1979 • Abomination
premier mariage entre fairburn et kershaw — deux noms respectés associés par une alliance qui, trop vite, se voit compromise : l'épouse essuie une attaque dont elle n'ose dire mot à l'homme dont elle est éprise, de crainte d'être rejetée. et pour cause : une cicatrice argentée lui balafre la paume, condamnation à des transformations mensuelles qu'elle parvient péniblement à cacher. mais la naissance d'un fils affublé de la même affliction finit par trahir sa nature lupine, et c'est le carnage. fairburn rejette les
monstres qu'il voit en eux, ordonne à celle qu'il a aimée de disparaître si elle tient à la vie. répudiée, elle s'efface avec le nourrisson, tandis que des funérailles éhontés la déclarent
morte.
1989 • Adieux
était-ce une odieuse prémonition ? le sort livre à la tombe celle que l'on a clamée morte. reagan a 10 ans alors, et dans un élan de pitié son père l'accueille avec réluctance. prétend aux yeux du monde que la défunte avait fui en se faisant passer pour morte pour lui arracher son enfant — pour qu'on le
plaigne alors même qu'il serait à blâmer.
a-t-il songé à tuer reagan ? la question hante le fils depuis toujours, l'ombre d'une affirmation s'esquissant parfois dans un regard identique au sien mais si dépourvu d'amour à son égard. et reagan comprend tard qu'il n'a jamais été question de compassion — que le nom des fairburn devait seulement perdurer à tout prix et que la nouvelle jeune épouse peinait, simplement, à offrir un nouvel héritier.
mieux vaut le monstre que rien du tout. reagan est un
fallback, seulement précieux si aucun·e autre ne naît après lui. et sa valeur s'effrite au premier cri de
reyn nathaniel hawkins fairburn, un enfant ne portant pas le poids du
fléau, le souffle du
fold. à 15 ans reagan est condamné à rôder dans l'ombre de son cadet (et l'espace d'un instant, à l'image de son propre père, il se demande, penché par-dessus le berceau :
ai-je songé à le tuer ?).
1996 • Décadence amorcée
l'adolescence se fait tumulte, « reagan » est troqué contre le surnom
rage. colères destructrices et profonde opposition envers un père qui l'exècre autant que lui le hait (ou
pense le haïr). on réussit à prévoir une alliance entre rage et la fille d'une famille midriaise, le caser pour s'assurer de lui donner une quelconque utilité : un apport de richesse. étrangement, l'alchimie entre elle et lui est immédiate — mais rage abime tout ce qu'il touche, et une grossesse imprévue vient enrager l'humeur des deux familles. du haut de leurs 17 ans, les jeunes parents se voient plonger dans le tourbillon des préparatifs d'un mariage précipité. rage est étreint par une peur empreinte de passion pour ce petit être à naître, cette famille qui ne sera qu'à lui. refusant de commettre les mêmes erreurs que sa mère, il avoue à sa fiancée sa nature de loup-garou… et les traits empreints d'amour se tordent d'horreur et de dégoût. la bague heurte le sol dans un tintement sonore, rupture brutale qui le pousse au bord du précipice :
seul à nouveau. plus encore lorsque son père enrage et que, dans la dispute, reagan perd le contrôle de son loup, tuant par accident le gifted dont la famille est mécène. le sang sur ses griffes qui se résorbent troublent sa vision — il s'enfuit. désespérément
seul.
