En quête de liberté depuis qu’il s’est emprisonné avec le secret de son frère, il n’est pas rare de voir le jeune homme arpenter les rues et avenues de Midrias. Son espoir est de tomber sur un contact ou deux en mesure de répondre à ses attentes mais plus le temps passe, plus il laisse son jeune frère ingurgiter des substances dont il ne connaît guère la provenance. Kaëden Draigwen n’a pas perdu autant pied que depuis cette révélation. Ce n’est pas faute d’avoir oublié sa première tentative de brasse dans une piscine de Célestia. Un désastre qui aurait pu finir par une noyade si le professeur n’était pas intervenu. Et aujourd’hui, dans un hasard des plus surprenants, il profite de la vue. Les eaux troubles de Moaning Waters font de lui un rêveur, ignorant royalement la légende qui est ancrée dans ce somptueux paysage. Qui sait. Sur le chemin du retour, le jeune homme pourrait prendre le risque de sortir son carnet et d’écrire une série de mots plus ou moins cohérents. Il a pourtant besoin d’une autre source d’inspiration pour atteindre ces nouveaux objectifs.

Il regarde une par une les galeries d’art qui croisent sa route et se dit qu’il devrait s’y arrêter un jour. Il est passé ici plus d’une fois mais comme tout habitant ou plutôt comme tout voisin de Midrias, il n’a jamais pris soin de connaître les sites touristiques. Pourquoi faire ? Des meilleurs tableaux doivent être exposés dans les musées de Célestia. Non, il préfère s’adonner à une autre activité. Il poursuit sur sa lancée, avançant tout droit comme s’il voulait rejoindre le port un peu plus loin mais ses yeux fixent un autre point. Pas d’horizon mais un autre destin tout tracé se dessine sous ses pieds. Quant à ses lèvres, un sourire s’esquisse sur celles-ci. Pourquoi est-il si satisfait de croiser ce gamin ? Lui qui s’était amusé à l’effrayer le jour de leur rencontre, il y a désormais de grandes chances qu’il fasse partie de ses clients les plus fidèles et généreux. Il devrait pourtant lui demander de déguerpir mais personne ne pourrait le prendre au sérieux dans les coins. Croiser des gifted ou des mages est monnaie courante ici. L’académie, dans laquelle il a forgé de nombreux souvenirs, n’est pas si loin d’eux. Comme cet escroc qui semble perdu dans ses pensées. Il y a du passage mais personne ne s’arrête au stand. C’est ce qui arrive quand on ne met pas en valeur ce signe distinctif présent sur le front de chaque voyant. “ Plus personne ne veut découvrir son destin ? “ Est-ce que Kaëden souhaite connaître le sien ? Il ne verrait qu’un désastre. “ Les cartes sont de mon côté aujourd’hui ? “ Si seulement c’était aussi simple.

L’ennui.
Pas grand chose à faire aujourd’hui et le sentiment de perdre son temps.
Il aurait sans doute mieux fait de rester à “la maison” à lire tous ces bouquins que le vieux lui avait ramenés. Des bouquins qui parlaient de dragons.
Des bouquins qui le perturbaient un peu. C’était du moins ce qu’il avait ressenti à sa lecture du matin.
Ce n’était pourtant pas la première fois. Parcourir quelques pages, les tourner, et se rendre compte d’à quel point il avait été enfermé dans un truc qui n’était sans doute qu’un tissu de mensonges.
Mais quand le sujet évoquait des croyances... c’est toujours plus difficile.
Qu’est-ce qui était vrai ?
Qu’est-ce qui était faux ?
Est-ce que quelque part, au milieu de tous ces chapitres parcourus, il y avait un truc auquel il faut croire davantage qu’au reste ?

Les livres pouvaient mentir aussi. Il était bien placé pour le savoir. Les Yevehiens avaient toute une collection de mots mensongers alignés en des phrases uniquement construites pour vous forcer à vivre dans une illusion… qui n’avait rien de réconfortant.
Mais les livres de ce qu’il avait renommé “Le Grand Monde”... ils mentaient moins. On le lui avait bien dit.
Sceptique néanmoins, il regrettait de n’avoir personne à qui poser toutes ses questions. Personne avec qui échanger.
Le vieux se disait savant… mais il le soupçonnait d’être aussi fermé que lui avant… sur des idées qu’il prenait pour argent comptant.

