Affaires rangées dans son sac à dos, petite table repliée et ramenée sous son bras, ça ne lui avait pas pris longtemps pour déserter le coin où il venait de tirer les cartes pendant une heure.
ça ne marchait pas vraiment aujourd’hui. ça avait de toute manière du mal à marcher. Pas de visite de pacifieur pour cette session, demander l’heure à son seul client lui avait suffit pour remballer après le départ de ce dernier. Le Draigwen ne passerait pas aujourd’hui. Les crescents ne tombaient pas vraiment dans ses mains. Autant rentrer et se contenter des avancées qu’il avait déjà.
Soit pas grand chose. Pour ne pas dire rien. Baisser les bras avait été plutôt facile aujourd’hui.
L’humeur n’y était pas. Le terme pouvait être remplacé par “moral” si on voulait être plus honnête.

ça allait faire un mois qu’il n’avait plus le coeur à grand chose.
Depuis la fête des lumières si on voulait être précis.
Il positivait toujours d’un rien pourtant. Un grand optimiste, c’était comme ça qu’on le définissait.
Mais ces dernières semaines, il avait tendance à se voir comme un enfoiré… ça lui arrivait parfois, quand il se prenait la réalité dans la gueule.
Et ce soir-là, on lui avait craché au visage comme on ne l’avait jamais fait avant.

Un soupir et il s’était éloigné de sa place pour s’engager sur la route qu’il le ramènerait au vieux.
“ T’en es où ? ”
Ce serait peut-être comme ça qu’il lui demanderait ce soir.
Généralement il “mentait”, il se montrait plus optimiste que la réalité le permettait en tout cas.
En ce moment, il n’avait pas envie de faire des efforts même si ses belles promesses lui permettaient de sortir chaque jour sans avoir besoin d’emprunter la petite porte.
Il devrait peut-être le tenter ? Après un passage du vieux à son stade… se tirer vers Ketterdam. Retrouver Zylith et Elan. Et partir loin de Velaris.
Sans argent ?

Même un grand optimiste comme lui savait que ce ne serait pas évident.
Mais aujourd’hui, sur sa route, on lui avait donné une raison de croire qu’il n’était pas tant un abruti naïf et trop rêveur pour ce Monde.
Il ne s’en n’était pas aperçu tout de suite. Perdu dans ses pensées, le regard ailleurs, il n’avait même pas remarqué une silhouette familière, un visage qui avait su le faire tant sourire par le passé.
Il l’avait percuté, retenant sa table de justesse, et s’était machinalement excusé en baissant la tête le temps d’une seconde « Pardon. » pas de sensation bizarre sur le coup, il avait même repris sa route de quelques pas… tu parles d’un voyant, il ne savait même pas regarder devant lui.
Quelques pas oui… pour se faire frapper par une impression étrange… s’arrêter à l’idée d’avoir vu un mirage et finalement se retourner avec la conviction qu’il verrait un mec qui se contentait de ressembler au grand Elan Pankratz. Quelques secondes avant la déception… il les avait presque comptées dans sa tête… mais à la fin de son compte à rebours, le mirage ne s’était pas effacé.

