historia

Ça a commencé par une question toute simple et très innocente.
Il ne mentait pas Ikaare quand il expliquait à son copain dans la ruelle qu'il ne comprenait pas ce qu'il lui demandait. Et c'est en étant confus, et drôlement vexé, qu'il est rentré à la maison sans avoir eu le cœur à jouer avec les figurines tout droit sorties de ses rêves. Il avait exposé le problème à sa mère qui avait délaissé sa couture sur la table de la salle à manger. Heureusement pour elle qu'elle était assise, parce qu'avec la question tant redoutée, elle avait été incapable de cacher la surprise et l'horreur dans ses yeux et les tremblements de son corps qui lâchait alors qu'elle commençait à bégayer pour répondre à son fils. C'est de là que tout à dégringolé. Parce que jusqu'à lors, il n'avait jamais été question d'apprendre les couleurs en sa présence, puisqu'il était incapable d'imaginer ce concept qu'il ne pouvait même pas voir. Son spectre à lui s'étend ainsi de ce qui est appelé blanc jusqu'au noir, en passant par toutes les variations possibles de gris. Il a quatre ans quand il découvre que sa vision du monde est erronée, vision qui est à l'opposé du commun des mortels.

Achromatopsie. Tel est le nom de sa pathologie. Maladie rétinienne assez rare se traduisant par l'absence des cônes dans ses yeux. La cécité des couleurs baissant, de fait, drastiquement son acuité visuelle. Ses parents ne savaient pas quoi faire de lui, incapable de le regarder à nouveau dans les yeux sans se sentir honteusement coupables de lui avoir caché cette différence, ce handicap même. Ils n'étaient que trop rassurés de le voir partir avec l'Ordre des Dreamers, au moins eux n'auraient plus à devoir se torturer l'esprit pour répondre aux questions dérangeantes du petit Ikaare. De ce fils devenu, malgré lui, un paria parmi les siens. Dreamer sans couleur, ce n'est pas tant auprès de l'Ordre qu'il a appris à embrasser sa singularité. Il y a été traité comme les autres, mais sa condition nécessitait malgré tout beaucoup de surveillance, et encore plus de tests précis pour embrasser l'étendue, au potentiel dangereux, de son don.

Monsieur Suladed, un mage d'un âge plus qu'avancé, s'est chargé de lui ouvrir les yeux sur la beauté de son monde. Mécène patient et fascinant, il maniait les mots comme personne d'autre ne l'avait déjà fait auparavant. Célestien très cultivé, il est celui qui a offert à Ikaare les clés de la délivrance de son propre mal. L'art de l'observation, l'art des mots, la passion pour la description, c'est bien ce vieux mage qui a enseigné au dreamer qu'il n'avait pas besoin des couleurs pour simplement vivre sa vie. Car les variantes de gris sont multiples et que même avec ce spectre plus réduit, le monde reste toujours animé et poignant aux yeux du garçon. C'est comme cela qu'il a décidé de ne pas avoir besoin d'évoquer lui même les couleurs, qu'il cherchera à s'en défaire le plus possible pour que sa différence ne soit pas perceptible, pour qu'elle ne soit pas une source de discrimination supplémentaire. Il avait trop entendu ses camarades et d'autres jeunes à Midrias parler sur son dos. À ne lui accorder que du crédit pour cette singularité, à aller jusqu'à le comparer à un chien puisque selon certains, ""il ressemblait plus à un canidé qu'à un être humain"".

Si la vie le lui avait permis, Ikaare serait encore probablement à l'heure actuelle aux côtés de son mécène. Tous les deux à manier les mots, à façonner le monde et à l'écrire, le décrire, sur du papier. Bien malheureusement, Monsieur Suladed a rendu son dernier soupir il y a près de deux ans maintenant. Sans descendance directe, le dreamer se trouva du jour au lendemain sans son mentor, sans celui qui lui avait ouvert les yeux, à nouveau plongé dans le noir. Le dreamer sans couleur attise la curiosité, mais pour une raison toute simple, personne ne s'est présenté à l'Ordre des Dreamers pour pouvoir le récupérer. Après une année à attendre de retrouver un mécène aussi compréhensif que son vieux monsieur, Ikaare est renvoyé chez ses parents pour retrouver un semblant d'indépendance comme il en avait avec son vieux mécène. La situation avec ses géniteurs ne s'est pas améliorée depuis, même s'ils restent assez polis avec lui, le garçon sait, il peut lire la crainte dans leurs yeux. Ils ont peur du pire. Et lui cherche encore à s'enfuir.


trivia
unus. Du fait de son achromatopsie, le champ de vision d'Ikaare est extrêmement réduit. En effet, il ne peut plus voir distinctement à plus de six mètres devant lui, quand le reste des êtres vivants est capable de lire jusqu'à soixante mètres de distance. Il doit porter régulièrement des lunettes de soleil pour protéger ses yeux qui sont très sensibles à la lumière. C'est en ce sens qu'il a cette fichue impression d'être plus proche d'un véritable aveugle plutôt qu'un être normal. Pour pallier ce manque, il doit se tenir assez proche des choses ou des gens qui retiennent son attention. À l'inverse, il usera de sa quasi cécité pour s'écarter quand il ne se sent pas concerné.

