This is the day. Il a enfin trouvé le temps, l’endroit (et surtout le courage) pour confronter son frère. Non. Confronter n’est pas le mot : pour parler à son frère. Juste parler. Cela fait un moment. (Peut-être qu’il évite toujours un peu sa famille, après tout, quoi qu’il en dise.) Et est-ce vraiment important qu’il ne décide de voir Aden que maintenant ? Que s’il n’avait pas retrouvé leur sœur, il aurait attendu (bien) plus longtemps ? Et que ça lui a pris des semaines avant d’enfin se mettre en route vers le Last Spell, où travaille son cadet, comme s’il ne passait pas régulièrement devant la boutique, comme s’il ne vivait pas dans le même quartier, à quelques rues de là ?
Kaz ne se sent pas forcément nerveux. La nuit dernière a été bien arrosée, et il a continué à s’embrumer et s’enfumer l’esprit et les poumons dans les heures qui ont suivi son réveil. Oui, Kaz se sent presque bien ; les substances calment les tremblements, les vibrations, ou c’est en tous cas l’impression qu’il a. Avec des lunettes de soleil sur le nez (pour se protéger du soleil estival, bien sûr), le jeune homme est convaincu qu’il apparaît sobre et est prêt à affronter le monde (même si le monde s’appelle Aden Vox). Il ne tardera pas à redescendre mais, en attendant, il se sent inarrêtable et confiant et sûr de sa décision — qu’aujourd’hui, là, maintenant, c’est le bon jour. C’est que, ces dernières semaines, depuis qu’il a revu Naëbi, toutes ses réflexions sérieuses se sont faites alors qu’il était plus ou moins sobre, et seul, jusqu’à faire vibrer de manière infime chaque parcelle de sa peau et un peu plus violemment, parfois, les alentours, à le faire douter et peut-être sombrer (but I’m fine). Mais face à Aden, face à ses parents, face au monde entier, il doit prendre de la distance. Avec les événements mais surtout avec les gens. Personne ne doit voir que ça le touche, que ça le fait vaciller. Que ça le fait vriller. (Qu’il ne sait pas quoi faire. Qu’il n’a peut-être jamais su.)

Le Last Spell semble être un bon compromis : il n’a pas à inviter Aden chez lui, et il n’a pas à se rendre dans la maison familiale où son cadet vit toujours avec leurs parents (et prendre ainsi le risque de croiser ces derniers). Kaz laisse ses yeux glisser sur les étals, les produits exposés et proposés — presque tous ont un pouvoir tentateur, et s’il ne faisait pas un effort monstre pour garder son objectif et la raison de sa venue en tête, il se serait sûrement laisser avoir. Une potion ici, quelques chose à fumer ou à prendre par là, peu importe, il a déjà des excuses toutes trouvées pour faire quelques achats. Heureusement, son dernier stick est encore assez frais dans son esprit et l’aide à se diriger vers le comptoir pour s’y appuyer en attente de son frère, dans l’arrière-boutique ou ailleurs. (Une part de lui commence à espérer qu’Aden ne travaille pas aujourd’hui ; Kaz chasse la pensée en tapotant silencieusement le bois du comptoir.)
Quand la tête familière de son cadet apparaît, Kaz a un léger sourire (plus un rictus qu’autre chose), se redresse, le bras toujours sur le comptoir, le salut machinal, le ton un peu joueur. “Hi Addy.” Et si ça avait été un vendeur différent, il aurait enchaîné naturellement — You got something for me? pour le sommeil, pour les douleurs, pour des maux réels ou exagérés, ou autres raisons variables. Mais ce n’est pas le moment. “Been so long, how are you doing?” Il demande, les mots rapides, small talk and all (bien qu’il s’attarde une seconde sur les potentielles cernes ou autres signes sur le visage de son frère — et n’en dit rien. Constate. Note). Dans un geste discret d’impatience (ou de nervosité, peut-être), le danseur enlève son bras du comptoir, y pose ses deux mains, tapote distraitement du bout des doigts, se balance presque sur ses pieds, déjà prêt à bouger ou à partir. “You got a minute actually?” Kaz observe Aden. Juste une seconde. “I need to talk to you about something. Something important,” il ajoute dans la foulée, le ton plus sérieux et plus bas, puis indique d’un petit regard (oubliant la présence des verres sombres) le shop autour d’eux,  “Not here though.”

La journée a commencé comme n’importe quelle autre. Éveillé bien trop tôt, bien avant même que son réveil ne sonne (une habitude), Aden a pu profiter du lever du soleil avant de lentement se préparer pour aller travailler. L’avantage de dormir aussi peu, c’est qu’il n’a pas besoin de courir étant donné qu’il a des heures d’avance devant lui. Il peut donc prendre le temps d’effacer toutes traces de fatigue de son visage, parfaire le masque qu’il va porter le long de la journée avant de finalement sortir rejoindre The Last Spell.

Il aime bien sa routine, Aden. A s’occuper des quelques clients matinaux avant d’aller remettre de l’ordre sur les différents étalages de potions et concoctions en tout genre. Ça lui occupe assez l’esprit pour ne pas avoir à penser à autre chose qu'à son travail et faire défiler les heures jusqu’à l’après-midi. Dans sa globalité, la journée est calme et il profite de ce moment autant qu’il peut avant qu’une nouvelle vague de clients ne passent la porte d’entrée. Il est planqué entre deux étagères de l’arrière boutique à essayer de mettre la main sur des produits manquants quand il entend la porte s’ouvrir et une personne circuler calmement jusqu’au comptoir. Il se laisse quelques secondes d’écoute pour être sûr que la personne ne soit pas juste en train de fouiner autour des caisses avant d’entendre le léger tapotement de doigts contre le bois, signe d’attente qui le pousse à sortir de sa cachette quand il n’entend pas son collègue faire de même de l’autre côté de la boutique.