C’était un nouvel homme le Pankratz. Nouvelle coiffure (pas si différente que l’ancienne), nouveau téléphone, nouvelle montre, nouveaux vêtements. A l’allure, il n’avait clairement pas l’air de venir de Ketterdam. Heureusement parce que c’était le but ? De toute façon, il n’avait clairement pas les moyens de se payer par lui-même ce qu’il portait.  Il portait au moins dix fois son salaire sur les épaules. Et non, Azriel n’avait toujours pas remarqué qu’il avait entre ses mains le meilleur barman du coin et décidé de le couvrir d’or. Le prix des mojitos n’avait pas augmenté non plus et non, il n’avait pas davantage de pourboire.
Non. Si il pouvait s’offrir un tel luxe, c’était bien grâce à Menya Lovàas. Cette celestienne qui l’avait choisi comme acteur majeur de sa vie : son faux fiancé. Un rôle pour lequel Elan ne doutait certainement pas être à la hauteur. Pourtant, il fallait bien admettre qu’il fallait procéder à quelques ajustements. Physique, notamment. Il devait sentir la richesse, transpirer les crescents. Et comme son compte en banque n’était pas d’accord, c’est elle qui alignait. … … Alors oui, j’aurai pu mettre le terme « Sugar baby » plutôt que tout ce pavé. J’aurai également pu qualifier Menya de Sugar Mommy et cela aurait été plus rapide. Mais dans son esprit, il associait cela à des gestes intimes de niveau 10 sur 10. Le faisait-il ? NON. Est-ce de la mauvaise foi ? Absolument.

A l’image de son apparence, il n’était plus vraiment rare de le croiser dans les hauts quartiers non plus. Pas pour venir s’amuser, parce qu’il ne trouve rien d’amusant ici, mais plutôt en repérage. Ouais ! Parce que il aurait l’air de quoi, le digne héritier qu’il est censé être, si il donne l’impression d’être paumé ? D’un con. Bah ouais. Et franchement, il pensait encore que c’est un job en or qu’il avait trouvé là, alors autant éviter tout licenciement prématuré ! Alors après avoir eu une visite guidée de Celestia par sa patronne/fausse fiancée, il était parti à l’aventure tout seul à Midrias.

C’est fou combien il se fondait dans la masse maintenant. Si autrefois, il pouvait à peine respirer qu’on contrôlait immédiatement son identité, c’était désormais une autre histoire. On ne le regardait même pas ? Du moins, pas d’un air suspect puisque il a bien vu ces demoiselles qui le matait … Mais sorry, c’est un homme pris maintenant ! Regardez ce gosse qui vient de le bousculer là, il s’excuse ! A Ketterdam, on s’insulte pour ça ! « Désolé. » Répliquait-il vaguement, le regardant rapidement (trop rapidement) en retour avant de poursuivre sa route.
…
Attendez.
…
Il s’arrêtait un instant pour faire son lacet.
…
Mais ce gosse il l’a déjà vu quelque part non ?
…
On fait deux boucles qu’on boucle ensemble.
…
« Callen ?! » S’exclamait-il brusquement en lâchant subitement son lacet renouvellement noué. Il se redressait rapidement avec des yeux ronds comme des ballons. Non ? Ca ne pouvait pas être lui ???

Il n’y avait pas de doute possible.
Et pourtant, c’était bien le sentiment qui était passé sur ses traits un instant.
Il en connaissait beaucoup des mecs qui ressemblaient à Elan capables de prononcer son prénom ?
Non.
Alors c’était quoi ?
Cette prétendue différence ?
La coiffure. Les fringues. Presque quelque chose dans l’attitude.
C’était Elan. Il le savait bien. Alors pourquoi, lorsque sa bouche s’était ouverte, il n’avait pas été capable de produire mieux que le silence ?
« ….. »
Bonne question. C’était peut-être un truc en rapport avec cet espèce de machin qui avait frappé son coeur quand ses yeux s’étaient finalement posés sur le visage d’Elan.

Ou ce truc qui avait arrêté son coeur brutalement quand il avait eu l’impression que l’homme qu’il venait de bousculer portait le nom de Pankratz.
Un coeur au rythme bien irrégulier à présente.
Ne reste pas planté là. Dis quelque chose
N’avait-il pas rêvé de ce moment pendant des mois ?
Elan n’avait-il pas l’un des deux visages qu’il désespérait de revoir depuis le début de cette année ?