Frustré. Il avait fini par sortir. “Travailler”.
Mais le désert à son stand lui avait plombé un peu plus le moral.
ça marchait mieux à Ketterdam, ses conneries.
Ici, ça ne prenait pas trop.
C’était devenu juste un prétexte pour prendre un peu l’air au final.
Il ne viendrait sans doute même pas aujourd’hui. Ce client préféré qui s’arrêtait curieusement le plus à son stand.
C’était étrange, oui. Que celui qui portait le nom de sa vision, soit également celui qui venait se faire dire la bonne aventure le plus souvent.
Vision. Destin. Malgré la lune à son front, il ne savait plus trop quel mot employer pour ce genre de cas.

« … » pourtant, la voix qui lui avait fait relever les yeux du tas de cartes qu’il mélangeait sans conviction, c’était bien celle du Draigwen. Celui qui lui avait fait soupçonner un instant de finalement goûter les joies de la prison. Celui auquel il adresse pourtant un sourire aujourd’hui « Les gens préfèrent se laisser surprendre de nos jours. » tu parles ! La concurrence était trop rude ici. Les familles de Midrias savaient qui consulter pour une vraie prédiction.
Lui, il n’avait que le hasard d’un tirage de cartes et ses connaissances en tarot. Et son bagou ?
« Mais vous savez quoi ? Je sens qu’aujourd’hui est une journée placée sous le signe de la chance pour vous ! »
Et s’il avait un accident dans l’heure à suivre ?
…

Admets le Callen, tu lui sors le coup de la veine juste parce qu’il t'intéresse ?
Pas faux. Et pourtant… il ne savait pas comment prendre cette direction qu’il était supposé emprunter. Comment laisser parler sa curiosité. Comment se renseigner sans en avoir trop l’air.
Bagou ou pas… le Draigwen le rendait moins serein… y’avait trop de questions dans sa tête face à ce visage-là.
« Alors on est partis, 5 cartes. » et pourtant, il avait mélangé correctement son jeu, il avait étalé les cartes et il avait joué le jeu du voyant comme il le faisait depuis trop d’années maintenant.

La charité n’est pas inscrite dans ses mœurs. Il ne veut pas ressentir de la pitié pour des personnes qui se trouvent en difficulté car celle-ci deviendrait synonyme de culpabilité. Devrait-il avoir honte de faire partie d’une bonne famille ? Il n’a pas choisi ses origines, c’est vrai mais il est aussi responsabilité de certaines décisions. Accepter d’être un pacifieur, c’est accepter implicitement une politique où les gens sont triés puis classés dans des catégories plus ou moins flatteuses. Alors, non, il s’interdit d’avoir un minimum de conscience ou d’empathie. Des mots souvent considérés comme des qualités, et pourtant, à ses yeux, il ne s’agit que d’hypocrisie. Si d’autres personnes étaient à sa place, ils ne vaudraient pas mieux que lui. Pourquoi devrait-on avoir honte de penser à soi et surtout à sa survie ? Ce n’est pas comme si Kaëden se contentait de regarder son nombril. Sinon ? Il n’aurait pas jeté un seul coup d’oeil vers ce jeune homme, si ce n’est peut-être pour un contrôle d’identité.

Mais aujourd’hui, il ne compte pas jouer avec ses petits papiers. Non, il préfère le voir manier les cartes dans l’espoir d’apporter une petite lumière dans ces dures semaines, lumière dont l’échéance est automatiquement reportée. Il s’arrête et adresse la parole au voyant. Kaëden se contente de lui sourire, pas vraiment convaincu par sa réponse. Les dons continuent d’intéresser mais le nombre de personnes souhaitant s’arrêter en plein milieu de la rue, est plutôt restreint. “ C’est peut-être ça votre problème. Vous donnez de l’espoir aux gens avant de finir sur une conclusion des plus sombres. “ Ou en mentant aux personnes qui attendent une bonne nouvelle. Un peu comme le pacifieur en somme. Peut-être. Il prend tout de même place. De toute façon, il n’a rien à perdre et l’argent gaspillé ne sera pas même souligné sur son compte bancaire. Cette monnaie, c’est comme des petits centimes pour les Draigwen. Il grimace dans un jeu d’acteur un brin ridicule. “ 5 ? Comment on fait ça ? J’en choisis 5 de suite ou c’est une par une ? “ Il parle comme s’il n’avait pas l’habitude. Il parle comme s’il n’assumait pas cette nouvelle habitude. De quoi doucement rigoler. “ Depuis quand vous faîtes ça ? “

Le problème. Le vrai.
Son problème.
C’était sans doute qu’il n’était qu’un escroc.
De cette fausse lune sur son front aux premiers tomes qui portaient sur sa vie. Des tomes consignés dans une bibliothèque remplie de mensonges. Une bibliothèque, la seule qu’il lui avait été permis de fouiller pendant de nombreuses années.
Oui, à la vérité, il était le dernier stand de cartomancie où il était bon de s’arrêter.
Observateur et quelques connaissances en cartes n’étaient pas suffisants pour prédire l’avenir…
Il avait de la chance, des fois.
Avec le Draigwen, il se contentait de lui faire les bonnes prédictions que le jeu pouvait lui inspirer.
Valait mieux être sympa.
Pour son métier.
Pour son nom.
Et un petit quelque chose en plus.

