son nom est ninomiya kozuki.

C’est ainsi qu’elle disparut. Ce lègue ultime, prononcé dans un essoufflement du à sa course effrénée jusqu’aux portes de l’orphelinat décrépit. Cette promesse dans un tout dernier souffle de vie, et les voiles blancs pour préserver ses traits s’envolent lorsqu’elle fait volte face et s’enfuit à tout jamais, en le laissant héritier de secrets à moitié révélés. Ce nom victime d’une amnésie collective, clan puissant, ancien et respecté, qui s’était évaporé il y a bien des décennies, Kozuki aux consonances étrangères, éveille un sentiment de déjà-vu dans les esprits des centenaires, et sous la confusion, une terreur souterraine.  

Pas de date de naissance pour les invisibles, pas d’histoires attendries de maternité ou de souvenirs du premier cri, seulement des foutues devinettes. Il portait encore la rondeur des traits des bambins lorsque cette traitre de cigogne le déposa aux enfers, semblait être en capacité de mettre un pied devant l’autre mais pas d’aligner deux mots. On se demande si il est simple d’esprit ou peut-être juste plus jeune qu’il n’en a l’air, on lui fabrique une identité à l’aide de ses sourires et de suppositions. Naissance déterminé au jour de son abandon, les nourrices évaluent son esprit à celui d’un gamin d’environ deux ans.  

Ça avait d’abord été une plaisanterie de mauvais goûts entre les soldats, et peu à peu, le nom s’acceptait et s’inscrivait dans les esprits de chacun, les soul cleaners, nettoyeurs d’âmes, plus élégant que ramasseurs de corps. Faute d’avoir vaincu les tests d’entrée au bataillon d’exploration, c’est ce commandant haut gradé, faisant office de bien pauvre figure paternelle, qui le prit en pitié et lui proposa ce poste en guise de lot de consolation. Nettoyeur de champs de bataille, sale besogne consistant à ramasser les cadavres broyés et recrachés par le Fold, et ramener ce qu’il en reste aux familles éplorés. Et si la tâche parait ingrate ((à juste titre)) par la majorité de la société humaine, lui trépigne d’impatience et attend les missions ponctuelles comme du pain béni, parce qu’à chaque bataille de perdue, c’est quelques sous qui tombent dans les poches troués de sa famille, et quelques pas de plus qu’il fait vers des terres nouvelles.

Il y a des sourires qui ont fait battre son coeur plus fort, des mots audacieux qui ont fait rougir ses joues et des caresses chastes qui ont fait frissonner sa peau, mais Nino ne sait pas l'amour, il aime avec autant de passion que d'ignorance, comme un besoin naturel et vital de l'autre, sans réserve et sans règles, il aime infiniment. Relations intimes jamais explorées, des questions et sensations jamais effleurées, l'âme de l'enfance résiste encore avec force face aux problèmes d'adultes qu'il évite soigneusement de confronter.

À grandir dans la terreur de ses rues noires et hantées par les créatures les plus horrifiantes, on finit par ne plus avoir peur de rien. L'orphelinat quitté pour un logement des plus miséreux et loufoque, il continue à aimer infiniment chaque carrefour et ruelle tortueuse de son petit univers aux couleurs délavées par le sang et le manque de lumière; surtout parce qu'en son sein, s'y trouve les siens, protégés au coeur de l'abîme.  

et seulement ça. Sûrement est-ce là tout le fond de son éternel dilemme, condamné à la faiblesse de l'homme, à ne pouvoir qu'observer la magie jaillissant du bout de leurs doigts sans jamais pouvoir la toucher. C'est étrange, mais ce pouvoir immense, il le sent couler dans ses veines, fleurir dans ses pensées et battre dans son coeur. Comme une énigme indéchiffrable, un trésor caché, une force fantastique se terre au creux de son âme. Qu'ils se moquent, qu'ils crachent sur ses rêves, Ninomiya ne cessera jamais d'y croire, il est convaincu qu'il sera celui qui les sauvera, qu'il sera celui qu'il libérera l'humanité des griffes du fond, et qu'à son tour, il prendra la mer avec eux.