L'entendre chuchoter à l'arrière de ses pensées toutes ces années est une chose. un petit malheur auquel s'est accoutumée nebula, voix enfantine l'accompagnant dans le moindre de ses mouvements : l'ombre de shade qui toujours la suit, toujours s'oppose à ses décisions, toujours se targue d'avoir raison. l'entendre a toujours été aussi déstabilisant que rassurant, secret bien gardé entre elle et elle-même, piège d'une conscience refusant qu'elle n'oublie.

croire le voir est une tout autre histoire.
ce n'est pas une silhouette d'enfant qu'elle a perçue dans la foule, nebula, à la fixer d'un œil coupable et lui souffler :

((étais-tu satisfaite

c'était une carrure d'homme qui fuyait, celle d'un adulte aux yeux vairons, l'un clair et l'autre sombre, comme cet enfant perdu trop tôt.

elle en est blême aujourd'hui encore, rêve aujourd'hui encore ce visage indéfini, moitié perdu dans la pénombre. ses pensées s'efforcent d'y donner forme, de compléter le puzzle, de résoudre le mystère. il la suit dans les couloirs, hante ses réflexions et la pénombre de sa chambre, la laisse ailleurs et lui ôte le sommeil. elle repousse les draps de satin, glisse dans des chaussons doux et s'éclipse de sa chambre en silence, en direction de celle de misty. une part d'elle pense l'idée diablement mauvaise, mais l'autre sait que la plus jeune de ses sœurs serait la seule à accepter de l'entendre évoquer shade ; ce frère qu'elle refuse ouvertement de laisser partir.

mais peut-être est-ce l'exacte raison pour laquelle l'idée est mauvaise.

les deux opinions se disputent en elle, bataille intérieure dont elle se laisse le temps de choisir l'issue — plus tard. peut-être s'allongera-t-elle seulement à ses côtés, peut-être se contentera-t-elle de se laisser apaiser par sa présence. mais lorsqu'elle toque à la porte, aucune réponse. nebula l'entrouvre pour découvrir la chambre vide, entre, refusant d'y croire, et l'inquiétude s'invite aussitôt au creux de son ventre,,

où peut-elle bien être ?

l'idée que sa sœur ait des secrets pour elle la bouleverse, elle est toutefois consciente de ne pas être la plus ouverte des confidentes. un coup d'œil dans la chambre de light lui apprend que misty ne s'y trouve pas non plus et c'est d'un pas pressé qu'elle se rend dans les quartiers des domestiques, allumant la lumière sans ambages. où est ma sœur ? misty. où est-elle ? ils savent tout ; présence permanente et discrète, ils voient tout. la première chambrée ne lui apprend rien pourtant, alors elle poursuit sa quête dans une seconde, puis une troisième, pour finalement y apprendre que miss misty se trouve peut-être au sous-sol de la chapelle familiale, car miss misty a peut-être été surprise plus d'une fois à s'y rendre au cœur de la nuit. pour y faire quoi ? on ne saurait le dire, mais elle est souvent accompagnée et chargée de tout un attirail, et nebula ne sait quoi en penser, troublée. elle se précipite hors de la maison sans prendre la peine de se couvrir, sous ses pas craquelle l'herbe gelée.

à l'intérieur pas un bruit ; mais lorsqu'elle ouvre la porte menant en bas, une lumière dorée baigne les escaliers en colimaçon. elle descend silencieusement, pas muets sur la pierre, glacée de l'intérieur par les sons inhumains qui lui parviennent. mais le sang ne fait qu'un tour lorsqu'elle foule les dalles et voit se jeter en avant un monstre tout droit sorti des pires des cauchemars. misty ! par réflexe elle se précipite vers la forme de sa sœur, par réflexe elle la tire derrière elle, mais l'avancée de la créature est stoppée net par des chaînes. quelle est cette monstruosité ? et d'un ton que déserte l'horreur, et qui se comble d'impatience : qu'est-ce qui se passe ici ?

Cette fois c'est la bonne, elle le sent ((LE SAIT)) au fond d'elle-même, il y a quelque chose de différent, c'est certain, ou plutôt, la seule certitude est celle de plus pouvoir supporter un autre échec. Misty ne rate pas. Ce n'est pas dans ses gênes, ce n'est pas dans son héritage, encore moins dans sa mentalité. Elle est née pour gagner, ((POUR RÉGNER)), pour dominer.