Sa bonne visite de la journée. Il lui devait bien ça.
ça méritait sans doute de tout donner niveau veine. Lui prédire la rencontre de l’amour de sa vie à quelques rues de là, se risquer à en rajouter une couche niveau bonheur, le mettre d’une humeur si radieuse qu’il ne ferait même plus attention à des questions qu’il se permettrait alors plus personnelles.
Faudrait bien qu’il en pose un jour ou l’autre…
Il n’était pas là pour ça ?
Le vieux le disait.
Mais le vieux, il disait toujours tout un tas de trucs.
… être vrai voyant ne le dispensait pas de dire des conneries… si ?

« Alors qu’est-ce qu’on devrait faire ?  » c’est ça Callen, demande des conseils sur ton métier à un type au moins aussi voyant que toi  « Toujours mentir et se contenter de la partie espoir ? » … bah… mentir, ce n’était pas ce qu’il faisait à cent pourcent du temps dans son boulot ?
Ok, touché.
C’était bien ce qu’il s’apprêtait à faire maintenant que les cartes s’étaient retrouvées étalées face à son client.

« 5 à la suite… mais une par une ? » oh toi, sois pas un petit con avec un pacifieur ! « Je veux dire, faut se concentrer, pas se précipiter, sinon ça ne marchera pas et les prédictions ne seront pas bonnes. »  ouais d’ailleurs, à ce qu’il paraissait, il y avait des légendes qui racontaient qu’elles n’étaient pas bonnes non plus si on ne tournait pas deux tours à gauche, trois tours à droite, en prononçant son identité à l’envers.
Tous les prétextes étaient bons pour justifier les erreurs…
« Vous les tirez, et moi je les place. » un vrai cartomancien n’y aurait vu que du feu… au moins, là-dessus, il s’était cultivé. C’était la suite qui relevait plus de l’impro. Une impro qu’il pratiquait depuis trop d’années « Tirer les cartes dans la rue ? Plus de 3 ans, pas loin de 4 je crois.  » un jour ou deux, c’était pas mieux si un jour il le foutait en cellules ? « Et vous alors, combien de temps dans l’uniforme ? » t’as l’occasion de rebondir sur sa question pour en poser une et c’est le seul truc que tu trouves.
Bah… rebondir en lui posant des questions perso sur sa famille, c’était un peu louche…
« Vocation ou héritage ? » doucement, mais sûrement. Juste le temps de faire connaissance.
Pas de précipitation.
Il avait l’habitude. Tout irait bien. Le sujet était plus personnelle, c’est tout.

" Si vous ne souhaitez pas faire faillite, oui. La vérité n’intéresse personne et vend rarement du rêve. “ Si le jeune homme n’a pas besoin de mentir sur toute la ligne, il a tout intérêt à ne pas trop expliciter ses propos. Laisser les clients interpréter ses mots comme ça les arrange est un bon moyen pour limiter le service après-vente. Mais à son avis, le soi-disant professionnel n’a pas besoin de ses conseils. Il doit certainement appliquer les meilleures règles, règles que le pacifieur doit lui-même méconnaître, pour continuer à survivre dans un monde où il est considéré comme une nuisance. Est-ce que c’est aussi le cas de Kaëden ? S’il est plutôt obéissant, il sait bien qu’il aurait dû prendre les règnes d’un commandement. Mais il ne veut pas être une figure d’autorité, il ne veut pas être tenu comme responsable de ces horreurs. Être partisan, c’est déjà trop. “ Qu’est-ce qui vous fait avancer vous ? L’espoir ou la vérité ? “ Aucun des deux, répondrait-il s’il avait en possession la mauvaise foi de sa petite camarade. Maintenant, il ne lui reste que des cartes en mesure de le divertir ou non.