duo. La sœur jumelle d'Ikaare, Kassiopée, ne parle pas, ou du moins tellement peu, qu'elle est considérée par sa famille comme étant muette. Il n'y a que son frère qui connaît le timbre de sa voix, mais ils communiquent ensemble via la langue des signes pour que ce soit plus confortable. Comme les raisons de son mutisme ne sont pas connues, et qu'elle ne désire pas s'exprimer sur le sujet, la paire de jumeaux est devenue le sujet conflictuel de la famille Sayneth. Les deux derniers qui attirent crainte et pitié.

tres. Ikaare prend des photos, beaucoup de photos, trop de photos même, mais il faut le comprendre, sa quasi cécité ne lui permet pas d'apprécier le monde à sa juste valeur. Il ne parvient pas à vivre au même rythme que ce monde si rapide, alors il a besoin de son téléphone pour prendre des photos. Et contrairement à beaucoup qui auraient cette même habitude, il prend le temps de les regarder, lui au moins. Les photos sont des souvenirs des moments qu'il n'a pas réussi à apprécier pleinement, mais elle sont aussi grandes sources d'inspiration pour ses écrits.

quattuor. C'est dans la boutique de Miss Tic qu'il est actuellement fleuriste. Choix étonnant pour quelqu'un qui ne peut différencier les couleurs, cependant ses compositions florales ont toujours rencontré beaucoup de succès. Extrêmement observateur, il arrive à créer des harmonies avec les formes des fleurs écloses mais aussi avec les bourgeons. Il s'aide naturellement avec les teintes de gris qu'il parvient à différencier pour viser à peu près juste à chaque fois.

quinque. Il arrive souvent que des habitants de Ketterdam commandent des bouquets directement à Ikaare, bouquets qui ne proviennent pas des plantes de la boutique de Miss Tic, mais des bouquets provenant de ses rêves. Plusieurs clientes en auraient vanté les mérites à leurs amies parce qu'il est vrai qu'en guise de déco pour un dîner à la maison, les bouquets en noir et blanc font sensation. Il sait qu'il ne peut pas voir lui même la différence, mais il les croit sur parole quand il voit les étoiles dans les yeux qu'elles ont quand elles reviennent à la boutique pour le remercier.

sex. Depuis tout petit Ikaare a développé une affection toute particulière pour les canidés de toutes les tailles et de toutes les variantes. Il s'en sent naturellement assez proche puisque ces créatures partagent " un mal presque similaire ". Il parle régulièrement à sa sœur de son envie de vouloir adopter un canidé dans le futur, histoire d'avoir un compagnon sur lequel compter quand il est au plus bas. Il n'est pas rare du tout de le voir affairé dans une ruelle à donner à manger aux animaux qu'il croise. Accroupit, voire assit à même le sol, à converser et jouer avec eux pour faire passer le temps.

septem. Une soirée particulièrement arrosée avec une certaine Aelia P. a prouvé que le seuil de tolérance en matière d'alcool d'Ikaare est à peu près équivalent au néant. Sa quasi cécité n'aidant déjà pas au quotidien, ingérer de l'alcool revient à brouiller son champ de vision très restreint. C'est dommage, mais au moins cela lui permet de trouver le réconfort dans le thé, qu'il agrémente régulièrement de gelée de rêves enchantés.

octo. Depuis tout petit Ikaare a rêvé d'être tatoué. Il a toujours été particulièrement fasciné par la peau encrée, si bien qu'assez jeune, il se réveillait en étant couvert d'encre de la tête aux pieds. La première fois que cela est arrivé, il avait littéralement effrayé une des membres de l'Ordre qui avait pour occupation de veiller sur lui. Heureusement, pour elle mais pas pour lui, l'encre s'était évaporée au contact de l'eau. Ce genre d’occurrence s'est reproduit quelques fois avant qu'il ne se décide à aller véritablement se faire tatouer à sa majorité. Depuis, on peut compter sept tatouages qu'il arbore fièrement à l'intérieur de ses bras, de même qu'à l'arrière de ces derniers et sur une épaule.

novem. Ikaare adore les accessoires. Personne ne saurait dire d'où lui est venu cette passion, mais il trouve toujours de quoi apporter des touches originales à ses tenues. Il a pour habitude de porter des petites bagues en perles et des chaînes avec de nombreux porte-clés. Ayant les oreilles percées, il laisse libre cours à sa créativité jusqu'à ses oreilles afin d'attirer le regard sur tout autre endroit que ses yeux à lui. Il détourne ainsi l'attention de sa vue et de ses pupilles qui tremblent à force de devoir bouger sans cesse pour embrasser de façon rapide et efficace son environnement proche.

decem. Le rêve ultime d'Ikaare est de devenir auteur de livres pour enfants. Il a déjà quelques manuscrits qui sont terminés depuis des années, certains d'entre eux ont même été lus et approuvés par feu Monsieur Suladed. La raison pour laquelle il n'a pas encore osé franchir le pas est assez floue, mais il est presque fin prêt à se lancer dans le grand bain. En attendant de pouvoir offrir à Velaris ses écrits, il lui arrive régulièrement de rêver de ses histoires. Ce qu'Ikaare arrive à ramener de ces rêves spécifiques sont des petites représentations de personnages ou de détails de ses livres. Ce qu'il ramène avec lui dans ces moments précis sont des créations en noir et blanc, comme des origamis et qui ne sont pas plus grand qu'un livre de poche. Ainsi, il collectionne ces petites références depuis quelques années, en espérant pouvoir en glisser quelques uns entre les pages de ses livres quand il aura l'occasion de les signer.