Aux angoisses qui se multiplient quand les ombres s’amoncellent autour d’elle, de cette vie compliquée dont elle a hérité sans vraiment le vouloir, Kiki se fatigue à tenter de la comprendre. En vain. Rien ne fait sens, ici. Les gens parlent de liberté mais tout le monde semble enchaîné. A quelqu’un. A quelque chose. Que ce soit une union déplaisante, un travail éreintant, des vies amères privées de sens. La seule chose qui semble assurer un minimum de répit aux gens, ce sont les crescents. Ceux-là même qu’elle ne possède pas. Ceux là même qu’on lui fait miroiter, comme une fin en soi. Mais c’est une illusion de croire que l’argent règle tous les problèmes, non ? Elle s’en fiche des crescents, Kiki. Elle s’en fiche de posséder quoi que ce soit. Elle n’a jamais rien eu et elle a toujours vécu comme ça, à suffoquer sous les coups, à se briser pour le plaisir des autres, à s’écharper sous leurs yeux torves et leurs ventres bedonnants.

Watch me die in peace.

Ici, tout est bizarre. Sen aura beau lui expliquer mille fois comment cela fonctionne, elle ne comprend pas les rouages de cette société bizarre. Encore moins après une soirée comme celle là au cinéma, quand ce client l'a un peu trop regardé et qu'elle a voulu répondre à ses avances. Scandaleuse, a-t-on dit. Irrespectueuse. Elle n'a rien fait de mal, Kiki. Alors elle est simplement parti, elle a quitté son poste en furie et est rapidement rentré au manoir pour se réfugier auprès de lui. Safe-zone qu'il lui assure. Il ne la jugera pas, Sen, ne dira rien sur son comportement tordu, sur les moeurs et habitudes différentes, sur ses actions qui, ici paraissent bizarres, quand elles sont qualifiées de "normales" pour elle. Il ne dira rien, Sen, n'est-ce pas ? Car elle n'a rien fait de mal, Kiki. Elle a juste souri.


Il ne dit rien, Sen, en effet. Il ne dit rien car il n'est pas là. Aux abonnés absents, comme si souvent, et si elle s'en moque d'ordinaire, ce soir-là elle le déplore. Car elle a besoin qu'il la rassure, lui dise que ce n'est pas grave, que demain il parlera au patron du cinéma, qu'il arrangera ça. Car c'est qu'il fait depuis plus de trois mois maintenant : il arrange toujours ça. Elle s'assoit en tailleur, au centre de la pièce, sort le téléphone qu'il lui a donné et lui envoie un message. Elle minaude, d'abord. Puis, les secondes passent et l'angoisse monte. Il ne dit rien, Sen car il ne répond pas. Et très vite, la mascarade prend des airs de cauchemar. Les larmes montent. La frustration génère un sourd sentiment de colère. Lourd, il envahit l'atmosphère et ses griffes apparaissent dans le prolongement de ses mains, détruisent le dos de l'appareil qu'elle tient au creux de ses mains palmées. Très vite, les fines coupures de son cou se dévoilent et les écailles ressortent. Noires, ébène et la rage qui se fait cendres quand elle la laisse éclater autour. Chambre qu'elle ruine, de cette longue queue qui en balaie les murs, y creuse de sacrés éraflures ; de ces griffes qui déchirent les vêtements, lesquels forment un petit tas sur lequel elle finira par s'endormir d'épuisement après une lutte de plusieurs heures contre la violence de ses sentiments.

You promised to never let me down.
But what can I do when i need you and you're not around ?

Les heures passent. La fureur s'échappe, bercée dans les bras de Morphée et Kiki s'enroule, dans l'odeur familière de celui qui lui manque tant, les affaires éparpillées, jonchant le sol, morcelées comme les ventricules au cœur de sa poitrine, flétris, inutiles. Eux aussi, ils ont la peur du vide.

ut a mermaid has no tears, and therefore she suffers so much more.

Vingt-quatre images par seconde. C’est la vitesse de défilement de la pellicule 35mm dans le projecteur et qui crée l’illusion du mouvement. Aux balbutiements du septième art, le frame rate tournait entre seize et dix-huit images par secondes, notamment à l’époque du cinéma muet. En réalité, l’oeil est capable de générer une impression de motion à partir de dix images par secondes. Simplement, votre cerveau aura plus de peine à traiter l’information et à lui donner du sens. L’image paraitra un peu distordue, une sensation d’étrange s’en dégagera.

