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fin d'après-midi ↠ laverie

Sept jours déjà que les mots sont ruminés en boucle dans son esprit, que son nom lui a été soufflé sans l’ombre d’une requête… syllabes enfin prononcées par une autre personne que sa mère, douce âme égarée qui peine à se relever depuis la disparition de ses fils. Artemiy souvent blâmé de tant leur ressembler, mais il ne lui en veut pas… non, ni à elle ni à son père. Il les entend, comprend les suppliques entre leurs lèvres pour qu’il arrête de crainte qu’il ne finisse par disparaître, lui aussi et c’est de plus en plus difficile d’ignorer la réalité. D’ignorer la tristesse dans les yeux de sa mère, où les étoiles se meurent lentement et la fatigue sur les traits de son père, où ses sourires tremblent. Alors il repense à ce petit bout d’information partagée au cas où par ses corbeaux, à ce prétendu Fonya qui ne semblait pas être à sa place ici bas, étrange garçon aux airs inoffensifs et l’adresse d’une laverie griffonnée sur un bout d'papier. Il y pense, même s‘il ne devrait pas tant nourrir ses espoirs après les déceptions passées. Il y pense pour sa famille et le cœur de sa mère qu’il pourrait apaiser, peut-être un peu à défaut d’apaiser le sien. Ketterdam n’est pas si loin de chez eux, non pas si loin.. Il ne fait pas attention à la route lorsqu’il freine brusquement pour faire demi-tour, décision tardive basée sur un et si qui le taraude. Alors même si le soleil poursuit sa descente vers une nuit menaçante, il avance vers cette laverie miteuse qui plus il s’en approche, moins il ne croit en son cadeau. Dix-sept heures passées et il arrête sa jeep dans la ruelle adjacente, s’allume une clope en sortant et se dirige vers la devanture pour, dans un premier temps, ne faire qu’observer l’intérieur à travers les vitrines. La clientèle se compte sur les doigts d’une main, mais c’est une silhouette bien particulière qu’il accroche du regard pour ne plus la lâcher. Un profil jeune, avachi sur un comptoir comme s’il attendait que les minutes filent plus vite, d’ennui ou de fatigue. Un garçon qui pourrait avoir son âge, mais des comme ça il y en a des milliers – peu en revanche, ont eu la nuque marquée par les coups de ciseaux et c’est un détail impossible à voir de l’extérieur. Il hésite encore un peu et ce n’est que lorsque l’endroit se vide un peu, qu’il finit par entrer. Nouvelle cigarette en main, il exhale un nuage de fumée avant de refermer la porte avec son pied pour s’annoncer, peu regardant sur la discrétion. Il espère même le contraire alors qu’il renverse une pile de paniers vides, fausse maladresse que son sourire trahit et si le seul client restant se tait, ses regards en disent long. Sérénité dérangée pour attirer l’attention du jeune employé qu’il aurait, certes, pu aborder autrement, mais les sentiments sont mitigés. Entre espoir et amertume, il avait renoncé à retrouver sa trace et la possibilité qu’il soit ici… n'arrange en rien son ressentiment. Il n’y aurait aucun sens à le trouver à Ketterdam, aucun. Silencieux il continue d'observer, les moindres mouvements de ce garçon aux airs familiers – mirages du passé.

