Il est dit que le nom fait l'homme, et rien ne saurait être plus vrai que dans son triste cas. Que le destin moqueur lui ait joué l'un de ses vilains tours, Yukio aux neiges éternelles teintées de grenat ; gosse de l'hiver à jamais condamné de cet écrin-jeunesse maudit du sceau de la damnation. Frost choisi de lui-même, et le destin cruel qui gèle l'enfant dans la fleur de l'âge, l'affûtant d'une malédiction vengeresse ; que si l'ichor fait le nom, alors il le fera couler en abondance.  

à l'aube d'une période hivernale particulièrement rude, rejeton originaire des Badlands craché directement dans la gueule béante de la vorace Zaun. au destin funeste de ceux qui ne sont rien de plus qu'un appât-festin pour les ignominies du fold, orphelin, sans attaches et sans avenir ; bouche à nourrir, propriété de dangereux scientifiques frôlant la cruelle vésanie poussée par la nécessité de survivre ; il a survécu ces seize dernières années, et si les gouttes s'écoulent toujours méticuleusement, la clepsydre mesureuse de temps, s'est récemment fissurée.

au faciès angélique de ceux qui savent séduire pour obtenir, les traits séraphiques de l'enfant-poison s'étirent, simulacre d'une candeur-pureté à laquelle on ne peut rien refuser ; et voilà le venin qui déjà serpente, s'implante sous la peau. et il n'est déception, Yukio, qu'une fois qu'il a disparu ; trompeur d'excellence, mendiant à l'innocence tronquée pour mieux soutirer, puis revendre le triple de sa valeur, le matériel venant combler le manque permanent et emplir les cœurs de fortune, yeux brillants d'envie ; que les rues sont à eux désormais. orphelins des rues, enfants perdus, survivants invaincus.

la fièvre des premiers émois flirtant avec l'indécision bourrée d'insécurités et de doutes quand il ne peut l'avouer décemment, clame être fier et sûr de ses sentiments quand il l'a choisi elle pour devenir sa reine des ombres, le seconder dans la douleur et la soif pécheresse de ses nuits d'ivresse résonnant comme le glas d'une vie antérieure déjà presque oubliée ; au passé absent, raturé sur la toile d'un présent qu'il écrit à ses côtés. qu'à eux deux, ils seront à jamais invincibles.

déposé soigneusement aux portes de l'enfer, en provenance des limbes pour être voué à l'errance, patauger dans la crasse et la misère d'un Zaun plein de mystère, berceau de Lucifer, Yukio survit, amasse chaque objet acquis ou volé comme un trésor qu'il cherche aussitôt à multiplier ; que le manque a créé ce vide immense qui ne saura jamais être que trop rempli.

qu'il eut bien fallu que la destinée cruelle se joue de l'enfant maudit, en l'affublant de cette particularité calomnieuse, le condamnant à être tributaire du liquide vermillon jusqu'à la fin de ses jours. d'une morsure brûlante rubéfiant l'opale de sa peau découverte, le sort en fut ainsi jeté et la douleur s'inscrivit viscéralement sous la peau, se grava à même les os jusqu'à ce que la cause de sa torture ne l'apaise en distillant le liquide ferreux au fond de la trachée écorchée.  vampire, méphistophélique prophète de la nuit, qui hante les rues du quartier des défunts damnés, vole l'ichor sacré qu'il répand en larges traînées dans son sillage.

Il n’avait qu’un mois, à peine…
Lorsque les pierres refroidies par la brise hivernale accueillirent son corps nouveau-né emmitouflé dans un linge épais, seule barrière contre l’hypothermie viscérale qui serra ses entrailles plusieurs heures durant avant que les portes de l’orphelinat ne s’ouvrent aux évanescentes lueurs de l’aurore.

Il n’avait qu’un mois, à peine…
On le jugea mort de froid avant de le ramasser sans ménagement, l’avorton abandonné sur le seuil de l’établissement délabré à la réputation malfamée, et on le déposa dans un coin de la pièce réchauffée, laissant le destin funeste se charger de son sort.

Il n’avait qu’un mois, à peine,
Et il devait déjà lutter avec ses maigres forces pour ne pas laisser la vie s’échapper.  
Ce matin-là, l’aurore était tâchée de nuances écarlates, tirant vers le rose pourpre comme si le ciel lui-même s’était coloré du sang des innocents pour implorer au maître destin son indulgence.

L’enfant survécu.
Il s’éveilla dans les six heures qui suivirent son entrée à l’orphelinat, et ses hurlements stridents réveillèrent les nourrices chargées de s’occuper de lui. Dans son infortune, fût-il doté d’une scélérate qualité, que son air mignon le préserva de bien des mauvais traitements quand, d’un simple sourire il pouvait faire fondre les cœurs les plus gelés ; aussi, il doit pour beaucoup sa survie à ses gênes d’exceptions dont l’origine demeure murmures du vent.

Au coeur du brasier de l’enfer, la brûlure incandescente de Lucifer trace des stigmates sur les os et ronge la pureté de la peau, lime son cuir qui soyeux d’origine devient calleux, rigide ; que les mauvais traitements endorment les consciences abusées, que l’échine rouée de coups s’habitue au rythme du fouet et la cadence d’espoir aussitôt pensés puis avortés s’accentue en grandissant dans le tartare.

