étoiles jumelles
OCTOBRE 2022

❝ souvenez-vous, la prochaine fois que vient la neige et le fracas. On ne va pas tous mourir. Entre les braises on marchera et la nuit noire nous embrassera. On pourra tous partir — retrouver le soleil.

— Je viens de vous dire que le conseiller Arkham et le jeune maître étaient absents. — Je peux peut-être les attendre? insiste-t-elle se balançant d'une jambe sur l'autre visiblement mal à l'aise, il lui est difficile d'ignorer le regard f u r i b o n d que lui adresse la gouvernante depuis de longues minutes, ce froncement de nez à peine dissimulé soulignant combien sa présence l'incommode et plus encore le ton glacial avec lequel elle lui répond. — Je suis navrée... réplique-t-elle d'une voix qui sous-entend pourtant tout l'inverse — Mais cela ne va pas être possible. — C'est très important, je vous en prie. Savez-vous quand ils seront de retour? Légèrement elle se hisse sur la pointe des pieds cherchant à entrevoir d'avantage de la demeure derrière les larges épaules de la domestique, convaincue qu'elle lui ment dans l'espoir de la voir déguerpir le plancher au plus vite, la manœuvre ne lui échappe pas et provoque un haussement de sourcils indigné comme si la voyante s'apprêtait à forcer le passage. — Non. Si vous souhaitez une audience avec le conseiller prenez rendez-vous avec son secrétaire. — S'il vous pl- sans lui laisser le temps d'ajouter mot la porte se referme sur elle en un claquement v i o l e n t, le coup la force à reculer d'un pas, la laissant interloquée sur le perron. Un instant, quelques secondes fugaces, elle hésite, chancelle: rebrousser chemin, revenir le lendemain.








Elle ne peut pas faire ça, par deux fois elle a déjà abandonné ((que va-t-il penser d'elle)), par deux fois elle a manqué à leur promesse, brisé son serment en embrassant l'évidence du trépas. Une éternité sans lui, un sentiment flou rythmant ses pensées et ses émotions, celui qu'il n'était plus là. Même quand il n'était pas là, Esfir l'a t o u j o u r s senti, à l'autre bout du lien invisible qui les relie, elle ne le voyait pas toujours, l'entendait parfois, mais jamais elle n'a douté de son existence. Jusqu'à ces derniers mois. Elle se rappelle le vide [ [ le froid ] ] la chaleur qui s'éteint, les ténèbres qui l'ont étreint. Un réalité désaxée de sens quand elle se raccrochait dans l'avant à la pensée si profondément vraie qu'ils étaient sous le même ciel, regardaient les mêmes étoiles, se réchauffaient des mêmes rayons d'or. Et comment vivre dans l'après de la perte d'espoir? Plus douloureuse encore que la perte de lui. L'idée d'un lui disparue pour toujours.








Évaporé. M O R T. Sans qu'elle ne sache vraiment comment, il a fallu faire le deuil de l'invisible, ça ne se raconte pas, à personne, ni la mélancolie d'un imaginaire, ni la nostalgie de ce qui a été dont on se souvient à peine. Encore moins la désolation qui a suivi, de l'avoir su si près et de l'avoir perdu si vite. Sans rien d'autre que de vagues indices ici et là, laissant son âme désœuvrée errer dans la mémoire de ce qu'ils étaient, de tout ce qu'ils auraient pu être encore. C'est comme si on lui avait volé une deuxième fois. Elle a pleuré et vomi tout son soûl pliée en deux dans ses draps, h u r l a n t ce frère qui ne reviendrait pas. Et puis elle est arrivée ici, confiée aux abîmes des Earlingers, elle s'est dit que c'est tout ce qu'elle méritait après tout, que c'était là son châtiment pour avoir échoué à le retrouver — le maître des enfers en personne lui ouvrant grands ses bras.








Ça hurle dans les abysses de ses yeux, brille comme des soleils crachés en plein trou noir, tout l'a mené ici, elle se refuse à rebrousser chemin parce qu'une domestique butée la juge indigne d'attendre dans le hall d'entrée. Si Esfir n'était pas si prompte à pardonner l'outrage, lui trouver des raisons, des excuses qu'elle n'a même pas formulé, elle lui donnerait bien des noms d'oiseau, tout bas dans sa tête. Au lieu de cela elle se persuade que ce n'est pas (entièrement) sa faute, qu'elle applique seulement les directives qu'on lui a donné, ainsi fait-elle le tour de l'imposante propriété s'enfonçant dans le jardin en jetant quelques coups d’œil hagards ici et là, priant les grands dragons de ne pas être repérée. Repérant une brouette chargée de terreau près d'un buisson fraîchement taillé en une forme géométrique complexe, elle s'en saisit en toute hâte et la pousse en bifurquant sur le chemin menant au patio, aucune personne censée ne la prendra pour un jardinier mais cela vaut mieux que se balader les mains vides et le nez en l'air.