1996 • surface
quelques semaines plus tard, le poupon tout juste né est posé à la porte de son squat miteux, avec interdiction de contacter celle qui refuse d'en être la mère.
rage se retrouve sans rien avec une môme à nourrir, mais elle lui est précieuse et pour elle, il serait prêt au pire. c'est la descente aux enfers : gosse de riche n'ayant jamais été aimé mais n'ayant jamais bossé non plus, il fracasse quelques gueules au détour de ruelles ketterdamiennes pour leur arracher leur bourse. sans doute s'envenimerait-il plus encore si on ne lui passait régulièrement les menottes — et avec, des savons empreints d'un étrange…
intérêt ? c'est un type un peu plus vieux que lui, qui lui tombe régulièrement dessus et le bouscule comme le ferait un frère. ambrose, qu'il s'appelle.
ambrose, qui le fixe comme s'il était récupérable, comme s'il gâchait sa propre valeur (
en a-t-il ?), comme s'il avait un avenir. et alors qu'il doute encore, sa fille est enlevée. elle disparaît sans laisser de trace, trou béant dans une existence qu'elle laisse vide de sens et dans un cœur que le manque consume. c'est à ce tournant que rage se range. suivant les traces de celui qui devient son partenaire et modèle, il entame une formation de
pacifieur, s'engage à porter l'insigne des représentants de l'ordre. les années s'égrainent à rêver en grand mais surtout, à rêver de retrouvailles. ambrose a l'ambition de changer velaris, d'en redresser le socle de justice — d'abroger la profonde disparité entre la haute et la basse-ville. et reagan, bras droit, se hisse juste derrière lui, en un soutien indéfectible. ils gravissent les échelons, jusqu'à placer ambrose derrière un bureau et rage à la tête de l'une de ses équipes (homme de terrain, lui, et ce pour toujours : il faut de l'action pour tempérer la
bête qui couve en lui).
1998 • Astres
plus d'une année s'écoule à ne vivre qu'à moitié, avant que
kleo n'entre dans son existence comme une tempête et la pare de couleurs vive ; alors qu'ils se rapprochent, elle lui avoue être enceinte d'un autre homme, coup d'un soir dépourvu de signification. et quand naît
cora, si délicate dans les bras de rage, aucun d'eux n'a le courage d'assumer qu'elle n'est pas de lui. ils attendent
le bon moment ; gardent le silence lorsqu'un fils nait de leur union, demeurent muets à leur mariage, demeurent muets toutes les années qui suivent. à vouloir oublier eux-mêmes ce lourd secret dont ils craignent les retombées.
fin 2016 / début 2017 • Désastres
«
j'ai un amant », elle avoue entre ses larmes. et ce soir là, pour une fois, pas d'éclats de voix. ils se retrouvent simplement assis côte à côte au bord d'un lit qu'ils ne partagent plus depuis longtemps, à contempler les bris de leur couple en morceaux. comme anesthésié, rage se demande si la réalité le rattrapera plus tard, si elle choisira un instant de solitude pour s'abattre sur lui comme une masse et le laisser ramper de détresse ; mais pour l'heure il est seulement… vide. incapable de formuler le moindre reproche là où sa culpabilité est une évidence : il y a longtemps qu'il ne regarde plus kleo comme une épouse, mais comme la mère de ses enfants. il y a longtemps que le peu de temps glané hors du terrain est dédié à ces derniers plutôt qu'à elle, faute d'énergie, et qu'elle s'efface pour s'assurer qu'il construise avec eux une relation solide. il y a longtemps qu'elle n'existe que pour eux et la vérité, c'est qu'elle mérite de sourire, kleo, et de briller de mille feux, comme lorsqu'il l'a rencontrée. le divorce est une épreuve destructrice ; qu'ils soient en bons termes ne le rend pas
aisé. mais reagan s'efforce d'afficher un sourire, tout comme le fait son épo-
ex épouse, dans l'espoir de réconforter leurs adolescents déboussolés.
les doigts s'enroulent trop aisément autour du goulot de la bouteille ; trop souvent, échappatoire-exutoire dont reagan ne connait que trop bien les dangers. mais une enquête différente des autres l'arrache à son apathie : ambrose lui annonce l'enlèvement de reyn et bryleigh, ses frères et sœurs — qu'il n'a plus revus depuis qu'il a quitté la demeure des fairburn. il n'est pas sur l'affaire, car personnellement impliqué, mais le
kidnapping résonne comme une claque. lui rappelle la blessure encore ouverte et vive de la perte de sa fille aînée, et reagan ne
peut revivre ça. n'en déplaise à la hiérarchie, il fouine en secret ; prêt, même, à reparler à son père en quête d'informations.
