D’aucuns ne peuvent ignorer la beauté de ces trésors cachés derrière le Mur, merveilles d’un autre monde qu’on ne peut que convoiter lorsqu’on vient d’en bas. Cité passerelle entre l’opulence et la décadence, aux allées verdoyantes et au marché florissant – riche et lumineuse qui, aussitôt la lune levée, révèle son immense lâcheté. Il est bien rare de le voir fouler ces rues ensoleillées sans emprunter les ombres, ni rejoindre ses pairs sur les hauteurs pour quelques plans foireux. Il n’est guère venu divertir son aversion pour ces privilégiés, mais pour y rejoindre une personne qu’il ne saurait encore juger – du moins, pas avec justesse. Voilà quelques temps maintenant qu’un de leurs principaux fournisseurs leur vient d’en haut, un partenaire anonyme aux produits d’une qualité rare… Artemiy devait bien l’admettre, malgré ses réticences. Il a souvent douté d’un coup monté, vérifié que rien ne soit piégé et aujourd’hui encore, il n’est sûr de rien. Son opinion pèse assez dans la balance désormais, les armes son rayon, ses cargaisons lorsqu’elles passent les frontières et s’il doit continuer à faire affaire avec Celestia, il aime autant savoir avec qui.

Il a laissé sa voiture un peu plus loin, vieille carcasse qui n’a pas dû échapper aux regards les plus aiguisés, mais peu lui importe. Il marche la tête haute dans ces allées huppées où il n’a rien à cacher, en conviennent les tatouages criards sur ses bras exposés. Ici, on ne regarde pas souvent derrière soi et l’indifférence fait loi pour une insouciance qu’il n’a jamais pu se permettre à Zaun, mais la fierté anime son regard lorsqu’il en attire quelques-uns sur lui. Qu’on lui pardonne de vouloir sentir la chaleur du soleil sur sa peau, lui qui en est si souvent privé même lorsqu’il met les pieds à Ketterdam.. et cette pensée le ramène vers son ressentiment permanent. Il n’a de sympathie pour personne ici et on pourrait mettre ce quartier à feu et à sang, qu’il le regarderait brûler sans bouger. Ne le font-ils pas déjà, tous ces égoïstes ? Le fold consume sa cité à petits feux et chaque jour il craint pour la sûreté de ses proches, mais les années passent et rien ne change. Qu’on lui pardonne sa colère pour y avoir perdu un frère.

Artemiy enfin s’arrête devant le lieu choisi, proche de l’entrée où les échos rieurs lui parviennent depuis les fourrés. Il n’est jamais venu ici, toujours affairé vers le marché et les endroits plus discrets, et pour cause. C’est la première fois qu’il ne cherche pas la sécurité des ombres pour ses deals douteux, mais il n’est pas non plus venu boire le thé. Pourtant et presque à contre-coeur, le labyrinthe verdoyant qui s’étale devant lui ne lui inspire rien de moins qu’une admiration stupéfiante. La nature y est si prospère qu’il est tenté de toucher une fleur, et c’est ce qu’il fait dans le plus grand respect. Loin de lui l’idée d’arracher une telle douceur, amour des fleurs comme l’indiquent ses bras parsemés de roses et s’il ne la voit pas arriver, il l’entend derrière lui qui hésite, s’approche puis recule. Alors il se redresse et en se retournant, tente froidement : « de l’eau naît l’acier ? » il pose les yeux sur une jeune femme à la chevelure glaciale et la surprise se lit sur son visage, un instant seulement, parce qu’il imaginait sûrement un profil différent. Faudrait-il encore qu’elle réagisse à la phrase codée pour assurer son identité, même s’il ne sait pas pourquoi cela a été choisi. Elle ne vient pas de lui, mais en l’absence de nom d’un côté comme de l’autre, il fallait bien pouvoir se reconnaître.