Par chance, la voie a l'air libre lorsqu'elle se faufile entre les pots de fleurs et les chaises de jardin, mais les portes elles, semblent toutes fermées. Elle repère finalement une porte fenêtre du premier étage ouverte sur un petit balcon, pèse à peine le pour et le contre une demi-seconde avant de c r a p a h u t e r entre le lierre grimpant et la gouttière pour s'y hisser.  — Oh non zut! s’exclame-t-elle en constatant qu'elle vient dans son escalade périlleuse de filer ses collants brodés de petites étoiles roses et mauves. Elle se mord aussitôt la lèvre pour sa stupidité quand elle entend des bruits de pas résonner sur la terrasse en-dessous, elle se précipite à l'intérieur de la chambre pour éviter d'être vue, le dos collé au mur, le soulagement est de courte durée.


Ses yeux rencontrent les orbes si semblables aux siennes — ils se fixent durant ce qui lui semble une é t e r n i t é où elle retient son souffle, ne parvenant pas à faire le moindre mouvement, produire le moindre son. Son corps se transforme en un marbre solide qui semble se fondre dans le décors luxueux et ne reprend vie qu'au moment où l'on frappe à la porte, la voix de la femme qui lui a fait si mauvais accueil résonne dans le couloir, à la différence qu'elle est emprunte cette fois d'une douceur presque maternelle, d'une sollicitude révérencieuse. — Monsieur Soleil, est-ce que tout va bien? Votre père me fait vous dire de ne pas l'attendre pour dîner il est retenu au Conseil. Un sentiment de p a n i q u e l'envahit, son regard allant de la porte au jeune homme, elle plaque un index sur ses lippes le suppliant de passer sous silence sa soudaine i n t r u s i o n.

étoiles jumelles
OCTOBRE 2022

❝ souvenez-vous, la prochaine fois que vient la neige et le fracas. On ne va pas tous mourir. Entre les braises on marchera et la nuit noire nous embrassera. On pourra tous partir — retrouver le soleil.

Elle s c i n t i l l e de sa chaleureuse lueur rubis, sa lune étincelle au centre de la galaxie, de sa galaxie, elle a l'impression qu'elle brille plus fort pour e l l e — comme si elle savait, avant même qu'il ne sache, qu'elle est réunie avec sa jumelle. Une éclipse rouge et bleue semble flotter dans l'air, aquarelle de leurs flux magique et Esfir se blottit dans cet écho rassurant. Celui des retrouvailles à jamais attendues [ [ elle a retrouvé son étoile jaune ] ] la voilà revenue éclairer sa vie.

Son corps tremble à demi de cette seule certitude ❝ Soleil est vivant, il l'attend. Elle ne voulait pas y croire de peur de voir son univers s'effondrer de nouveau sur lui-même, mais l'espoir s'est ravivé quand ses yeux ont trouvé sa silhouette exposée dans ce magazine de charme. Elle n'a pas rougi un seul instant de cette nudité suggérée, de ces photos jugées osées, trop heureuse du signe que le destin lui envoyait, ça ne pouvait être qu'un message c o s m i q u e porteur de la promesse de le revoir. Elle a chéri ce magazine comme son bien le plus précieux, un trésor de foi et de joie, a supplié Cobalt de l'aider à retrouver l'homme sur les clichés.

Maintenant qu'elle est [ [ e n f i n ] ] face à lui, elle ne sait quoi dire, les sanglots de bonheur étreignent sa gorge, elle pourrait ouvrir les vannes, tout laisser couler tant elle se sent submergée par le m i r a c l e de l'instant. Elle fait un pas vers lui, puis deux, s'arrête en plein milieu. Réfléchit. Se raidit. Sa rencontre pour le moins désastreuse avec Romance lui rappelle que son comportement n'est pas toujours le plus avisé, qu'elle ne doit pas se précipiter au risque de lui faire peur. Elle meurt pourtant d'envie de se ruer vers lui, toucher son visage, lui prendre les mains, vérifier qu'il est intact et vivant, qu'il e x i s t e encore, renvoyer les mauvais présages aux enfers en sentant son cœur battre contre sa paume. Un duel de force se joue entre son instinct et sa raison, son intrusion dans cette chambre suffit à elle seule à éveiller les soupçons, elle ne sait pas pourquoi il ne l'a pas déjà dénoncé au personnel de maison, s'en réjouie toutefois. Mr. Earlinger entrerait dans une rage folle s'il venait à apprendre cette bavure, un déshonneur qu'il lui ferait assurément regretté. Soleil parle et la douleur se fait au cœur —



