Il y avait des soirs comme ça
Une pensée qui traversera sans doute ses idées un soir comme celui-là.
Pourtant, tout commence comme un autre… dans la version de ces derniers jours où ils sont obligés de tapiner dans la rue…
Le coin est devenu compliqué. Le bordel plus si accessible. Il leur faut un peu remonter… et pour eux les putes ça veut surtout dire descendre un peu plus bas.
Vendre son corps n’a déjà pas grand chose de glorieux quand on le fait entre les murs d’un bordel.
C’est pire quand on doit le faire dans la rue.

Celui qui se fait appeler Eden le sait pourtant.
Il y a pire.
Parce qu’il y a toujours pire. C’est un principe de base pour nous apprendre qu’il ne faut pas se rassurer en pensant des choses comme : au moins, je ne peux pas tomber plus bas.
Il l’a sans doute pensé pourtant… les premiers soirs où il s’est retrouvé à vendre son cul dans la rue.
Il sait que certains ont regretté… leur petite routine du bordel… les clients habituels… ceux qu’on trie au moins un minimum quand les marques sur son corps prouvent que la rue n’apporte définitivement pas que du bon.

On s’y fait. Ce n’est pas la première fois qu’on fait rimer violence avec la vente de plaisir qu’il propose.
Et au moins, oui au moins, il y a toujours une petite main pour veiller au grain quand l’abus devient celui de trop.
Mais pas ce soir. Pas pour lui. Pas maintenant en tout cas.Le client a l’air réglo, sa petite main s’éclipse pour un soucis à régler. Quand il lui dit de bosser pendant son absence, le Teler hoche la tête. De toute façon, ce n’est pas comme si lui ou les autres avaient le choix… faut que ça tourne… que le bordel soit temporairement fermé ne leur donne pas le droit à des petites vacances.
Personne n’en doutait.

Alors il se brade. Un peu. Tout le monde le fait. Parce qu’il faut prendre ceux et celles qui ont la bravoure de se payer une pute en ces temps-là.
Et ce n’est clairement pas les meilleurs.
Ce soir, ça ne démarre pas si mal pourtant.
Mais il y a le client de trop.
Aucune douceur. Il contient ses plaintes en se mordant l’intérieur de la joue et en se retenant au mur contre lequel ils font affaire.
Il ne tiendra pas le rythme
Le genre de pensées avec laquelle il se réconforte.
Elle est honnête. ça ne dure que quelques minutes même si ça lui paraît être des heures à lui.
Rien que quelques minutes et il peut arranger ses fringues. Mais quand il tend la main pour demander ses crescents à la place des jetons plus tant à la mode, il croise un regard qui ne lui plait pas... et il comprend.

Sur le coup, il se dit qu’il va se prendre quelques coups. Dans le pire des cas, il ne paiera pas… au mieux, il jugera que ça vaut un peu moins de billets que prévu.
Et puis, il la sent transpercer sa peau… il la voit ressortir colorée de rouge… il entend vaguement les mots “T’es là pour ça. Je paie pas pour une pute.” avant de sentir son dos heurter le mur quand le client le balance dessus avant de prendre la fuite.
Il le regarde… courir… disparaître… puis son regard se baisse sur une chemise trop sombre pour laisser voir la couleur de son sang… il y voit pourtant l’entaille… et quand sa main s’y pose… il la sent déjà poisseuse.
Ses yeux rencontrent son sang sur cette dernière… et il le pense alors… stupidement… oui… Il y avait des soirs comme ça …

Dans une grimace, il se laisse glisser contre le mur.
Sa main vient faire pression sur sa blessure… ça retarde… c’est tout ce qu’il peut faire… il n’essaie même pas… ça le fatiguera et ça ne marchera pas….
Puis son regard se tourne vers le bout de la ruelle. Il se demande quand son “collègue” refera surface.
Il devrait peut-être essayer de sortir… chercher de l’aide.
Mais le mieux à faire pour lui, c’est sans doute d’attendre ici.
Les minutes lui semblent un peu longues… et il envisage la possibilité que c’est peut-être la fin pour lui.
C’est con… quitte à mourir, il aurait préféré le faire là-bas … à Kelós.
Pas dans une ruelle pourrie…
Pourtant, il mène ici… le chemin que sa vie a fini par emprunter.