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fin d'après-midi ↠ laverie

Manège automatique. Les gestes rodés qu’ils en deviennent mécaniques. Chemins de travers, et le masque de Celestia qui tombe au fur et à mesure qu’il descend dans les ombres. Bête vorace qui l’avale chaque jour ou presque pour mieux le recracher lui et ses dorures, lui et ce nom dérangeant. Comme une nécrose qui souille son âme, et dans les bas-fonds il retrouve un semblant de son âme. Puzzle morcelé de son essence bafoué, et la pulpe écorchée qui récupère fragment par fragment sans jamais réussir à se redéfinir. Pensées éparses, brume consistante, fatigue qui pèse sur ses membres. Sommeil lointain, comme un vieux rêve, et le corps qui tire sur ses dernières ressources. Les ombres de Ketterdam l’accueille comme une étreinte maternelle. Et dans le confins de la laverie, bien loin des regards, il échange préciosités contre une normalité rassurante. Vêtements jetés en boule dans le fond du casier, peu soigneux de leur état, et l’enfant onirique qui se pare d’une tenue qui le rend comme les autres. Capuche de son sweat rabattue, et il est prêt à faire face au monde. Son monde. Quoi qu’on en dise, il ne s’est jamais fait d’illusion Afanasiy, il est né dans les bas-fonds, et son tombeau se trouvera là-bas. Celui de son âme tout au moins, si le corps ne défaille pas sous l’amour destructeur du saint père. Habitudes retrouvées, il prend place derrière le comptoir, dans le bruit ronronnant des machines. Il n’y a jamais trop de monde en vrai, loin de l’effervescence diurne, lorsqu’il occupe le royaume au soleil couchant, il y retrouve les habituels. Ceux qui viennent le soir ou la nuit, journées trop remplies, les jeunes qui font laver leurs beaux vêtements pour espérer trouver un travail à Midrias.  Espoir ténu qu’il n’oserait briser de sa vision assombrie. Sourire léger, Afanasiy qui observe son compagnon de toujours ou presque, s’amuser. Peluche de lapin noir, vêtue noblement qui s’évertue à lui rendre un sourire sur ses traits diaphanes. Corps qui s’alanguit sur le comptoir, poids de ses rêves qui crient à l’outrage de ne le voir revenir dans leurs étreintes. Il y a trop de monde pour se laisser aller à Morphée. Pièces récupérés, signe de la main offert, il laisse partir une jeune fille un peu trop bavarde, avec un doux ‘bonne chance’ que lui-même ne croit pas. Porte qui s’ouvre, il ne lève même pas la tête, plus concentré sur son lapin qui chahute derrière le comptoir que par un nouveau client. Les machines sont en libres services, garçon peu sollicité si ce n’est pour de la lessive ou pour un lavage à l’arrière, pour de belles parures qu’on craint d’abimer dans cette normalité usante. Paniers renversés dans un vacarme certain, le soupir est sur ses lèvres tandis qu’il s’anime. S’abime. Corps redressé, le vêtement qui tombe, dévoile son visage, et voilà qu’il s’occupe silencieusement Afanasiy. Ramasse les paniers, les range soigneusement, mains trop fines pour ce genre de métier. Mains trop fines et sous la lumière blafarde, des cicatrices et des restes d’hématome, fleurs infernales qui ne quittent jamais vraiment son derme. « Can I help you ? » Murmure. Voix grave qui ne s’élève pas trop, et le regard qui n’accroche pas. Attitude si différente de celle qu’il offre dans la lumière d’en haut. Mais il ne veut pas se faire voir, ne veut pas briller. Tranquillité à laquelle il aspire, désespérément.

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fin d'après-midi ↠ laverie

Souvenirs effrités, mis en pièces au fil des années et des pertes amassées. Illusions cauchemars d'un enfant fuyard au détour d'une rue, ou d'un square et ce visage rieur qu'il ne sait plus remettre en place, comme un puzzle douloureux qui trop souvent le hante d'espoir ou de culpabilité. Avec lui un autre visage toujours s'y mêle et ses erreurs lui reviennent en pleine gueule sans pitié, charité oubliée pour son cœur abîmé. Il avait des frères autrefois et dans les yeux de ses sœurs, le mot coupable qu'il voit s'y refléter comme un besoin de condamnation. La colère plus acceptable ainsi, plus excusable quand ses phalanges saignent, moins condamnable quand... « Can I help you ? » Les pensées occupées, mais le regard a suivi les mains qui se sont activées devant lui pour corriger son insolence. Finesse souillée par les traces d'un labeur difficile, il suppose, sinon de luttes. Il ne s'en étonnerait pas de la part d'un garçon de ces rues, il n'y ferait même pas attention si rien ne le poussait à croire à une imposture. Les mages célestiens ont-ils tous les mêmes cicatrices ? « Maybe. » Il le pousse doucement par l'épaule, comme irrité soudainement par la proximité du plus jeune. « Lookin' for someone I lost years ago, and I've been told to find him here. » Il en profite pour s'approcher du comptoir où son attention a été tirée, mouvements furtifs qui attisent la méfiance d'un esprit entraîné, mais perplexe lorsqu'il tombe sur un lapin inanimé. Etrange peluche aux yeux vides qui semblent le fixer, frisson qui l'en détourne. « He's probably small, in his twenties, shy it seems.. gifted... » Son instinct ne lui dicte plus grand-chose et dans son crâne résonnent les coups de son cœur arrosé d'essence, l'espoir étincelle proche de l'enflammer. « Hey, look at me. » Dans son cœur brûle une rancœur incontrôlée, la faute à personne si ce n'est aux lois célestes de les avoir volé, mais la déception durcit sa voix et ses gestes lorsqu'il revient vers l'employé. Son propre regard scrute enfin les traits de son visage, mais l'impatience le pousse à redresser celui du garçon d'un doigt sous le menton. « I said look at- ..me. » Il l'avait presque oublié jusqu'à aujourd'hui, tâche sournoise qui remet les pièces à leur place.. visage rieur aux syllabes saccadées, échos harmonieux. Il ne voulait pas se tromper, heurter son cœur une fois encore et ce n'est qu'une marque – il ne lui a même pas demandé son nom. Grossier personnage venu troubler sa soirée, étranger aux doigts calleux. « So, do you know him? Afanasiy. Fonya. Orhm. » Syllabes appuyées de son ton le plus grave, il a le poing serré et les yeux troublés d'émotions qui ne demandent qu'à exploser, mais retenues par fierté. Il voudrait comprendre Artemiy. Les bleus sur ses mains, sa présence ici, les échos de son nom parvenus jusqu'à lui... pour une mémoire intacte, supposée. Il voudrait l'entendre.