Dire que Shadoh appréhendait la rencontre serait si loin de la vérité. Non, elle pourrait presque crever de peur à l’idée même de dévoiler son identité à l’un des clients à qui elle apporte son aide puis un long moment maintenant. Elle qui a tant pondéré le pour et le contre d’accepter pareille entrevue. Un coup d’œil rapide à la montre accrochée à son poignet lui indique qu’il n’est peut être pas encore trop tard pour faire demi tour, s’enfuir, courir et aller se réfugier dans le confort de son appartement vue mer à Célestia. Elle pourrait faire tout ça, ce n’est pas l’envie qui lui manque. Il y a pourtant cette tension, cette étrange pression qui pèse sur son ventre et sur sa cage thoracique qui l’empêche de renoncer. La terrasse du petit café où elle est installée avant l’heure prévu est animée, mais ces mouvements de foule, ces conversations lui venant de toute part, ne participent pas à son apaisement. La demoiselle tend la main pour se saisir de la petite tasse en porcelaine dans laquelle se trouve le reste de son thé. Le liquide est déjà froid, preuve du temps qui s’est écoulé durant lequel la créatrice s’était perdue dans les méandres de ses pensées. Shadoh n’a pas envie de penser à toutes les éventualités qui découleraient d’une telle entrevue, elle n’arrive pourtant pas à s’en empêcher. Elle espère juste ne pas s’être trompée dans cette idée foulée de devenir un peu plus transparente avec ses bénéficiaires. Elle en connaît certains qui aurait désapprouvé.

Il est l’heure de vérité. La jeune femme ne se donne pas le temps de profiter des dernières gouttes de son liquide de courage. Elle a déposé une pièce sur la table pour le serveur avant de reprendre son hoverboard en main pour se diriger vers le lieu de l’entrevue. Nerveuse, Shadoh n’en est pourtant pas encore au point de se mettre à trembler, elle avance prudemment entre les allées joliment fleuries. Dans un autre contexte, elle aurait passé du temps admirer l’agencement des diverses plantes. L’enchevêtrement des branches, des lianes, des feuilles, la panoplie de couleur et de senteur, tout cet environnement magique aurait été propice à son esprit créatif. Là, la demoiselle arpente juste les allées en quête d’une chose bien précise, d’un humain en particulier. La vision soudaine d’un homme aux nombreux tatouages bien visibles la faire s’arrêter brusquement. Quoi doit faire Shadoh ? Était-ce seulement la bonne personne recherchée ? Doit elle s’approcher et engager la conversation, se présenter ? Elle n’a pas l’habitude de ce genre de rendez-vous, elle n’a pas l’habitude de laisser quelqu’un entrer dans son univers. Elle fait un pas en avant pour se donner un peu de confiance, mais elle hésite bien rapidement, elle recule, même, peut être qu’au final, la meilleure solution est encore de fuir ?

La réponse à sa myriade de questions lui vient quand la figure inconnue se tourne vers elle en lui posant non pas une question anodine, mais en dévoilant la première partie du code qu’elle avait suggéré pour mieux retrouver ce fameux client. Elle est prise sur le fait et le regard qu’elle découvre, de même que l’aura pesante qu’elle ressent lui font garer les pieds sur terre. Lentement, elle déglutit, elle ravale sa fierté, Shadoh. Cette fierté qui lui colle à la peau de part l’étiquette du monde dont elle provient. Cette fichue étiquette qu’elle renie et qu’elle rejette pour donner de son temps et de son énergie, ce statut qui ne vaut plus rien quand elle est en face de Lui. La jeune femme le sait, elle a beau être celle qui crée la marchandise dont il a besoin, elle doit faire partie de ceux qui s’en servent le moins. Drôle d’ironie, ou simple modestie ? Le moindre faux pas, la moindre mauvaise réponse pourrait lui coûter la vie.