Lui demandant les consignes pour les sélectionner, il semble perdu à l’entente de sa réponse. Pour une raison qu’il l’ignore, ses souvenirs l’auraient incité à faire autrement. Mais ici, dans cette ruelle, il n’est pas décisionnaire de son avenir. Il se remet en place quand de son index, il jette son dévolu sur la 6ème carte pour le mois de juin. Cette fois-ci, son tirage fera en l’honneur de son petit-frère. Si cette comédie finirait par le guider un jour, alors autant jouer le jeu jusqu’au bout. Au pire des cas, qu’est-ce qui pourrait lui arriver de plus ? Kaëden sélectionne les cartes avec concentration, tout en essayant de masquer son sérieux sur son visage. Il ne peut pas donner autant de crédibilité à ces conneries mais n’est-ce pas trop tard ? C’est qu’il est désormais l’un de ses plus fidèles clients pour une raison qui l’échappe complètement. Il questionne l’inconnu pour cacher son trouble. “ Bientôt quatre ans ? Vous étiez où avant ? Je n’ai pas souvenir de vous voir occuper ce bout de trottoir depuis tout ce temps. “ Il lui aurait ordonné de quitter les lieux. Ce n’est pas l’endroit le plus approprié pour tenir un commerce mais au moins, il a la décence de se tenir tranquille pour le moment. Tant qu’il n’y a pas d’histoires, il laisse une chance au cartomancien de rester dans le coin. C’est qu’il pourrait presque s’ennuyer sans lui. ” Deux ans de plus à ajouter au compteur. “ Ou quelque chose comme ça. Le temps passe drôlement vite quand on y passe. C’est presque frustrant. Esquissant un sourire en coin, il pose son regard sur son interlocuteur. ” Mon père n’est pas un homme de terrain. “ Lui non plus, d’ailleurs. “ Alors, ça doit être une vocation. “ Kaëden n’est plus trop confiant sur son choix. “ Et vous ? Quelqu’un de votre famille vous a appris ? C’est souvent ce qui arrive dans ce type de milieu sans vouloir faire dans le cliché. “  

Mentir. Oui, c’était son truc.
Il l’avait même fait pendant les premières années de sa vie sans en avoir aucune conscience.
Il était né pour faire semblant.
Tirer les cartes maintenant à Midrias, n’était pas si différent.
La concurrence était rude. Et il avait changé ?
Pas vraiment. On en revenait toujours au même au final. Parti de la secte, il finissait par tirer les cartes à la sauvette dans les rues. Retiré à Ketterdam, il se retrouvait ici, à jouer les voyants au milieu de bonnes familles… ou en tout cas d’un danger qui aurait dû le pousser vers un choix de réorientation plus sage.
Qu’est-ce qu’il savait faire d’autre au juste ? Du hoverboard ?
Non. Tirer les cartes. Mentir. Et être l’idiot qui répond sans se laisser le temps d’une précieuse réflexion « L’espoir. ça devrait toujours être l’espoir… » … il n’était pas supposé défendre la vérité à tout prix ?
Ne l’avait-il pas cherché tout ce temps ?
Ne la cherchait-il pas encore aujourd’hui ?
… c’était l’espoir… c’était encore lui qu’il l’animait.
La vérité… parfois… elle faisait un peu peur…
Oui… comme cette petite voix qui lui soufflait… que la vérité qu’il cherchait ici tuerait peut-être cet espoir qui l’avait toujours rendu vivant malgré tout.

L’une après l’autre, les cartes sont tirées, soigneusement placées comme il l’a appris au jeu du faire semblant. Un bon cartomancien fait comme ça. Il le sait. Les connaissances rattrapent un peu le manque de compétences.
Comment ça fait ? Quand la lune n’est pas fausse et qu’on tire les cartes ?
Une question qu’il s’est souvent posé… mais qu’il n’a jamais retourné au vieux depuis qu’il est là
« Ailleurs. » tu vas lui jouer le jeu du flou comme ça ? Si tu veux savoir des choses sur lui, il faut en donner en échange.
Mais rester évasif ?
… pourtant, à bien y penser, il aurait peut-être mieux fait de choisir la prison au vieux. Alors rester sur ses gardes avec un pacifieur… qui exerçait depuis 6 ans. Il s’en était douté. Il était un peu plus âgé que lui. Et qu’est-ce qu’on demande maintenant au Monsieur ?
Dites, vous sauriez pas pourquoi un papi a une vision sur vous me concernant ? A tout hasard hein.
… ridicule…
Draigwen, c’est un plus joli nom que Komeyt. ça au moins, il le sait déjà.

