— Wake up, Neo…

Son souffle est court, se désordonne peu à peu. Dans l’impatience, les caresses déposés aux abords du visage paisiblement assoupi se transforment en petites claques brusques sur les joues. Ses pupilles nerveuses ne cessent de faire des allers-retours vers la porte dont il ne reste que les gonds et les paupières de Neomä, qui restent foutrement closes. Le son se fait de plus en plus fort, un bruit répétitif et assourdissant, comme des pas. Ça s’approche.

— Wake up, fucking dumb !!!

Merde.

Comment en était-on arrivés là ?

C’était sa faute. Ça lui aurait crevé le crevé le coeur de l’admettre, mais c’était sa faute à elle. Parce qu’elle ne sait jamais vraiment s’arrêter, FIRE et ses incendies qui veulent tout ravager, voudrait produire tellement de lumière qu’on ne saurait faire autrement que de la regarder. Toutes les soirées devenaient ennuyantes, lorsque l’attention ne lui appartenait pas, alors elle avait nonchalamment évoqué cet incroyable endroit, enseveli dans les profondeurs de Zaun, un quartier où ces gens ne mettaient sûrement jamais les pieds. Des princes et princesses de Celestia, quelques chanceux de Midrias, et puis Fay, caméléon aux traits assez harmonieux pour se fondre dans leur luxure, puis son exotisme, elle connait la basse-ville et ses démons. La conversation avait alors en toute logique dérivée sur elle et ses histoires de fantôme, elle vantait les légendes urbaines autour de cet orphelinat abandonné aux suites d’un incendie, qu’elle allait très bientôt explorer avec ses pairs. Ô combien était délectable le plaisir de voir briller l’envie dans leurs yeux vitreux par l’alcool et les drogues, pendant un instant fugace, les rapports de pouvoir semblaient s’inverser. Pendant un i n s t a n t.

We should go !

Le gamin éméché avait lancé ça comme une mauvaise plaisanterie, mais fut étrangement pris au sérieux. Aussitôt, le rictus fier de la fée s’évapore, et les yeux s’écarquillent à mesure que chacun exprime son enthousiasme à l’idée d’aller s’y promener. Et elle ne pouvait rien faire Fay, ne pouvait aucunement se résoudre à passer pour la rabat-joie, à leur crier que c’est une putain de mission kamikaze. Elle étudie les visages un à un. Trouve celui de Neomä qu’elle s’évertue à éviter depuis leur séparation, et de ses quelques coéquipiers. Impossible de se défiler devant lui.

Le bâtiment en ruine est étrangement calme. Excepté les sons de l’usure et de l’effondrement des murs, tout est silencieux. Elle se lasse vite, la jeunesse dorée de Celestia, finit par trouver refuge dans une pièce pas trop mal préservée après avoir perquisitionné l’entièreté de la bâtisse, déçus de n’y avoir contracté aucun frisson, les drogues qui se dissolvent dans les veines, l’ennui qui s’invite à nouveau.

Mauvais pressentiment. Tout est trop calme. Et quand les autres s’amusent à éclater des bouteilles vides contre les murs, elle ne fait que tendre l’oreille Fay, écoute son coeur qui s’affole. Quelque chose ne va pas. Surgit alors le son qui paralysera toutes les activités, un BOOM tonitruant, puis un silence de mort qui s’en suit. Ça se jauge du regard et ça tente de déterminer qui est le coupable. Mais un deuxième son finit par se faire entendre, démontre la source lointaine du bruit, et ça s’affole trop vite. Certains veulent se la jouer héros et décident d’aller enquêter, malgré les avertissements de Fay.

23:13
Minute longue après leur départ, insidieuse, malgré les plaisanteries nerveuses des plus alcoolisés, c’est le silence qui gagne.

23:14
Toujours rien.

23:15
On crie leurs noms. Rien.

23:16
Un nouveau bruit. Un cri. Pas le leur.

23:17
Mouvement de panique, les êtres quittent les lieux les uns derrière les autres, laissant Fay et l’âme ruinée à même le sol dans le vieux dortoir.

Et baignée dans sa propre angoisse, elle ne s’en était même pas aperçue. Neomä, corps-cadavre explosé contre un mur, déjà plongé dans sa nuit. Elle observe le triste spectacle avec agacement,  obsidiennes qui roulent dans les orbites et souffle expiré bruyamment, elle a même hésité à partir sans lui. Les bruits se rapprochent. Elle n’a plus le temps de réfléchir. Elle accourt.

— Wake up, Neo…