Sa vie à lui, elle défile comme un film muet. À seize images par secondes, c’est lent et étrange. Cela dit, cela lui convient parfaitement, il éprouve beaucoup de haine à l’égard de ceux qui cherchent le grand frisson, de ceux qui ont tout et qui sont prêts à tout perdre pour quelques minutes d’exubérance. Alors oui, les gens pourraient dire qu’il a perdu toute sa rage de vivre, qu’il est devenu misérablement obéissant, qu’il a changé de camp. Mais Sen, avant, il n’avait rien à perdre.

Maintenant, il a un toit.

Il a un lit.

Il a Kiki.

Il avait signé un pacte avec le diable pour la protéger, et si ça devait faire de lui un chien de garde, un petit soldat aux pensées brainwashées, alors tant pis. Elle ne lui facilitait pas la tâche. Monstrueuses crises de colère, disputes incessantes ponctués par des instants fébriles de tendresse, les traumatismes de la petite sirène resurgissent dans chaque aspect de leur vie et il n’a même pas le droit de lui en vouloir. Alors plutôt que de libérer sa fureur et sa rage sur elle, il s’explose dans le lit des autres. S’anesthésie aux alcools et aux drogues, purge ses pulsions dans des longs-métrages sanglants.

Ce soir, son coeur est apaisé. Était. Il avait quitté les draps de cette inconnue à peine cette dernière avait rejoint les bras de Morphée, laissant comme à son habitude une citation de film aux connotations romantiques, comme pour atténuer l’amertume de sa fuite. Il avait rallumé son portable, et le seize images par seconde ne suffit plus pour rattraper sa course effrénée jusque chez lui, les pensées à la fois tordues par l’inquiétude pour elle et surtout, pour lui-même. Il entre dans la maison des employés le regard froid et dur, ne prend pas le temps d’enlever ses pompes, l’une des agents de ménage trottine timidement vers lui et tente vainement de s’imposer. Sen, we must let you know something happened here when you weren’t here and… I know. Sans un regard pour elle, il l’ignore et l’évite, les traits froids dirigés vers une seule pièce : sa chambre. Et il a beau déjà être en colère, sa cage thoracique déborde d’une anxiété tourmentée pour elle, elle qui était capable de se heurter autant qu’elle était capable de blesser les autres.

La pellicule coince dans le projecteur. Son corps entier se stoppe aux abords de la chambre, ses membres, son coeur, son cerveau. Il observe d’un air sidéré les ruines de son espace de vie. Putain… soufflé dans la stupéfaction, il lui faudra quelques secondes avec qu’une fureur dévastatrice ne reprenne le dessus. Sen finit par remarquer le corps de l’auteure des méfaits, on aurait dit un tout petit animal qui s’était endormi d’épuisement, elle avait l’air fragile comme ça, ça ne calmait pas pour autant ses envies de violence actuelles. Il fait quelques pas dans la pièce, tourne en rond, le poing coincé entre ses dents pour s’empêcher de hurler, en lutte contre lui-même pour s’éviter tout acte aussi stupide que ce qu’elle venait de faire. Les dégâts sont monumentaux. Les murs ont les stigmates de ses coups. Ses vêtements sont déchiquetés, ses livres en pagaille, certains des meubles sont en morceaux. Puis, son regard tombe sur ce qui lui fera définitivement perdre le contrôle. Parmi les victimes de cette nuit infernale, il y a ses pellicules. Celles qu’il gardait précieusement dans sa collection, celles qu’il était en train de réparer. Elles sont déchirées. Il explose. Avec force et brutalité, son pied vient s’éclater contre le bureau dans un fracas tonitruant et en brise l’un des pieds, assez bruyamment pour la sortir de son sommeil. Ça va, la sieste était bonne ? Le ton est évidemment cynique, et malgré l’ironie, aucun sourire sur son visage. C’est quoi ton putain de problème, hein ? Le ton monte à mesure des mots, les veines sont apparentes sur son cou, les marques de son fléau aussi. Il s’accroupit à sa hauteur, venin dans les yeux, même quand il a envie de la tuer, il peut pas s’empêcher de la trouver belle. Ça n’en est que plus exaspérant. Barre-toi. J’veux plus t’avoir ici. Ce n’est pas la première fois qu’il profère de telles menaces en la regardant droit dans les yeux. Ce n’est pas la première fois qu’elle invoque le pire de ce qu’il a en lui.