" Des flammes, renaît le guerrier. " répond-t-elle alors à la question posée, complétant ainsi la formule liant ces deux univers si différents. La jeune femme ne sait pas sur quel pied danser, elle est partagée entre la fascination et la crainte face à cet inconnu. Alors, pour s’éviter l’embarras d’être découverte en pleine inspection de son vis-à-vis, par un coup de regard assez peu discret, elle reprend un peu mieux son hoverboard sous son bras et dévie son regard sur le rosier qu’il était en train d’admirer avant qu’elle ne l’interrompe. " Les derniers travaux sont toujours en cours de réalisation " commence-t-elle plus calmement. " Je voulais m’excuser pour les délais qui vont être un peu rallongés. "

C'est un bien joli cadre pour un rendez-vous, jardins qui le fascinent sous un bain de soleil apprécié ; et même si l'ambiance y est agréable, l'homme n'oublie guère ses priorités. Ce n'est pas sa place ici et ses nerfs menacent de craquer à chaque minute écoulée, mais le voilà qu'il croise la route d'un rosier et tout semble se calmer. De ses palpitations jusqu'aux tremblements de ses mains, un peu trop habituées à tenir ces tiges nocives qu'il consume à l'excès, mais qu'il garde loin de ses lèvres pour le moment. Ces jardins sont plus tranquilles qu'un bistrot en ville, moins fréquentés que le marché et nettement plus discrets. On ne lui lance que quelques regards curieux, mais rien de bien sérieux et finalement après un temps, il entend quelqu'un s'approcher. Alors pour assurer son identité, il énonce une simple phrase qui très vite trouve sa suite et il daigne enfin tourner les yeux vers sa source. Une jeune femme qu'on ne soupçonnerait pas tremper dans ces affaires-là, plus que douteuses aux yeux de Celestia. Il fait l'impasse sur ces regards insistants qui le flattent plus qu'ils ne le dérangent, lui-même plutôt attentif aux détails qui lui font face et il écoute la jeune femme sans l'interrompre. Il remarque sa nervosité et même s'il n'apprécie pas vraiment ce qu'il entend, son sourire demeure. « Voilà qui est regrettable... parlons-nous en jours ou en semaines ? » Pour ce qu'il en sait, la marchandise pourrait provenir des forces armées ou arriver par bateaux, mais dans tous les cas leur arrangement n'a rien de légal. Il n'aurait pas été surpris de rencontrer son reflet, mais le profil de cette jeune femme le désarçonne. « Nous allons devoir baisser notre offre, mais vous comprendrez, n'est-ce pas ? » Après tout, lorsqu'elles ne sont pas volées, ils ont toujours été réglo sur ce point là. Acheter pour mieux revendre aux plus offrants et sur le marché noir, rares dons faits aux plus faibles et il aimerait dire que la cause est noble – mais au final, elle ne l'est qu'à moitié.

Las du décor, il se décide enfin à s'engager dans ces allées florales pour une ballade, non sans inviter la jeune femme à le suivre. Il se laisse distraire par la verdure et ce ciel éclatant, mais ses mots n'ont pas plus de chaleur pour des efforts absents. « Je prends déjà pas mal de risques en venant ici... » et son sourire s'évapore ainsi que son tact apparent lorsqu'il attrape un poignet délicat, l'enserre entre ses doigts plus larges et rapproche la blonde pour mieux les maintenir droits dans cette allée. Comme si de rien n'était tandis que sa voix fend l'air avec rudesse : « alors dites-moi, qui êtes-vous et que gagnez-vous à nous aider ? Je doute même que vous agissiez seule. » Il ne peut nier la préciosité de cette aide aux goûts amers, mais il s'en méfie tout autant et s'il devait être amené à s'en détacher pour assurer leur prospérité, il le ferait. La question le taraude depuis le début, de savoir si la demoiselle est venue accompagnée et s'ils sont surveillés en ce moment même. Il n'a lui-même personne pour assurer ses arrières, amis restés de l'autre côté du mur en attendant son retour. Renforts pour mieux disparaître s'il doit fuir à un moment ou un autre, et son regard scande les lieux comme si des pacifieurs pouvaient s'y fondre. Le pauvre poignet toujours retenu prisonnier quand l'homme s'arrête à l'ombre d'un bel arbre garni ; le cadre est bien joli et Artemiy pourtant s'y sent à l'étroit.

