Syllabes aux incantations aussi douces que mystérieuses. Ambrose délicat comme la peau rosé et le corps frêle qui dessine ses courbes à la naissance après que maman souffle la poésie qui lui sera gravée à vie. Immortel. Ô comme il a fière allure, celui qui accompagne sa dénomination ! Digne, indomptable, intrépide. Ce n'est pas immédiat, cette haine discrète envers son nom de famille : c'est plus tard que Skyrun devient synonyme de prison à ses yeux, lorsqu'on le menotte d'une bague d'argent au doigt, qu'on le force à être ce qu'il n'est pas - - c o r r o m p u .

Combinaison étrange, gamin ordinaire. Grossesse pénible : maman à eu plus de nausée que la première fois, des envies difficiles à combler quand on est enceinte à Ketterdam et que l'on rêve de ces fruits inatteignables qui passent parfois sur les panneaux publicitaires en ville. Il y a alors eu un soulagement dans le regard de papa quand les pleurs du nouveau-né ont résonnés dans l'hôpital, soulagé à l'idée qu'il n'aura plus à entendre les plaintes de sa femme au beau milieu de la nuit. Le grand-frère, quant à lui, à tout de suite émis le souhait de le prendre dans ses bras, mais encore fragile, maman à refusé. Jusqu'ici rien d'anormal.

Coup de foudre. Romance. Éternité. Une promesse soufflée à l'oreille après que les regards se soient cherchés des mois du durant : après maintes disputent, maintes réconciliations. Après tout, charmé, il ne pouvait que l'être en sa présence, surtout lorsqu'elle souriait fièrement quand elle lui répondait sèchement comme si le monde était sien. Alors c'était une é v i d e n c e, cette nuit passée ensemble à se promettre monts et merveilles. Ce qui ne l'était pas, en revanche, c'était que ce soit à une autre qui l'ait soufflé devant l'Autel. Pas plus qu'elle dure toute la vie.

M e n s o n g e s toujours et encore des mensonges. Envers les autres mais surtout envers lui-même. Une image de dégoût devant le glace quand il se rase. Esprit nauséeux quand il joue au parfait mari, complice d'une mascarade qui ne dupe personne. Il tient néanmoins plus longtemps que les paris ne laissaient le croire : le temps de faire un enfant, le temps qu'il grandisse et qu'il devienne quelqu'un. C'est plus tard, beaucoup trop tard, qu'il décide de mettre un terme à cette mise en scène ridicule.Divorcé, solitude, névrose. C'est elle qui a la garde. Elle qui est riche, elle qui a une famille influente. Elle qui est corrompue. Lui qui est seul.

Deviens quelque chose. Deviens quelqu'un. Des paroles qu'il connaît à la syllabe près. Des paroles qu'on ne cesse de lui dire encore et encore, le comparant à son p r o d i g i e u x  frère - - rendant si heureux la famille Skyrun. Foutaises. Ambrose n'est rien : pas de pouvoirs, pas de force surhumaine, pas de rêves épiques ni de soins immédiat. Il n'est personne. Deviens quelqu'un. Les mots se répètent en boucle dans sa tête, on lui souffle tous les jours les mêmes souhaits infondés, réveillant en lui cette triste envie d'être une fierté à la maison, d'être une fierté aux yeux du monde.

Esquive, défense, attaque. On recommence en boucle. Sac de frappe caché dans un semblant de cave où personne ne met les pieds. Lieu secret où le gamin méprisé s'entraîne à être quelqu'un : des pompes, un peu de boxe, des pompes, de la boxe. Faire des courses dans la rue avec d'autres gamins, faire du vélo après des voleurs sortant tout droit des boutiques les poches pleines, faire des jongles avec une vieille cannette., c'est une routine qui forge quelqu'un, n'est-ce pas ? Ce n'est pourtant pas assez. Tu sers à rien Ambrose. Une honte. Des paroles qui se répètent, même lorsqu'il entre à la Iron Gates avec son frère et qu'il obtient, parfois, des résultats bien meilleurs. C o m p a r a i s o n injustifiée. Il se renforce, s'endurcit, croise la route de quelques murs envoûtantes, devient quelqu'un à la mort de son frère. Le diplôme arrive, première fois au seins d'une équipe de pacifieurs et les heures deviennent des années. De membre, il devient sous-chef puis chef de plusieurs équipes à Ketterdam. Néanmoins tout rêve à son lot d'épreuve et l'homme qu'il est devenu n'échappe pas à la règle puisque son divorce anéantira son ascension vers Midrias - - ex-famille en rogne.

