Quinn a soif ce soir. Pas d’eau, pas de sang non plus, plutôt d’un peu d’alcool qui lui fera juste assez tourné la tête pour oublier les pensées qui se fracassent dans son crâne. Mavis n’est pas à l’Underground, et Vander n’as pas su lui dire où elle est partie - sans doute en train de recouvrir d’écarlate les murs de Zaun ou le sol du Lunar Eclipse, avec de la peinture ou bien de la sueur mêlée de sang.

La vie nocturne de Ketterdam semble l’appeler, alors elle se maquille, se prépare comme si elle y partait en mission. Parce que quoi de mieux que les bars pour recueillir des informations ? Et si elle arrive à en chercher pour quelqu’un d’autre qu’elle-même, ça lui fera au moins quelque chose sur quoi se concentrer, plutôt que de laisser dévier son imagination et d’essayer de la retrouver, elle.

Le quartier près des murs n’est pas que le territoire de Lazarée après tout. Quinn y a vécu tellement d’années, mais pourtant, rien dans les rues qu’elle arpente d’un pas assuré ne lui donne l’impression d’être à la maison ; parce qu’elle n’y a jamais été elle-même, et même aujourd’hui elle se cache encore derrière une frange de fausses tresses. Les souvenirs tournoient autour d’elle, prêts à lui fondre dessus comme des vautours.

Cache-toi, Quinn.
Fais attention !
Ne les laisse surtout pas voir ta m a r q u e

Mais elle n’a pas l’habitude de baisser les bras, celle qui se revendique fièrement Zaunarde maintenant, et elle se bat contre les frissons que ça lui donne et les voix du passé qui la tourmentent. Elle est plus forte que ça, elle le sait, et elle balaye tout en rentrant dans un bars, un nouveau qu’elle ne connaît pas - là où les souvenirs la laisseront tranquille. Enfin, c’est ce qu’elle croit.

Elle est en train de faire la conversation à une barmaid quand un fantôme apparait, qu'elle se glace en voyant quelqu’un s’appuyer sur le comptoir pour commander ; il a grandi mais ses traits sont ceux d’un fantôme tout droit venu d’une ancienne vie, celle qu’elle essayait tant bien que mal de vivre sans jamais pouvoir le faire à fond. Mais Ash, même si elle avait dû garder son secret pendant si longtemps, même si c’était pas à 100%, c’est quand même avec lui qu’elle avait le plus touché du doigt la liberté, à l’époque. Avec lui qu’elle avait pu faire le genre de connerie qu’on fait d’habitude quand on est adolescents et qu’elle aurait jamais cru pouvoir faire, avec lui qu’elle avait trouvé une bulle d’air quand le reste de la réalité l’oppressait. Elle lui avait pas dit, avant ce soir-là. Ce soir où ils se sont vu pour la dernière fois.

Si elle n’était pas derrière les barreaux d’une prison dorée c’est qu’il n’avait pas cafté, alors. Pourtant elle peut pas s’empêcher de sentir la colère montée quand même, mêlée à toute la nostalgie, parce qu’elle aurait aimé lâché personne Quinn mais là c’est lui qui l’avait laissé partir toute seule. Elle aurait aimé partir avec lui, et après qu’il ait finalement refusé, elle s’est jamais senti aussi seule qu’à ce moment. Parce qu’en même temps que ses parents, elle venait aussi de perdre celui qui avait été son meilleur ami.

Et ça lui avait fait mal. Assez pour qu’elle serre les dents aujourd’hui plutôt que d’être contente des retrouvailles. Alors tant pis s’il l’a pas encore vu, tant pis si elle aurait pu partir avant que ce soit trop tard, avant que les blessures pas si bien cicatrisées se rouvrent et qu’elle verse l’acide de son amertume sur les plaies. Elle l’appelle, siffle son prénom entre ses lèvres ; juste pour attirer son attention, planter son regard noir et un peu triste toujours blessé dans le sien.

-Ash.

Elle aimerait bien être contente de le revoir - mais elle va pas sauter de joie, ni se jeter dans ses bras. Ils ont perdus ça y a bien longtemps.

Elle aurait dû le voir venir.

Elle aurait dû savoir qu’il serait là, ce soir, elle aurait dû savoir quand elle est partie y a des années qu’il partirait pas avec elle. C’est peut-être les seules fois où elle a pas écouté son instinct surnaturel, les seules fois où elle a pas voulu y croire, parce que ça faisait un peu trop mal pour qu’elle le veuille bien. Peut-être que ce qui l’a poussé à venir à Ketterdam c’était ça, la certitude qu’elle allait le retrouver, faisant fi de sa colère et de ses autres sentiments ; parce qu’elle avait pas envie de le retrouver Quinn, tant pis si son inconscient crie qu’elle a toujours pas tourner la page.