" Quelques jours seulement ! " S’empresse de répondre Shadoh à la question qui lui est posée d’entrée de jeu. " C’est que la commande était conséquente et que je n’ai pas eu le temps de tout fa- ". Elle sent le besoin de se justifier. Car c’est bien elle qui produit tout ce que son client lui commande depuis un bout de temps déjà. C’est elle qui met de son temps et de son énergie pour faire en sorte que chaque création est conforme au cahier des charges qui lui a été fourni.

Mais sa tentative d’explication est coupée court quand il reprend la parole pour parler de la rémunération. " Bien entendu " répond-t-elle alors. A bien l’observer, à chaque seconde qui passe, Shadoh se tasse un peu plus sur elle même, elle plie sous le poids de la pression exercée par cette aura. La demoiselle n’ose pas le regarder dans les yeux, elle sent quelque chose qui ne va pas. Cette drôle d’impression qui lui laisse un goût amer sur le bout de la langue. Cette impression qui lui souffle qu’à la moindre mauvaise réponse, à la moindre provocation, quelque chose de bien plus mal pourrait lui arriver. Elle n’est pas dupe, derrière ce sourire doit se cacher bien plus de noirceur.

Elle est silencieuse quand l’homme face à elle l’invite à quitter l’allée pour s’enfoncer un peu plus loin. La jeune femme ne se fait pas prier pour le suivre, gardant une prise adéquate sur son hoverboard qu’elle serre contre elle comme un moyen de se raccrocher à une réalité plus confortable. Elle reste prudente à le suivre avec une certaine réserve, mais elle ne peut s’empêcher de grimacer légèrement quand elle l’entend lui évoquer les risques encourus par une telle entrevue. Comme s’il était le seul qui se sentait menacé par l’environnement, elle, elle se sentait menacée par son propre client... Mais la blonde ne sait pas trop quoi dire, elle a trop peur de déraper et que ses intentions ne soient pas prises pour ce qu’elle sont en réalité.

Et le voilà qui fait volte face une fois qu’il doit se sentir un peu plus en sécurité, loin des autres. Son poignet prisonnier, elle le ressent comme si la main s’était refermée sur sa propre gorge. Le souffle de Shadoh est coupé à l’instant même où son interlocuteur use d’un contact physique pour pouvoir la maintenir bien droite prêt de lui. Dans la panique, son autre main occupée ne parvient pas à remplir son rôle, laissant tomber l’objet qu’elle tenait juste à ses côtés. Le bruit sourd qui s’élève de cette chute la fait grandement sursauter, mais le pire dans cette histoire sont les paroles qui lui sont glissées. Le contact physique ne dure qu’un instant, mais la demoiselle reste sonnée pendant plusieurs secondes à fixer son interlocuteur, interdite, abasourdie.

Parce qu’après la peur, la voilà qui procède les derniers mots qui sont parvenus à ses oreilles. La jeune femme se sent honteuse, presque en colère. Qui est-il vraiment celui-là pour remettre en question son engagement, son éthique ? Shadoh le savait, elle n’aurait jamais dû se laisser pousser des ailes en pensant que se montrer permettrait d’entretenir de meilleures relations avec sa clientèle clandestine. Quelle idiote elle faisait, à avoir pensé qu’un seul instant, des gens auraient pu comprendre la pureté de ses actions. Pour la deuxième fois aujourd’hui, la jeune femme ravale sa fierté. Elle se mord l’intérieur de la joue en espérant que cela serait suffisant pour ne pas qu’elle lui explose au visage, enfin elle se baisse pour récupérer son hoverboard qu’elle glisse à nouveau sous son bras.

" Je n’imaginais pas qu’il fallait présenter des papiers d’identité à une certaine échéance de notre accord pour pouvoir continuer cette relation basée sur un travail toujours conforme à la commande, et livré dans les temps. " Le ton de la demoiselle se fait plus ferme qu’elle l’aurait espéré, comme quoi, peut être que cette drôle de piqûre pouvait lui servir à mieux affirmer sa position. " De plus, vous remettez en doute mon éthique de travail et ma discrétion, ce qui est, soyons honnêtes, assez fâcheux. Que dois-je faire pour trouver à nouveau grâce à vos yeux ? " Elle a besoin de rester forte pour pouvoir paraître crédible une nouvelle fois auprès de son client. Elle ne le dira pas, mais elle est assez déçue d’avoir été si vite jugée alors que leur deal fonctionnait bien quand tout se faisait dans l’anonymat le plus total.

