4 ans.
"malicia, we're broke."
le ciel lui tombe sur la tête.
la voix de sa mère est plus dure qu'elle ne le voulait et, dans un geste protecteur plein de culpabilité, elle attire son unique fille contre elle. l'intervention de la gamine met fin à la dispute qui faisait rage entre les parents — et qui, cette fois-ci, n'était que verbale. en haut des escaliers, cachés par la rambarde, les deux ainés sont à moitié assis et à moitié debout, prêts à courir dans leur chambre si le patriarche entre dans l'une de ses légendaires colères noires.
"what do you mean, we're broke?" c'est elle qui a causé la dispute, indirectement. en demandant cette jolie robe à fleurs si belle, dans une vitrine si belle (elle gardera, dans le futur, un attrait particulier pour les vêtements fleuris — en l'honneur de cette robe perdue que jamais elle n'aura pu porter). "we're broke, broke" répond kandra, "it's worse than ever." et par réflexe, elle serre sa fille plus fort contre elle.
oh, bien sur, malicia sait déjà, à quatre ans, que la famille ne roule pas sur l'or. elle a remarqué les privations. elle n'a pas vraiment de cadeaux aux fêtes. elle sait aussi qu'ils étaient à zaun, il y a quelques générations de ça — que ce soit le côté maternel, les minthe, ou le côté paternel, les westenra. elle sait qu'elle doit sa situation améliorée à des grands-parents qui ont travaillé d'arrache-pied, et qu'elle n'a pas droit à l'erreur.
qu'elle n'a pas droit non plus aux robes à fleurs.

aux quinze ans de malicia, kandra et caesar se sont séparés. les enfants ont légalement troqué le nom westenra pour celui de minthe. seule leur mère a obtenu la garde. six ans plus tard, kandra est tombée amoureuse d'une femme, qui est ensuite venue vivre à la maison avec ses deux enfants (kane & sarkan).

8 ans.
"you hungry?" qu'il demande, pointant négligemment les baies violines. ils sont partis, tous les trois, se balader à zaun. une idée du plus grand, draken, et du haut de ses treize ans draken n'a que de mauvaises idées. voir là où papi et mamie vivaient ! avant qu'ils n'arrivent à monter à ketterdam et que papa et maman y naissent. ils n'ont bien sur rien emporté à manger, et ils crèvent de faim, surtout la petite (ils n'ont pas tous les jours de quoi manger à la maison non plus. enfin, pas à tous les repas).
autour des fruits une petite fumée, qui sent si bon. et la pulpe à l'air si bonne. et la couleur est si vive. mange-moi, mange-moi, mange-moi ! semblent hurler les petites baies, malicia peut les entendre. "come on, relance draken, i'm sure it tastes real good. — it doesn't sound like a good idea" intervient kheir, dix ans, plus petit mais plus intelligent. "oh, you got a better one?" draken est rapidement agressif. draken se grandit, emplit le ciel de ses immenses épaules, draken sent la menace à plein nez. il tient ça de leur père. kheir se tait. "come on, mal. try it. — why me?" sa voix est effacée, son petit nez retroussé. "cause you're the youngest? cause you're the only girl?" draken tâtonne. la vérité, c'est qu'il n'y a pas vraiment réfléchi. la vérité, c'est qu'il n'y voit qu'une énième blague, et qu'il adore les blagues, il en fait à longueur de journée. la vérité, c'est qu'il n'a que treize ans, aussi mal influencé soit-il, et que peut-être n'avait-il pas pris la peine mesure de sa demande.
mais elle en a envie. elle en a terriblement envie. c'est elle la plus proche du buisson. elle n'a qu'à tendre la main. que peuvent bien faire quelques baies, si ce n'est—
elle les cueille, les avale, et à jamais les traces rosées resteront sur son cou.

15 ans.
"how you like that?" qu'elle demande, ouvrant les bras sur son oeuvre. son oeuvre, c'est sa chambre, sa toute petite chambre ; lorsqu'elle va mal, elle la transforme. avec le fardeau des baies empoisonnées vient la bénédiction des illusions.
elle se souvient de l'enfant qu'elle était, l'enfant de huit ans ayant mangé le fruit défendu, l'enfant de huit ans qui, pour survivre, devait se persuader d'être une plante. je suis une plante. si je n'en avais pas été une, si j'avais été humaine, je n'aurai pas survécu. le poison m'aurait tuée. c'est son conte personnel, sa croyance idiote mais tenace. maintenant qu'elle est adolescente, elle sait ne pas être un végétal ; mais quand même. quand-même, une part d'elle est devenue une baie. une part d'elle a le cou et les clavicules parées de drôles de lignes. une part d'elle est insatiable, mange et mange et mange jusqu'à vouloir en vomir sans jamais ne se sentir rassasiée. une part d'elle vit dans une illusion géante, sa chambre transformée en univers autre, où la nature reprend ses droits.
dans cette illusion-là elle a les pieds dans l'eau, et d'immenses arbres colorés l'entourent. leurs troncs sont nus sont deux bons mètres, avant de s'épanouir en feuilles irréelles. ils semblent monter à l'infini, même si l'on devine la voute et le ciel.
elle ne cherche pas à faire des illusions auxquelles on croirait. quel intérêt ? elle veut de l'irréel, du faux, de la safe place. des couleurs qui n'existent pas, des plantes qui n'existent pas. un ailleurs. elle est reine des arbres parmi les arbres, elle contrôle avec sourire jusqu'à se rappeler qu'ils n'existent pas.

