chaos
auparavant, c'est avec le coeur léger qu'il se rendait au bureau de sir kernaghan. l'esprit libre de toute contrainte. rien ne lui a jamais été reproché. bon petit soldat loyal et obéissant. il n'a jamais déçu. jusqu'à maintenant. cela lui est presque insupportable d'affronter le regard froid et sévère que grandpa pose sur lui lorsqu'il se réveille. lorsque l'autre s'endort. chaos est impuissant. incapable d'expliquer ( mensonge ). incapable de lutter contre les disparitions soudaines et imprévisibles. les conséquences sont terribles, autant pour kai que pour lui. corps marbré de nouvelles cicatrices à chaque échec. désapprobation très irritable, voire insupportable. gamin plus que jamais divisé. sir kernaghan ne renonce pas à son ambition de faire obéir l'enfant rebelle. nebula. de la faire plier en utilisant le pouvoir de chaos. véritable torture permanente. souhait secret et inavoué qu'il renonce enfin. en vain.

aujourd'hui, ils n'y échapperont pas.

c'est d'un pas lourd que chaos se traîne au bureau qu'il craint désormais malgré lui. personne ne peut l'aider. personne ne peut empêcher ce qui va se produire, encore. alors il prend tout son temps. pour comme faire reculer l'inévitable. ses doigts fébriles se posent sur le bois de la porte. tremblements qui l'enragent. il n'est pas le faible. chaos sert les dents. hémoglobine qui macule ses dents. il inspire et fait son entrée. il n'a aucun regard pour nebula. se contente seulement de darder ses prunelles sombres sur sir kernaghan qui se tient derrière son bureau. « mon très cher enfant. tu sais pourquoi je t'ai fait venir. » coup de tête en direction de sa soeur. chaos se refuse encore à lui jeter un coup d'oeil. parce qu'il sait qu'il va craquer. encore. partagé entre son affection pour elle et sa fidélité envers grandpa. « j'ai foi en toi chaos. sois maître de ton alter égal. sois digne d'être le numéro quatre. » les poings se referment un peu plus. les ongles rentrent dans la chair. grandpa se tait et lui fait signe. la respiration bloquée, chaos se tourne enfin vers nebula. une myriade de pensées contradictoires l'envahit.

pourquoi ne lui obéis-tu pas nebula ?
pourquoi me forces-tu à faire ça ?
je n'en ai pas envie.

« et bien, j'attends. » sir kernaghan s'impatiente derrière son bureau. curieux spectateur de la scène terrible qui se produit devant lui. impatient de savoir qui des deux va gagner cette fois. kai ou chaos ? ses iris deviennent plus durs. « nebula. ce serait plus facile si tu changeais d'avis. si tu faisais comme avant. » quand elle était comme lui. qu'ils étaient tous deux si semblables. que rien ne se dressait devant eux. prière silencieuse qu'il lui adresse. s'il te plaît nebula. ne me force pas à faire ça. crainte de décevoir à nouveau ou de blesser sa soeur. pire : de tomber dans les abysses.

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deux ans que les abysses se sont refermés sur atlas, deux ans que la perspective d'effectuer une mission lui glace l'échine.

deux ans que son refus d'y prendre part lui vaut d'avoir dégringolé dans les standards de grandpa, la confrontant à ses regards noirs, à son dédain, à ses colères. tout ce qu'elle déteste.

elle était two, aujourd'hui l'est-elle encore ? il ne l'appelle ni par son prénom ni par son numéro, il ne l'appelle plus tout court. se contente d'ordres tronqués lorsqu'il exige qu'elle le rejoigne, pour des entraînements plus punitifs qu'ils ne sont utiles ou, depuis plus récemment, au profit d'une nouvelle lubie : il tente de retourner chaos contre elle.

et elle ne sait pas ce qui serait le pire, nebula : que chaos continue de résister ou qu'il finisse un jour par céder.