Si…
C’était peut-être ça justement.
C’était trop beau pour être vrai.
Une hallucination.
Quelque chose dans le genre.
Sa tête avait bien pris la peine de se hocher pour répondre au mirage. L’envie de se pincer s’était faite plus forte.
…
Il l’avait fait. D’une main droite, vers un bras gauche. Un geste pas aussi discret que le ridicule qu’on voulait cacher ne l’aurait voulu…

Sa peau avait senti ses doigts.
Son regard n’avait pas pour autant osé quitter les traits d’un ami qu’il redoutait de voir s’effacer.
Mais il était resté dramatiquement silencieux pour un temps qui avait ressemblé à une éternité.
Il ne s’était pas rendu compte de la planche au sol.
Il ne s’était peut-être même pas rendu compte que ses pieds avaient marché sur cette dernière pour se rapprocher de l’homme.
Ou que ses bras s’étaient ouverts pour finalement emprisonner celui à qui il devait tellement.

Une étreinte un peu trop réelle pour un mirage. C’est vrai.
C’était cette idée qui avait donné la force à ses bras de se resserrer plus fort. Un peu plus fort à chaque seconde comme si, son rêve le plus cher après tout ce temps, était d’étouffer celui dont il avait finalement prononcé le prénom « Elan…. »

Cela faisait combien de temps ? Trop de temps, une éternité. Et si les semaines défilantes sans jamais s’arrêter auraient pu le décourager, Elan n’avait jamais laissé tomber. Dieu seul sait combien de passant il a pu arrêter dans la rue avec la photo de Callen, combien de théorie fumeuse et plan foireux il a pu imaginer tard dans son lit.
Parce qu’il avait toujours gardé en lui la certitude que le jeune homme était vivant quelque part. Il n’avait pas été si surpris quand le cristal s’était élevé dans les airs après tout, seulement il fallait trouver où il était et pourquoi. Simple sur le papier, extrêmement compliqué en réalité. Une aiguille dans une botte de foin. (La plus belle des aiguilles.)

Alors sur le coup, quand bien même il n’aurait jamais oublié les traits de son fils, il avait bugué pendant quelques secondes. Quelle était la probabilité pour qu’il le retrouve dans la rue, comme ça, par hasard ? Quelles sont les statistiques pour que cela arrive ? Le taux était faible, trop faible pour que cela arrive à un Pankratz. Pourtant lorsqu’il fixait le pauvre enfant complètement immobile, comme lui, hocher doucement la tête et se pincer, il n’arrivait toujours pas à réaliser. Non attendez, cela devait être un sosie, un giga prank du destin comme il en a l’habitude ?
Non.
Il pourrait le reconnaitre entre mille. Son ombre, à l’odeur, à la voix, derrière un mur en brique ou juste avec la photo de son iris. Il en était certain. Parce que même si la vérité est qu’il ne l’est pas génétiquement, Callen est son fils.
Ni une, ni deux, il précipitait sur lui pour le prendre dans ses bras. Comme si dans le doute, il allait soudainement s’évaporer. Serrant son étreinte, il constatait deux choses : De un il n’allait pas se transformer en fumée et de deux, il a grandi ?????? IL LE DEPASSE ????? C’est donc cela, le quotidien des être de petite taille ? Peu importe. Il essayait de se contenir de le serrer trop fort, sous le coup de l’émotion, il aurait très clairement lui briser des os. « Mais t’étais où ? » Lui demandait-il après quelques secondes en s’écartant un peu sans jamais trop le lâcher de peur qu’il disparaisse de nouveau. « Ca fait une éternité qu’on te cherche ?? » Il fronçait un peu les sourcils, inquiet, en le scannant rapidement histoire de s’assurer qu’il n’était pas blessé. « Ça va ???? »

Bizarre.
Se pincer marche.
Normalement, il n’aurait rien dû ressentir.
C’était une hallucination. A tous les coups.
Il n’y avait aucune chance pour qu’aujourd’hui, Elan Pankratz débarque dans sa morne journée.
S’il comptait jusqu’à dix dans sa tête, il se réveillerait forcément et le père de coeur ne serait plus là.
Ou alors, au pire, il serait remplacé par l’image d’un type à la vague silhouette approchante mais qui n’avait, tout bien considéré, pas grand chose pour ressembler réellement à un Pankratz.
Voilà.