Voilà le pouvoir qu’elle avait sur lui. Kiki était capable de réveiller ses démons les plus profondément terrés, autant que ce qu’il y a de plus beau caché dans la pénombre de son coeur.

ittle did she know that her actions could have regrettable consequences. She lived from day to day, without thinking, because she had never been taught to anticipate anything. ❞


D'épuisement, elle s'était effondrée sur le sol au milieu du tas de débris qui jonchait désormais la chambre, jadis rangée. Son sommeil était curieusement paisible ; et parce qu'elle s'était totalement vidée de son énergie, ce dernier lui était réparateur. C'est en sursaut qu'elle se réveille, alerté par le fracas du meuble à côté d'elle. D'un coup, son corps se redresse et les coquillages à ses oreilles s'estompent, tout comme les fines branchies de son cou se referment. Ses yeux s'écarquillent et l'or brillant de sa prunelle se masque peu à peu. Les jambes flageolantes, elle s'assoit sur le petit tas d'affaires. Elle vacille encore parfois, Kiki, à ne pas trop savoir comment marcher ou se tenir, équilibriste fragile et hésitante, à cheval entre des mondes qui s'opposent.

Sen est là. Il est furieux. Il jure et lui crie dessus, mais il est là, bien présent. Et sa violence lui réchauffe le cœur comme un baume rassurant, vents violents qui la rassemblent, la contiennent, la sécurisent au lieu de la terrifier. Et elle devrait voir, Kiki, dans son regard, sur sa mâchoire serrée, sur ses traits marqués par la colère qu'il retient et la rage qu'il refoule pour la préserver ; elle devrait voir, tout le mal qu'elle lui fait. Mais la violence est tout ce qu'elle a connu, tout ce qu'elle a toujours vécu, alors elle l'interprète différemment.

❝ Vois comme je t'aime, j'ai détruis ton logement. Vois comme je t'aime, j'en suis tombée d'épuisement. ❞

Ses grands yeux innocents s'ouvrent grand et, dans un élan idiot, ses bras s'enroulent autour de ses épaules à lui. You came back !!! Et son souffle se mélange au sien, son corps se presse, attiré, comme un besoin. Mains palmées qui s'invitent, à palper la peau. Et c'est le soulagement qu'elle exprime ainsi, balayant tout le reste d'un simple battement de cils. Where were you ? I needed you. Et elle aurait besoin de lui tout le temps, si elle s'écoutait. Pour chaque étape de cette nouvelle vie aux mystères qui ne cessaient de s'amonceler. Liberté chérie tant incomprise, avec laquelle elle se débat sans prises. I had a problem at the cinema. I left. Elle a fait une bêtise, Kiki. Elle ne sait pas vraiment si c'en est une. Elle ne sait pas si elle se comporte bien, parfois. Tout est si étrange, ici. Rien n'est pareil, alors parfois (souvent), elle fait des erreurs. Mais elle n'est pas la seule à en faire. Lui aussi. Car elle a reconnu l'odeur qu'il n'a pas cherché à cacher. L'odeur qu'il porte sur sa peau, des sueurs mélangées. L'odeur qui lui fait comprendre qu'il n'a pas besoin d'elle, lui.