« Oui… » mais tandis qu’il réfléchit à la question suivante, son client le devance. C’est un échange, chacun son tour… alors il tente de persuader qu’il osera une autre question quand viendra son tour « Mon oncle surtout…  » est-ce qu’il avait envie de parler de lui ?
Non… est-ce qu’il était obligé de dire la vérité ?
… ça ne l’était pas entièrement…
« Mais on ne se parle plus trop aujourd’hui alors… »
Tire les cartes et trouve une question. Oui.
Mais doucement… parce qu’après, il partait…

« Vous avez quelqu’un dans la vie ? »
Là, il va croire que tu le dragues.
Non, c’était cette carte, qu’il avait désignée sur la table, “l’amoureux”. Evidemment qu’il ne le draguait pas !!!

Sans espoir, le monde tournerait autrement ou ne tournerait plus. Des rébellions cesseraient du jour au lendemain. Une majorité déposerait ses armes en attendant que la mort soit plus douce avec eux. La vérité est peut-être importante mais elle reste bien faible pour faire concurrence à cette première notion. Alors, en tirant ses cartes, Kaëden espère secrètement de tomber sur une bonne nouvelle. Il pourrait, par chance, anticiper ses mouvements et actions pour prendre la meilleure direction. Mais si le pacifieur a appris à garder son sang-froid et un air je m’en foutiste, il conserve une partie de naïveté. Il n’est certainement pas la définition d’un homme fort. Plutôt un gamin qui cherche encore son identité. C’est avec le temps qu’on apprend à se connaître bien qu’on ait toujours un train de retard pour mettre des mots sur nos choix. Pourquoi la deuxième carte et pas celle du fond ? Est-ce qu’elle brille autant que les paillettes de la princesse Draigwen ? Devant ce jeu, il a l’impression que certaines cartes lui parlent plus que d’autres, comme s’il était en capacité de choisir son destin. Mais sommes-nous réellement maître de notre avenir ? Pas des masses. Il suffit de voir la profession des deux hommes pour comprendre qu’ils ont été tous les deux en manque d’inspiration.

Il tilte un peu quand le voyant se contente d’une réponse évasive pour parler de sa précédente destination. Si Kaëden ne veut pas découvrir son jardin secret, son cadet a attiré son attention et sa curiosité. Mais ici, dans ce contexte, il ne pourra pas obtenir des informations. Sa déformation professionnelle insiste pour prendre part à la conversation. Elle le démange et elle s’illustre dans les iris du pacifieur. Elle attend son tour, finit déçue quand son propriétaire échappe un rire. “ Je ne sais pas si c’est marrant. De vous entendre utiliser le mot ailleurs, quand vous venez de l’autre côté du mur. “ Pourtant, il ne s’est pas fait prier pour esquisser un sourire. Ce n’est pas de la provocation car quand on connaît le Draigwen, on est supposé comprendre ses attentions. “ Mais si je peux vous donner un conseil. Evitez. Construisez-vous une histoire qui n‘intéressera personne au lieu d’attirer les regards. “ Tant pis pour sa curiosité, tant mieux pour son égoïsme. Si Kaëden apprend des éléments graves sur son interlocuteur, il serait obligé de le dénoncer et ça sera fini des petits moments privilégiés sur ce pont. Il compte lui foutre la paix, se contentant de répondre à ses questions si celles-ci sont utiles pour qu’il puisse l’arnaquer. Première erreur, n’est-ce pas ?

Ils évoquent leur profession et leur famille. Presque comme prévu, le voyant tire ses habitudes de son oncle. S’il ne parle plus à ce dernier, il a trouvé bon d’exercer dans le même domaine. “ Pourquoi ? Il a eu peur de la concurrence ? “ Il ne peut pas non plus résister à l’appel de la curiosité à chaque fois ! Qui a commencé l’interrogatoire ici ? Pas le pacifieur pour la première fois depuis une éternité. “ Et vos parents ? “ C’est qu’il ne mettait jamais aucune once de tact dans cet exercice. S’il pouvait supposer la mort de ses géniteurs, ils peuvent très bien évoluer dans d’autres domaines professionnels. Finalement coupé dans sa réflexion, il grimace. “ Non. “ Plus personne car elle a trouvé bon de disparaître du jour au lendemain. Il craint la seconde carte. Est-ce que Naëlah pourrait refaire surface ? Pour le coup, il s’interdit de l’espérer ou à défaut, il espère ne pas recroiser son chemin. Son cœur s’accélère un peu malgré lui. Sa confusion se lit sur son visage. Il ne devrait pas donner trop d’importance dans ces fichues cartes. Il reprend contenance dans un rire un peu beauf, qui ressemble tout sauf à Kaëden. “ Ou je ne suis pas au courant. “ Une relation éphémère qui s’est éprise de lui sans lui demander son consentement ? Est-ce que ça pourrait répondre à sa question ? Enfin, encore faut-il que le pacifieur s’amuse à se perdre dans les bras d’une femme assez fréquemment. Disons qu’en ce moment, il a d’autres chats à fouetter. “ On est supposé être content de voir cette carte, non ? Si vous voulez, on peut procéder à un échange. Vous avez peut-être quelqu’un qui vous attend chez vous. “ Ou ailleurs...

