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Please don't let them look through the curtains

Dans le miroir, ton reflet te regarde Lux, copie imparfaite de qui tu aimerais être. Tu es en train de brosser tes cheveux trop clairs, trop longs aussi au goût de certains, et sans doute que si tu répondais un peu moins aux attentes de tes parents ils te forceraient à les couper. Mais à défaut d’être viril, tu fais tout ce qu’ils te demandent et bien plus Lux, alors ils laissent passer ça tant que ça ne devient pas trop. Sauf que tu n’es pas sûr que ce soit assez pour toi, alors que tout ce que tu vois de masculin dans la glace en face de toi te démangent et te dérangent tels des défauts à corriger. Tu aimerais que tes cheveux soient encore plus longs, qu’ils enveloppent ton corps comme s’ils pouvaient le cacher. Tu penses à Jessamine à qui tu les as peut-être tirer quelques fois, quand vous étiez encore jeune et qu’elle t’embêtait. Quelque part tu enviais déjà un peu que les siens puissent être aussi beaux sans qu’on ne lui dise rien, à elle qui pourtant faisait déjà tant d’erreurs.

Mais des bruits dans le couloirs interrompent tes pensées ; des pas précipités, une porte qui se ferme un peu plus fort qu’on ne l’aurait souhaité. Ça t’intrigue, Lux, parce qu’on ne peut pas s’améliorer si on est pas curieux et que chaque interrogation est pour toi un problème à résoudre. Et puis s’il y a un problème, si c’est encore les monstres sortis tout droit des cauchemars de Jazz, il faut que tu sois là pour soigner les blessures occasionnées, prouvé une fois de plus à quel point tu es meilleur qu’elle.

Alors tu sors prudemment de ta chambre, mais il n’y a rien de tout ça. Le couloir est désert, Lux, aussi v i d e que le trou entre tes côtes. Tu t’apprêtes à rebrousser chemin, quand tu remarques une lueur étrange sous l’embrasure de la porte d’à-côté.

Cette pièce, c’est la chambre de Neomä. Ton frère, enfin celui qu’on t’as dit d’appeler comme ça en te comparant sans cesse à lui - et si tu sais que tu es meilleur que celle que vous appelez sœur, Neo à l’avantage sur toi d’être l’homme que tu as tant de mal à être. Tu l’envies aussi, moins que Jazz mais tu te dis que la barre que tu dois atteindre quotidiennement ne serait peut-être pas aussi haute si seulement tu avais pu lui ressembler. Au lieu de ça il a préféré la Dreamer à toi, Lux, alors tu ne t’es jamais gêné pour pointer du doigt chacune de ses fautes, chacun de ses écarts ; tout pour le descendre et l’utiliser comme un tremplin afin que toi, tu puisses grimper un peu plus haut dans l’estime de vos tuteurs. Toi seul vu qu’apparemment ta fratrie veut que tu le restes, muré dans ta tour de solitude, et quand ils t’appelleront pour la grimper tu te garderas bien de les aider.

Alors tu pousses doucement la porte qu’il n’a pas fermé à clef pour voir ce qu’il se passe dans sa chambre, voir ce qu’il y fait, voir ce qu’il y cache. Ça te fera plaisir de te repaître des débris que sa chute aura laissé derrière lui quand vos parents le réprimanderont sévèrement demain, même si la douceur de ceux-ci prendront un goût amer lorsque le couple dira à Neomä qu’il ferait mieux de prendre exemple sur Felix. Mais tu es habitué à l’amertume, Lux, et peut-être qu’à force de t’abreuver du malheur de tes adelphes, tu combleras un peu le néant au fond de toi.

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Il est arrivé par la fenêtre, et tu l’as vu s’échouer lamentablement par terre. Mais lui aussi il t’a vu, silhouette trop pâle dans l’obscurité du couloir, et quand il se relève tu n’as pas le réflexe de t’écarter lorsqu'il t’attrape le poignet, et certainement pas la force de te dégager de sa poigne après ça, Lux. Ton witcher de frère est bien trop fort, et tu dois lui opposer à peu près autant de résistance qu’une plume quand il te tire dans sa chambre et referme la porte derrière toi. Impossible de te débattre aussi quand il plaque la main sur ta bouche pour étouffer ta voix ; sur sa peau, tu peux sentir l’odeur alcoolisée de tout ce qu’il a consommé, celle lointaine des gens qu’il a salué. Encore quelque chose où il a réussi là où tu as échoué.

Neomä est populaire, tandis que toi Lux, tu es détesté. Tant pis, tu t’es dit en te drapant dans ta dignité, tu n’as pas le temps pour ça de toute façon. Tu as décidé de mépriser le reste du monde parce qu’aucun ne comprenait, aucun n’avait envie de comprendre. Les gens t’évitent parce que tu es trop parfait et que tu fais ressortir leurs défauts, diamant taillé aux milieux des pierres brutes. C’est ce que tu te plais à croire, en tout cas - c’est ce que tu es obligé de penser, si tu veux supporter toute la solitude. Et puis, tu n’as pas le temps pour ça de toute façon. Même le cercle limité de personnes que tu côtoies régulièrement passe après tes études, après ton travail, après ton devoir.

Et c’est injuste que ce ne soit pas pareil pour Neo, que lui il puisse se permettre d’être aimé par d’autres plutôt que de faire passer avant tout le reste ce que vos parents ont demandé. Sans doute parce que sa tâche n’est pas aussi considérable que la tienne, pas aussi primordiale pour eux. Souvent ça te gonfle d’orgueil, Lux, d’être le Gifted le plus important de ta fratrie. Parfois, ça te pèse un peu aussi.

Le brun te lâche et, avec un dégoût évident et un peu exagéré, tu essuies la sueur de sa paume qu’il t’a étalée sur le visage.

-I was brushing my hair, when I heard you. You could at least pretend to be discreet, lâches-tu d’un ton prétentieux, comme si tu pouvais faire mieux que lui en essayant de rentrer à la maison en cachette. Tu ne ferais pas mieux que lui, c’est certain, mais surtout, toi tu ne le fais pas du tout. But I return the question to you, Neomä, what were you doing ? Where have you been ?

Tu devines déjà la réponse Lux, même sans parler des effluves qui ont agressé tes narines un peu plus tôt, il a les yeux trop sombres et la respiration trop forte pour être sobre.

-And more importantly, what did you take ?

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Son premier réflexe, c’est de nier ce que tu dis évidemment, alors que vous savez tous les deux que tu as raison. Tu as toujours raison Lux, et c’est bien ça le problème, parce que ça te rends insupportable quand tu n’hésites pas à brandir cet état de fait - vérité générale que les autres ne sont pas prêts à accepter.

Son deuxième réflexe, c’est de t’accuser. Et là, il n’a pas tout à fait tort. C’est vrai que tu l’espionnes, ça a commencé quand tu l’observais de loin à défaut de pouvoir apprendre à l’aimer de près ; c’est le reste de la vie qui t’as appris que ses actions étaient mauvaises, qu’il ne fallait pas le suivre dans ses déboires mais plutôt les dénoncer. De toute façon, il ne t’a jamais proposé de le suivre. Peut-être que ça aurait été différent si un jour il t'avait invité, peut-être que la diabolisation systématique de ces activités de la part de tes parents auraient moins bien marché.

Mais ta vie n’est pas faite de peut-être, Lux, elle est faite d’une banquise de certitude qui ne pourra jamais se craqueler, parce que c’est bien simple comme ça. C’est ce dont tu te persuades, sans voir à quel point la couche de glace sous tes pieds est fragile, ignorant toutes les fêlures y apparaissant déjà.

C’est vrai que tout répéterait tout, sans doute. Mais c’est aussi vrai que tu pourrais lui sauver la mise, avec ton don, purgeant son sang de ce qui pourrait le souiller et entacher la réputation des Snyder. Parce que tu te nourris de ses échecs, Lux, ils sont des barreaux à ton ascension - mais il y a quelque chose de plus important que ça encore, et c’est bien ce nom de famille quasi-sacré, celui à qui il est censé consacrer tout son être comme tu le fais toi. Toutes ses bêtises, elles ne sont jamais sorties d’entre les murs clos de cette maison, mais s’il continue à pousser la chance alors il y aura forcément des retombées sur le reste de la fratrie, le reste de la famille. Et tu ne peux pas laisser ça arriver.

Tu n’as pas le temps de t’expliquer ; il y a du bruit derrière toi, à travers la porte, et d’un coup l’attitude de Neo change du tout au tout. Son regard ivre se fait suppliant, d’un coup, paniqué. Parce que cette fois ça sera peut-être la fois de trop, avant que… avant quoi ? Tu préfères ne pas penser aux conséquences, Lux, si l’un d’entre vous déçoit trop votre père. Ça te fait hésiter un peu, même avant qu’il n’ajoute qu’il fera tout ce que tu veux pour que tu n’ouvres pas la bouche.

Tout ce que tu veux, toi. Mais qu’est-ce que tu veux Lux, si ce n’est pas la volonté de tes parents ? Qu’est-ce que tu veux, qui ne soit pas une extension de ce qu’ils veulent, ou que Neomä pourrait bien te donner ?

Tu baisses les yeux et ils tombent sur les mèches claires qui parsèment tes épaules, et d’un coup ton cœur se serre. Il y a bien quelque chose, que tu refuses un peu d’admettre parce qu’ils ne l’accepteront jamais, que ça ne fait pas partie du plan qu’ils ont prévu pour toi. Il y a bien quelque chose, mais tu n’as pas de mots à poser dessus parce que tu n’a pas voulu le faire, que ça ferait s’effondrer trop de choses pour que ce soit le cas. Mais il y a bien quelque chose, qui te lacère à chaque fois que tu entends ton prénom au lieu de ton surnom, et d’une voix un peu trop basse pour qu’il l’entende d’abord tu commences à répondre.

-Je ne veux pas…

Tétanisé, tu te racles un peu la gorge pour reprendre contenance. Tu n’as pas l’habitude d’être aussi nerveuse, Lux, surtout qu’apparemment tu ne fais rien de mal… si ?

-Je ne veux plus que tu m’appelles Felix. Plus du tout. Juste Lux. Même avec les parents.

Tu soupires une fois que c’est sorti, parce que même si ce n’est pas tout ça te soulage un peu ; mais tu n'as ni le courage, ni la force de creuser tout ce qu’il y a derrière, pour lui expliquer ce que même toi tu ne comprends pas et n'as pas envie de comprendre.

-S’il te plait, rajoutes-tu dans un murmure, parce que soudainement tu as un peu peur qu’il ne veuille pas alors que c’est si important pour toi.

Pour couper court aux questions qui risquent inévitablement de suivre, tu avances implacablement tes propres arguments avec précipitation avant qu'il ne puisse te couper, t'interroger.

-Je peux même enlever les toxines de ton corps, si tu me laisses faire. Comme ça personne ne s’en rendra compte demain à l’entraînement si… s’il y a des tests.

Ça serait bien la première fois que tu triches à quelque chose, Lux, d’habitude tu n’en a pas besoin mais on ne peut pas en dire autant du benêt qui te sert de frère. Mais tu n’es pas sûr non plus que ça suffise à le convaincre, alors tu continues.

-Et puis tu n’auras pas la gueule de bois, non plus.

Ce n'est pas vraiment une sensation que tu connais - mais en voyant parfois son état et celui de Jazz, ou bien même ceux de tes camarades étudiants, tu te dis que ça ne doit pas être très agréable, alors tu espères que l'idée ne pas le subir encore une fois marchera.