t dans toute sa violence, sa douceur lui fait encore plus mal. Dans un geste complètement inattendu, elle le prend au dépourvu ((et sen ne s’habituerait jamais à sa déraison)) et se jette à corps perdu dans ses bras. Il encaisse le choc de son petit squelette qui s’explose contre le sien, les épaules solides qui ont toujours infiniment encaissés pour elle. Stoïque, il ne bouge pas. Il ne répond pas à ses tendresses. Son visage, qui a retrouvé une place familière dans le creux de sa clavicule, est d’une neutralité presque terrifiante. Il respire l’odeur iodé de ses cheveux, son parfum qu’il connait tellement bien qu’il pourrait écrire une trilogie de bouquins à son honneur. Un soupir las et silencieux s’efface dans la voix plaintive de la belle, lorsqu’elle fait allusion à son nouveau faux-pas. And you want me to fix it. Comme tous les problèmes qu’elle rencontre. Et qu’elle rencontrera. Il le fera, Sen. Il les fixera un à un, tous les rouages et mécanismes qui merdent chez elle. Toutefois, ce soir, il est en colère. Sans aucune violence pourtant, il pose les paumes de ses mains sur les épaules frêles de Kiki et la repousse. You know what ? For once, you gonna fix your shit by yourself. I’m done with it. I’m done being your fucking baby-sitter. You keep telling me you’re not a kid anymore, that you can handle yourself, but look at you. Et malgré la brutalité inouïe des mots qu’il prononce, sa voix est dénuée de toute émotion. Il la fixe d’un air presque absent. Ses yeux balaient la pièce avant de lui revenir. Look what you do when I’m leaving you. Even though people try to give you a chance, you’re ruining them all. I’m tired, Kiki. Like fucking exhausted. Et ça se voyait dans les cernes qui creusaient son visage, ça s’entendait dans la lassitude qui se trainait dans sa voix. Finalement, il tape sur ses deux cuisses comme pour se donner l’impulsion pour se relever. I think we’ve suffered enough, right ? You want to mess our chances to live a decent life, okay. But without me. Et comme si il ne venait pas de faire exploser un milliard de bombes tapies sous leurs coeurs, il se met mécaniquement à nettoyer et ranger, ignorant presque la présence de celle qui était pourtant partout.

espair sparkling in her eyes. She knows nothing of this world, unless you tell her. ❞

Les émotions sont comme des vagues qui déferlent à une vitesse incroyable qu'elle ne peut maîtriser, Kiki. Elles l'envahissent, l'ensevelissent, lui font boire la tasse ; et elle n'a pas le temps de se saisir de leurs nuances qu'aussitôt, ça recommence. Tourbillon d'incompréhensions qui affole l'endocarde, fait pulser violemment l'organe piégé dans sa cage thoracique et provoque quelques étourdissements. Si ses bras la rassurent, bien vite il l'en chasse, rejette son affection. Elle ne voit pas la lassitude qui se loge sur les traits familiers, elle ne perçoit pas la déception dont elle est grandement responsable ; elle subit simplement la lame de fond qui la fauche sur place, la laisse inerte. Sirène rejetée par la mer, échouée sur les plages recouvertes de son propre sang. La mer est rouge, sans pitié, dans son esprit.

Without you ? Qu'elle répète, d'une voix à la fois inquiète et incrédule. Et puis, s'ajoutent à la peur de l'abandon qui avait, d'une certaine façon, toujours fait partie de sa vie ; cette odeur persistante qu'il traîne sur lui et qui vient titiller ses branchies. With who, then ? Curieux comme elle reprenait bien vite de la hargne, Kiki ; habituée à lutter pour sa survie. Elle se relève d'un coup, observe la pièce dévastée du regard et serre les poings le long de son petit corps. C'est que la rage bat à ses tempes de nouveau, que la colère la foudroie sur place sans qu'elle ne puisse la comprendre ; et de sa mâchoire serrée, elle déverse le venin de la vipère qu'elle pouvait parfois devenir. You said you'd always be there. You've already broken that promise once, are you going to break it again? Parce que, si lui avait eu le temps de s'habituer à cette vie là, à cette ville-là ; elle était restée coincée à Utopia, dans le même logis insalubre à grandir de la pire des façons qui soit. Am i such a burden ? Qu'elle demande, les lèvres tremblantes, saisie par le froid qui venait soudainement geler son cœur. Elle était égoïste, Kiki, de lui faire ce genre de reproches quand il se démenait pour elle depuis plus de trois mois. Mais comment pouvait-elle rattraper cinq années aussi vite ? Elle faisait son possible pour suivre ses prérogatives, elle essayait, tant bien que mal, de ne pas trop se faire remarquer, mais ce n'était pas dans sa nature d'être discrète, et elle avait beau faire tous les efforts du monde, elle restait décalée.