Et pourtant, l’étreinte qu’il lui avait donnée avait semblé bien trop réelle pour ne trouver sa place que dans un joli songe qu’il aurait aimé faire le soir venu.
Elan semblait réellement là.
Soit ça, soit il était en train d’étouffer un parfait inconnu qui ne lui ressemblait finalement pas tant que ça.
Il finirait en prison pour étreinte sauvage… il se sentirait bien con… et tant pis pour le joli rêve qui n’aurait pas duré assez longtemps.
L’étreinte était ceci dit réciproque.
Alors soit le faux sosie était content…
… soit il n’avait pas consommé de la drogue par inadvertance.
La seconde version valait mieux….

C’était celle que semblait lui confirmer une douce étreinte père-fils, pas si douce que ça sans doute.
Celle qui vibrait dans une voix bien trop proche de celle d’un Pankratz.
Et celle qu’il avait bien lu dans un regard quand, de longues secondes plus tard, il s’était enfin détaché un peu du Pankratz pour retrouver les yeux du paternel « Elan…. ».
ça va Callen. Elan l’a compris : Tu te souviens de comment il s’appelle.
Ce qu’il aimerait bien savoir c’est où t’as trouvé le moyen de disparaître.
Juste question qu’il n’avait pourtant jamais intégrée à ses songes éveillés où il lui était enfin permis de retrouver Elan et Zylith.

Mention d’éternité puis question qui ne le sort pas vraiment de son état d'hébétude. Ouais, il a un peu l’air d’un débile maintenant…
Mais ses pieds manquent la terre… l’effet du petit nuage se prolonge encore pour quelques secondes… conséquence inévitable, il n’a pas l’air plus intelligent quand il prend enfin la peine de répondre « Midrias. » oui Callen, c’est même là où vous vous trouvez maintenant « Désolé… j’ai pas pu vous prévenir. » autre évidence, ça, Elan l’a bien vu non ?
…
L’idée de dire quelque chose de moins inutile lui vient cependant, sous les traits d’un visage habités enfin par la réflexion « En fait, j’me suis fait choper par un vieux. C’est une longue histoire…. »
…
…
Des résumés, t’as pas eu souvent besoin d’en faire toi hein ?
C’était quoi la version résumé de ces derniers mois sans trop inquiéter son père ou passer pour un con ?
Alors, dans le deuxième cas, à priori, c’est déjà mort.

Si une voyante aurait dit à Elan qu’il l’aurait retrouvé en passant dans la rue, il lui aurait certainement foutu une patate. Non pas qu’il soit aisément violent et ce n’est pas non plus qu’il exprime sa joie avec des patates. C’est juste que cela fait tellement longtemps qu’il le cherche que le trouver aussi facilement lui paraît impensable. Alors sous le coup de l’émotion, pensant à une connerie aussi grosse que lui, il aurait certainement perdu ses moyens et lui aurait collé un marron comme dirait son père. Marron, c’est proche du orange, couleur qu’il aurait porté puisqu’il aurait finit en prison.

Mais cette fois-ci, il n’avait personne a cogner. Juste un Pankratz junior adoptif qu’il serrait aussi fort qu’il était persuadé qu’il pouvait de nouveau disparaître. L’étreinte est réciproque et honnêtement, ils ont sûrement l’air de deux cons enlacés comme cela dans la rue mais cela lui importe peu. Callen est là, là maintenant tout de suite, physiquement présent. On pouvait l’écraser sur la route là maintenant tout de suite qu’il n’en avait plus rien à foutre. Enfin peut-être pas maintenant, il avait tellement d’interrogations … Alors à peine l’étreinte terminée qu’il le matraque de questions. Où était-il ? Savait-il qu’ils le cherchaient ? Comment il va ? Il se retenait tant bien que mal de la laisser parler mais il devait avouer que le torrent d’émotion était énorme. Il ne savait plus ce qu’il voulait faire : l’enchainer avec lui, savoir, rentrer à la maison, boire une bière … Il essuyait rapidement une larme qui se formait dans le coin de son œil. Une poussière, évidemment …