chaque rendez-vous est un supplice, chaque instant une effroyable agonie. car les refus ne sont jamais bien accueillis à kernaghan manor, ils n'y ont pas leur place. pas parmi les enfants de l'« académie », formatés pour obéir, formés pour exécuter. et elle n'est pas comme ino, qui ne fonctionne qu'à la terreur, refusant de se soumettre autrement. elle n'est pas comme maddox, qui se détruit jusqu'à éteindre son pouvoir et semble se moquer de tout. elle n'est pas comme solveig qui doute des raisons de sa présence parmi eux. elle est de ceux qui suivent les directives avec application, comme une évidence, elle est de ceux qui n'ont peur de rien, de ceux qui déploient leurs aptitudes avec acharnement, elle est du trio de tête que forment aux yeux de grandpa nevoria, chaos et elle, si différents et incompatibles puissent être nevoria et numéro quatre.

mais chaos et elle — chaos et elle, c'était aisé. efficace, rouage savamment huilé, c'était d'une facilité terrifiante. parce qu'elle a été là à son arrivée, parce qu'elle l'a vu apparaître, parce qu'elle l'a entraîné, parce qu'elle l'a brainwashé comme elle l'était elle-même.

et aujourd'hui… et bien, j'attends. aujourd'hui — nebula. ce serait plus facile si tu changeais d'avis. si tu faisais comme avant. aujourd'hui elle le trahit. je ne peux pas, souffle-t-elle. je ne peux plus. je ne veux pas réitérer une telle erreur, je ne peux pas prendre le risque de perdre un autre d'entre vous- assez ! nous ne sommes pas ici pour écouter des plaintes pathétiques. elle se redresse, dos bien droit et menton relevé, le regard fier bien qu'il ne soit pas défiant, respectueux mais refusant de plier. laissez-le partir. je peux me montrer utile autrement, je peux m'entraîner à créer un portail menant à l'île— tu te crois à la hauteur ? il ne rit pas, ne se moque même pas ouvertement, mais c'est craché sur un ton qui signifie qu'il ne l'en croit pas capable. j'y arriverai, réplique-t-elle pourtant. tu es loin d'être prête. à peine capable d'exécuter un portail digne de ce nom sous la contraire. l'évocation à atlas la liquéfie de l'intérieur. les paupières se ferment, se pressent. et dans leur pénombre elle revit l'horreur. ne me forcez pas à y retourner.

c'est la pression qu'elle craint. le stress des missions, l'obligation de s'exécuter dans la seconde tout en se battant contre d'autres, d'utiliser ses portails pour elle-même et pour d'autres sans discontinuer, c'est la précipitation qui la terrifie.

je refuse de créer dans ces conditions, reprend-elle, interrompue aussitôt par l'aîné : mes ordres ne sont pas sujets à négociation ! quelle audace. tu dois affronter les missions et en ressortir meilleure, je refuse de te voir geindre et te terrer plus longtemps. voilà deux ans que tu m'es inutile. je ne tolérerai pas que cette situation perdure. elle frémit de façon visible, blessure aisée et toujours efficace, tout en elle se rebiffe contre la sensation de ne plus servir à rien, tout en elle déteste vivre avec cette désapprobation ouverte et ce mépris affiché. chaos. exécution. et ses yeux trouvent ceux de son comparse, de son complice, de celui qui n'a jamais osé la priver de sa volonté. ne fais pas ça, murmure-t-elle, en peine, voudrait crier, hurler, mais ne s'abaisserait pourtant jamais à supplier. s'il existait simplement un moyen pour elle de leur épargner la torture qui les attend en cas de refus, elle donnerait tout. tout. mais il y a cette fois, dans le regard de chaos, dans son port, dans son attitude, quelque chose de dangereux qu'elle n'a jamais vu se retourner contre elle. il y a de la résignation et de la détermination, là où il avait jusque-là toujours battu en retraite et cédé le terrain à kai.

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