Il ne peut que se délecter des réactions qu'il provoque chez la jeune femme, ses réponses pour le moins satisfaisantes malgré les impressions données. Artemiy hoche simplement la tête sans rien ajouter, un sourire pincé en réponse aux justifications coupées. Il ne soulèvera pas ce point qui en soit, ne le trouble que peu. Les retards ne lui importent pas tant, mais les perches sont tendues si aisément qu'il prend malin plaisir à perturber cette malheureuse célestienne. Il n'est pas tendre en affaires peu importe les lieux et sans doute qu'en l'absence de réelle hiérarchie, les zaunards subissent bien plus ses humeurs que sa clientèle du dessus. Pour autant, il ne manque pas de rappeler que la menace pèse. Il a toujours du mal à croire en la bienveillance de ce fournisseur mystère, aujourd'hui révélé sous l'apparence d'une petite blonde aux airs inoffensifs, presque tendres. La vérité étant plutôt qu'il ne veut pas croire en cette main tendue depuis les cieux.. empire céleste qui a toujours su détourner le regards des bas-fonds. Il craignait que ce ne soit qu'entourloupes depuis le début, un piège tendu pour démonter leur réseau de trafic petit à petit, mais sa paranoïa l'a finalement poussé à créer son propre traquenard.

A l'ombre d'un arbre l'homme s'est montré rude et entre ses doigts demeurent un poignet délicat, la chute de l'hoverboard ignoré tandis que chaque réaction de la jeune femme est sondée. Elle est visiblement effrayée, surprise même par de telles paroles crachées tel du venin entre les crocs de ce zaunard bien discourtois. Il ne s'en cache pas et même après avoir relâché le poignet délicat, son regard ne s'attendrit guère. Même face à la colère qui vient déformer son joli minois, lorsqu'elle retrouve enfin ses esprits et qu'un visage confiant remplace celui de l'incertitude. Il a réveillé la flamme qu'il espérait trouver en elle, plus vite qu'il ne le prévoyait d'ailleurs. La répartie lui plait plus qu'il ne pourrait l'admettre et si ses traits demeurent impassibles, sa curiosité n'en est pas moins piquée. Il se contente de la jauger du regard sans l'interrompre, de haut en bas et malgré la sincérité résonnante dans sa voix, Artemiy ne peut s'empêcher de garder une certaine méfiance. « Je ne suis pas ici pour remettre en cause la qualité de vos services et sur ça, vous n'avez rien à prouver. » Il se rattrape tant bien que mal, troublé lui-même par sa méfiance démesurée. A ses mots, il comprend néanmoins qu'elle travaille seule ou du moins, qu'elle est à la tête de son commerce. « Je suis étonné qu'une... femme de votre rang s'adonne à des activités clandestines. Vous me devez au moins cette méfiance. »

Il ne s'excuse ni de son geste, ni de son jugement cela dit et mieux encore, il n'a pas été totalement honnête sur les raisons de sa rudesse. Il observe les activités du parc quelques secondes, le temps de réfléchir au pour et au contre avant de se risquer à quelques vérités piquantes. A Zaun, tout est différent ; des rivages jusqu'aux lois inexistantes, liberté à double-tranchant où la mort guette ses proies chaque jour. Le soleil ne s'y montre quasiment jamais et l'air n'y est certainement pas si pur. Il observe les familles posées sur l'herbe, les enfants courir une glace à la main et une grande roue aperçue au loin. Il a du mal à se dire qu'un vulgaire mur sépare cette vie de la misère, Ketterdam pas si fière non plus ni si sûre. Il est peut-être idiot à vouloir rester là-bas lorsqu'il pourrait sans doute trouver le moyen de vivre ici. Et ce n'est pas de la fierté, pas entièrement lorsque son coeur y demeure attaché. Est-ce que détester tous ces gens changera la donne ? Bien sûr que non.. « Retrouver grâce ? » La question le surprend assez pour lui arracher un rire et finalement, il cède. « Commençons par le plus basique, ma chère. Mon nom est Artemiy, il me plairait de connaître le vôtre... et vos motivations. J'insiste. » Annonce-t-il avec plus de tranquillité. Il reprend ensuite le cours de leur promenade et en s'éloignant de l'allée principale pour retrouver la beauté des plantes. Une allée fleurie où chaque espèce est accompagnée de son étiquette, panneaux qu'il s'amuse à lire en cette activité nouvelle pour lui. Son enthousiasme le dérangerait presque, en conflit avec ses principes plus féroces. Il y a toujours une exception à la règle... n'est-ce pas ?