« Midrias ? » Répétait-il bêtement, l’air légèrement surpris. « Attend, tu étais à Midrias pendant tout ce temps ? » Non parce que on ne sait jamais, peut être que Elan a mal compris ou que Callen a mal compris sa question aussi … Il ne lui a pas demandé là où ils sont mais là où il était ? Comment pouvait-il être si près sans le voir ? Rien qu’à cette pensée, il avait envie de s’éclater le crâne contre un mur comme autopunition. Mais non, gardons notre calme, ne va pas traumatiser ce pauvre enfant … « Oui j’imagine … » Il n’en avait jamais douté Elan, si il n’avait pas donné de nouvelles ou d’explications, c’est uniquement parce que il ne pouvait pas.

Et puis, les mots de Callen eurent l’effet d’un trigger warning de colère en Elan. Chopper par un vieux. Il n’a pas cherché à comprendre où, cherché à comprendre comment ni pourquoi qu’il s’exclamait : « Ok il est où j’vais le tuer. » Tout en commençant à faire craquer ses phalanges puis de s’étirer pour préparer son corps à défoncer du petit vieux très sérieusement. Aucune passion pour son âge, rien du tout. Ce soir, c’est lui la grande faucheuse.

Midrias. Oui.
Pas si loin quand on y pensait.
Pourtant, parfois dans son coeur, ça semblait à des lieux d’ici. Une autre ville, un autre continent, rien d’accessible pour une main tendue.
« Oui… » mais c’était toujours moins pire qu’un autre endroit de Ketterdam.
Dans le fond, il n’en savait rien.
Le vieux, il ne le connaissait pas tant que ça.
Il était bizarre, spécial, parfois un peu inquiétant… pas le genre de vieux dont on pensait qu’on pouvait lui faire aveuglément confiance en tout cas.
« C’est pas faute d’avoir voulu… mais j’ai plus mon téléphone…. » le besoin de se justifier plus fort que celui d’expliquer.

Le reste était compliqué.
Et puis surtout, maintenant qu’il se retrouvait face à Elan… il ne pouvait s’empêcher de culpabiliser deux fois plus.
Il ne pouvait s’empêcher de redouter qu’une partie de lui lui en veuille et ne souhaite plus lui adresser la parole.
Un peu ridicule, ou plutôt stupide après cette étreinte, mais son coeur se serrait à l’idée de ne plus être tant aimé par le Pankratz. Parce que ça l’avait toujours rendu pas mal fier d’être quelqu’un pour lui…

Mais tandis qu’il songeait à formuler des excuses un peu mieux construites… il avait changé Elan en homme prêt à se battre… déclenchant ainsi chez lui une réaction stupide, l’air surpris de l’innocent.
Oui Callen, quand tu dis que tu t’es fait choper par un vieux, l’image du père parfois veut passer en mode baston. C’est peut-être étrange pour toi, mais pour une certaine partie du commun des mortels c’est une suite logique.
« Quoi ? Non. Oublie ça. » alors oui, franchement à le voir se saisir d’un poignet pour retenir un “père”, on avait bien envie de lui dire “T’es con ou quoi ?”.