Pourtant, depuis de longues années désormais la plus cruelle de ses erreurs la hante, tapis dans sa mémoire en un brouhaha incessant, rappel du désespoir - - elle n'a pas été là ce jour-là, elle lui a fait défaut, a manqué au rôle d'aînée qui lui incombait alors même qu'il était la seule chose précieuse sous sa responsabilité, à elle. Cadette de ses sœurs mais fervente protectrice de ce frère, son frère, seul homme de sa fratrie, petit prince ardemment désiré, trop tôt arraché. Ce sont des mages, ce n'est pas censé arriver, Celestia les a trahi, elle qui des horreurs au delà des murs a toujours su les préserver, la douceur de sa magie en divine gardienne de leurs vies. Misty ne comprend toujours pas, comment et pourquoi. Sans réponse, elle exige des solutions et puisque personne n'a su lui en fournir elle s'est auto-désignée dignitaire de cette quête au secours de son frère.

Les premiers temps, tout n'était qu'espoir et optimisme face à l'ignorance de tout ce qu'est le Fold pour elle, étrangère dans sa propre ville - - elle n'y côtoie que la lumière, au sommet des cieux il est si aisé d'oublier que tout en bas règne l'horreur et l' a b a n d o n. C'est ce qu'on lui a conseillé, des portes claquées au nez, on a ri à sa requête jugée folle, impossible, trop risquée. On l'a cru frivole, à la recherche de frissons passagers, comme bon nombre de ses paires lasses de tout mais surtout d'eux-mêmes. Misty ne se reconnait pas en cette jeunesse dorée perdue, elle adore sa vie, chérit son quotidien fait de facilités et de privilèges, son attrait pour l'inconnu s'arrête aux étés passés avec ses sœurs sur la péninsule de La Libellule. Ainsi, qu'importe que son projet soit jugé délirant, elle s'est jurée de trouver des hommes assez déments pour le réaliser pour elle, rien est impossible quand on sait y mettre le juste prix et la jeune Wicke ne manque ni de moyens, ni d'entêtement.


cette nuit, le sort sera levé
elle va le sauver du n o i r
le délivrer du purgatoire
cette nuit, il sera libéré


— Le deal c'tait que j'vous ramène la créature, je veux mon fric. Intervient le witcher tandis qu'elle s'affère à tracer des barrières de sel devant les issues, à peine un regard dans sa direction, trop préoccupée à compter les minutes qui les séparent encore des premiers rayons du jour. Il s'impatiente, jette des regards frénétiques vers l'escalier de pierre, son désir de quitter les lieux est évident. Elle le comprend, les premières fois, elle était terrifiée, elle n'avait qu'une envie, courir se réfugier dans sa grande demeure, loin des réalités sinistres de la basse-ville. Loin de ce monstre : créature décharnée aux lames de rasoir à la place des griffes, des épées comme canines prêtes à déchiqueter la chaire, réduire les os en cendres. Misty n'a jamais vu pareil créature, de ce côté du mur tout est beau, lisse, propre. Derrière cette hideuse apparence se cache peut-être son frère, c'est ce qu'elle se dit, pour trouver la force de la regarder se mouvoir dans un coin de sa cellule, en chacune d'elle se trouve quelqu'un qui a été aimé, quelqu'un qu'on attend sûrement quelque part, comme elle.

— Voici vos gages, partez maintenant. Elle ne le sommera pas de rester pour protéger la pauvre femme qu'elle est, elle ne juge pas avoir besoin de sa protection, l'orgueil celestien la préserve des inquiétudes qui pourraient saisir son cœur si elle se laissait aller à imaginer t o u t ce qui pourrait mal se dérouler cette nuit. Elle le juge nocif à sa magie, ressent ses énergies négatives malgré ses paupières closes - - assise en tailleur elle tente de faire abstraction des bruits de pas qui s'éloignent, des hurlements glauques résonnant sur les parois glacées, des effluves putrides suivant la Stryge à la trace chaque fois qu'elle se déplace.

— Il ne devrait plus y'en avoir pour très longtemps désormais. Elle ne sait pas si elle tente de se rassurer elle-même ou la pauvre créature la fixant de ses pupilles sans iris, elle frissonne, resserre son châle sur ses épaules, vacille d'un pas en arrière lorsqu'elle se sent brusquement agrippée. C'est à retardement qu'elle entend la voix apeurée de sa soeur l'interpeller, à l'instant même où le monstre du Fold s'élance d'un bond vers elles, prêt à les engloutir, mué par une rage inédite il se débat avec ses chaînes, elles le ramènent au sol violemment, faisant voler un nuage de poussière vers leurs chemises de nuit en flanelle. — N-Nell?! s'écrie-t-elle prise soudain d'une quinte de toux, h o r r i f i é e de la découvrir en ces lieux, — Qu-que fais-tu ici? Tu m'as suivi? La voix s'incurve sur une intonation outrée, suivi d'un regard a c c u s a t e u r pour camoufler sa propre honte, elle a l'impression d'être dix ans en arrière, prise sur le fait d'une bêtise tout juste commise et pour laquelle on ne t'ardera pas à la réprimander.

On lui a appris que la meilleure défense était l'attaque, c'est ainsi qu'elle se dégage vivement de l'emprise de Nebula, tirant sur son bras, le menton levé, le maintien droit, après tout, elle n'a rien à se reprocher, elle ne fait rien de mal, pourquoi diable devrait-elle se justifier d'une action totalement légitime? — Regarde ce que tu as fait! Le reproche fuse aussitôt entre ses lippes pincées, contrariée de voir ses plans perturbés, elle connait trop bien sa sœur pour s'imaginer avoir son approbation. — Elle était très calme et commençait à s'acclimater et toi tu lui as fait peur! déplore-t-elle face à la Stryge qui s'agite, griffe les dalles, hurle à la mort. — Cette « monstruosité » comme tu dis, commence-t-elle en forçant les guillemets, incriminant le manque d'ouverture d'esprit de sa sœur, — C'est une personne d'accord, comme toi et moi... elle pose elle-même des yeux dubitatifs sur l'être maudit chargeant de nouveau dans leur direction, elle tente de camoufler sa peur, tout est sous contrôle, c'est évident. — ... Ou en tout cas, ça le sera bientôt, aux premières lueurs du jour, tu verras. Croisant les bras sous sa poitrine en une posture défensive, elle ne veut pas que Nell la contredise, elle n'a pas besoin d'entendre ça, elle s'y refuse.

«STRYGE.
esprit nocturne, monstre vouant une haine sans limites à tous les êtres vivant, qu’elle dévore avec délectation,,

n'est-ce pas ce dont il s'agit ?

nebula n'en a jamais vu, mais elle connait ses leçons. sait que la chose terrée sous la chapelle, massive comme un barrique de bière, au dos hérissé d'épines et à la gueule criblée de poignards aiguisés balafrant l'odieux faciès d'une oreille à l'autre, aux yeux rouges et aux bras trop longs, ne rêve que de les réduire en un tas d'ossements épars, en un amas de charognes nauséabondes. elle sait que la chose vit pour tuer, poussée par la faim et l'irrépressible plaisir de verser le sang. elle le sait, pour avoir avidement dévoré les ouvrages en quête d'informations sur cet être à l'instinct meurtrier.

le nom n'est pas énoncé à haute voix et sans doute n'aurait-elle pas reconnu la silhouette difforme dans des circonstances différentes ; sans doute aurait-elle simplement cédé à la terreur, le menton haut face à ce suppôt de la faucheuse mais les jambes flageolant d'effroi. ce soir, cependant, les faits s'amoncellent en réponse aux questions soulevées : quoi d'autre pour pousser misty à se retrancher en ces lieux, à l'abris de l'attention du reste de la famille ? quoi d'autre pour la convaincre de se confronter au pire, quitte à braver tous les dangers ? la seule explication est celle qui hante nebula depuis des jours, celle-là même qui se décline en syllabes chagrines, cinq lettres lourdes de regrets et de doutes : SHADE.

shade qui les hante chacune, chaque jour, à leur façon.
shade, plaie à vif dans l'esprit de ses sœurs, douleur fantôme aux abords putrides que le temps ne parvient à soigner.

et nebula se sent aveugle, stupide de n'avoir anticipé l'acte aussi fou que désespéré de sa petite sœur. elle aurait dû s'y attendre, à ce que misty refuse de demeurer les bras croisés, obstinément braquée aux premiers stades du deuil — entre choc, déni et marchandage, incapable de confronter la sordide réalité qu'on les a sommées d'encaisser.

depuis combien de temps ? demande nebula d'une voix blanche, blême elle-même, depuis combien de temps mènes-tu ces expériences en secret ?. il y a dans sa voix le désarroi de celle qui découvre l'horreur à retardement, la frustration de n'avoir pu mettre un terme à la déraison. misty, enfin ! sa voix s'élève par-dessus les bruits terribles émis par la créature, par-dessus sa fureur vengeresse, ses hurlements enragés. tu te rends compte des risques auxquels tu t'exposes ? c'est de la folie ! elle secoue la tête en signe de négation, exprimant un refus péremptoire. et si ça tourne mal ? je ne peux pas imaginer te perdre. pas après… les mots meurent dans sa gorge. sous le coup de la frustration, elle torture sa lippe de ses incisives nerveuses, tentant de raisonner une sœur dont rien ne sait réellement entraver les résolutions. ce trait de caractère dont nebula est habituellement fière se mue en terrible fardeau, à l'heure actuelle.

cette… chose n'a plus rien d'humain, assure-t-elle lentement, dévisageant sa petite sœur comme si elle ne la reconnaissait pas. rien ne peut suffire à qualifier l'esprit délabré par le poids de malédictions qui émet face à elles des hurlements aigus, condamnée à errer sous des traits informes et à semer désespoir et chaos. les sons s'amplifient et nebula presse ses paumes contre ses oreilles pour se protéger de leur insoutenable échos. elle l'a peut-être été par le passé, mais elle n'a plus une once de conscience ! regarde-la. sens-la. un moue écœurée s'installe sur les lèvres serrées, les prunelles demeurent désemparées — un fait rare, chez elle qui habituellement se contient si bien. c'est que rien ne la déstabilise plus que de voir ses sœurs en danger. ses poings se serrent, d'impuissance et de résolution mêlées. même si tu parviens à procéder à un désenvoûtement, qu'est-ce qui te fait croire qu'il s'agit bien de… ((hésitation)) ; elle déglutit difficilement, lâche péniblement : lui ? le regard, qui demeure rivé sur le monstre, chancelle tandis que celui-ci se précipite à nouveau vers elles, griffes aiguisées désespérément tendues en avant. que resterait-il encore de lui, après toutes ces années ? nebula serre le bras de sa sœur, prête à l'entrainer dans une course inutile au moindre mouvement de trop, l'attention anxieusement rivée là où frémit la pierre à laquelle est soudée l'une des chaines ; support vacillant sous les chocs répétés initiés par la bête.

D'abord elle se braque, nez retroussé, cherchant à fuir les odeurs nauséabondes que dégagent la bête dés qu'elle ouvre sa gueule béante, à croire que la Mort elle-même s'y cache. — Un certain temps. lui répond-t-elle plus par défis que par réel désir de mentir, elle sait pertinemment qu'apprendre la vérité à sa sœur ne la fera que d'avantage dénigrer son projet. Ce pourquoi elle n'a jamais osé lui en parler auparavant, mainte fois elle est restée devant de sa porte, prête à toquer, à lui confier ses doutes, réclamer son assistance. Quand elle doit recueillir quelconque conseil Misty ne se tourne jamais vers sa mère, c'est toujours auprès de ses sœurs qu'elle se réfugie, vers ses sœurs qu'elle trouve du réconfort, à ses sœurs qu'elle confie ses secrets.

Pas cette fois. Elle sent bien que Nell n'y comprend rien et quand elle la sermonne, son visage se ferme plus encore, sa voix s'élève plus fort : — Tu crois être la première à me le dire? Je sais ce que je fais. du moins tente-t-elle d'en donner l'illusion, poings serrés, mâchoire crispée, chaque syllabe se détache lentement. — Je n'ai pas besoin que tu me fasses la leçon. Si tu ne comptes pas m'aider va-t-en.

Obstinée à ne rien céder elle s'éloigne de son aînée, rallumant les bougies éteintes par la créature dans ses mouvements effrénés, elle n'a pas besoin de se tourner vers elle pour la deviner dans son dos, fermement résolue à la convaincre de ce qu'elle se refuse à voir. La voix soucieuse avec laquelle elle s'adresse à elle l'horripile, elle lui donne l'impression d'être une petite fille qui n'a aucune idée de ce qu'elle fait. Ce ton là, Nell l'emploie souvent pour la raisonner lorsque de ses drames elle s'empare, quand ils explosent et que ses émotions débordent tant que le manoir tremble sous son tempérament-tempête - - elle crache feu et éclairs, il n'y a que sa sœur pour s'aventurer en plein œil du cyclone sans une once de peur.

— Ça tu n'en sais rien! objecte-t-elle en faisant volte-face, des larmes de colère inondant ses paupières ((TAIS-TOI)) son pouls s'emballe tant qu'elle n'entend plus que lui battre à ses tempes, couvrant les bruits abjects de la Stryge ((NE ME DIS QUE CA NE MARCHERA PAS)) Misty a besoin d'y croire, d'être persuadée que ça va marcher, qu'elle n'a pas fait tout cela pour rien, que ces années n'ont pas été perdues, qu'il est proche, si proche de rentrer à la maison.



je vais le sauver
je vais le sauver
il sera s a u f



— Ça va marcher, tu vas voir! elle s'entête n'arrivant même plus à regarder Nebula dans les yeux de peur de se confronter à sa propre folie — Ce sera lui, ça doit être lui tu comprends? que fera-t-elle dans le cas contraire? Elle n'arrive même pas à l'imaginer — Que voudrais-tu que je fasse? Que j'accepte sa mort, comme papa et maman, comme toi! Il n'est pas m-o-r-t! Je ne vais pas rester les bras croisés alors qu'il est tout seul, coincé dans cette immondice! Tu n'as pas le droit de me demander ça! Son cœur se serre quand le prénom de son frère bien-aimé ne parvient même pas à franchir les lèvres de Nell. Misty déteste vivre dans ce monde où parler de lui est presque devenu interdit, où ses parents ont commencé à retirer certains tableaux, où une fausse date de mort a été inscrite sur une VRAIE urne mortuaire où elle doit faire semblant d'aller se recueillir. Les mots de sa sœur sont plein de bon sens, ils sonnent si justes qu'ils heurtent ses tympans d'une violence inouïe, parce qu'elle sait que c'est e l l e qui a raison.



[ [ T A I S  -   T O I  ! ] ]



Secouant la tête en signe de négation elle pourrait presque se boucher les oreilles pour ne plus souffrir des inductions qu'elle lui oppose, elle ne veut plus l'entendre. — Je m'en fiche! Je me fiche de comment il revient du moment qu'il revient! lui hurle-t-elle en essayant de se dégager, elle n'a pas même remarqué qu'en face d'elles, la bête a rongé si bien ses chaînes qu'elles commencent à céder, elle ne voit pas les dalles du mur prêtes à s’effondrer sur leurs attaches. D'une seconde à l'autre tout son plan « parfaitement orchestré » volera en éclats, le monstre donnera raison à sa sœur, mais cela sera alors le cadet de leurs soucis.

À peine le temps d'un souffle coupé, une mèche de ses cheveux a r r a c h é e par les griffes massives de la Stryge se jetant sur elles, sa tête entière y serait sans doute passée si Nell n'avait pas eu le réflexe de la tirer vers elle à l'instant précis où les boulons ont sauté. Elle n'a pas le temps de crier, pas le temps de suffoquer, pas le temps d'avoir peur, tout va trop vite - - la panique de sa sœur, ses doigts crispés sur les siens qui la traînent vers les escaliers, la créature, dont le flanc s'est brisé contre les parois, qui doucement se relève. Ses paupières s'élargissent d'effroi lorsqu'elle l'aperçoit se redresser, entend ses os craquer, des gémissements de rage quand elle les voit s'éloigner ❝ elle vient pour nous! se dit-elle, l'adrénaline seule aidant ses jambes à gravir les marches.

— La porte, la porte! d'un mouvement synchronisé elles rabattent la lourde porte de bois conduisant au souterrain, la barricadent in extremis, déjà tremble-t-elle sur ses fondations lorsque la masse de l'autre côté s'y jette à corps perdu. — Je ne comprends pas, le sel n'est pas censé les arrêter?! Elle réalise que ses livres ne pourront pas les aider, que du Fold et des créatures qu'il abrite on ne leur a jamais appris à se prévenir, que leur savoir académique a ses limites. Comme elle souhaiterait que le wticher soit encore là!

les lèvres se pincent à la réponse qui se dessine, un certain temps ça veut tout et rien dire, un certain temps c'est déjà trop. sois plus précise. vient l'exigence que misty se garde bien de satisfaire, drapée dans ses mystères et son entêtement. et derrière elle la bête qui se déchaîne ôte tout poids aux mots qu'elle exhale, les affuble de bêtise aux yeux d'une nell trop atterrée par la dangerosité de l'entreprise pour y voir l'once d'une bonne idée, trop blessée aussi par le secret pour le considérer avec bienveillance. si tu ne comptes pas m'aider va-t-en, assène misty, et le coup frappe en plein cœur, nebula se hérisse ; depuis combien de temps me mens-tu ? elle réitère, d'une voix qui s'élève plus que pour se faire entendre à travers le vacarme du monstre ; d'une voix qui s'élève pour faire entendre une blessure et une féroce indignation. elle s'exhorte pourtant au calme pour tenter de raisonner sa sœur, car la laisser ici lui serait impensable, le meilleur scénario envisageable à cette folie demeure encore qu'elles quittent ensemble ce lieu maudit — le plus tôt possible. mais misty s'enhardit, assure : ça va marcher, tu vas voir! face à sa soeur qui secoue la tête d'un air incrédule, les yeux encore grand ouverts d'effroi.

Il n'est pas m-o-r-t! Je ne vais pas rester les bras croisés alors qu'il est tout seul, coincé dans cette immondice! Tu n'as pas le droit de me demander ça! c'est pourtant ainsi que tu risques toi-même de finir, à prendre des risques inconsidérés ! et c'est cette perspective qui tue nebula, qui lui ronge douloureusement les entrailles depuis sa macabre découverte : la peur. la peur pour sa précieuse petite sœur et pour sa famille tout entière, la peur que tout bascule à nouveau et que le malheur les frappe — qu'il les détruise bel et bien, cette fois, car elle ne peut imaginer un monde où ils se remettraient de la perte de misty.

((tout comme elle ne pouvait s'imaginer, enfant, un monde où ils se remettraient de la perte de shade — et pourtant ; pourtant l'indignation de misty face à sa passivité est une flèche savamment décochée, justifiée.))

Je m'en fiche! Je me fiche de comment il revient du moment qu'il revient! elle est si douloureusement poignante que l'espace d'un terrible instant nebula se décompose, ses traits se peignent d'un désespoir jumeau à celui de sa sœur, celui-là même qu'elle ne s'autorise jamais à laisser transparaître ; son regard va de sa belle à la bête, et à nouveau de l'un à l'autre, ses doigts se torturent et elle se demande : et si c'était lui ? c'est insensé, mais s'il s'avérait qu'elle ait raison, alors nebula serait celle qui tournerait à nouveau le dos au frère qu'elle a déjà une fois consenti à enterrer, à nouveau celle à l'abandonner. terrible instant qui semble éternel, mais qui ne dure pourtant qu'une seconde : dans un cri elle précipite sa sœur vers elle alors que le monstre libéré se jette sur elles. il n'y a ni hésitation ni doute, pas alors que son être se dévoue tout entier à une seule cause : protéger misty. leurs pieds dévorent les marches en sens inverse tandis que la créature dérape sur la pierre lisse, encombrée par ses griffes acérées. le choc du corps massif contre le mur fait trembler jusqu'aux os de nebula, claquer ses dents, et l'adrénaline que pompe son cœur lui donne des ailes. la porte, la porte! elles n'ont que le temps de la barricader, échevelées, que déjà leur assaillant s'y précipite, faisant trembler les bois épais. Je ne comprends pas, le sel n'est pas censé les arrêter?! je ne sais pas, claque nebula en s'empressant de rejoindre l'une des immenses vitres de la chapelle. un gémissement tracassé lui échappe — elle qui déteste les imprévus, qui tient tant à ce que tout soit rangé, organisé, prémédité, déteste cet instant de totale perte de contrôle. elle inspire profondément, s'exhortant au calme pour faire le point, refus catégorique de perdre le nord. les gonds ne tiendront pas. le soleil ne devrait pas tarder, mais si cette chose s'échappe trop tôt c'est toute notre famille qu'elle décimera avant le lever du jour. il est trop tard pour tenter de les prévenir. le bilan est fatidique et inclut une conclusion qu'elle exècre. il nous faut rester ici et veiller à ce qu'elle ne sorte pas avant l'aube. en dépit de tout ce qui, en nebula, lui hurle de simplement fuir. arrache tout ce que tu peux sans fragiliser la porte, demande-t-elle finalement à celle qui crée des tempêtes. car tout ici est trop lourd pour elles— mais si misty dépèce les bancs massifs et brise les statues des dragons de pierre, alors nebula pourra-t-elle, dans le meilleur des cas, les déplacer pour barricader le panneau de bois et dans le pire, en faire des projectiles pour freiner l'avancée de la stryge.

Il est trop tard... Les mots se déforment et s’amplifient dans l'esprit de Misty, trop tard pour abdiquer, trop tard pour regretter, trop tard pour s'excuser. Trop tard — pour Shade ? (( NON )) de cette conclusion elle refuse toute réalité, si son plan subit des imprévus ils ne remettent en rien en cause sa finalité. Il n'y aura pas de nouvel échec post-tumulte, qu'importe si la bête s'acharne à leur prouver sa perte d'humanité.

La mine déformée par l'effroi, mais résolue à ne pas abandonner sa f o l l e entreprise. En les recommandations de son aînée elle a foi et méfiance tout à la fois, elle s'en remet à son calme à toute épreuve, sa sagesse fortuite, sa maîtrise d'elle-même sans commune mesure. Nell est au cœur même du cyclone l'as de pique qui jamais ne flanche, à situation désespérée elle est la seule sur qui se reposer, Misty se repaît de cette évidence. Elle sait. Quand elle ignore. Elle voit. Lorsque la colère l'aveugle. Elle sent. Ce qu'elle s'obstine à nier.

Ainsi c'est la peur aux tripes et l'estomac retourné qu'elle se détourne des barricades, docile aux directives, mais craignant un faux-pas de sa sœur bien aimée. Il ne faut pas blesser la créature puisqu'elle est dans son imaginaire vicié tout ce qu'elle tente de protéger (( RÉCUPÉRER )) ❝ j'ai peur pour nous et d'avantage pour lui L U I l'être les délivrant de la culpabilité, porteur de leur amour sans failles, de leur dévotion brisée. L U I et non cette chose. Cette sauvagerie de sang et de cris.

Les hurlements résonnent dans la triste chapelle, déconcentrent Misty de son objectif, un éclair zèbre le plafond se plantant bien loin de sa cible. Elle doit s'y reprendre à trois fois. Enfin l'atmosphère se charge des fines gouttelettes tempête, un vent glacial s'engouffre sous les bancs de bois qui se soulèvent violemment et s'explosent contre les parois, manquent de peu d'aplatir Nebula dans leur course. — Désolée ! sa voix étouffée par les bourrasques déchirant le silence de la nuit, elle n'a jamais su créer dans le chaos et la panique, Celestia les couvant de ses remparts rassurantes. Il n'est pas de leur devoir de se défendre, d'attaquer, elle prend soudain conscience de son impuissance volontaire, là où on leur a appris à être des figures fortes mais bridées. Un pouvoir d'apparat. Elle se fustige pour son manque de discernement, à l'instant même où elle évite de peu l'éboulement d'un dragon de granit qu'elle vient tout juste de démolir. Dans sa fuite la cheville se tord, elle s'écroule de douleurs soulevant un nuage de poussière derrière l'amoncellement de pierre et de bois, une grimace de soulagement trace la courbure de ses lèvres, par la gratitude des dragons elle n'est pas cassée !

Dans son dos, Nell se détourne de sa tâche trop inquiète de son état, une imprudence œuvrant contre elles, les précieuses secondes volées donnant à la Stryge assez de temps pour rejeter l'amas de débris, la porte tressaute avant de s'effondrer sur elle-même. — Nell va-t-en ! Le visage livide de peur, l'échine se couvre de frissons lorsque la créature s'élève face à sa sœur, sa silhouette gigantesque semble l'engloutir de son ombre voûtée, une odeur rance repeint l'atmosphère. Difficilement elle se hisse sur ses jambes, tente de rejoindre Nell bien que ralentit par sa blessure, mais vacille si proche du but, la foudre en un geste de désespoir traverse les vitraux d'émeraudes, une pluie de verre s'abat sur sa sœur et la Stryge, elle ne sait si elle a blessé l'une sans atteindre l'autre. Elle ne parvient plus à distinguer Nebula derrière la fumée toxique, — Nell ? La voilà qui tâtonne à l'aveugle lorsque le menton se redresse vers l'horizon, derrière la rosace brisée le ciel se teinte enfin des premiers rayons de l'aurore. C'est l'aube ! Le jour se lève, le jour s'avance pour les délivrer du cauchemar des ombres coupantes. — NELL ! s'époumone-t-elle d'avantage, pourquoi ne lui répond-t-elle pas ? L'horreur fige ses intonations et sa voix se brise sur un sanglot, l'attente du soleil n'a jamais été aussi intolérable. ❝ où es-tu... où es-tu... tu ne peux pas disparaître à ton tour.

le carnage se dessine, prend ses aises au sein de l'immaculé et du sacré, désacralise l'intouchable et décime l'immuable. que les dragons nous pardonnent, murmure nebula en sentant rouler sur sa joue l'une de ses rares larmes sincères, celle de la honte et de la brûlure des trésors d'architecture et de croyances. mais il est trop tard pour les larmes, trop tard pour hésiter, trop tard pour reculer, car la mort est sur elles. ses crocs sont d'acier, son échine hérissée de pieux, ses poignets laminés par les chaînes et ses cris baignés d'une inextinguible haine : la bête crie vengeance et dans son regard inhumain nebula ne sait si elle doit tenter de distinguer le frère perdu. les bancs lourds quittent le sol dans un tourbillon chaotique pour exploser contre le mur de pierre où nebula a trouvé refuge pour n'être soufflée par la tempête. désolée ! fais ce que tu as à faire ! rassure-t-elle l'air de dire ne t'inquiète pas pour moi, ne songe pas à moi. face au péril elles sont deux mais ne sont aussi qu'une, à chacune revient d'assurer sa propre survie car aucune d'elle n'est assez forte pour à la fois se protéger et protéger l'autre. seulement aptes à gagner du temps et ralentir la course d'une fin presque certaine.