C’était bien, quand il n’était plus qu’un souvenir qui s’estompait avec le reste,  c’était bien tant qu’il y avait rien pour remuer le couteau dans la plaie que sa trahison avait laissé, c’était bien quand la cicatrice qu’elle s’était faite avec lui avait été enterrée sous les autres gagnées lors des combats et des matchs d’Hoverboard trop brutaux. Elle le voit porter la main à la sienne et ça lui rappelle des souvenirs qu’elle pensait voulait ? avoir oublié, bien enfoui dans sa mémoire, les seuls qu’elle peut qualifier d’heureux qui datent de cette époque. Mais ils ont plus le même goût, maintenant qu’il a tout gâché.

Il la regarde en jurant comme si elle était un fantôme, et sans doute qu’elle en est un à ses yeux, tout droit sorti d’un passé résolu. Est-ce qu’il avait fait un trait sur elle, lui ? Est-ce qu’il était passé à autre chose à l’instant même où elle est partie seule, sans se retourner ? Mais si elle s’était pas retournée c’était pour pas qu’il voit ses larmes.

Quinn lui avait dit pourtant qu’elle avait pas le choix, mais elle l’avait quand même attendu, avait espéré jusqu’à ce qu’il lui dise vraiment non alors qu’au fond de ses entrailles elle l’avait su bien avant. Elle s’était accrochée, et appris à ses dépends que s’accrocher ça suffit pas toujours.

Il lui dit qu’elle l'a effrayé, que ça fait longtemps qu’il se sont pas vu, et elle ne réagit d’abord que par un ricanement. Puis il lui demande comment ça va, il veut lui payer un verre et pendant un instant elle est scotchée par son culot.

-Yeah, long time no see. Whose fault is that ?

Les mots sont sortis vite, mais elle a rien fait pour se retenir de les prononcer. Ils sortent directement de la douleur sourde que provoque la vision de son ancien ami. Il a l’air de s’en vouloir, au moins, mais pas sûr que ça suffise surtout si c’est pour sortir des trucs comme ça après.

-I’ll take the drink tho. Really need one right now, and you owe me after all.

Il lui doit quelque chose oui, pas de l’argent mais au moins des excuses, une explication, au moins la culpabilité qu’elle voit peinte sur ses traits. Sur son visage qu’elle a reconnu tout de suite, mais c’est celui d’un adulte maintenant, celui qu’elle aurait aimé le voir devenir à ses côtés. Celui qu’il lui avait promis de devenir à ses côtés.

-But don’t act like we’re such good friends, 'cause I didn’t forget what you did.

Elle oublie pas, et elle sait pas si elle pourra jamais vraiment pardonner.

Elle ne prend pas la peine de répondre, parce que la réponse est évidente, et ce n’est pas parce qu’elle ne le dit pas avec des mots que ça ne se voit pas. Bien sûr, qu’elle est encore en colère contre lui, même si c’était y a des années. Qui ne le serait pas encore ? Parce que c’était aussi des années qu’elle a passé à s’échapper de chez elle pour aller le retrouver, à se perdre dans les rues labyrinthiques du quartier alors qu’elle s’éloignait de plus en plus à force de déménagement. C’est des années qu’elle a l’impression qu’il a piétiné, en lui donnant un espoir juste pour lui retirer. L’espoir qu’il y aurait quelqu’un de là pour elle jusqu’au bout. Est-ce que lui aussi, il ne serait pas encore énervé, à sa place ?

Peut-être que non, parce qu’il est une meilleure personne qu’elle. Mais la solitude qui a suivi l’a rendu amère, endurcie. L’angoisse aussi, de se dire qu’elle avait dévoiler un secret si important à quelqu’un pour rien, qu’il allait peut-être la vendre par rancœur, dépit ou bien faire une gaffe et la trahir sans même le faire exprès. Oui, si elle a autant la rage c’est bien à cause de tous les scénarios qu’elle a fait dans sa tête après, qu’elle arrivait pas à arrêter malgré la fuite, malgré ses sens aux aguets, la faim au ventre et les nuits sans sommeil. Les scénarios qu’il serait plus jamais là pour effacer ou lui prouver qu’ils existeront jamais autrement que dans sa tête. Les scénarios, qui ont été sa seule compagnie après ça pendant des années. C’est sans aucun doute eux qui ont alimenté sa peur, son chagrin, sa colère.

Il a l’air déçu, mais elle aussi elle est déçue Quinn. C’est pas qu’elle veut pas redevenir son amie, c’est que les plaies que sa trahison à laissé sont encore à vif et qu’il peut avoir toute la magie qu’il veut entre ses mains, ça changera rien. Si le temps les a pas refermé, y a que les mots qui ont une chance de le faire, et encore il faut trouver les bons.

