé. Est-ce qu'elle lui manque toujours? Est-ce qu'il la regrette parfois? Elle n'a jamais cherché à en discuter avec lui, il a bien essayé de lui en parler, une fois. Elle a fait la sourde oreille à ses appels. Elle ne voulait pas savoir. Memo dérangeant de sa propre misère.

— Je peux leur demander de partir, si tu veux... suggère-t-elle du bout des lèvres près de sa tempe, personne n'a besoin de savoir, elle comprend que pour lui, la fête est finie - - si elle est de coutume trompe-l'oeil pour ses déchéances, cette nuit, il donnera à peine le change. Malgré tout ce qu'ils ont en commun, Neomä n'a pas le même talent pour faire semblant, lui n'est que détonation et débordements.

Elle est immense, elle est loin. il est glacé de l'intérieur, elle demeure silencieuse, à distance.

sur le moment, il songe qu'elle est venue frapper un homme à terre, en rétribution pour le fracas de leur dernière altercation, mais elle demande simplement : c'est vraiment ce que tu crois?

et peut-être ne devrait-il pas, mais il la croit.

l'invitation adressée à sa silhouette est muette, il fait de la place à l'endroit d'où il l'a chassée deux ans plus tôt ((à ses côtés)). fait de la place là où elle a refusé de s'attarder la première fois qu'il s'est effondré : désagréablement près de son cœur, où l'assurance se fait château de cartes trop aisément soufflé, où les certitudes dégringolent tel un parcours de dominos. il ne lui laisse pas vraiment le choix lorsqu'il s'avachit sur ses genoux, mais sur le tissu léger de sa tenue les doigts de neomä se crispent. il craint de se raccrocher au vide, qu'elle n'esquisse ni un son ni un geste et le laisse s'égosiller en vain.

m'entends-tu seulement ?

il se rappelle très bien le désintérêt avec lequel elle a balayé ses mots ce jour où il a ânonné quelques-uns de ses maux, croit même se rappeler de l'écho du rire d'echo en arrière-plan. de s'être brusquement retourné, comme hanté, pour ne trouver personne derrière lui, condamnation à ne jamais savoir si « elle » a vraiment été là ou s'il l'a, à son tour, rêvée, imaginée dans sa tourmente. peut-être s'est-il seulement réconforté en se disant qu'ils étaient aussi fou(tu)s l'un que l'autre, mais derrière lui ne planait que le silence et devant lui se tenait une jazz désintéressée ; elle l'a laissé au bord du gouffre et c'est de là-haut qu'il l'a, plus tard, regardée s'insurger de le voir s'élever. hissé au sommet de la tour de ses succès, pourtant, neomä s'est retrouvé bien con : la vengeance s'est dégustée brûlante, pour plus tard s'affadir à la tiédeur d'une solitude persistante, et à présent, ne reste que le froid.

elle pourrait refuser la main qu'il tend. il se prépare au heurt, au claquement de ses talons sur le carrelage, mais à la place des doigts se glissent dans ses cheveux, elle s'aventure avec hésitation sur le pont qu'il construit au-dessus des abîmes.

il est glacé de l'intérieur, mais elle est là cette fois ;

et sa chaleur vaut plus que celle qu'il glane en étreintes fanées, en boissons et en psychotropes pailletés. sa chaleur borde ses cils de larmes qu'il ne laissera pas couler, sensation aussi étrange que dérangeante, euphorie du soulagement. que voulait-elle? qu'est-ce qu'elle ne veut pas ? qu'il rétorque d'une voix rire rauque, éteinte, je peux leur demander de partir, si tu veux... — non, le refus s'est imposé avant même qu'il n'ait le temps d'y songer. sa paume étreint le genou de jazz en une requête qu'il émet au bord de la nausée, ses phalanges s'y ferment en supplique. ne pars pas, quémandé dans un murmure pressant. il est terrifié, soudain, qu'elle s'en aille.

me laisse pas.

qu'importent les autres, leurs voix étouffées par la porte close. qu'importent les rires qu'il ne partage pas, la peinture de bonheur dont il a recouvert ses murs pour un nouveau départ qui vient de voler en éclats. le passé s'agrippe à lui et lui rappelle d'où il vient, lui rappelle à qu(o)i il appartient ; les richesses et la gloire sont des fadaises, ce soir il est ketterdamien et a le myocarde lacéré, en miettes. mais s'il espère échapper un jour aux serres acérées de sa mère, lui qui se veut libre se surprend à regretter d'avoir perdu une alliée dans sa fuite en avant. elle veut tout, reprend-il, tout sauf… ((moi)) il se reprend, elle en demande trop. ((elle demande tout sauf ce qu'il voudrait lui donner)). j'en ai assez de son chantage; un jour c'est de l'argent, un autre elle prétend que— ((je lui manque)) qu'elle ressent quelque chose, avant d'exiger une nouvelle voiture. c'est un foutu démon. et il est le seul à lui servir encore ce qu'elle exige sur un plateau d'argent les rares fois où elle parvient à l'atteindre ; elle sait  que, si les snyder laissent ses messages en vu, il lui suffit de retrouver la trace de neomä pour se refaire une santé financière.

il cède à chaque fois.
elle tient les extrémités de ses fils et en fait ce qu'elle veut puis, satisfaite, elle les coupe et le laisse ivre de douleur, disparaît sans laisser la moindre trace. elle le trace aisément par les journaux, par les on dit, les réceptions, mais lui ne sait jamais où elle l'est, où la trouver et avec qui ; elle sait disparaître, l'a fait quand il avait treize ans et le refera jusqu'au bout de sa vie, sans remords, avant de réapparaître pour l'extorquer ou simplement le narguer. il se demande si c'est personnel, si c'est contre lui, si elle souhaite le blesser ; c'est un peu moins douloureux que s'avouer qu'elle est seulement indifférente et parade sans songer un instant à lui.

parfois, rarement, il pense en être sorti.
le reste du temps il l'espère. et la colère le dévore à grands feux, derrière les sourires de façade. et il détruit tout ce qu'il touche. tu sais, j'ai vraiment cru qu'elle ((m'aimait ; le verbe lui brûle les lèvres, y meurt comme à chaque fois, à croire qu'il ne parviendra jamais à le prononcer)) tenait à moi. parfois elle arrive encore à me faire y croire. ce soir encore, il y a presque cru. l'aveu le fait se sentir minuscule, pour compenser il éclate de rire. quel minable. son cœur bat si fort dans sa gorge qu'il se demande si jazz l'entend.

qui aimerait un mec comme lui ? pas même celle qui l'a mis au monde. alors il s'entoure de pseudo amis et d'admiration ; et on l'acclame, et le vide se comble. un temps. qu'est-ce qui nous est arrivé ? qu'il demande, sans trop savoir s'il le devrait. elle peut lui rire au nez : il leur est arrivé qu'il l'a abandonnée.

mais c'est plus compliqué que ça.

ce qui est arrivé, c'est qu'ils ont bâti un amour fraternel fusionnel sur du sable, les cœurs trop gardés pour s'attarder à en construire les fondations. ce qui est arrivé, c'est qu'ils se sont complus à se deviner, sans jamais réellement parler. et peut-être fuira-t-elle encore. mais ce soir, neomä a laissé s'effondrer ses remparts, fatigué de se barricader seul derrière ses faux-semblants.

La demande est explicite, réelle
- effrayante - de nécessité, son « ne pars pas » carillonne à ses oreilles comme la douce mélodie d'un désespoir lattant, une face qu'il cache au monde, tous ces autres qui ne sont pas elle, qui ne peuvent être eux. Neo ne s'attache pas, Neo ne réclame pas, jamais il ne s'humilie à quémander une présence accentuant la vulnérabilité qu'il fait semblant d'avoir abandonné. Jazz voudrait lui demander pourquoi maintenant et pourquoi elle, mais en vérité ce n'est pas elle, seulement le mirage familial qu'il désire ardemment. Là, appuyée contre la faïence glacée elle contemple son triste reflet, qu'il est beau dans l'ombre chatoyante de ses regrets salés. — Je ne pars pas... Son éclat semble faiblir, le constat allume l'enthousiasme dans ses octaves, la voix se fait miel, le regard velours - - les étoiles clairsemant ses mèches poudrées brillent d'avantage de ces retrouvailles misérables.

Elle l'écoute, patiemment, la poitrine se soulevant fébrilement lorsqu'il évoque ce fantôme du passé, ce démon des profondeurs [ [ N O N ] ] elle n'est rien de tout ça, de chair et d'os elle est faite, une médiocrité tout à fait ordinaire qu'elle ose exhiber près de ce frère qui lui est exception. Elle n'est qu'humaine appartenant au monde d'en bas qu'ils ont laissé ❝ ce serait bien mieux si elle disparaissait tu ne crois pas ? Ce serait plus facile. Neomä n'a pas besoin d ' e l l e. Elle le pousse à espérer dans le néant, nourrir des illusions vaines dont il faudrait le libérer. Le faut-il vraiment ?



si aisément séduite par le rêve chuchoté
PÉCHÉ INFÂME QU'ELLE GARDERA MUET



Elle tait dans sa toile le désir carnassier d'y emprisonner toutes les douceurs qu'elle lui destine, d'un battement de cils elle accorde à son adoré sa plus profonde tendresse, sa plus abusive indulgence — voilà tout ce que ce lien de sang lui aura apporté, cette poitrine lourde à hurler, cet amour triste à pleurer. — C'est un très beau rêve dans lequel se perdre, auquel se raccrocher. Mais à la fin de la journée, ce n'est que ça, un rêve. Et le seul cadeau qu'elle lui ait jamais fait et de l'avoir abandonné.

Les canines mordent la pulpe pour retenir les mots coulant du palpitant qui s'affole, la chaleur de sa voix s'entremêle à la précieuse vision de son corps endolori sur le sol. Ils échangent un regard dont les échos de malheur parcourent son derme jusqu'à le faire frissonner - - c'est le froid des dalles marbrées, c'est la glace des artères d'un cœur qui ne sait s'il adore ou abhorre les couleurs qu'ils partagent. Dans le bleu de son spleen elle s'élève, chatouille les lueurs ambrées qui macule ses pensées ; tristes spectres qui s'agitent avec l'envie furieuse de L'ESQUINTER.

— Ce qui arrive toujours- soupire-t-elle en basculant la tête vers l'arrière, les orbes rivées au plafond fraîchement repeint. — La vie. Soudainement la rancœur ne leste plus son cœur de son poison mortel, elle se sent légère ondine dansant dans les eaux de leur attachement v i c i é, rassurée par la certitude de le savoir [ [ s e u l ] ] et désemparé. Elle se rappelle à peine de ce qu'elle doit lui pardonner, s'approchant doucement du rivage elle se penche pour le récupérer ❝ si je me noyais dans mes larmes sombrerais-tu avec moi ?

— Les autres n'ont pas à comprendre. que jamais ils ne partiront de là-bas — Pas même elle. Surtout pas elle. Et s'il croit suffisamment fort que l'enfant qu'il était l'a oublié, alors l'adulte qu'il sera ne s'en souviendra pas. — Tu peux être minable avec moi. Presque un murmure à elle-même, les mots ne sortent pas tout à fait dans le bon ordre, il manque la nuance des sentiments réels qui l'animent ce :
« tu ne peux être minable qu'avec moi » mouvant la paume qu'elle pose sur sa joue. Désormais elle le sait, Neomä reviendra toujours vers elle, comme vers cette mer(e) qui a marée descendante le dépouille de tout ce qu'il est. Il y a des blessures de l'enfance qui s'ancrent si profondément qu'elles forcent un schéma impossible à briser. — Je ne pars plus. Elle se penche à son oreille pour le bercer de cette promesse. — Ce n'est pas toi que je veux fuir. Uniquement moi-même. — Je peux rêver pour toi qu'elle ne revienne pas. ❝ je l'ai déjà fait. Elle fera celle qui ne comprend pas sa demande, il fera celui qui s'y refuse, mais à la fin de la journée, ce n'est rien d'autre qu'un rêve après tout.

(i think we could last forever
i'm afraid that everything will disappear)

«life happened — et perdu dans les voiles d'une terrible compétition il l'a abandonnée, a égaré ce qu'ils partageaient de plus précieux. je ne pars pas... promet-elle et neo voudrait y croire, mais quelque chose en lui s'est un peu plus brisé ce soir, et ses éclats s'étalent là, sous les yeux d'une sœur qu'il pensait avoir perdue de par ses propres méfaits. minable, misérable, et dans le sang l'affluence d'alcool triste. tu ne mens pas ? qu'il demande pour être sûr, parce qu'il n'est plus certain de rien, parce que le monde vacille au moindre de ses souffles. il ne peut se permettre d'en laisser échapper un de soulagement— sitôt que sa vie semble tourner sur le bon axe quelque chose lui est arraché, le laissant un peu plus vide à chaque fois. sa main demeure agrippée au genou de jazz, force de witcher atténuée pour ne pas blesser, mais le geste profondément possessif, l'air de dire :