janvier 2017 • Liens du sang
avertissements perte de contrôle & attaque de loup-garou : meurtre, sang, gore. le rugissement assourdissant étouffe l'échos du coup de feu et, l'instant d'après, des gerbes de sang pleuvent sur la végétation dense, qu'elles couvrent de carmin poisseux. rage en sent la texture sur sa fourrure, sur sa langue, fragrance métallique persistante qui le bouleverse lorsqu'il retrouve forme humaine. il a déchiré les chairs de ses griffes, dépecé les corps qui gisent à présent inertes, faces tournées vers un ciel peu clément. plus loin, évanoui d'épuisement et de privations, reyn ; flanqué d'un corps qu'une balle a réduit au silence à jamais. c'est de son meurtre qu'a découlé la perte de contrôle de reagan — de la chute de cette silhouette familière, de cette tignasse de boucles brunes si typique des fairburn. pourtant c'est insensé,
ça ne peut
pas être bryleigh.
ça ne peut pas être la petite sœur qu'il a croisée plus tôt et guidée hors de la forêt, aux côtés d'un jeune adulte qu'il aurait juré être-
reyn.
ça ne peut pas être elle, pas alors qu'il s'est assuré quelques minutes plus tôt qu'elle soit en vie, avant d'être étrangement rebuté par l'odeur que dégageait le « reyn » qui l'accompagnait : comme un mélange de mirage et de magie brûlée. étrangeté qui l'avait poussé à traquer à travers les bois l'endroit vers lequel remontait leurs odeurs, jusqu'à y trouver un homme au flingue pointé vers un autre
reyn, un dont la fragrance correspondait cette fois à celle qu'il connaissait.
et pourtant tandis que sa cage thoracique se rétracte douloureusement, sous un souffle écourté par l'élan de colère et la transformation, le doute dû à l'étrangeté de la situation prend le pas sur l'instinct qui l'a brièvement dominé. «
wasn't her », souffle péniblement la voix rauque de reyn tandis que l'aîné s'approche d'un pas tremblant et s'effondre à genoux à ses côtés, les yeux rivés sur leur petite sœur sans vie. elle a la même odeur étrange que l'autre — ce subtile parfum de mirage qui pique un peu le nez. «
wasn't… » «
what do you mean ? » mais reyn a perdu connaissance. l'espace d'un instant reagan est simplement incapable de bouger, consumé par l'horreur, la douleur, la
culpabilité et l'incompréhension qui le dévorent. il n'est pas certain de savoir comment tout cela est possible, mais une chose est sûre : il ne peut ramener
ce corps ni
ce reyn sans savoir ce qui se trame. alors une tombe de fortune est offerte à leigh-qui-n'est-pas-leigh mais qui lui ressemble douloureusement, tandis que le jeune homme évanoui est discrètement admis dans un petit hôpital de ketterdam.
(…)
pour un héritier arraché à son luxe, reyn s'adapte étonnamment bien au bordel qu'est devenue la vie de reagan. c'est dans le studio du sous-sol qu'ils se retrouvent à cohabiter tous les deux, rage y avant aménagé au lancement de la procédure de divorce — un arrangement temporaire, le temps de se trouver un appartement. mais la plupart du temps, le coloc de fortune est accaparé par l'un des ado et reagan retrouve la sombre compagnie de ses pensées. doit s'habituer à interpeler son frère d'un «
nate » d'emprunt, prénom de rechange adopté à l'abandon de sa véritable existence. mais s'ils peinent à en parler, la vérité ne les ronge pas moins ; quand il ferme les yeux, reagan revoit mourir leigh, revoit l'arme se tourner en direction de
rey- nate, revoit s'effondrer les assassins sous ses propres crocs. mais : «
nothing happened », lui a ordonné ambrose en un déni flagrant d'un crime qu'il s'est chargé de couvrir, «
don't mention it ever again. »