Une belle connerie.
Un exemple vivant de l’imprudence.
Une certaine Zylith lui renverrait peut-être à la gueule que niveau métier dangereux, il venait de monter sur un tout nouveau palier qui ferait rimer ses remarques d’une vieille dispute avec culot.
Mais Zylith n’était malheureusement pas là maintenant, et il n’avait pas la chance de pouvoir se faire engueuler… quand le manque lui aurait fait savourer chaque mot de contrariété qui aurait franchi les lèvres de sa belle.
Non, aujourd’hui, il se trouvait en face d’un pacifieur avec lequel il se permettait des réponses au goût d’évasion. On avait connu mieux. Niveau connerie, par contre, il était sans doute au top. De quoi se donner envie de se taper la gueule… les menteurs dans son genre ne sont pas supposés être très copains avec les pacifieurs… alors vaguement honnête ?

A ce stade de la conversation, autant lui décliner directement son identité entière, lui faire le résumé de sa vie, et lui donner le top 10 de ses pires conneries.
Il était celui qui était supposé obtenir des informations… pas afficher en lettres de néon les siennes sur son front.
Au moins, y’avait bien eu un bout de stress sur sa gueule à la suite. Un passage court mais pendant lequel il avait envisagé ses possibilités d’inventer un mensonge crédible, là, maintenant, tout de suite.
Conseil avisé donné par son aîné… pour laisser le stress passager s’effacer contre une surprise plus marquée sur ses traits.
Ouais, c’était beau la fonction de pacifieur aujourd’hui, ça encourageait les jeunes délinquants à mentir ! « Oh... » en même temps, pour un grand menteur, il avait l’air d’avoir besoin d’aide le gamin… de quoi le prendre en pitié sans doute.
« Elle l’est. Pas si intéressante. Mon histoire. » … pas si intéressante que ça ou non, le Draigwen sait qu’elle l’est assez pour répondre un “ailleurs”...

Le manque d’envie de mentir. Une vision perturbante… ou un Draigwen qui l’était davantage…
Pourtant, il trouvait tout de même la concentration de lui tirer les cartes.
Quand le client lui tirait les vers du nez. Il n’était pas pacifieur pour rien… il était plus rapide à la question. Il lui avait piqué au moins deux tours… injustice… « C’est… un con.  » parmi tous les adjectifs que tu pouvais utiliser pour ton oncle, t’as choisi de le résumer simplement d’un “con”... enfoiré, c’était mieux un peu moins faible… « Enfin… niveau au-dessus. » genre le roi des cons ? « Je veux dire, je suis fâché avec eux, parents compris. » évasif mais sans mensonge donc ?
…
C’est moche de craquer pour un Draigwen. L’effet paillettes n’excuse pas tout.
« Et vous alors ? On parle beaucoup de moi alors que je ne suis que le type qui tire des cartes. » ouais le cuisiner, profiter du creux, c’était le moment ! « Un boulot que vous auriez fait si la vocation n’avait pas été là ? »
… quoi ? Y’en avait pas trop des questions qui voulaient dire discrètement “Au fait, vous savez pourquoi un vieux monsieur louche a eu une vision draconique quand il m’a rencontré ?”... il y avait pas mal de détours sur la map avant ce niveau. Et malheureusement, il ne servait pas de verres, mais des cartes. L’alcool, un allié précieux de longues conversations trop sincères à ce qu’il paraissait.