9 ans.
c'est un.e énième défi/blague/mauvaise idée de draken qui la pousse à monter sur un hoverboard pour la première fois. l'engin est abimé, mal assorti, mille fois retapé, un déchet digne d'une partie de ketterdam qui, constamment, est à deux doigts de glisser vers zaun. "it won't work" qu'elle objecte à son frère, qui n'écoute jamais rien, "it won't. look. it seems broken and… — no, it's not." draken heurte la planche du bout du pied, la faisant tressauter et s'élever de quelques centimètres au dessus du sol, après avoir difficilement convulsé. autour de mal et de son cou rose, quatre amis de draken, immenses et moqueurs. "told you not to expect too much from my little sis. she a coward. — i'm not ! — you are ! — aren't you the one who was brave enough to eat poisonous berries? — it wasn't brave ! and he made me do it ! — i didn't ! — you did ! — enough ! ten crescents if you get up on that thing." dix crescents, c'est énorme pour eux. dix crescents pourront aider maman (qui, plus tard, se séparera de papa. quand malicia aura quinze ans. se séparera de papa qui, tout le quartier le sait, a les poings trop durs pour être un père et un mari).
elle monte sur la planche qui s'emballe, crachote, monte à quelques mètres du sol et sur laquelle elle glisse, se rattrape avec les mains, hurle, avant de tomber sur le bitume craquelé de ketterdam. la bande rigole de ses genoux et de ses mains écorchés. draken lui tend une main pour l'aider à se redresser, tout en étant hilare.
"i'm the only one who got up on that thing" qu'elle fait remarquer. "y'all were too scared to try it." sa remarque impose une vague de silence dans le groupe de gamins. elle redresse son petit menton, lui aussi égratigné. "i'm the only one who took the risk. the only one who got up on that crazy hoverboard. the only one who ate those fucking berries. the only one who yelled and got down the stairs when dad was mad as hell at mom."
draken est soudainement livide, il fixe ses pieds.
"you owe me twenty crescents. — it was ten." mais dix n'est pas assez pour la daemonis, car rien n'est assez pour la daemonis. "i fell. i'm bleeding." on lui donne vingt crescents, qu'elle serre contre elle en prenant le chemin de la maison, tenant encore dans sa main gauche le hoverboard détraqué. elle garde la tête très très haute mais, quelque part en chemin, elle se met à pleurer.

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— c'est la génération des grands-parents qui est parvenue à monter de zaun à ketterdam, dans le cas des deux familles (minthe et westenra). les parents, kandra et caesar, sont la première génération née à ketterdam. malicia et ses frères sont la deuxième. vit en eux la peur palpitante et ancestrale d'être rétrogradés à zaun.

— très régulièrement suivie par un yellow windfoot sauvé d'une poêlée. elle tient l'amour de la faune et de la flore de sa mère qui, bien que fauchée depuis toujours, tient un refuge pour bêtes et plantes abandonnées, dans une serre en mauvais état attenante à la maison (en mauvais état également). chacun.e peut venir y adopter gratuitement (bien que les dons soient toujours acceptés, permettant souvent que la famille puisse manger).

tw/cw. addiction, drugs. — c'est sa condition de daemonis qui le veut : malicia est prône aux addictions. la plus violente contractée à ce jour est celle aux anti-douleurs. les nombreuses chutes au hoverball lui ont appris les bleus, le sang et la sueur. son corps marque facilement et avec les déconvenues des matchs sont venues les ordonnances de médecins, lui donnant accès à potions, cachets et poudres aux effets morphinesques. bientôt ce n'était plus assez, il lui a fallu s'en procurer des quantités astronomiques par tous les moyens, y compris en passant par son frère adoptif (kane).

— les privations l'ont rendue sensible à l'argent. bien qu'elle marche au coup de coeur dans ses relations, qu'elles soient amicales ou amoureuses, elle ne peut pas nier qu'elle remarque presque malgré elle les statuts sociaux de ceux qui l'entourent et qu'ils pèsent parfois dans la balance. pour une gamine de ketterdam terrifiée d'être rétrogradée à zaun, à la carrière qui décolle à peine, s'entourer de midriais ou de célestiens rencontrés grâce au hoverball s'apparente presque à une technique de survie.

Spoiler: