ø1 Tendres années.
Si vilain petit canard il est, il demeure néanmoins un môme attendrissant et obéissant, soucieux de bien faire et de se rendre utile comme il le peut. Ses yeux pétillaient toujours d'une curiosité à peine voilée et, lorsqu'il en eut l'occasion, il prodigua tous les efforts du monde pour apprendre à lire le plus rapidement possible, et reprendre le flambeau : dès lors, ce fut lui qui s'occupa de la lecture auprès des plus jeunes ; ces petites têtes blondes - ou brunes, ou rousses, ... - qui ne craignaient pas encore son apparence des plus singulières. Ceux-là même qui, parfois, venaient se blottir tout contre lui pour chercher un peu de réconfort - assuré sans délais par l'étreinte duveteuse de ses ailes, déjà bien trop grandes pour lui -, et qui l'appelaient grand frère d'une voix chargée de sommeil. Ces moments doux comme le miel, qu'il n'échangerait pour rien au monde.

ø2 Talents cachés. CW / TW : Fracture
Peut-être prenait-il son rôle un peu trop à cœur, toujours est-il qu'il avait grand soin à surveiller les plus jeunes. Parfois de loin, lorsqu'il commençait à comprendre que celui qu'ils qualifiaient parfois d'ange n'en était pas tellement un - qu'il tenait davantage de la chimère, d'un être qui n'aurait jamais dû fouler ses terres. Certains d'entre eux s'éloignaient de l'orphelinat, partaient plus loin pour se défouler et explorer. Empruntant de-ci, de-là quelques denrées, chapardant des biens qui ne manqueraient pas à grand monde - des légumes abîmés, des fruits moins jolis, ce genre de choses, en somme. Certains même avaient réussi à mettre la main sur des hoverboards aux teintes passées, délaissés, et s'organisaient des courses improvisées entre les étals de marchandises, éclats de rire en récompense, doublés de cette sensation de puissance. Ils poursuivaient, plus loin, jusqu'à gagner les terrains vagues, plus propices à leurs bravades. C'est au cours d'une de ces compétitions que Noodle découvrit une nouvelle facette de son existence : pendant qu'il les observait se chamailler et s'affronter à coups de figures de plus en plus compliquées - parfois, il se demandait si les ailes dont il était doté pourraient lui permettre de les rejoindre, mais il n'avait jamais essayé de gagner les cieux -, l'un d'entre eux perdit le contrôle et fit une mauvaise chute. Très vite, les autres gamins regagnèrent la terre ferme pour se réunir autour de lui et mesurer l'ampleur des dégâts. Noodle se releva d'un bond, délaissant le coin d'ombre prodigué par le mur qu'il l'abritait pour se frayer un chemin et s'approcher du blessé : le masque qu'il portait dissimula sa grimace ; au vu de l'angle curieux que prenait le poignet, il était sans aucun doute cassé... Il s'agenouilla auprès de l'enfant sonné, les yeux écarquillés et la bouche bée, saisissant délicatement sa main en lui murmurant des paroles d'apaisement, tandis qu'il l'auscultait précautionneusement. Si seulement... Ses sourcils légèrement froncés trahissaient sa concentration et son appréhension, tandis qu'il réfléchissait à qui il pourrait demander conseil pour traiter ce genre de blessure... Soudainement, ses mains prirent une douce teinte orangée, tandis que quelque chose se produisait. Il ne savait pas réellement ce qu'il se passait, mais ses mains chauffaient, réchauffaient, et sous sa peau il sentait que cela bougeait. Il s'efforça de garder son calme, respirant doucement comme s'il craignait que cela n'altère l'évènement. Mais, au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient, le poignet désenfla, et reprit une posture bien plus commune. Le petit observait tout cela avec de grands yeux ébahis, tandis que le groupe tout autour murmuraient frénétiquement, avec une ardeur toute retrouvée. Une fois la guérison accomplie, Noodle se recula un peu... Il se sentait étrange, grisé... Mais surtout, déboussolé : sa tête bourdonnait, les sons lui parvenaient étouffés, comme si du coton l'entourait... Et, soudain, il sentit un liquide s'écouler de sa narine droite. Avec un temps de latence, il leva sa main pour s'essuyer rapidement, tâchant de cacher un mal-être qu'il espérait passager des autres enfants, et lorsqu'il jeta un coup d'œil à ses doigts, le liquide foncé qui les maculait ne pouvait être que du sang... Un détail superflu, qu'il relégua bien vite au second plan : son cœur s'était apaisé lorsqu'il voyait que l'enfant s'était relevé et remuait lentement son poignet, avant de refaire des gestes qui, quelques minutes plus tôt seulement, lui auraient été impossibles. Un grand sourire étirait ses lèvres quand il se jeta sur Noodle pour le prendre dans ses bras, le remerciant encore et encore. Lui, ne comprenait pas réellement tout ce qui venait de se passer, mais une chose était sûre : il l'avait soigné.

ø3 Insouciance brisée.  CW / TW : Séquestration , violence , dissociation , pensées suicidaires , self-harm / automutilation
Il connaissait Zaun - comment pouvait-il en être autrement, lorsque les quartiers bardés de néons comme les recoins les plus sombres avaient servi de toile de fond à l'entièreté de son existence ? Il connaissait coins et recoins, les lieux à éviter - surtout à la nuit tombée -, il savait vivre et se démener en ces lieux, il savait y faire. Du moins... C'est ce qu'il croyait. Sa vie changea du tout au tout après une journée qui, en tout point, ne détonnait pas de la normale. Il avait prêté main forte à l'orphelinat en s'occupant des tous jeunes - ignorant les remarques indélicates et moqueuses des plus vieux, cela semblait être devenu leur passe temps favori, de l'insulter de tous les noms et de chercher à l'intimider ou à le faire trébucher. Mais, comme tout ici bas, il s'y faisait et courbait l'échine - si tel était le prix à payer pour conserver un abri, ainsi soit-il. Puis, dans le courant de l'après-midi, il avait suivi les adolescents lors de leurs jeux de courses, s'émerveillant devant leur agilité croissante de jour en jour. Mais, cette fois-ci, leurs enfantillages furent coupés court par la descente de pacifieurs, qui les força à tous se disperser en toute hâte. Noodle, lui, partit seul : en connaissance de cause, il savait que son apparence ne manquait jamais d'attirer l'attention, et il refusait que l'un des enfants n'en fasse les frais. Fuir seul était plus simple, et bien moins dangereux...
En théorie, du moins. La patrouille semblait particulièrement retorse, et certains d'entre eux lui collaient tout particulièrement aux basques, le poussant dans ses retranchements et le faisant emprunter des chemins détournés, bien loin de ceux auxquels il était habitué... Mais il faisait bonne figure : après tout, ce n'était qu'un mauvais moment à passer, et le principal était de leur échapper ; si jamais l'un d'eux comprenaient le sens des dessins qui ornaient ses paumes, il ne donnait pas cher de sa peau... Il s'enfonça dans les quartiers les plus éloignés et les plus mal famés sans même un regard en arrière, ne pensant qu'à trouver le meilleur moyen de se sortir de tout ça. Et, même alors, il continuait de s'en faire pour les jeunes - ceux dont il avait l'impression d'être le gardien, espérant que tous s'en étaient sortis sans mal et sans encombre. Se reléguant, une fois encore, au second plan. Ses pas l'enfonçaient encore davantage dans la basse-ville, le poussant dans des endroits qu'il n'avait encore jamais exploré. Et, lorsqu'il entendit des rires ricocher dans l'une des ruelles qu'il traversait, il comprit qu'il venait peut-être de commettre une erreur. Bien vite, on le bouscula et on l'apostropha, l'interrogeant et demandant si le monstre qu'il était venait se repaître du malheur des autres et, pourquoi pas, se nourrir d'un ou deux nourrissons pour faire bonne figure. On le moqua, le rabaissa, et on finit même par lui tirer les ailes, arrachant une pleine poignée de ses plumes couleur d'ébène. Le geste le fit gronder, et une fois n'est pas coutume, il baissa le masque qui cacher ses traits pour révéler son visage tout entier - espérant que son apparence les ferait fuir. Déjà, sa bouche s'ouvrait trop, et ses lèvres se retroussaient en une grimace affreuse. Mais cela ne sembla pas décourager ses tortionnaires : des injures fusèrent de plus belles, et les brimades s'accentuèrent... Jusqu'à ce qu'un coup à l'arrière du crâne ne le fasse s'effondrer au sol, les dernières images que perçurent ses yeux furent des bottes abîmées se rapprochant furieusement de lui, puis plus rien.
Lorsqu'il reprit connaissance, il était immobilisé : pieds et poings liés, même ses ailes avaient été entravées - des hameçons et d'autres aiguilles parsemaient ses liens, le dissuadant de bouger. Ses yeux, affolés, fouillèrent la pièce du regard... Sans pouvoir en tirer quoi que ce soit : il faisait noir et, même si sa vision s'était habituée à l'absence de luminosité, il ne pouvait que supposer se trouver dans une habitation reculée, là ou personne ne viendrait le chercher. ... Si quelqu'un se donnait la peine de se lancer à sa recherche. Privé de repères, incapable de savoir avec précision combien de temps s'était écoulé depuis sa disparition, il passait la plupart de son temps les yeux dans le vide, à se demander si les pacifieurs étaient plus cléments que cela... Il fut seul, longtemps, puis ses ravisseurs semblèrent se souvenir de son existence, se servant de lui comme véritable punching-ball humain, déversant toute leur rage et leur rancœur sur l'adolescent qui ne leur avait jamais rien demandé... Les ecchymoses s'accumulaient, coulaient le long de ses membres, ses yeux se fardaient de noir. Parfois, sa respiration se faisait sifflante, et il lui était de plus en plus pénible de rester conscient, de réellement prendre en compte son environnement et ce qui lui arrivait, jour après jour. Il ne tremblait même plus lorsqu'il les entendait venir, il ne tressaillait même plus lorsque les premiers coups s'abattaient, sans préambules. Ses yeux restaient fixes, parfois troublés par une larme solitaire qui bien vite se faisait moquer. Il ne restait de lui qu'une carcasse abîmée, cassée. Ils s'étaient aperçus de sa double nature, de son don, et l'avaient raillé une fois de plus : sur quelle sorte d'Healer étaient-ils tombés, pour qu'il soit bien incapable de panser lui-même ses blessures et guérir ses maux ? Ils riaient, riaient encore, avant de s'offenser de son manque de réaction. Peu après, le sadisme qui imprégnait chacun de leurs gestes leurs souffla de nouvelles idées, et ils décidèrent d'essayer de nouvelles choses pour le sortir de sa torpeur.... Très vite, ses grandes ailes noires furent des cibles de choix pour lui tirer des salves de cris et des pleurs, pour le rendre fou de douleur, à le faire prier et supplier. A les implorer de mettre fin à tout ça, une bonne fois pour toute.