tu m'appartiens, n'est-ce pas ?
tout autant que je suis à toi.
il est la rature de l'existence d'une autre, elle est le radeau qui le ramène au rivage lorsqu'il part à la dérive. elle est la terre d'accueil, d'asile, où il échoue toujours, et lorsque ses bras s'accrochent si sûrement à lui, plus rien ne peut l'atteindre. c'est un très beau rêve dans lequel se perdre, auquel se raccrocher. Mais à la fin de la journée, ce n'est que ça, un rêve, assène-t-elle tout en douceur. c'est de ces vérités qui blessent, lame dans une plaie béante, mais il sait que tout ce qui se rapporte à sa génitrice ne sera jamais plus qu'un mirage si cela semble beau ; tout ce qui tempête autour d'elle rimera toujours avec ravage, carnage, et c'est ainsi qu'elle le laisse à chaque fois, l'âme craquelée, le cœur en miettes. tu as raison, il accepte, bien qu'ils sachent tout deux qu'il ne s'efforce de se hisser à la surface que pour mieux rechuter la prochaine fois. encore et encore, matelot égaré dont la barque bifurque aux chants trompeurs des sirènes. il tourne la tête pour la chercher, trouve son regard sur lui et ils se fixent le temps d'un silence chargé de sens. en réponse à la main qu'elle a posée sur sa joue, il en lève une pour jouer avec ses cheveux, qui tombent autour de lui tel un rideau de soie, constellés d'étoiles. la féérie d'un rêve, des barreaux de lumière. il est plus doux d'être pris dans sa toile que d'être seul et losqu'elle reprend la parole, neomä boit chacun de ses mots, parce que : tu peux être minable avec moi, parce que : je ne pars plus, parce que : ce n'est pas toi que je veux fuir. ses yeux se ferment, son cœur tambourine lourdement. il a envie d'y croire, d'espérer sa main dans la sienne peu importent les démons qu'ils portent. qu'est-ce que tu fuis ? il a envie de faire confiance mais c'est une montagne à gravir, à escalader sans pitons ni broches. elle est bien là pourtant lorsqu'il s'effondre, tu peux être minable avec moi offre-t-elle, et lorsqu'elle s'échappe, elle ne le laisse pas derrière. c'est un trésor, pour lui qui toujours s'efforce de se montrer fort, pour ne plus faillir lorsque les autres s'extirpent de sa vie avec tumulte ou sans faire de bruit.

il est parti en grand fracas, adriel,
tandis que sa mère s'est enfuie en silence,
sans même un baiser, sans même un regard,
la finalité est la même : ils sont partis sans un regret.

(this will break me
this is gonna break me)
je peux rêver pour toi qu'elle ne revienne pas, propose jazz et c'est horrible, terrible et tentant, mais il secoue la tête, la boule au ventre, un nœud dans la gorge au constat de sa propre imbécilité. son refus est criant de stupidité, mais il espère encore sans y croire, il attend comme s'il refusait de savoir. peut-être qu'un jour- peut-être- qu'elle regrettera. qu'elle reviendra. pour lui et non pour tout ce qu'il a à offrir. non. je ne sais pas, mais je ne peux pas. c'est rare qu'il avoue : je ne peux pas, c'est un échec comme il les accepte difficilement, comme il ne les concède jamais — neo est plutôt homme à se battre, à se relever même fracassé, contusionné, commotionné. c'est ce qui le garde sur pieds sur le terrain comme à la vie. mais dans une lutte perdue d'avance sa mère mène la valse sans le moindre mal, elle édicte les règles et les bafoue dans le même souffle sans qu'il ait la force d'éteindre la musique. tant que tu restes, ça ira, assure-t-il. mais ne fais pas cette promesse à la légère. et il y a dans l'avertissement un léger accent de menace. à cet instant, un goût de violence saupoudré du miel d'une affection qui n'a de sain que le nom — frère et sœur, liés à jamais désormais. elle est celle qui ne peut plus partir, car elle a promis, car elle s'est enchaînée à lui et que si elle venait à mentir, à s'enfuir, il en perdrait l'esprit. elle le sait déjà, après tout : il n'a pas besoin de nier face à elle qu'il est flou, perdu entre les limites du bien et du mal, et qu'un rien suffirait à le rendre fou. les pertes qui s'accumulent sont toujours plus de coups portés à sa sanité d'esprit, ils secouent les vestiges des blessures du passé et les ramènent à la surface, avec l'envie de hurler, de détruire.

s'il avait lui aussi le pouvoir de rêver, il ne rêverait pas que sa mère disparaisse. il lui rêverait une tour imprenable, étroite et étouffante, au sommet de laquelle il la garderait prisonnière, rien qu'à lui. mais elle lui échappe et il se raccroche à présent à la certitude que jazz s'est volontairement cloîtrée dans la tour hérissée de piques qu'est son cœur amoché, atrophié, mal aimé. qu'importe qu'ils soient tordus et mal formés, leurs cœurs se sont trouvés, tout abimés, tout malmenés, et ensemble ils semblent un peu plus complet, à battre comme un. allons voler, il propose, avide de liberté ; se rappelle toutefois qu'elle n'est guère très adepte de ses péripéties dans les airs lorsqu'il tente de l'y porter, jazz qui toujours parade en équilibre sur des talons vertigineux. alors il corrige : rouler. c'est l'une de ses questions sans intonation, une interrogation qui lui laisse le choix de prendre la décision. rouler en voiture, rouler des joints, les deux ? tout ce qu'il veut, c'est fuir le monde quelques instants, partir avec elle et revenir pansé, un peu plus le neo que les autres connaissent, un peu plus le neo que les autres ont le droit de voir. parce qu'elle est à nouveau à lui et que lui ne peut être minable qu'avec elle.