Constamment en poche, le carnet ressort à chaque paysage magique qui se dresse devant lui, à l'acception de quelques soirs où cocktail alcoolisé en main, ses doigts griffonnent la silhouette de ceux qui l'entourent. Une habitude qui a commencé peu après la mort de son frère, au début de ses fiançailles : une échappatoire, ses dessins restent souvent secrets, laissant croire en un doux et mystérieux Ambrose derrière sa carapace d'homme froid. Moment calme qu'il s'offre à chaque fois qu'une tempête se présente à lui, le carnet de croquis l'aide à comprendre une situation.

Y a jamais eu la masse de billet dans le portefeuille, être originaire de Ketterdam offre certainement de meilleures conditions de vie qu'à Zaun, mais ce n'est pas la capitale et ses longues avenues de boutiques luxueuses, ses grands immeubles montant au ciel ou encore ses soirées bourgeoises tenues avec invitation selon la classe sociale des uns ou des autres. Être originaire de Ketterdam signifie, avec un peu de chance, faire des compromis avec une famille venant de Midrias et dire adieu à la ville violette. On s'installe quelques mois, quelques années, on fait des études, on se fiance, on trouve un travail, on fait un mariage, un enfant et soudainement on doute de tout. Alors on demande le divorce contre l'avis de tout le monde, on rompt la promesse entre ses parents et la belle-famille et on se retrouve à nouveau dans ses allées labyrinthiques, devant de la thune à un avocat corrompu, perdant sa future promotion et la garde de son enfant au passage.

Y a quelques années, Midrias était devenue sa ville quotidienne : petite maison simple et pourtant mille fois plus luxueuse que celle de son enfance, nourriture abondante et vêtements propres et nouveaux à chaque occasion. Vie différente de celle d'avant et d'après, un entre-deux auquel il a dit adieu en demandant le divorce. Ketterdam lui a à nouveau ouvert les bras, le forçant à faire quelques pas en arrière, quittant le chemin de l'ascension vers le siège des riches corrompus.

C'est idiot. Une idée survenue peu après s'être entendu dire, encore une fois, être faible, fragile, inutile. Alors c'est idiot, cette soudaine décision qu'il a prise de prendre la route vers les abords du Fléau à la recherche de quelques mûres violettes : dans les manuels de la Iron Gates, on précise évidemment les risques, mais les petites lignes ne lui ont fait aucun effet, certain d'être quelqu'un s'il devient quelque chose. Il a pourtant hésité un instant quand il a croisé la route de quelques unes d'entre elles, mais à peine a-t-il reculé d'un pas qu'il a été pris à son propre piège, e n v o û t é.

Traces violettes ineffaçables, ses doigts sont tâchés du pigment présent dans le fruit, lèvres dégoulinantes de son jus onctueux - - son corps tremble, ses doigts relâchent les baies démoniaques et il s'effondre au sol, conscient de ce qu'il vient de faire. Daemonis. Enfant du Fléau. Être démoniaque, il n'a plus rien d'un humain, même lorsqu'il s'entaille la peau à la recherche d'une nuance rougeâtre : hémoglobine pourpre, c'est t e r m i n  é . Devenu quelqu'un un monstre.

Sourire aux lèvres, gorge sèche à force de rire : quotidien qui s'efface petit à petit, qui manque au fil des jours jusqu'à ce qu'il disparaisse totalement, sans doute parce qu'il devenu ce que ses parents appellent être un grand garçon, même lorsque celui-ci est âgé de huit ans. Commence alors cette boucle infernale où les mêmes mots se répètent en boucle - - des mots qui hantent toujours ses nuits. Deviens quelque chose. Deviens quelqu'un. La voix grave et sèche de son père frappe ses oreilles et il a le regard désintéressé de sa mère encré dans sa paupière quand il ferme les yeux. La scène comme un cercle vicieux, une machine qui remonte dans le temps et reproduit les mêmes e r r e u r s à chaque fois que le soleil se lève dans le ciel - maux.