Le temps ne passait plus, n'existait plus. Il n'avait plus de réelle importance : les seuls repères qui lui restaient étaient les visites de ses tortionnaires... Et, s'il n'avait jamais eu de tels penchants auparavant - il lui était arrivé, parfois, de regretter sa naissance, d'avoir espéré ne jamais fouler ses terres, rien que des pensées éphémères -, mais pour maintenir un semblant de cohésion dans son esprit, pour ne pas sombrer totalement et perdre pied, il se tordait les bras, repliait ses poignets et, à l'aide de ses ongles bien trop effilés, il venait creuser ses avant-bras, laissant des sillons sanglants, chaque jour un peu plus profond. Un trait par jour, une façon comme une autre de garder le compte, d'essayer de se repérer. Un trait supplémentaire, comme une façon de célébrer le fait qu'il n'était toujours pas tombé. Il entendit des propos, sans jamais savoir s'ils étaient sérieux : certains proposèrent de se débarrasser de lui pour de bon, de revendre membres et organes au marché noir. D'autres soufflèrent de lui couper les ailes, qu'ils pourraient probablement en tirer un bon prix. Des paroles teintées de fiel.
Un jour, le néant revint s'emparer de lui sans crier garde... Mais, lorsque ses yeux se rouvrirent, il n'était plus dans ce cagibi, mais bel et bien dans une ruelle, et les premières gouttes de pluie tombèrent doucement, coulant sur son visage, rejoignant des larmes timides et soulagées : il était dehors. Après tout ce qu'il avait vécu, il s'en était sorti. Il resta là, un moment, à sangloter sans bruit, apprenant à nouveau à s'habituer aux bruits extérieurs, à l'environnement des rues de Zaun. Il observa son corps couvert de bleus plus ou moins prononcés, il s'attarda sur les traits qui barraient ses brais - trente-trois. Puis, à la manière d'un pantin désarticulé, il se remit debout péniblement, et avança, retrouvant le chemin de l'orphelinat - après tout, il n'avait nulle part d'autre où aller. Traînant sa carcasse émaciée, et retrouvant ceux qui étaient ses gardiens - qui auraient dû prendre soin de lui. Jamais il ne fut capable de répondre à leurs interrogations, jamais il ne parvint à expliquer ce qui lui était arrivé - comment pourrait-il le faire quand lui-même ne comprenait pas ? Sa parole était devenue rare, précieuse, et l'entendre murmurer relevait pratiquement du miracle... S'il devait s'exprimer, maintenant, c'était par les gestes, usant d'une langue des signes approximative.




Il adore le son de la pluie, lorsque les gouttelettes tombent et rebondissent, mais il évite toujours de se retrouver coincé sous une averse ; c'est que des ailes gorgées d'eau, ça pèse lourd. ▾ Il ne parle presque plus, crise de mutisme qui dure depuis son retour, il est toujours bon à produire quelques onomatopées peu convaincantes ; à la place, il signe ses propos, et se morfond dans le silence chaque jour un peu plus. ▾ En cas de besoin, il conserve un carnet abîmé aux pages racornies ; c'est toujours pratique pour communiquer. ▾ Malgré tous ses efforts pour se dépêtre de cette mauvaise habitude, il lui arrive encore de s'automutiler lorsqu'il est stressé ou particulièrement angoissé ; un moyen comme un autre de s'ancrer à l'instant présent. ▾ Même s'il est très - trop - grand, avoisinant les deux mètres et des poussières, c'est un garçon particulièrement timide et effacé, semblable à une ombre. ▾ Lorsqu'il est revenu, une bonne partie de l'orphelinat le pensait mort, alors en mémoire son exploit, on lui a fait don d'un nouveau sobriquet, et c'est ainsi qu'il est devenu l'ange de la mort - il déteste lorsqu'on l'appelle comme ça. ▾ S'il ne parle plus, il écoute beaucoup : d'une gentillesse sans limite, il est toujours prêt à aider son prochain et à rendre service ; il reste ainsi le confident favori d'une partie des mômes de l'orphelinat.