Les défenses de Shadoh restent encore bien dressées, et ce malgré les tentatives d'explications qui lui viennent à ses oreilles. Il ne cherche pas à s'excuser pour on geste et pour ses mots, pour un peu, elle doit se retenir de ne pas faire claquer sa langue contre son palais pour démontrer son mécontentement, elle n'en fait rien pourtant. Peut être que la méfiance est un trait de personnalité pour les zaunards, qui sait ? La jeune femme se contente de retrousser son nez en pinçant les lèvres, clairement vexée par ce manque de discernement, teinté par un pointe de sexisme. C'est du moins comme cela qu'elle le ressent. Elle décide donc qu'elle ne lui répondra pas sur le coup. Au lieu de ça, la drôle de paire reprend sa marche jusqu'à atteindre une artère principale.

Elle cherche à se rassurer en laissant ses yeux fixer nonchalamment la population autour d'eux. La jeune femme prend une grande inspiration pour laisser tous ses sens se vider de l'appréhension qui l'habite depuis qu'elle se trouve à côté de son client. Le parfum des parterres de fleurs couverts par milliers de plantes plus colorées et odorantes les unes que les autres. La musique de la grande roue un peu plus loin, les cris des enfants qui jouent, les rires des adultes qui conversent autour d'eux. Tout devient une source de distraction pour qu'elle puisse oublier momentanément le malaise qui lui tord le ventre. Encore heureux pour elle qu'ils se trouvent dans un endroit qui lui est assez familier, tout autres point de rendez-vous dans les bas quartiers auraient rendu l'entrevue tellement différente. Surtout vu comment elle était reçue par cet odieux inconnu.

C'est finalement un rire qui la sort de son air bougon et fâché. Du coin de l’œil, elle l'observe, intriguée par la proposition qui lui semble un peu plus cordiale, un peu plus humaine. Son regarde se plisse néanmoins quand il insiste pour qu'elle dévoile les raisons qui la poussent à agir telle une bonne samaritaine. Il ne lâchera pas l'affaire aussi facilement, elle était trop bête d'imaginer qu'il se contenterait simplement de prendre ce qu'elle avait à offrir, sans avoir à demander plus. Bien, il va donc falloir que Shadoh dépose elle aussi ses cartes sur la table, mais elle fera attention à ne pas dévoiler tout son jeu.

" Shadoh " dit-elle alors quand elle a décidé d'enfin ouvrir ses lèvres pour laisser quelques informations glisser. En arrivant dans un allée un peu plus calme, elle profite de l'occasion de le voir ralentir pour lire avec attention les différents petits écriteaux pour le dépasser de quelques pas. Elle a l'impression de moins étouffer à sentir son aura peser sur elle, et peut être que si elle garde son dos tourné, elle sentira sûrement un peu moins la pression qui pèse sur ses épaules et sur sa cage thoracique.