Il n’a pas le temps d’ouvrir la bouche pour saluer la personne qu’il se stoppe dans ses mouvements, un sourcil haussé sous la surprise. Kazan. What the fuck is he doing here ? Pas que ça dérange forcément le cadet de voir son aîné (au contraire même), mais ce n’était pas commun de le voir au last spell, d'où sa surprise. « Hey, I’m good as always. » Qu’il répond avec le sourire qu’il sort à tout le monde. « And you ? Did you lose yourself ? » Le ton est léger, mais il doit bien y avoir une raison à la présence de Kaz dans la boutique, surtout quand cela fait une éternité qu’ils ne se sont pas vu/n’ont pas communiqué ensemble. La simple présence de son frère attise sa curiosité, surtout quand il le voit remuer de l’autre côté du comptoir, hésitant, nerveux. Ce ne sont que des signes qui font froncer ses sourcils et titiller sa propre anxiété, même s'il ne s'en rend pas compte immédiatement. « I need to talk to you about something. Something important. Not here though. » C’est suffisant pour que ses muscles se tendent et que son corps change d’appui sur ses jambes. No one is in the shop a-t-il envie de dire. I am the only one eavesdropping between the shelves, here. Il prend une seconde pour observer son frère avant de lancer à travers la boutique : « Mav ! I’m taking a break ! » Un ok se fait vaguement entendre dans le fond et ça suffit à Aden. D’un signe de tête, il indique à Kaz de le suivre et lui fait rapidement traverser l’arrière boutique avant de le faire sortir dehors dans une petite rue. Il n’y a pas vraiment de meilleur endroit pour parler au calme, mais Kaz sait que de toutes les oreilles indiscrètes du coin, Aden est bien celui qui possède les pires avec son pouvoir. « So, what happened ? You okay ? » Quelque chose à bien dû se passer pour qu’ils doivent s’éloigner ainsi et Aden sait qu’il s’agit de quelque chose d’important ; Kazan n’aurait pas fait le trajet pour venir parler sinon.

He can do it. Despite the restlessness, the nervous feeling slowly creeping, quietly buzzing right under his skin, Kazan is sure of himself. Or convinces himself so. Today has to be the day, or it will never happen: he will never open his mouth on the subject, and the weeks and months and time will pass and their sister will fade away again to the point that she might even be called dead, more than ten years after her disappearance. But she’s alive, she’s so, so alive. But I’ve seen her, Aden, I’ve talked to her, it’s her, it’s Naëbi, I swear. The memory of that night, and the days that followed, only makes him more nervous.
Still, he copies his brother’s tone and keeps on his smirk. Did he lose himself? “In so many ways, brother,” he answers with dramatic flair. “Nah, I’m good.” Of course he’s good. He always is. Just as Aden always is too. These are the things they just don’t talk about, not when they only see each other once every moon cycles, and absolutely not in the middle of a potion shop. Is Aden sleeping well? What even is he up to these days? Kaz wouldn’t know. Doesn’t ask either. His gaze just goes up and down behind his dark-tinted glasses, as if that would give him enough answers. Does that even matter when their sister is out there?
A few seconds pass after he tells the youngest that he has something important to talk about. During these seconds, his fingers keep drumming lightly on the wooden counter and his mind desperately tries to lose focus, thoughts spiraling — I could use some of that, he briefly thinks about one potion, I should buy this later, his head tries to convince him about another dried, green-ish plant sold in a tiny bottle. Kaz almost gets impatient — and frustrated — before he hears one of Aden’s colleagues away in the background, snatching his attention away from the products, and his brother asks him without a word to follow him. Kaz doesn’t have to be asked twice. With his small, arrogant smirk, he slides behind the counter and with Aden in the front, they go in the back of the shop then outside in a small alley shadowed from the hot summer sun.
There it goes. And now he’s nervous again. Back in the open air, pushed by his nervousness, his gestures are automatic: a hand gets into his pocket, his fingers snatch a cigarette out of their pack, then fumble for his lighter, and the first smoke reminds him that Aden is waiting for his answer. What happened? Is he okay? “Yeah, sure.” Quick words that don’t mean a thing. His mind’s working to find a nice way to announce to his little brother that he found their lost sister, that it happened weeks ago, actually, but he didn’t find the courage to go forth earlier. That he has no idea what to do next. That he wants to quit his job, now that he knows about Naëbi’s whereabouts. That he’s lost, lost, lost. He shouldn’t even be there; he’s the big brother, he should know what to do about this whole situation, he should have come to Aden with a nicely made-up plan about what to do next. He should have come here with Naëbi. No one should know that he’s got nothing figured out, especially his dear little brother.
His gaze finds Aden’s again. “Yeah, so,” Kaz begins with fake confidence, “I was out the other day.” This was weeks ago. He looks around quickly, to gather some more confidence, then his eyes are back on his brother. “I…” The words get stuck. Kaz takes a drag off his cigarette, pretends that his voice didn’t break, that this pause was planned all along as he searches for a way to tell his brother without being too harsh, too direct. Maybe there’s no smooth way to say those kind of things… His voice gets low, his words intense without intending to. “I found Naëbi, Addy.” A small, nervous laugh escapes from his lips. Even said out loud for the first time, it sounds unbelievable. He’s ready for his brother to tell him he’s crazy, that the drugs have gotten to his mind, finally, scrambled his brain, that he’s hallucinating, for sure, so he adds, even lower, “I saw her. At a party.” Talked to her too, but he will tell him that later.