Ce n'est pourtant pas un gamin malheureux, mais il est constamment sous pression, les épaules affaiblies de responsabilités et d'ambitions qui ne sont pas forcément les siennes. Ses rêves à lui, ils sont écrit avec la buée de la vitre sous la douche, et ils disparaissent aussitôt qu'un adulte rentre dans la pièce, le fracassant de cette poésie cauchemardesque. Il s'est longtemps imaginé être là-haut, les pieds contre le sol de la Lune, cherchant Vélaris du regard. D'autres fois, c'était chef d'un grand et énorme restaurant qu'il se voyait, styliste atypique ou encore artiste de rue. Son envie d'être aux côtés des pacifieurs, qu'ils croisaient de temps à autre dans les grandes allées vides de Ketterdam, n'est pas né tout de suite. C'est plus tard, peu après être entrée à la Iron Gates, parce que son frère le désirait plus que tout, qu'il s'est intéressé à cette branche - - quand il a compris que le monde des grands n'était que mensonge, mascarade et corruption. Quand il a eu la n a u s é e : il a compris qu'il y mettrait un terme.

Une balade. Simple et courte. Le chemin qui mène à la maison lorsque quelques jours de repos sont accordés et que l'internat de l'Académie ferme. Une balade. Simple et courte. C'est ce qu'ils croyaient, Ambrose et son grand-frère. S'en fût autrement. Plus sanguinaire : un enfant en sang sortant d'une petite ruelle, apeuré et muet, les deux frères, se souhaitant héros, le suivant jusqu'à ce qu'ils tombent dans le piège. Guet-apens malheureux, fabriqué rapidement après qu'ils aient aperçu au loin les uniformes d'Iron Gates des deux garçons - croyant qu'ils se sont perdus dans la basse-ville, ne s'imaginant pas une seule seconde qu'ils sont comme eux - - et alors tout est r a p i d e . Beaucoup trop rapide aux yeux d'Ambrose. Sa tête se renverse et frappe le sol. Il n'entend plus rien, dans ses oreilles jouent la mélodie d'un bourdonnement assourdissement. Ses yeux pourtant, lui montre clairement les lèvres de son frère bougeant en sa direction - lui demandant certainement de l'aide. Puis, une marre de sang jonche bientôt le sol, son crâne s'est ouvert dans sa chute. Il ne comprend pas tout de suite ce qui se passe, mais ça bouillonne en lui, il a mal. C'est au bout de plusieurs coups dans les côtes que son ouïe reviens petit à petit. La voix de son frère résonne enfin, des supplices gravés en lui à jamais. Ses derniers mots. Fais quelque chose ! Gamin au don surnaturel suppliant l'être inutile, le pauvre humain de la famille Skyrun. La scène  en est presque ridicule, elle lui donne la nausée - pourtant il l'aime son frangin, c'est la faute de leurs parents s'il pense ainsi alors qu'ils sont à la porte de la mort. Un coup. Deux coups. Trois coups. Le mouvement final approche, en quête d'argent les mômes aux âges similaires, frappe une dernière fois le corps de son frère qui peine à se défendre : c'est différent des cours, la vraie vie est plus amère, plus austère. On ne s'en sort pas aussi facilement qu'avec la maudite note de D à son examen. Non dans la vraie vie, on manque son attaque et c'est fini. On meurt devant les yeux de son petit frère et on regrette les derniers mots qu'on lui offre avant que nos yeux se ferment à jamais. On en regrette même ces quelques jours de congés accordés, cette envie d'être quelques jours à la maison alors qu'on n'aime pas spécialement l'ambiance qui y règne. On meurt sans un mot, la gueule en sang et les vêtements déchirés - s e u l .

Ils ne tardent pas à comprendre ce qu'ils ont fait. Le crime qu'ils ont commis. Leurs affaires disparaissent alors aussitôt, et seul reste Ambrose et ses larmes. Ses doigts tremblent. Il rampe jusqu'au corps de son frère, hurle quelques secondes après que sa tête se soit posé contre son torse, cherchant le moindre battement existant. C'est silencieux. Son corps est encore chaud, mais il reste i n a n i m é, ensanglanté et brisé. Alors Ambrose hurle de toutes ses forces. Sa voix dégorge de détresse et jamais personne ne viendra. Personne ne s'aventurera dans les ruelles sombres de la ville pourpre, dans laquelle quelques minutes plus tôt, ni l'un ni l'autre n'avaient pas hésité à se rendre, surestimant des capacités que leurs parents comparent depuis qu'ils sont enfants.