« Tu t’attirerais des ennuis et c’est pas si…. » grave que ça en a l’air ? « Je gère c’est juste…. » le combat avec les mots, c’était pour rassurer Elan ?
…
Qu’est-ce qu’il fallait dire au juste ?
C’était ça ou la prison ?
Le vieux était bizarre mais peut-être pas si méchant ?
Sans le peut-être c’était mieux non ?
« Finalement, j’aurais pu retourner là-bas, alors l’un dans l’autre y’avait pire ! »
…
…
Bah oui tu sais papa, j’aurais pu me faire choper par une secte alors se faire enlever par un vieux étrange que tu connais pas, au final c’est cool !
…
Il était entier, en un seul morceau, finalement peut-être à un meilleur endroit qu’Elan avait pu se l’imaginer alors oui… l’un dans l’autre, ça aurait pu être pire. Il était juste à chier dans cette conversation et il en avait suffisamment conscience pour ajouter et soupirer « T’as du temps là ? On pourrait se poser quelque part pour discuter, ici c’est pas… » tranquille. Mais puisqu’il avait décidé de jouer au jeu du texte à trous avec Elan, ils en resteraient là.

Il se demandait où il avait raté le coche. A quel moment ses recherches avaient foiré. Depuis tout ce temps Callen était si près de lui et pourtant, il n’avait pas su le retrouver. Etait-ce de sa faute ? Est-ce que tout ce qu’il avait entrepris n’était pas assez élaboré ? S’y était-il mal pris ? Evidemment qu’il était heureux de revoir son fils et sûrement qu’il ne devrait pas se poser toutes ses questions mais sa fierté de père en avait pris un coup. Si il l’avait retrouvé plus tôt, Callen serait peut-être déjà à la maison à ce moment même. Peut-être que si il l’avait retrouvé pus tôt, tout aurait été beaucoup plus simple … Et plutôt que de se dire qu’ils se croisaient ici, au hasard dans la rue, était un scénario planifié par le destin, parce que c’était le bon moment, il pensait à l’envers. Peut-être qu’ils se retrouvaient maintenant, subitement, parce qu’il avait échoué toutes les fois d’avant et que le monde entier en a eu assez de le voir se battre avec le vent.
Dans le fond, dans toute cette histoire, c’était lui le fautif. Il n’avait pas su retrouver son fils.

Alors le Pankratz avait beau se sentir heureux d’avoir retrouvé sa progéniture mais il ne pouvait pas ignorer ce fond de tristesse. Alors il n’avait rien dit quand il s’est une nouvelle fois justifié sur la raison pour laquelle il ne les avait pas contactés. Tout comme il n’avait jamais douté du fait qu’il avait été retenu contre sa volonté, il savait pertinemment que s’il aurait pu, il l’aurait fait.

Et puis, après la joie et la tristesse, la colère venait s’en mêler. Cette dernière avait littéralement explosé aux pourtant peu de mots que Callen avait prononcé. Un vieux, cela lui faisait. Il avait ce qu’il fallait, il n’avait pas besoin d’en savoir plus : Il fallait défoncer un vieux. Maintenant, il voulait juste savoir où il était et au passage, qui il était. Parce que à ce moment là, aussi docile qu’il puisse être par habitude, il était près à faire sauter tout les EHPAD du pays. En exterminant tout les vieux, il y aura bien le coupable dedans non ?
Pourtant, il fut surpris de sentir Callen le retenir. Il ne comprenait pas vraiment, aux dernières nouvelles, il n’avait rien spécifiquement contre baisser la moyenne d’âge de la population. Qui ça gênerait de toute façon dans le fond ?
Oublier ? Impossible.
Callen n’avait qu’à regarder dans ses yeux pour le lire. Comment pourrait-il oublier ça ?
La suite ne fut pas plus convaincante. Les sourcils froncés, il s’attendait à un argument des plus pertinents. S’attirer des ennuis ? Une habitude, ce n’est pas un problème. Il gère ? … Il comptait attendre la fin de sa phrase pour lui dire qu’il en doutait. Enfin, peut-être qu’il avait un plan, dans le fond, il n’en savait rien … mais ses moyens à lui étaient plus expéditif ? « Il y a pire mais il y a mieux Callen ? »
Incapable de comprendre. Elan se sentait complètement démuni et n’était pas certain d’avoir tout saisi. Se dire qu’il y a pire ne signifie par pour autant que la situation est acceptable ?
« Oui. » Il avait fini par soupirer. Et quand bien même, hypothétiquement, il n’aurait pas eu le temps, il aurait tout annulé. Tout comme il avait annulé le projet de remplir ce texte à trou, jetant un regard aux alentours à la recherche d’un petit vieux à maraver. Par chance, aucune canne rampante à l’horizon … Alors ils s’étaient mis à marcher, cherchant un endroit complètement isolé. Pour le coup, Elan était un peu paumé. Il avait beau connaitre Ketterdam comme sa poche, ce n’était pas le cas encore pour Midrias. Alors trouvant une sorte de ruelle isolée de toute passage, il avait tourné les yeux vers son (grand) enfant. « Ici ça parait bien non ? » Il n’était pas tout à fait sûr de ce que Callen s’apprêtait à lui dire mais il pressentait que cela ne lui plairait pas vraiment. Une odeur dans l’air, un don de voyance ?
Seul l’avenir lui dira. Alors il avait fini par s’asseoir sur un petit rebord, ne sachant plus trop quoi faire de ses émotions ni quoi ressentir. « Va y, je t’écoute. »

Plus que des excuses, empêcher Elan d’aller casser la gueule au vieux devient une priorité.
Lui éviter des ennuis, surtout. Oui, c’est bien la conséquence qui est une priorité maintenant…
Parce qu’il n’en découlera rien de bon…
… en est-il certain ?
Quasiment… il y a la petite voix irresponsable qui lui souffle que ce serait aussi peut-être l’occasion de rentrer à Ketterdam… retrouver Elan, Zylith… mais tout n’est pas si simple, et son coeur qui se serre dans sa poitrine le lui souligne avec cruauté.
Alors il se perd dans les mots… pour au final ne souffler ensuite qu’un  « Oui… » … parce que, parler de là-bas, il n’en n’a pas envie… penser à là-bas non plus… et tandis que son esprit s’y perd déjà, sa tête se secoue comme pour chasser les images qui essaient déjà de se faire un chemin dans sa tête.

Ici, ce n’est pas le lieu pour avoir une conversation. Son regard se perd aux alentours tandis qu’il réfléchit à un endroit après la confirmation de son père.
Au final, c’est lui qu’il le suit pour terminer quelques minutes plus tard dans une ruelle qu’il analyse du regard. Personne.
Pourtant, il passe de plus longues secondes à fouiller, histoire d’être sûr, avant de reporter son attention sur Elan, hochant la tête en signe d’accord.
Et puis… il l’écoute... et Callen regarde encore… là, c’est sans doute plus pour retarder le moment où il devra sauter.

Elan a beau être toujours si gentil avec lui… sa patience a probablement aussi des limites qu’il n’a pas vraiment envie de tester.
Mais par où commencer ?
Qu’est-ce qu’il pouvait dire… sans le foutre dans la merde ?
Qu’est-ce qu’il doit dire… avec honnêteté mais sans pour autant trop l’inquiéter ?
« J’me suis fait choper. » ça, il l’avait déjà dit « Le type m’avait déjà remarqué avec mes cartes et il a cramé que j’y connaissais pas grand chose. » en fait, il mentait plutôt bien. On lui avait appris. Il avait de la pratique. Mais voilà… « ça a sans doute à voir avec le fait qu’il est voyant… » oh tu crois ça ? « C’était le suivre ou la taule, pire… mais… disons que c’était un peu la seule option le suivre. »
Et dis voir Callen, pourquoi un vieux voudrait que tu le suives absolument toi ? Le faux voyant des rues. Pourquoi un vieux te ferait du chantage ? T’as conscience qu’à mettre du temps à formuler la partie la plus importante, Elan va le prendre pour un pervers ou un truc dans ce genre là ?