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fin d'après-midi ↠ laverie

Zone tampon. Tanière loin des lumières ou du reste de celles-ci. Endroit solace, repos de son âme amochée et dans la normalité d’une vie sans fioriture, des fragments d’habitude. Secret vivant et semblant de vie qu’il aurait dû avoir. Afanasiy qui ne se fait guère d’illusion. Tromperie bancale, il se doute qu’un jour le saint père l’apprendra et il s’assurera qu’il ne quitte plus jamais sa cage, au diable des convenances. Et pourtant même pour son salut, l’enfant des rêves qui ne peut s’arrêter. Ne sait se préserver. Corps abimé par les années sacrilèges et ses efforts qu’il offre pour une famille morcelée. C’est pour eux. Assurance espoir, et la carcasse qu’il traine. C’est pour eux. Qu’il a tant appelés. Qu’il a tant rêvés. En vain. Morphée n’est qu’un menteur, et dans ses limbes il ne lui a jamais rendu les êtres aimés. S’il ne fait pas attention au bruit de la porte, argent fixé sur son compagnon chimérique qui s’amuse de rien derrière le comptoir, le bruit des paniers qui s’effondrent lui arrache un soupir. Silencieux, qu’aurait-il à dire dans le fond, il est déjà au sol en train de ramasser, d’empiler les accessoires. Il n’y a plus grand monde dans la laverie. Dernier arrivé, et un homme qui ne demande pas son reste une fois sa lessive finie. Le tout jeté à la va-vite, la clochette retentie tandis qu’il disparait dans les ombres de Ketterdam. Mots politesses entre ses lippes, il continue son affaire, bousculé quand il se relève. Corps qui titube, sommeil absent comme une épée Damoclès, il sait qu’il ne pourra pas fuir longtemps encore le monde de Morphée. Espoir ténu qu’il tienne jusqu’au lendemain, une des classes de l’académie pour se cacher du monde et céder au répit de ses onirismes. Offre acceptée à demi-mots, et s’il s’attend à de l’aide comme tant d’autres, conseils quémandés sur une tenue pour un entretien, les mots décrivent un portrait. Gamin disparu, comme tant d’autres. Et le myocarde serré à l’idée que la personne qu’il recherche n’est peut-être déjà plus. Faucheuse qui s’abandonne dans la basse-ville alors que les crimes les plus odieux se font tout autant à la lumière de l’astre diurne. Automatismes qui s’enchainent et son silence en guise de réponse. Il ne sait pas. Ne comprend pas Afanasiy, pourquoi, vraiment pourquoi, on viendrait chercher des informations ici. Remarque acide qui brûle dans l’air, et le rêveur qui garde les yeux baissés. Il n’est pas De Rass. Il n’est pas celui qui toise, celui qui juge, condamne. Masque fracassé au sol, il n’y a que Fonya ici. Tendre gamin qui ne cherche de noises à personne, qui veut juste un semblant de tranquillité. Toucher dur, et le voilà qui tente de se dérober au regard, qu’il tente de fuir cette pression poison. Et le regard qui vrille, se plante, argent liquide dans l’ombre de ces onyx si vides. « Don’t touch me. » Ton sifflant, les contacts refusés. Plus encore lorsqu’il est en position de faiblesse comme maintenant. Et s’il s’apprête à se dégager dans une remarque acerbe, la verve meurt sur ses lippes comme la rosée matinale. Sans un cri, sans une larme. Afanasiy. Fonya. Orhm. « He’s dead. Sorry for your loss. » Enfant assassiné dans la violence d’un foyer cristal. Enfant sacrifié dans un but plus grand. Mort. M o r t. Mort. Et il ne reste rien que ses ombres, canevas ébranlé qu’il traine derrière lui comme sa propre pénitence. Main qui claque contre celle qui tient son menton, et le voilà qu’il se dégage. « Sad story. Was taken, and disappeared in this golden cage. I guess not even the happy end they gave his family. » Corps qui se détourne et le confort qu’il force à son myocarde derrière le comptoir. Peluche qu’il récupère pour la poser sur celui-ci, doigts trop délicats qui effleure le museau de l’animal. Propre deuil qu’il se refuse à faire. Enfant solaire dans ces bas-fonds, il est devenu factice, faussaire à la lumière. Inexistant. Fonya n’est plus. Il n’y a plus rien de lui, si ce n’est l’argent qu’il laisse sous le paillasson. Rien. Rien. Rien.