-Beer is cool.

Puis la colère c’est une carapace un peu, un moyen de se protéger. Parce qu’il l’a laissé une fois, et si elle le laisse revenir, qu’est-ce qui lui dit que cette fois là encore il va pas repartir ? Le laisser lui payer un verre, c’est déjà un peu trop. Ça sera qu’un seul, en souvenir de leur ancienne amitié, Quinn essaye de s’en persuader. Mais y a trop peu de personnes qui ont pu compter pour elle pour que quelque part elle essaye pas encore de s’y accrocher.

Après tout, Lamia, elle la pardonne bien à chaque fois.

C’est juste que ça ne s’est pas terminé pareil, quand Quinn était gamine, elle a juste vu celle qui s’est sacrifié pour la sauver, et celui qui a failli la sacrifier alors qu’elle voulait se sauver.

-Fleeing, mostly. Fighting, also. But you should know, right ? (Sa voix est toujours piquante, mais se fait un peu plus vulnérable.) I told you how important it was for me. I told you why I had to leave.

I thought it’d be enough, I thought you’d have understood.



-Did the Orders get you ?

Il veut pas la regarder, Quinn le voit bien. Son regard à elle est planté sur lui mais le sien l’esquive, se perd dans l'arrière-plan, admire le décor, glisse sur des gens qui ne comptent pas. Elle a envie de le forcer à la dévisager, qu’il puisse lire dans ses yeux tout le mal qu’il lui a fait, qu’elle puisse lire dans les siens à quel point il est désolé. Ça brûle, dans ses veines, à Quinn. Ça brûle dans sa cage thoracique, dans sa gorge, et ça brûle peut-être un peu au coin des yeux aussi, mais ça elle est pas prête à l’admettre. De toute façon elle se contient, parce qu’elle sent déjà les ténèbres picoter sa peau, larmes d’ombres dangereuses qu’elle ne peut pas laisser couler non plus.

Ash dit qu’il sait, qu’elle devrait le croire. Mais est-ce qu’il sait vraiment ? Injustement, elle se dit que c’est bien plus facile à cacher, des marques sur les mains plutôt qu’en plein milieu du front. Elle serre les dents, se retient de lui jeter à la figure ; il a pas fini, et plutôt que de lui répondre tout de suite, elle attend qu’il continue. Parce qu’il en a, des explications à lui donner, alors elle se défoule sur la pinte de bière à la place, buvant de grosse gorgée plutôt que de cracher des paroles qu’elle risque de regretter.

Quand il secoue la tête, y a ses belles mèches blondes qui s’agitent, lui rappellent le temps où chaque fois elle avait envie de tendre le bras pour les remettre derrière son oreille. Au moins il s’est pas fait prendre, et si elle semble pas se détendre pour autant, la vampire est un peu rassurée. De quoi apaiser temporairement l’obscurité qui menace de sortir d’elle par tous ses pores. Elle a changé, depuis, sans doute plus qu’il ne s’en rends compte. Elle a pas envie de lui montrer, sa noirceur, pas tout de suite en tout cas - sauf qu’elle a pas non plus envie de lui garder des secrets, comme elle l’a fait auparavant.

Parce qu’il y a toujours ce si, au fond. Si je te l’avais dit avant, Ash, qu’est-ce que t’aurais fait ? Si tu m’avais connue entière, est-ce que tu m’aurais préférée ? Si je t’avais pas menti, est-ce que tu m’aurais choisi ?

Au fond, elle se doute bien que non, que ça veut pas dire qu’elle aurait plus peser dans la balance que la famille qu’il avait encore, lui. Quelque part c’est qu’elle avait pas été assez - c’était ce que la souffrance lui criait, alors que sa raison lui rappelait la douleur dans sa poitrine quand elle avait appris que ses parents allaient la vendre. Est-ce qu’elle serait vraiment partie, s’ils avaient pas voulu le faire ? Elle savait que c’était pas pareil, chez Ash, qu’ils avaient toujours été bien plus soudés là-bas. Pas étonnant qu’il ait pas réussi à s’en détacher, alors que Quinn elle, n’y avait jamais été aussi attachée.

Sauf que ça fait pas moins mal pour autant ; au contraire, c’est peut-être pour ça qu’elle aurait autant aimé qu’il vienne avec elle, parce que c’était le seul qu’elle avait vraiment.

Alors quand il dit qu’elle avait pas besoin qu’il vienne avec elle, ça pique. Ça empourpre ses joues, d’émotions trop mélangées qu’encore une fois elle a pas envie de décrypter. Elle finit sa bière, la pose un peu trop fort sur le comptoir d’une violence contenue.

