I nsidieusement, quelque chose est en train de changer. La nature de leur relation semble doucement se découvrir à eux, se pare d’un air nouveau, une brise chaude et agréable qui vient envelopper leurs corps en permanence frigorifiés. Les regards qu’ils s’échangent s’enveloppent d’un sérieux implacable, et surtout celui-là, le dernier avant que Sawan ne ferme les yeux pour de bon. Parce qu’ils n’ont finalement jamais eu besoin de mots pour se dire les choses les plus vraies, Ninomiya dans un coup d’oeil, dans un sourire, lui dit toutes les choses qu’il a besoin de savoir.


Puis, il hoche avec douceur du menton pour acquiescer à sa demande, il n’a pas besoin d’achever ses gestes que Nino comprend parfaitement là où il veut en venir. Même en signant, Sawan faisait preuve d’une timidité, d’une forme de réserve que le roi des pirates avait appris à aimer au fil des années. Cette pudeur avait été la source de milliers d’incompréhensions et de maladresses, aujourd’hui, elle prenait enfin tout son sens. Parce que du coeur de Sawan, chaque mot est bien plus précieux. Chaque aveu de sa part est un cadeau inestimable, aussi même au travers de petites choses, Ninomiya se sentait chanceux et reconnaissant de pouvoir les recevoir. Cet instant qui leur appartenait, il valait plus que tous les trésors des sept mers. Et lorsque que la langue de Sawan vient effleurer sa peau, il a le coeur qui bat très vite Nino, il ne désirerait presque plus que ça, oublie toutes les appréhensions de la douleur et du danger pour ne se focaliser que sur la prodigieuse sensation de ses lèvres légèrement humides qui s’aimantent à sa peau.

Lorsque que les canines viennent creuser leurs sillages dans ses veines, un gémissement à mi-chemin entre la douleur et le plaisir lui échappe, son qui l’embarrasse et qu’il tente aussi de réfréner en emprisonnant brutalement sa lèvre inférieure entre ses dents. L’élancement dans son poignet est perpétuel, pourtant il l’oubliera rapidement : la beauté du spectacle que le petit prince lui offre le bouleversa un million de fois plus que tous les maux que ça pouvait engendrer. Son visage semble à la fois extatique et délivré d’une souffrance immense, comme si on avait libéré son corps fragile du poids d’un trois tonnes, Sawan semble enfin apaisé. Il tombe entre ses bras, et l’aîné encaisse le choc comme il le peut, son bras libre vient naturellement envelopper ses épaules, ses doigts viennent se glisser dans ses cheveux, s’y accrochent légèrement.

C’est une sensation nouvelle, qui ne se compare à aucune autre. Les crocs ont déchiré sa chaire et le vide de son sang, pourtant le coeur de Ninomiya s’emballe et sa respiration s’accélère, y’a comme quelque chose qui tambourine dans son bas-ventre, stimule des parties de son anatomie qui iront jusqu’à le faire rougir dans sa souffrance. C’est un émerveillement inexplicable qui l’empêche de décrocher ses pupilles du garçon-comète, et il se sent tellement bien à cet instant…


Les forces commencent lentement à le quitter, à mesure que l’hémoglobine ne lui soit enlevée, il se sent s’affaiblir, il devient plus difficile de ne pas sombrer. Il puisera dans ses dernières volontés pour saisir de la paume de sa main l’arrière du crâne de Sawan, approche son visage du sien tout en manifestant son urgence en s’agrippant à ses cheveux. Stop, Sawan… les mots lui seront directement chuchotés à l’oreille, dans un gémissement désespéré. Et dans une tendresse qui lui était étrangère jusque là, il vient semer des baisers à tous les endroits de sa peau qui sont atteignables, son cou, sa joue, sa mâchoire, dans l’espoir que ses lèvres se libèrent et qu’il puisse les conquérir à nouveau.  

I l fait froid là où les lèvres de Sawan l’ont quittées. La séparation des canines jusque là enfoncées dans ses veines lui arrachent une grimace de douleur, le contraste du liquide chaud qui s’échappe de la blessure face au froid mordant est douloureux. Toutefois, Nino ne prête pas grande attention à la souffrance. C’est lui qu’il regarde, c’est dans ses yeux qu’il rassemble ses restes d’énergie. Sawan et ses pupilles étoilées plus immenses que jamais, plongent tellement profondément en lui qu’elles saisissent son coeur et ça lui coupe la respiration. Ses lèvres dégoulinantes de sang trouvent les siennes, laissent un goût métallique sur le bout de sa langue, vestiges de sa présence qu’il lèche malgré la saveur âpre.

Sawan semble différent. Il regarde comme il n’a jamais regardé. Comme si une puissance soudaine et nouvelle avait traversée ses veines, comme si enfin, il arrêtait de s’excuser d’exister. Qu’il se donnait le droit de vivre lui aussi, de ressentir, de prendre, de s’émouvoir. Ninomiya peine à ne pas sombrer, si son corps semble peu à peu vouloir l’abandonner, les sensations que prodiguent le contact du petit prince le tiennent fermement éveillé. Sans céder une seconde à son regard, il ramène son poignet faible à sa bouche, nettoie de sa langue les dernières gouttes d’hémoglobine sillonnant sa peau, et le coeur rate quelques battements, chaleur qui fuse à nouveau dans chacun de ses membres. Contact trop stimulant pour ses muscles drainés et épuisés, ses genoux finissent par ployer et rencontrent violemment le béton. I can’t hold it anymore, I’m sorry, gémi dans un essoufflement, qu’il se hait dans sa faiblesse, qu’il se déteste lorsqu’il est incapable de protéger ses êtres aimés. Les yeux peinent de plus en plus à s’éclore, le soleil mange peu à peu les ombres sur le toit. We should go now, et sur ces mots il se redresse difficilement, saisissant fermement la main de Sawan comme pour lui dire qu’il est toujours là, ses tentatives de masquer son éreintement sont absurdes tant il est évident, mais Ninomiya refuse d’abandonner. L’idée que cela puisse éveiller de la culpabilité ou des angoisses chez le vampire le terrifie… pire encore, Sawan pourrait ne plus jamais vouloir reproduire l’expérience.