Aujourd'hui, en cet après-midi ensoleillée, dans les rue de la Ketterdam maudite, le fils prodige de la famille Skyrun s'est éteint. Son corps, ramené contre le dos écarlate d'Ambrose, s'est vu être frappé de coups de tristesse des mains de sa mère. Son père, quant à lui, s'est d é f o u l é contre son deuxième fils, l'insultant de ne pas être mort à sa place - - des cicatrices en lui qui resteront gravées.

C'est frais, idyllique. C'est un nouveau parfum, quelque chose d'inédit et de sensationnel, quelque chose d'unique. La ronde des s e n t i m e n t s laisse place à la lumière dans la misérable vie d'Ambrose : elle est le rayon de soleil qu'il n'attendait plus. Coup de foudre. Malheureusement, comme ce fléau porte bien son nom, l'orage éclate après quelques mois de romance et des promesses soufflées en la poésie de l'instant présent : défunt frère promis à la fille d'une riche famille de Midrias les ayant aidé à être accepté à l'Académie - c'est sans son accord que ses parents forcent Ambrose et la belle à être les parfaits fiancés de demain, à être malheureux.

Comment dire à celle que l'on aime qu'on en épouse une autre ? On ne lui dit pas. Ou on le fait en omettant de dire que ce n'est pas de notre ressort, que ce n'est pas notre choix : quelques détails précieux qui pousseraient à croire que nous nous sommes pas totalement un connard. Les choses ne sont pas toujours ce qu'elles prétendent être : on perd son grand-frère et le lendemain on apprend que l'on perd la femme que l'on aime, qu'on se fiance une autre et que le sort de sa famille est entre nos mains - - on a pas la tête, ou la force, de dire plus que le nécessaire : on suppose que ça fera moins mal si elle ne sait pas tout, alors on disparaît de sa vie et on essaie d'être a m o u  r e u x de la créature divine qui partage maintenant notre vie, croyant que les sentiments se commandent, qu'ils viendront au fil du temps.

L'illusion dure plusieurs années, presque quatorze ans de mariage et un bel enfant, une vie de rêve en somme qui pourtant résonne comme le goût amère d'une tâche face à ses ambitions : la corruption de ce mariage, le pacte du diable formulé entre les deux familles. Un goût de défaite qu'Ambrose ne supporte plus au fil des années, et même s'il a appris de sa femme à connaître quelques couleurs en ce monde monotone, il ne supporte plus cette mascarade à table les dimanches en famille. Il ne supporte plus cette hypocrisie et ces messes basses, cette impression constante d'être encore en vie seulement parce qu'ils le veulent - - le d i v o r c e est alors inévitable, conscient des risques qu'il encourt mais encore loin de comprendre ces risques. On lui retire son enfant. Toute sa vie. Tout s'écroule en lui - on l'achève en lui offrant un tas de dette et de paire, on le rabaisse et l'humilie, annulant sa promotion dans la haute-ville. On piétine ses rêves, ses espoirs. On ne lui laisse rien.

C'est plutôt ironique quand on y pense : que la corruption le répugne mais qu'il en use parfois, au moins une fois, en l'idée que son ami et sa famille ne craigne rien quand tout part à la catastrophe. Reagan. Une amitié qui perdure dans le temps et qui pourtant sait voué à la perte dès l'instant où il comprendra ce qu'il a fait. À ses yeux Ambrose incarne l'entité de la loyauté, de la véritable justice, de l'ambition éternelle poussant à croire qu'il y a du bon en tout le monde malgré les apparences parfois trompeuses, les actions délirantes : mais comme l'être humain est sujet aux erreurs, il a une fois oublié ses rêves idylliques au nom de l'amitié, au nom des Fairburn, quand tout près d'eux le monde s'écroulait sans qu'ils ne puissent faire quoique ce soit. Impulsions. Instinct de survie. Meurtres dissimulés. C'est Ambrose qu'on a appelé, les mains tremblantes au le téléphone, la voix fragile et apeuré. C'est Ambrose qui est venu, regardant le reste de la scène sanguinaire sans qu'aucun mot ne sort - silencieux. Sans jugement. On n'en parle plus jamais, c'est jamais arrivé. Qu'il lui dira après s'être sali les mains en vendant son honnêteté au diable : groupe de trafiquant de drogue soudoyé afin qu'ils s'annoncent coupables en échange de ses yeux fermés. C'est jamais arrivé.