-My parents, they were the ones who wanted to leave me behind. I thought you were the one who wouldn’t. So yeah, right, I don’t need anyone.

C’est vrai, Quinn, elle sait qu’elle peut survivre toute seule. Pourtant sa voix tremble un peu. Toute seule c’est juste assez pour survivre, toute seule c’est toujours pire qu’à plusieurs, toute seule on peut pas changer le monde.

Finalement, c’est ses yeux à elle qui finissent par se baisser, par plus arriver à soutenir le regard dans lequel ils sont plongés depuis le début.

-But… I still wanted you to go with me.

En le disant elle se rends bien compte que c’était stupide et égoïste, un rêve d’adolescente bien vite évaporée. Mais c’est la vérité, et elle lui doit bien ça au moins une dernière fois.

Ça fout un coup à Ash quand elle dit ça, elle a détourné les yeux mais elle le voit bien quand même. Si elle était une meilleure personne peut-être qu’elle regretterait d’avoir asséné la vérité comme ça, qu’elle aurait essayé de faire un effort pour pas avoir un ton trop accusateur.

Mais pour Ash elle est elle-même, enfin presque - si en apparence elle ne se ressemble pas tellement, son ancien meilleur ami connait déjà celle qui se cache sous les couches de tissus et de maquillage. Alors c’est celle qu’elle sera face à lui, sans prendre de détours.

Elle se pose la question pourtant. Est-ce qu’il la connaît encore vraiment ? Elle a changé depuis, et sans doute que lui aussi. Il sait pour la marque sur son front mais pas pour ses autres cicatrices, il sait son refus de se plier mais pas sa rage au ventre de vouloir changer les choses. Y a trop de trucs qu’il sait pas sur elle maintenant, de son crâne rasé à son gang jusqu’à… sa nouvelle nature.

Et elle a envie de partager tout ça avec lui Quinn au fond, de rattraper le temps perdu, de se dire que malgré la colère c’est pas encore trop tard. Elle a été blessée c’est vrai mais elle a l’habitude d’encaisser les coups maintenant, non ? Et puis tout ce qu’ils ont vécu, ça s’efface pas comme ça, toute la rage du monde pourra rien y changer. Surtout sa rage à elle, parce qu’à force la Gifted sait bien que celle-ci sera toujours moins forte que son affection ; elle s’accroche toujours un peu trop, même quand c’est instable, même quand c’est explosif, même quand y a toutes les chances que ça finisse mal. Elle sait pas faire autrement, Quinn. Alors c’est un peu trop précipitamment qu’elle répond dans un souffle, sans réfléchir.

-I don’t want you to leave.

Elle comprend, oui ; il a eu plus de chance qu’elle, lui. Et puis elle aussi elle a bien fini par apprendre ce que c’était une famille depuis, là où elle pouvait pas savoir ce que c’était à l’époque, le choix auquel il avait dû faire face.

Oui, elle lui donnera sa seconde chance - elle lui en donnerait même plus, sans doute, s’il recommençait. Elle en a donné à trop de monde pour pas lui en donner une à lui aussi. C’est comme ça qu’elle fonctionne, même quand c'est pas très bon pour elle, même si ça lui enlève un petit bout à chaque fois ; elle se dit que quand ils reviendront ils pourront les recoller d’eux-mêmes.

Mais lui, est-ce qu’il va lui en donner une ?

-You can’t promise that like this. I have even more secrets now, you know…

… And I’m not sure you will like them.

Quinn reprend un air décidé, le regarde de nouveau comme il lui a demandé de son ton implorant. Il est toujours aussi beau, il l’est même encore plus qu’avant maintenant que la puberté a fini de creuser son visage et qu’une maturité nouvelle s’est emparé de ses traits ; et soudainement elle a la folle envie de remettre la mèche blonde derrière son oreille, en glissant ses doigts sur cette cicatrice à la pommette qu’ils s’étaient fait ensemble. Ce genre de gestes qui voulaient tout dire pour eux avant, qui suffisaient pour se montrer leur affection. Pas sûr que ça suffise encore, ce soir.

Ça serait tellement de tout pouvoir lui dire maintenant, tout lui balancer. Sauf qu’elle a aussi peur que les cendres qui sont restées entre eux soient soufflées au loin comme si rien n’avait jamais compté, sans même avoir eu la chance de s’embraser encore une fois.

Mais la peur, ça l’a jamais arrêté. Et elle préfère être claire tout de suite, qu’il l’accepte toute entière ou qu’il préfère laisser cette page tournée, plutôt que se débattre avec le destin et devoir plus tard la déchirer.

-Let’s get out of there. I need to tell you something, before we can catch up for good.

Will you follow me, this time ?