━━━ torpillant le ventricule
d é v a s t a t r i c e
ravivant les cicatrices ━━━



Soleil ne sait plus qui elle est, il ne la reconnait pas [ [ effroi ! ] ] a-t-il lui aussi été forcé à boire une potion d'oubli? Oui, ça ne peut être que ça, se persuade-t-elle en son fort intérieur, refusant de croire que son frère, sa c h a i r e et son âme l'aurait effacé de son plein gré, Soleil aurait tout fait pour la retrouver — c'est une certitude. — Oui c'est ça, l'ordre des voyants... confirme-t-elle sans trop savoir pourquoi, sa voix tressaute sur une intonation hésitante, elle aimerait le mettre en confiance, ignore comment amorcer la vérité. Le déception dessine une lune inversée sur sa jolie bouche, les larmes encore sur le point de poindre au coin de ses yeux, mais lorsqu'il justifie son absence auprès de l'Ordre toute son attention se recentre sur l'essentiel, ce qu'elle a, l'espace de quelques secondes, oublié: Soleil est vivant. La panique affole son pouls, elle le sent battre jusqu'à sa tempe et ne peut cette fois empêcher ses pas de freiner, se précipitant à lui pour toucher son front du dos de sa main. — Tu-tu es malade?! L'exclamation inquiète s'accompagne d'un regard effrayé, le derme se pare de frissons au contact de sa peau glaciale. — Par tous les dragons! Mais tu es froid comme la mort! Ses orbes ne s'attardent même pas sur le calice de sang suspendu entre deux phalanges, le prenant à tort pour du vin. — Pourquoi ton mécène n'a pas appelé un healer? Le timbre s'offusque, Mr. Arkham lui semble soudain bien irresponsable.

Elle ne réalise qu'à retardement qu'elle a eu beau mettre toute sa bonne volonté pour repousser sa nature profonde et éviter ainsi de paraître à ses yeux encore plus é t r a n g e, elle n'y est pas parvenue. — Je- pardon de m'être introduite comme ça mais je t'ai vu dans ce magazine et- s'éclaircissant la gorge elle cherche ses mots, s'emmêle dans son explication — et ta gouvernante ne voulait pas me laisser te voir! Je crois qu'elle m'a pris pour une illuminée ou quelque chose du genre, ce que je ne suis pas... à l'évi-dence...

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OCTOBRE 2022

❝ souvenez-vous, la prochaine fois que vient la neige et le fracas. On ne va pas tous mourir. Entre les braises on marchera et la nuit noire nous embrassera. On pourra tous partir — retrouver le soleil.

Elle s'emmêlent dans ses explications [ [ bancales ] ] hésite, f l a n c h e sur quelques intonations inquiètes lorsqu'il semble la dévisager avec sollicitude — une sollicitude tournée vers lui-même, elle n'est pas folle (semble seulement l'être) et dans le reflet de son regard si familier et pourtant si lointain, elle voit bien de quoi elle a l'air. La déception marque ses lèvres pincées d'une frustration légère, elle n'a jamais si a r d e m m e n t désirée être comprise sans qu'aucune formulation ne franchisse ses lèvres. Elle voudrait tant qu'il lise en elle et y découvre tous leurs secrets cachés, leur lien révélé, elle voudrait qu'il trouve en son visage l'ombre de leur complicité d'antan, elle voudrait qu'il se souvienne, du moins qu'il le feinte.



quelle surprise!
elle s'étonne de lui en vouloir
[ [ t r o u noir ] ]
qu'elle lui reproche muette



Elle ne veut pas, elle pense pouvoir faire abstraction de ses doigts saisissant ses épaules pour l'emmener loin de lui, hors de cette proximité à peine effleurée. Elle se persuade que ce n'est pas sa faute à lui, c'est la sienne, de l'avoir retrouvé si tard, de ne pas savoir trouver les mots justes pour le mettre en confiance sans avoir: ni à se révéler ni à le brusquer. Faut-il qu'elle précipite ses vérités pour forcer le passage jusqu'à son myocarde? Le sien tambourine si fort qu'elle le sent remonter jusque dans sa gorge — elle risque tantôt de le v o m i r à ses pieds, tantôt de le laisser s'écouler au coin de ses yeux, des larmes de sang amères palpitant depuis ses coronaires. La cage thoracique se gonfle d'une respiration tremblante lorsqu'ils traversent le couloir, protestations silencieuses à chaque pas qu'elle tente de retarder.

Soleil de sa force douce ne la laisse pas s'échapper, bien décidé à la mettre dehors malgré son faciès f a u s s e m e n t compréhensif. — C'est pas du tout ce que tu crois! cherche-t-elle à justifier entre deux marches: — Je ne te veux aucun mal je veux seulement qu'on discute je- Non, attends! Tu ne comprends pas- on est lié toi et moi! La panique enraille sa voix, un hoquet d'effroi s'échappe des lèvres quand la porte d'entrée s'ouvre grand et qu'il dépose entre ses mains un manteau d'un gris sinistre appartenant à elle ne sait qui, se dégageant enfin de son emprise elle fait volte-face — ses mèches roses fouettent l'air avec vigueur, elle le jauge agitée, presque furieuse lorsqu'il lui prête des intentions douteuses avec tant de désinvolture.


du pourquoi il se fiche
du comment il se moque

❝ je t'ai tant regretté
[ [ é l e c t r o c h o c ] ]
de l'absence de réciprocité


— Alors... tu ne te rappelles pas du tout de moi? Les sanglots obstruant soudainement son œsophage donnent à son timbre des accents b r i s é s — N'as-tu rien ressenti lorsque tu m'as touché? Elle ne veut pas croire que si sa mémoire lui fait défaut sa Lune le pousse à lui mentir, pas lorsque la sienne à demi-endormie, à demi-éveillée depuis près de dix-huit ans, a vibré d'une intensité nouvelle [ [ éternelle ] ] reconnaissant sa j u m e l l e. — Tu ne comprends pas? C'était le dernier exemplaire en rayon! J'aurais pu ne pas rentrer dans cette boutique ce jour-là, j'aurais pu feuilleter un autre magazine ou bien quelqu'un aurait pu l'acheter avant moi! C'était écrit, ça devait se passer comme ça. Mais toi... toi... D'un mouvement d'humeur elle jette le manteau à ses pieds, elle se fiche de renvoyer une image encore plus déséquilibrée que celle qu'il a déjà d'elle, elle entend les pas d'Aibi se rapprocher, sa voix résonne de la cuisine demandant si le jeune maître s'apprête à sortir, elle sait qu'elle ne dispose plus d'assez de temps. — Toi tu ne te rappelles même pas de moi! la peine éraille sa voix, ça hurle au fond de ses prunelles comme une rancœur sans pardon, comme une supplication au v i d e - - les reproches se veulent rage mais s'é p u i s e n t aussitôt à ses pieds où elle ne fait que cracher des lamentations, celles de le voir emporter toutes leurs étoiles avec lui.

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OCTOBRE 2022

❝ souvenez-vous, la prochaine fois que vient la neige et le fracas. On ne va pas tous mourir. Entre les braises on marchera et la nuit noire nous embrassera. On pourra tous partir — retrouver le soleil.

C'est douloureux, de se l'entendre dire, même si elle le savait, même si tout au fond c'était déjà une é v i d e n c e, avant même de sonner à sa porte, grimper à son balcon, pleurer sur son perron - - am i supposed to know you? i don't. Il ne la connait pas. Ça fait mal de connaître encore tout de lui, d'entendre toujours son rire derrière elle quand il se passe quelque chose de vraiment drôle, de se retourner parfois en espérant le trouver à rire lui aussi, de le chercher toutes ces années dans tous les regards croisés. Ça fait mal de vouloir lui hurler la vérité, de ne pas savoir la formuler parce qu'elle veut plus que tout au monde qu'il le sente ((LUI)) que son coeur le lui dise si sa tête refuse de se souvenir. C'est affreux ce sentiment d'être si démunie, de le voir face à elle comme une étrangère, de même à ses côtés passer pour la w e i r d o, celle qui ne fit jamais nulle part, qui parle de choses que les autres ne comprennent pas, qu'on pousse gentiment vers la sortie tant elle nous met mal à l'aise.




là voilà s u p e r n o v a
sur le point d'exploser
étincelles galactiques
résidus d'un lien fantomatique



Mais Esfir n'y croit pas, elle ne veut pas y croire, comme c'est étrange, elle qui hurle que tout est toujours écrit, qu'il ne sert à rien de se battre contre la f a t a l i t é, que la rivière de la vie suit son court sans jamais être interrompue. Aujourd'hui elle nage à contre-courant, elle s'efforce de se raccrocher aux signes qu'elle pense avoir perçu. A-t-elle tout inventé? Soleil semble le croire, confus il la dévisage, tente maladroitement de calmer le ras-de-marrée au bord de ses cils par quelques mots sensés, rien de ce qu'il dit n'apaise les merveilles d'angoisse et de peine qu'il a su nicher au cœur de sa poitrine, [ [ p i r e encore ] ] il dérive sur une route qui lui arrache une exclamation d'horreur! — Je ne suis pas là pour t'extorquer un rendez-vous galant! Elle ne peut plus se méprendre désormais, parler du magazine était une terrible erreur, s'il ignore tout de sa véritable identité il la prend assurément pour une détraquée sexuelle venue le harceler chez lui. Elle ne le blâme pas pour l'ignoble malentendu, elle sait bien que c'est sa faute, elle voulait tant le voir, les pensées se sont emmêlées à la peur viscérale de le perdre à nouveau. Elle maudit son impatience, elle condamne son inconséquence, elle se consterne de ne pas avoir évité ce désastre, elle s'était jurée que ce serait différent.  

— Si je suis en colère c'est de ta faute! Ça ne devait pas du tout se passer comme ça... J'aurais pleuré de joie, je-je pensais qu'en me voyant tu saurais, que peut-être, tu m'attendais toi aussi? Je suis vraiment trop bête. Si elle peste, c'est contre elle-même, le nez rougi par le froid elle enfonce son visage plein de larmes dans le haut de son écharpe et lorsqu'il lui demande son nom elle retient un unième sanglot. Son regard n'ose se défaire du sien, elle s'y accroche comme à une dernière bouée, elle sent pourtant les yeux de faucon de la gouvernante les épier par la fenêtre du vestibule, prête à appeler les autorités au moindre geste suspect.

Alors elle respire, l'air glacial lui fait du bien, il gèle rien qu'un instant son chagrin, lui rappelle que ce n'est as la fin - - elle ne veut pas s'effondrer maintenant, transformer cette rencontre en une mission catastrophe, nourrir une sombre rancune qui ne lui ressemble pas. Ce n'est pas grave si Romance en aime une autre, ce n'est pas grave si Soleil a tout oublié d'elle. Un jour, il saura. Un jour elle n'aura plus à vivre sans eux. Aujourd'hui, ils s'endorment sous les mêmes étoiles, hier encore un océan les séparait. Elle a attendu si longtemps, elle peut bien attendre encore, y croire juste un peu plus fort.

Ses phalanges cherchent ses doigts dans le froid, elle referme ses paumes sur les siennes, formant un minuscule espace de chaleur avant de glisser son auriculaire contre le sien, l'accrochant comme autrefois. Pinky promise qu'elle se fait à elle-même: celle que tout ira pour le mieux. Elle le libère aussitôt de ce contact, elle ne tient pas à l'effrayer d'avantage, recule même d'un pas pour prouver sa bonne foi.  — Je suis désolée d'être venue comme ça, je n'aurais pas dû, c'est ma faute pardon... Mais je ne peux pas te dire qui je suis, tu dois t'en souvenir d'accord? Au fond de toi, tu as déjà les réponses. Moi j'ai confiance en toi! Lui assure-t-elle en secouant la tête, descendant les marches en pierre elle se retourne sur la dernière, s'efforce de lui sourire, imprime son image pour le garder un peu avec elle jusqu'à ce qu'il se rappelle. — Quand tu sauras, viens me trouver. Ta magie t'aidera, il faut juste que tu l'écoutes, comme quand je t'ai guidé hors de la prison. Elle choisit de croire en leur connexion magique, de croire que sa lune le mettra sur son chemin, comme la sienne l'a poussé vers lui, les feux-follets se ravivent dans sa cage thoracique, des éclats d'espoir sautillant dans ses veines, parce qu'elle sait que ce n'est pas un véritable au revoir, que bientôt, ils seront réunis pour de bon. — Passe une joyeuse nuit des morts! s'écrie-t-elle en s'éloignant vers le portail.