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fin d'après-midi ↠ laverie

La porte se referme derrière le dernier témoin et les voilà enfin seuls, ainsi la langue du zaunard se délie plus facilement. Il ne voulait guère attirer l’attention sur l’identité de ce garçon, surtout s’il s’avère réellement être son… petit frère et les mots sont difficiles à formuler, difficiles à accepter après toutes ces années à le chercher. Le portrait décrit avec légèreté parce qu’il ne le connaît plus vraiment, apparence supposée avec ce qu’il a devant les yeux et son don pour valeur sûre. Il n’a rien Artemiy, aucune photo ni témoignage pertinent, seulement un nom et une foutue tâche de naissance, mais le voilà qui joue sa seule carte. Il s’empêche encore d’y croire et voudrait presque qu’on le jette dehors, mais tout est silencieux ici, tout est… si triste. Et le silence le touche à son tour, muet à l’écoute des mots assassins qui prononcent sa mort et sa main retombe sans résistance. Il suit les pas du jeune homme jusqu’au comptoir, le regard planté au sol et son propre corps qui refuse de bouger. Il écoute son histoire et pense comprendre, Artemiy, les sous-entendus et sous sa peau de glace, le cœur se déchire. « Who I’m talking to, then? » La voix plus tranquille parce qu’il réalise son arrogance, parce qu’il a déjà perdu même s’il ne s’avoue pas vaincu. Il connaît bien le début de cette histoire. « I was there when they took him away. » Alors il continue, relève les yeux et s’approche à nouveau du garçon, moins hâtif cette fois et les mains en évidence. « Wish I could get him before he disappeared.. » mais il n’était qu’un gosse lui aussi, à l’époque. Un cœur jeune et ignorant, de cette présumée faveur accordée qu’il disait empoisonnée, mais force est de constater qu’ils avaient raison. Fonya n’a pas été oublié, mais volontairement effacé et ça le rend dingue de s’être tant attaché à ce putain d’espoir mort-né. L’enfant des bas-fonds choyé plus que de raison, aurait-il trouvé meilleurs parents là-haut ? Il ne comprend pas et détourne les confessions, entend à sa façon. « But why do I care after all? I was so, so mad when I heard about you working here… and so delighted at the same time, just for you to give me this bullshit. » Il ne lève toujours pas la voix, mais le ton est trompeur sur ses émotions et il claque son poing contre sa propre poitrine. Il a un voile devant les yeux Artemiy, le souffle tremblant et les mains qui le démangent, à vouloir attraper le corps frêle pour le serrer contre lui. Il en est sûr désormais même si l’identité est refusée, assassinée comme une honte dont on voudrait se débarrasser. Pourtant, ce n’est pas l’impression qu’il donne ainsi penché sur sa peluche, garçon adorable à l’allure tout sauf princière. Il n’y a aucun mépris dans son regard, aucun dégoût dans sa voix ni l’ombre d’une curiosité, cependant. On ne veut pas de lui ici, peu importe ses intentions et finalement il s’incline. « I never was the good brother uh... yeah so.. well.. » Arkadiy lui... il aurait su, trouver les bons mots et les bons gestes. Il aurait su le mettre en confiance quand tout ce que lui réussit à faire, c’est le repousser. Submergé ou à bout, il se retourne pour balayer le coin de ses yeux humides parce qu’il réalise qu’après quatorze longues années… oui, il l’a retrouvé et il est sur le point de tout foirer.