« En théorie oui. » les cartes, ils étaient là pour les cartes « Si vous n’avez personne, ça peut être le signe que quelqu’un vous aime en secret, ou qu’un ancien amour ne vous a pas oublié. Mais les cartes se lisent dans l’ensemble alors… » alors prends là pour toi ?
…
…
D’accord, peut-être qu’il avait rougit… un peu… genre rien qu’un tout petit coin de joue, rien de dramatique…
…
« Oui mais ça ne marche pas comme ça… c’est pour vous qu’on tire les cartes là… hum… » reprends-toi, ce n’est pas le moment de penser à la douceur du visage de Zylith… à ses traits parfaits, à sa douce voix quand elle dit “Callen” et… les cartes, oui les cartes. La roue de la fortune, puis l’étoile… pas si mal mais pas si bon… il pouvait aller dans le positif comme dans le négatif « Alors… va y avoir du mouvement… pas forcément du bon mouvement… la roue de la fortune c’est pas la plus sympa des cartes pour tout le monde. Mais ! L’étoile, associée à… au pendu ! » c’était bien ça le pendu ? Pourquoi pas prendre l’amoureux ?
ça puait niveau prédiction de l’amour… il n’était pas là pour lui bousiller sa journée… « ça veut dire que ça prendra du temps, mais que vous finirez par trouver l’amour. » quoi ? Il était sympa, les cartes il en faisait ce qu’il voulait, pourquoi lui filer le cafard ? « Et enfin la … force… » … quoi ? ça puait tant que ça ?
…
C’était gênant…
Au point de regarder ailleurs…
« … en tirage amour, c’est très bon ouais… »
Que tu sois évasif sur ta propre vie, c’est une chose. Mais sur son tirage ?
Bah… il l’avait déjà dit à ses clients ça… mais à Kaëden Draigwen, ça le gênait un peu de lui balancer…
“Alors… niveau amour, faudra attendre. Va y avoir du changement dans votre vie et c’est pas forcément bon signe. MAIS, et ça c’est vraiment cool, vous allez pas mal baisé et avec une maîtrise niveau or”
… pourquoi n’avait-il pas choisi de lui faire un tirage sur le boulot hein ?

Un conseil donné dans le vent, qui ne fait pas très joli pour un homme censé porter l’uniforme des pacifieurs. Mais s’il soupçonne évidemment l’escroquerie derrière ses cartes, le gamin ne ressemble pas à un véritable voyou. Il pourrait effectivement le tromper mais aujourd’hui, Kaëden ne compte pas mener l’enquête. Il a d’autres chats à fouetter, de plus grosses têtes à faire tomber, si celles-ci ne profitent pas de pots-de-vin. Il esquisse un sourire. “ Ce n’est pas à vous d’en juger mais à votre interlocuteur ? “ Il a envie d’entendre son histoire, avoue-t-il à travers ses mots. Pour autant, il est conscient que l’un d’entre eux a une part de risque plus importante. Dommage.

Il n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Il pourrait se montrer légèrement agacé. Apparemment, il n’utilise pas la bonne méthode pour satisfaire sa curiosité. Au moins, le jeune homme est plus malin que prévu. Relations familiales compliquées sans expliciter pourquoi. Il ne peut pas forcément comprendre cette situation, lui qui nageait dans le bonheur jusqu’à présent. Est-ce qu’il finirait par parler de ses proches avec de tels mots ? L’avenir lui dira. Peut-être même qu’il l’apprendra aujourd’hui. “ C’est vrai que vous tirez les cartes. Mais ce n’est pas de ma faute si vous préférez répondre à mes questions au lieu de m’en poser. “ Quelle bonne technique pour contourner le sujet de conversation. Heureusement pour lui, c’est un bon joueur, Kaëden.  Pas très inspiré mais un bon joueur. “ Hm, je ne sais pas ce que j'aurais fait sinon. “ Il s’offre tout de même le plaisir de narguer le professionnel en lâchant de nouveau un rire. Décidément, il lui en faut peu pour s’amuser comme un petit fou. Pourtant, quand il est question de sa vie sentimentale, le jeune homme se montre un peu plus perplexe. Ce n’est pas la raison principale de sa venue ici, sous-entendant qu’il y aurait finalement une autre raison. Pour quelqu’un qui est censé ne pas prendre ce tirage au sérieux, le Draigwen s’implique un peu trop... C’est d’un ridicule. “ Un ancien amour ne s'oublie jamais mais j’imagine que ce n’est pas le sens de votre phrase. “ Dans ce cas, il serait obligé d’être un peu pessimiste. Pour contourner le problème, il envisage d’échanger les cartes mais apparemment, ce n’est pas inclus dans les règles du jeu. “ Je vous propose de tirer vos cartes après. Vous n’aurez qu’à les lire à ma place ? Avec un peu de chance, vous tomberez également sur celle-ci. “ Le garçon semble en avoir envie. Autant lui offrir ce plaisir, lui qui passe son temps à divertir les autres. Malheureusement, il est à court d’imagination. Kaëden a beau tourner toutes ses phrases dans tous les sens, il ne comprend strictement rien à son tirage. Tout ça pour une conclusion aussi ridicule ? Il fronce les sourcils. “ Quoi ? “ Il lui laisse une chance de se rattraper. “ Un pendu avec une étoile multipliée avec de la force ? Ça donne que je vais finir par trouver l’amour ? “ Il va finir par se mettre à vomir. “ Je pensais que vous allez être sincère avec moi. Je ne suis pas un cas désespéré, vous savez. “ Son pauvre amour propre...