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Maintenant qu’il l’a dit à haute voix, ça sonne terriblement futile. En tout cas ça le semblerait pour n’importe qui d’autre Lux, mais ne plus jamais entendre de sa bouche ce prénom honni est tout ce que tu souhaites à cet instant précis. C’est vrai, tu ne sais pas pourquoi. C’est vrai, peut-être que c’est inutile et stupide, que tu pourrais lui demander quelque chose de mieux. Mais qu’est-ce que tu pourrais lui demander d’autre à Neo, à ce presque inconnu qui aurait pu être ton frère si tu n’étais pas aussi pétrie à la fois d'insécurités et d'égo ? Si votre père n’avait pas décidé de vous imposer l’un contre l’autre, si tu n’avais pas scrupuleusement suivi ? Tu n’es pas sûr de pouvoir construire un jour une réelle complicité avec lui, pas comme celle qu’il a avec Jazz, qu’il n’a elle aucun problème à appeler par son surnom.

Il accepte, et tu te détends un peu Lux. Mais soudainement son esprit semble s’échauffer, ses angoisses revenir et construire des tas d’idées qui n’ont pas lieu d’être. Mais après tout c’est normal qu’il ait peur de toi aussi, tu lui en a donné des raisons toutes ses années, comme tu avais les tiennes pour encore et encore le repousser. Sans doute que tu as bien plus peur de lui qu’il ne pourrait jamais l’avoir de toi, mais ça il ne le sait pas et tu te garderas bien de lui admettre.

Sa main se tend néanmoins, malgré ses visibles appréhensions. Et ça te fait bizarre quand il t’appelle Lux, quelque part ça te réchauffe un peu le cœur et t’as pas vraiment l’habitude que ça arrive. C’est perturbant, comme sensation, et si ton domaine est la recherche tu n’aimes pas l’inconnu quand il s’agit de toi-même, alors c’est sans doute moins agréable que ça ne devrait l’être.

Ta gorge est nouée quand tu attrapes ses doigts, tu as presque envie de t’y cramponner comme si c’était une ancre dans la réalité mais tu te contentes de la serrer rapidement, de cette poigne qu’on t’a toujours reproché d’être trop faible. Tu n’as pas l’habitude de faire des promesses, encore moins de les tenir quand ce n’est pas celle que tu as implicitement faite à tes parents. Et même celle-là, pourras-tu vraiment le faire ? Réussir là où tellement d’autres ont échoué ? Beaucoup de gens diraient que si c’est toi, alors tu pourrais y arriver. Mais peu ont vu sous le plexiglas opaque de ta surface que tu es le seul à savoir égratigné.

Ce n’est qu’un coup d'œil, que Neoma peut y jeter aujourd’hui, pourtant c’est déjà trop, plus que ce que tu peux supporter. Seulement il faut bien ravaler ta fierté pour mettre du baume sur tes propres blessures - que tu n’as jamais vraiment appris à faire. Mais il t'a appelé par ton surnom, et les échos de sa voix prononçant l'unique syllabe qui te correspond bien mieux te rassurent. Oui, c’est ce que tu veux. Tout ce que tu veux, pour sûr.

Alors de tes paroles, tu scelles le pacte ; posant un pieds dans la pente qui va t'entraîner à en faire un autre plus tard, bien moins anodin.

-I promise.

L’instant est plus solennel que tu ne l’aimerais, et tout de suite tu te sens obligé de reprendre contenance en revenant sur les sentiers que tu connais.

-Now, let me heal you. But to modify what’s in your blood, I must access to it first, we’ll need to do an incision.

Toujours un peu tordue, Lux, tu as pris soin de le révéler après, une fois qu’il ne pourrait plus reculer. Mais c’est mec fort, lui, non ? Il ne devrait pas avoir peur, Neomä, pas comme toi.