De la haine, naît la coalition.
Et si les bourreaux ne peuvent être vaincus de front, alors ils le seront silencieusement ; la révolte gronde dans les couloirs sombres et crasseux de l’orphelinat des oubliés, de ceux que personne ne vient réclamer, de ceux qu’on n’osent à peine regarder, méprisés, violentés, morts-nés. Car ils ne sont qu’errance et médiocrité, cause perdue et mendicité, les fardeaux balancés dans les fourneaux du chaos.

De la colère, naît l’insurrection.
Quand les murmures portés par le vent évoquent de trop sombres desseins, qu’ils soient gardés entre les murs terrifiants pour assouvir la soif de cruauté inhumaine, refusent-ils d’être l’appât des puissants, rats de laboratoire insignifiants qu’on écrase sur l’autel sacré de la science de l’excellence ; leurs morts pour engendrer mille profits, ils renoncent au destin présenté ainsi.

Des grondements de la fureur, naît l’irruption. Volcan.
Les allumettes subtilisées à la cuisinière qu’ils ont fait enrager exprès, pour détourner son attention et le plan qui se déroule comme prévu. Les premières étincelles surviennent dans le dortoir, et les flammes consument rapidement les matelas réunis au centre de la pièce, avant que les déferlantes de chaleur ne se saisissent des murs et mobiliers, réduisant l’entière bâtisse en un tas de cendres éparses et fumantes. La liberté ignivome acquise par la criminalité, et les enfants qui se ruent dans la nuit, inhalent leur premier véritable souffle de vie.

Il n’y a plus de murs autour d’eux.
Plus de sécurité factice, plus de vérités contrefaites, plus de repas aussi maigres soient-ils.

Il n’y a plus de murs autour d’eux.
Plus qu’un infini immensément grand qui s’étend à perte de vue, aux milles possibilités inconnues.

Il y a la peur, le froid des nuits glaciales, les cris qui déchirent le silence crépusculaire et la faim qui tord leurs ventres endeuillés. Il y a cette cruelle sensation de paradis perdu, et de manque irrésolu. Et les regards vides accusent le petit génie de les avoir corrompus.

Ils ne sont rien, les vagabonds de Zaun.
Mais ils forment un tout grandiose, quand leurs manigances éclatent au grand jour et qu’ils se partagent le butin-festin de leurs expéditions dans la flamboyante Vélaris. La liberté, durement acquise, devient précieuse lorsqu’elle leur permet d’exercer leurs talents, voyous et voleurs aux sourires sans-cœur dépouillent sans vergogne les porte-monnaies de la cité. Car tout ici peut avoir une utilité, tout peut se négocier, se revendre, s’améliorer ; et si parfois les mensonges édulcorés viennent falsifier la réalité, qui viendra les en blâmer ?

Ils ne sont rien, les vagabonds de Zaun.
Mais leurs liens sont assermentés du pouvoir de l’éternel, quand l’anarchie totale leur donne des ailes ; ils s’envolent, petits vautours prêts à se repaître sur le moindre cadavre pour gagner des années de vie (ils y ont droit, eux-aussi !) et ils jouissent dans l’antre des maudits d’un terrain de jeu inconquis et en constant mouvement.

Éclat vermeil, les porcelaines limées sont teintées de cet incarnat calomnieux et le sourire de l’ange devient celui du démon.

C’était la nuit, au détour d’une ruelle animée…
Son dos venait de heurter le mur poisseux, écrin de pénombre, et il tentait de calmer sa respiration erratique du à la course-fuite à laquelle il s’était tout juste adonné. S’imposant ce calme olympien alors que les secondes s’écoulaient nerveusement, le soulagement finit par arriver et son sourire s’étira lorsque ses poursuivants passèrent devant l’impasse sans s’y intéresser, à la suite de chimères volages.

Yukio, fier de lui, aurait dû ne pas trop s’attarder. Il avait pourtant appris que l’ombre n’est pas sûre, qu’elle renferme un peu trop de secrets et que ces derniers peuvent vous aspirer en un seul clignement de cils. Il aurait dû… Mais au lieu de ça, il se mit à contempler son trésor tout juste acquis : un porte-monnaie bien rempli et une chaîne sertie d’or et d’éclats de cristaux précieux.  Il avait rarement pu contempler un aussi beau bijou, il en était fasciné.

Il ne prit réellement conscience de la menace lorsque toute fuite était impensable. La vélocité du vampire l’empêcha de faire un seul mouvement, et son cri fut étouffé par une paume rugueuse et froide s’écrasant sur ses lèvres gercées. La douleur, inimaginable, fut la pire qu’il n’eut jamais à ressentir. Son sang se mit à bouillir et à geler au même moment, des pics d’électricité traversant tout son être violemment, le faisant entrer dans une sorte de transe pour supporter la souffrance diluvienne se répandant dans tout son corps.  Celle-ci ne se calma que lorsqu’un liquide ferreux envahit sa bouche à la suite, coula le long de sa trachée et vint apaiser les braises de ses entrailles. Une voix persiflante zébra la nuit d’un son inhumain, et avant de perdre connaissance, il perçut ces mots dont le sens lui échappe encore :

“Mon cadeau, c’est la nuit.”