Ouais. L’interlocuteur face à lui la trouverait sans doute un peu plus intéressante que ça son histoire. La vraie. Dans sa version globale et sans invention.
L’histoire d’un “élu” de Ketterdam à fausse lune sur un front.
L’histoire d’un gosse qui, avant d’apprendre à mentir, avait appris à croire aux mensonges qu’on lui servait. Un brin de naïf qui n’y connaissait pas grand chose mais qui n’avait rien trouvé de mieux à faire que de rendre hommage aux traditions familiales en continuant les fausses prédictions après son départ de la maison. Oh bien sûr, il y avait un mieux, il n’était plus question de sacrifices humains, de pratiques douteuses de l’orgie à plus étrange, et son prochain anniversaire ne verrait aucun sang toucher son front. Oui, y’avait un mieux. Mais n’empêche qu’il était là aujourd’hui parce qu’il escroquait des gens de Midrias sous prétexte qu’un vieux, un peu louche, avait eu des visions de dragons. Il se tenait même face à ce pacifieur, précisément l’autre héros de cette vision, dans l’espoir de comprendre un peu mieux des choses qui lui échappaient totalement.
Alors oui Callen, l’homme risque de la trouver beaucoup plus intéressante que prévu ton histoire originale… mieux vaut inventer un truc.

« Du coup, il faut que j’en invente une. Là, maintenant, tout de suite ? Et vous la validez ? » hein ?
Quoi ?
Bah… il avait bien dit qu’il fallait en inventer une pour éviter les questions non ?
Du coup tu lui dis ouvertement que tu comptes lui mentir dans les prochaines minutes ?
…
ça se faisait ça à un pacifieur sans chercher la fin de notre vie ?
« J’ai le droit d’être ce que je veux ? Dans mon histoire ?  » depuis quand cette conversation était-elle devenue un exercice pour faire travailler son imagination ?
Aucune idée.
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… et puis, c’était assez rare qu’il discute autant avec le client. Normalement, il se contentait de tirer des cartes face au devin qui les lisait. Aujourd’hui, cette partie semblait bien secondaire…

« …. » et le Draigwen marquait un point… « C’est juste… » … c’était un truc de pacifieur ? Faire bavasser si facilement ?
Et ne pas vraiment répondre à une question ?
Une petite moue déçue de son côté en guise de réponse, il avait creusé ensuite dans sa tête pour voir le type de questions qu’il était en droit de poser « Il faut dire, qu’à priori, je choisis mal mes questions en plus de ça…. » les réponses n’étaient pas très développées…
mais oui, les cartes. De base, il était là pour les cartes et connaître l’avenir qu’il voudrait bien lui inventer « Non c’est… » un échange de rôles ? « Vous n’êtes pas un client très facile vous savez. » et pourtant, c’était le seul… et un client qui lui avait tapé dans l’oeil en plus de ça. « Je sais moi ce que j’aurais comme prédictions. » vraiment ?
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Demain, après-demain, et les jours d’après. En réalité, malgré l’assurance dans sa voix, il n’avait aucune idée sur son futur…
Même si, pendant quelques temps, il s’était un peu perdu à le rêver…
« Les vôtres sont plus intéressantes » vraiment ? A entendre le client c’était pas trop ça… et lui en avait fait la moue, ses pensées happées dans une profonde réflexion avant que finalement sa voix ne la trahisse « C’est pas mauvais non plus. Disons que c’est sportif. Mais on ne sait jamais, ça peut déboucher sur une relation sérieuse. » la profonde réflexion, c’était pour lui formuler de façon non gênante hein ?
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Il aurait dû choisir l’argent… c’était assez simple l’argent… surtout dans ce coin de Velaris. Il en aurait peut-être eu rien à foutre, mais au moins il ne se serait pas perdu
« Mais je comprends si c’est un sujet sensible. » … tais-toi Callen Komeyt, si tu veux pas perdre l’un de tes seuls clients avec un soupçon de fidélité.