" Je travaille pour Draigwen Industries " commence-t-elle après un petit moment de flottement. " Mais je m'y sens comme une machine. Devoir créer et réparer les mêmes modèles en boucle, c'est assez peu stimulant. " Un parterre de pivoine roses attire le regard de la demoiselle. Le souvenir de cette fameuse rencontre remonte rapidement dans sa mémoire. Elle s'accroupit pour mieux regarder la fleur, admirer sa forme harmonieuse et sa couleur profonde. C'est comme si elle revoyait la marque gravée de sa première prothèse. " J'ai rencontré un garçon à Ketterdam il y a longtemps. Il avait le bras qui pendait le long de son corps alors qu'il cherchait n'importe quoi pour essayer de faire tenir le semblant de prothèse dont il avait besoin pour paraître le plus normal possible. " Les souvenirs la prennent presque à la gorge tant elle voit encore la détresse de son regard. Elle tend la main et frôle la fleur du bout des doigts. Elle se souvient de ce corps fragile, de cette pauvre âme, la toute première qu'elle avait pu assister. " J'ai fais ce que je savais faire de mieux, c'était le premier garçon de Zaun que j'ai aidé. Je ne compte pas m'arrêter. "

Elle rétracte sa main après avoir soufflé sa dernière phrase et elle se redresse vivement. Les pas de la jeune femme la font continuer son chemin jusqu'au bout de la petite allée calme. Elle a peur qu'il pose des questions, qu'il ne comprenne pas, qu'il ne veuille pas comprendre à quel point son geste spontané est celui qui a changé sa manière de travailler. Étonnement, la petite allée les fait arriver au bord d'une petite fontaine, d'où l'eau s'écoule paisiblement d'une petite statue. Un petit sourire apparaît sur son visage face à l'ironie de la situation, elle qui croyait ne pas être en mesure de convaincre le client méfiant, vient peut être de trouver une porte de sortie pour sauver sa peau. " Puis-je vous montrer ? " demande-t-elle alors doucement en pointant la petite étendue d'eau de sa main.

Il n'y a que dans ces quartiers paisibles qu'il finit par capituler, comme si une force invisible l'empêchait d'aller trop loin au risque de s'attirer des ennuis irréversibles. Il n'a pas la même liberté ici qu'à Zaun, pas la même influence et sûrement pas le même soutien. Il ne connaît pas assez les détours et autres raccourcis qui lui permettraient de s'enfuir à temps, alors même s'il continue à se montrer teigneux, le zaunard change de ton. La politesse retrouvée comme si elle n'était jamais partie et dans ses sourires, pas une once d'animosité. Il choisit plutôt d'écouter la jeune femme parler et s'exprimer sur son train de vie, bien qu'il n'en demandait pas tant et pourtant, il en apprécie chaque aspect. Etrangement, les efforts de Shadoh – nom charmant qui à ses oreilles sonne comme l'ombre, un bien joli comble – l'incitent à laisser ce semblant de confiance s'immiscer entre eux.

Il acquiesce simplement lorsqu'elle poursuit son récit sur un jeune garçon de Zaun et face au parterre de pivoines, Artemiy l'observe en silence. Une partie de lui continue de penser qu'il pourrait s'agir d'un coup monté, mais ce n'est que son mépris pour Celestia qui amène un tel brouillard dans ses pensées. L'autre moitié se laisse peu à peu convaincre par l'attitude de la blonde et son silence n'est qu'un autre bon signe. Il la regarde s'élancer avec intérêt vers une petite fontaine qu'il rejoint aussitôt, mais avant de nourrir sa curiosité, il répond aux efforts de la belle sur son récit passé. « C'est... difficile, là-bas. J'imagine qu'il faut le voir pour s'en rendre compte et ce gamin.. a été chanceux de vous croiser, j'suppose. » Sa fierté l'empêche tout de même de la remercier, mais au fond l'intention y est.

Son attention est vite retournée vers la fontaine et tandis qu'il s'installe sur le rebord, on lui pose une question bien étrange. Alors il penche la tête tel un félin curieux et acquiesce lentement pendant que ses doigts eux, caressent la surface de l'eau en attendant la suite. « Me montrer... quoi ? Ici ? » Il se surprendrait presque à se sentir de plus en plus confortable en la compagnie de cette fille, et ce magnétisme le suit depuis qu'elle s'est emportée sur lui comme un déclic. Ce rendez-vous d'affaires se passe mieux qu'il ne l'avait prévu, du moins de son point de vue et ça lui arrache des sourires hautains bien que son regard lui, brille d'intérêt.