les bras alourdis par la peur et la stupeur se délient avec une maladresse inédite que la féroce envie de vivre finit heureusement par tempérer. ils s'animent, traçant dans l'air des cercles directionnels sur lesquels se calquent les débris de bois et de pierre qui s'élèvent au gré de sa volonté. elle tremble sous leur poids comme s'il s'affaissait à même ses épaules frêles, ses pas vacillent comme elle lutte pour maintenir le contrôle des mouvements de l'inanimé pour poser ses fardeaux contre la porte sans l'abimer. BOUM, la créature heurte l'autre face de leur dernier rempart de toutes ses forces, de toute sa rage. BOUM, nebula l'imagine plonger tête la première tel un boutoir de guerre. BOUM, ivre d'une colère aveugle et de la soif de sang.

mais les ne t'en fais pas pour moi s'érodent sous l'assaut des bourrasques d'inquiétude qui laminent le cœur de nell lorsque la silhouette de sa sœur s'efface de son champ de vision. CRAC! la porte qui chancelle et les carreaux qui éclatent sous la chute d'une représentation de dragon de pierre ; guère le temps de frémir du mauvais présage lorsque l'aînée distingue à peine sa cadette à travers le nuage de poussière qui s'est formé. misty !

et la stryge est là. tangue une seconde, mais demeure meurtrière, plus arme qu'être ; l'instant d'après la voilà qui charge. elle est minuscule face au squelette informe qui se délie, se déplie, et dans un cri le monstre l'asphyxie de sa respiration fétide. peut-être suffirait-il d'un dernier coup asséné là, juste là où le sang coule le long de la tempe. peut-être suffirait-il d'un rien, mais le temps lui est compté et la paralysie a pris ses jambes en otage, court le long de sa colonne, annihile ses bras et ses sens ; elle est figée par l'effroi, par la terreur, contemple sa fin le souffle court lorsque s'effondre le plafond de verre.

elle n'a aucune pensée pour l'œuvre immense qui faisait la fierté de la chapelle et des wicke, aucune pensée à l'idée des bris colorés et tranchants qui fendent l'air dans sa direction ; seulement une peur étrange et odieuse insufflée par la persévérance de sa sœur lorsque, dans un énième cri perçant, mais de douleur cette fois, la stryge s'effondre, blessée. dans cet instant où le temps se suspend, nebula perçoit la peur et la douleur qui se noient dans l'encre de ses globes injectés de sang, mais dans ces secondes d'éternité l'instinct l'emporte sur les plaies et la bête se jette sur elle—

Nell ?

il n'y a plus d'échos dans la chapelle en ruines, les voix y meurent comme elles s'élèvent.  NELL ! celle de misty lui parvient de très loin, un mur d'eau les sépare, assourdissant. les lettres se répètent et dansent autour d'elle jusqu'à trouver sa conscience, la caresser de leur insistance, l'appeler à renaître. ···, tente-elle sans parvenir à émettre un son, un simple souffle qui se perd, corps entravé par un poids inerte. respirer lui est pénible, elle s'efforce de bouger sans y parvenir. quelque chose lui a laminé le flanc, trois stries béantes gorgées de son sang bleu qui à la lueur du jour se pare d'une teinte sombrement humaine, nullement royale. elle s'abime la main contre des débris en s'efforçant à nouveau de bouger et c'est son faible cri qui permet à sa sœur de la distinguer et de se précipiter à ses côtés. à moitié sur elle la stryge convulse — la masquait jusque-là de ses contours massifs et disgracieux —, prise dans l'étau des rayons du soleil naissant. sors-m- moi, commence nell avant qu'une toux ne lui écorche la gorge, sors-moi de là, s'il te plait… s'il te plait, prise de l'horrible, effroyable impression que le poids sur sa colonne ne disparaîtra jamais, qu'elle ne parviendra pas à échapper au corps sonné qui l'a à la fois terrassée, piégée et involontairement protégée. corps qui fume et qui à présent se cambre violemment, se tord, se distend. au travers d'un mouvement erratique misty se jette sur sa sœur pour l'attirer contre elle, l'ôtant de la trajectoire directe de la dérive gauche d'une créature à l'agonie.

le son de souffrance qui déchire les lèvres de nebula se perd dans celui, cent fois plus bruyant, qu'émet la stryge attaquée par sa pure nemesis : l'astre diurne. s'entame une douloureuse transformation, la première depuis des années sûrement au vu de sa bestialité, les membres longs se disloquent, la colonne craque sur toute sa longueur, les épines s'écartent comme sujettes à la torture. c'est si insoutenable que nebula ferme les yeux, bouleversée par sa propre douleur et chamboulée par celle que suinte le monstre méphitique. la tête lui tourne et dans ses divagations elle perçoit les grandes portes de l'entrée s'ouvrir avec fracas, des formes indistinctes se jeter dans leur direction ; elle perd connaissance.