I am sorry, ok ? I am fucking sorry because i ruined your room and destroyed your things. I didn't want to ! I panicked ! I panicked because you weren't there and I didn't want you to be mad at me for what I did ! You know how hard it is to control this kind of feelings ! I try my best ! I swear ! I AM TRYING SEN ! I AM SORRY IF THAT IS NOT ENOUGH FOR YOU ! Parce que, si sa colère la rassurait, le vide avec lequel il pouvait la rejeter, lui faisait perdre tous ses moyens ; alors elle se confessait en pleurs sans larmes. La petite sirène perdue dans un océan d'émotions. ça virevolte dans la pièce, ça s'échoue sur les murs, sur les débris jonchant le sol, ça ricoche sur les carcasses ; et les griffes sortent à nouveau, entaillent sa propre peau tandis que des écailles verdâtres apparaissent çà et là, remplaçant l'image satinée et douce par une vision d'horreur. I don't want to live a life without you ! Am i the only one ?

nerte est son coeur face à elle et ses questions rhétoriques. Il ignore presque sa présence, il ignore ses réflexions qu’il juge stupides, parce qu’eux deux en connaissent déjà les réponses. Sen et Kiki n’existaient pas l’un sans l’autre. Comme les héros d’une comédie romantique, ils étaient indissociables, et il en avait parfaitement conscience. Il n’était pas le personnage principal de sa propre vie. Elle l’était. Elle était sa quête, sa motivation et sa fin. Il était foutrement inutile de lutter contre le destin, alors aussi tranchants pouvaient être ses mots lorsqu’ils se confessaient dans la colère, ils étaient surtout vains. Quand elle fait allusion à cette première et longue séparation douloureuse, il stoppe pourtant ses gestes. De vieux souvenirs traumatisants réveillés par sa pique, et les longues nuits cauchemardesques à se demander si elle est simplement toujours en vie qui hantent à nouveau ses pensées. Les jointures de ses phalanges se blanchissent contre le bureau sur lequel il s’appuie avec fermeté, en proie à la colère à nouveau, face à des reproches sans légitimité et pour lesquelles il se sentira pourtant à jamais infiniment coupable. Il reste dos à elle, refuse qu’elle puisse voir un soupçon de haine dans ses yeux, il sait qu’elle souffre déjà beaucoup trop et que ses actes ne sont que le résultat d’années de violence et de chaos. Ça n’en reste pas moins difficile à gérer pour lui, et il s’en veut pour ça. Il voudrait pouvoir apaiser leur peine à tous les deux. Toutefois, Sen est de ceux qui n’ont jamais appris à formuler ses ressentis dans la douceur, à confesser sans peur.

Il peut l’entendre dans sa voix, combien elle est sincère et désarmée. Il se tourne alors face à elle, dont le corps se transforme à nouveau avec la même brutalité qui la définit, il peut observer physiquement son impuissance face à tout ça. Ses mots ricochent jusqu’au fond de sa cage thoracique, rancoeur qui s’évapore parce que la voir souffrir est mille fois plus insupportable que de devoir endurer ses propres douleurs, c’est dans un réflexe inné qu’il fonce vers elle lorsque ses griffes viennent s’enfoncer dans sa peau laiteuse. Il attire alors son corps toujours minuscule contre lui, il sent la pointe de ses doigts érafler sa propre chaire, serre les dents quand cette dernière se déchire face aux ongles acérés. Sa main droite s’amarre fermement à sa taille afin qu’elle reste au plus proche de lui, l’autre vient se glisser dans ses cheveux en bataille et appuie avec douceur contre son crâne pour qu’il repose contre son torse. Ainsi, elle pourra entendre les battements de son coeur réguliers et calmes. Stop it. Dans l’abandon, il laisse son visage tomber contre le sommet de sa tête, respire à plein poumons son odeur apaisante, et embrasse son front. Even if you’re fucking unbearable and so messy, you know I would never leave you. So stop it, please. Sa voix est sereine, bien que témoin de son épuisement. Ses doigts s’accrochent désespérément à ce qu’ils trouvent, ses cheveux, sa taille fine, il emprisonne son corps comme si elle pouvait à nouveau lui échapper. I just want to us to have a normal life, Kiki, and you’re not making things easy for me. Presque murmuré contre sa peau, des aveux qu’il se serait bien gardé de confesser, tant il aurait voulu la protéger de tous les maux. Il sent le sang commencer à couler là où elle a fendu sa peau, mais n’en dira rien. En perpétuelle lutte contre sa propre rage, son désir d’elle et son amour toxique, il n’y a qu’en respirant le parfum de ses cheveux qu’il arrive à se contenir. Les paupières se closent, en proie à l’abandon. Please, stop it…