" Je dirais plutôt que c'est moi qui ai été chanceuse de pouvoir l'aider dans une situation si désespérée " murmure t-elle poliment à l'observation du jeune homme. C'est toujours ainsi que se déroulent les histoires dans lesquelles elle peut intervenir du près ou de loin. Shadoh apporte son soutien, elle n'est en aucun cas une héroïne des temps modernes. Ce n'est pas comme ça qu'elle a été éduquée, ce ne sont pas les valeurs qu'on lui a inculquées. Avec un tel pouvoir naissent des responsabilités et des opportunités particulières. Et ce n'est qu'en apportant son aide, aussi bien à des clients consciencieux qu'à des gens démunis au coin de la rue, qu'elle sait qu'elle se sent utile.

Elle a bien noté son adjectif que son interlocuteur avait collé à Zaun. La demoiselle est encore trop terrifiée à l'idée d'y mettre les pieds. Parce qu'elle sait qu'elle n'y sera pas accueillie comme une sauveuse, sûrement même le contraire. Et c'est en cela qu'elle a besoin de client, comme ce fameux Artemiy aujourd'hui, pour pouvoir faire parvenir son aide d'une façon ou d'une autre sur des terres encore trop lointaines et mystérieuses à son goût. Ce n'est pourtant pas la curiosité qui lui manque, au contraire, mais c'est aussi que la jeune femme sait se mettre à sa place quand la situation est nécessaire. Or, pour le moment Zaun n'a pas besoin de savoir qui fournit des prothèses et des armes de façon clandestine, et elle, n'a pas l'intention de révéler ce secret. Le temps d'un instant, elle adresse ses pensée au garçon qu'elle a aidé il y a de cela quelques années. Elle espère qu'il va bien, que la prothèse tient toujours. Elle aimerait pouvoir lui montrer à quel point elle même a évolué dans son travail, peut être qu'elle pourrait même lui proposer un modèle de prothèse encore plus performant que le premier jet qu'elle a pu lui confectionner ce soir là ? Ses pensées s'estompent vite, non, Shadoh ne doit pas chercher à se mettre au devant de la scène quand sa place est destinée aux coulisses.

Tous les deux près de la fontaine, lui assit sur le rebord, elle debout juste à côté, elle hoche alors la tête avec le petit sourire qui lui étire le coin des lèvres. Elle dépose son accessoire pour se déplacer avant de retrousser délicatement les manches de sa veste. Avant de se mettre au travail, elle se permet de sortir une petite pierre blanche qui trônait dans une de ses poches, et la garde au creu de sa main. Shadoh s'accroupit enfin pour être plus proche du rebord de la fontaine. Sa dextre tenant la pierre est ainsi plongée dans l'eau, sa main libre quant à elle, entame une danse. Elle touche à peine la surface de l'étendue transparente, le bout de son index traçant ainsi quelques sigles qu'elle pourrait refaire les yeux fermés. Le processus est silencieux, et, la jeune femme sent sur le côté de son visage le regard insistant et curieux de son compagnon du moment.

Il ne s'écoule que quelques secondes avant que la jeune femme prenne un grande inspiration et fasse cesser les étranges dessins de son doigt. Si pour le moment il ne semble rien se passer, la pierre ne bougeant pas de sa place, c'est quand elle referme les doigts sur le minéral et en sortant la main de l'eau que le liquide fait se matérialiser une dague en or à mesure qu'elle ressort sa main de la fontaine. Satisfaite de son travail, elle peut ainsi reporter son attention sur le jeune homme juste à côté, à qui elle tend la dague encore mouillée. " Il ne vous aura pas échappé que la plupart des objets qui font l'objet de vos commandes sont composés avec divers métaux " commence-t-elle à expliquer doucement. Elle le regarde prendre l'arme et l'examiner sous toutes ses coutures, de la lame en or jusqu'au manche du même métal où est encastrée la pierre blanche. " C'est pour cela que je m'occupe personnellement de vous créer  ce qui se fait de mieux sur le marché..."