C’était un peu avant que tout dérape. Quoique les choses avaient commencé à se gâter pour la Basse-Ville… Mais lorsqu’on vient d’en haut, on ne fait que regarder avec, au mieux, un peu d’appréhension, bien à l'abri dans leur palais dorés.
La bataille de Zaun n’avait encore eu lieu, mais déjà pour les Célestiens, il n’était plus question de mettre un pied en dehors des murs. Les sécurités avaient été renforcées et chaque déplacement extérieur devait être bien justifié. Pour la plupart des habitants de la Haute, cela ne changeait pas grand chose. Les jeunes fêtards et intrépides regrettaient de ne plus pouvoir descendre si facilement à Ketterdam, quoique certains, plus inconscients, décidaient toutefois de braver les vives recommandations.
Soàan Aiwenor n’avait officiellement aucune raison de franchir les murs. Son travail consistait à attendre dans une des plus haute et belle tour de Celestia, et à contempler la mer quand le téléphone ne sonnait pas. Il n’avait pas parlé de ses escapades à sa patronne et meilleure amie. Aujourd’hui encore, il lui avait été un secrétaire dévoué et souriant. Mais il avait cette boule au fond du ventre. Cette angoisse atroce qui brouillait le merveilleux paysage qu’il admirait sans lassitude depuis quelques années.
Il pensait à eux. A lui.
Il était plus difficile de cacher son anxiété à sa soeur. Pas seulement parce qu’elle était voyante, mais parce que Luana savait lire son jumeau comme personne. Elle aussi s’inquiétait pour l’avenir. Et parce qu’elle connaissait l’une des raisons de son tourment, Soàan avait évoqué Pravi avec elle. Depuis des semaines, il ne l’avait pas vu, ni n’avait pu le contacter. Il avait appris par les dires indiscrets et insensibles que Paradise Road avait été condamné suite à l’invasion de zurks. Qu’étaient devenus ceux qui y vivaient ?
Pravi avait peut-être reçu quelques talismans généreux de la part des Aiwenor, mais rien ne garantissait sa sécurité au sein du chaos dans lequel il évoluait. Ni la sienne, ni celle d’un autre zaunard que Soàan s’évertuait à taire même avec sa jumelle.
Car comment aurait-il pu lui dire qu’il était tombé sous le charme d’un homme qui vendait son corps dans les bas-fond de Velaris ? Pire encore… Qu’il avait consommé. Et pas qu’une fois.
Eden occupait la majorité de ses pensées depuis des semaines. Depuis autant de temps qu’il ne l’avait pas vu et qu’il ignorait s’il allait bien…. Et si les zurks avaient eu raison de lui ? La vérité, c’était que ces parasites n’étaient pas la pire chose qui pouvaient lui arriver.
Quelques nuits, il voyait parfois le garçon en rêve. Parfois discret, parfois plus intense. Des songes qui paraissaient si réels que ses inquiétudes finissaient toujours par ressurgir : est-ce que tu vas bien ? Où es-tu Eden ? finissait-il par demander avant que le rêve ne s’estompe.
Il n’avait obtenu aucune réponse. Et des indices… il n’avait pas su les comprendre…

…Jusqu’à la veille. Une soirée avec des amis et des connaissances où Soàan s’y était trainé davantage parce qu’il ne savait dire non que parce qu’il en avait envie. Lui qui aimait tant faire la fête…
Il avait bu un peu, songeant que peut-être cela apaiserait ses tourments, mais sans l’entière envie de se changer les idées. Les problèmes d’Eden et Pravi n'étaient pas juste une mouche que l’on pouvait chasser d’un revers de la main… quoi qu'en pensaient les Célestiens.
Il attaquait son deuxième cocktail à l’arôme de brume et d’agrume, quand il entendit parler de Ketterdam, de la vermine qui y trainait, des bars qu’on ne pouvait plus fréquenter, des putes qui envahissaient les rues.
Soàan se redressa, droit comme un i, attentif comme jamais. Il attendit d’autres éléments, au milieu des insultes et des pesteries. Un quartier, une zone, des noms…
Et le lendemain, il partit. Dès la fin de son service, il embrassa Menya et passa chez lui se changer pour sortir en toute discrétion. Il prit soin de ne pas croiser sa soeur car il savait qu’il n’arriverait pas à lui mentir. Une heure plus tard, Soàan quittait la sûreté des murs de Midrias pour s’enfoncer vers l’animation chaotique de Ketterdam.

Il prit d’abord la direction d’un bar qui avait été évoqué lors de la soirée. Il entra sans apercevoir aucun visage familier et en sortit quelques minutes plus tard, rabroué par un serveur mécontent qu’il ne consomme pas.
Il traversa plusieurs rues et ruelles - non sans crainte, les poings crispés, dans ces dernières - mais ne vit rien. En s’asseyant à la table d’un second bar, il songea que c’était peut-être un peu tôt et attendit en consommant une bière - soit la boisson la moins alcoolisée de la carte ; et il dût réprimer une grimace de dégoût tant elle était de piètre qualité.
Et puis enfin, deux clients déboulèrent, bruyants et vulgaires. Ils évoquèrent au Celestien plus de répulsion que l’alcool amer qu’il avait goûté. De toute évidence, ils n’en étaient pas à leur première tournée… ❝Crois moi, tu vas pas être déçu ! Elles sont bonnes et pas chères ! Je me suis fait une petite blonde hier, pas farouche la salope.❞ Son rire gras résonna en coeur avec celui de son collègue. Un profond ressentiment envers ces rustres envahit Soàan car de toute évidence, ils ne parlaient pas de bières… ❝Et y’a même des minets si tu préfères. Le genre à avoir une gueule innocente mais qui ouvre bien grand la bouche pour quelques crescents. ❞ Il n’y avait plus aucun doute possible sur ce que ces types étaient venu chercher par ici. Soàan avait envie de se lever et leur crier son dégout à la gueule… mais il resta cloué sur sa chaise parce qu’il valait mieux qu’il reste discret… et qu’ils étaient jusqu’à maintenant sa meilleure chance de retrouver Pravi et Eden.
Devait-il les suivre ou les devancer en espérant tomber sur l’un d’eux avant eux ?
Il se leva, paya sa bière à moitié bue et sortit pour se repérer. Ils ne devaient pas être loin.
Silencieusement, il pria les Grâces qu’elles lui permettent de les retrouver… et qu’ils y aillent bien.  

Réajustant le couvre-chef censé dissimuler ses cheveux argentés, il s’engagea dans une allée en suivant les pas d’un homme qui semblait chercher lui aussi quelque chose. C’est là, quelques mètres plus loin, qu’il repéra enfin des traits familiers. Malheureusement, ce n’était pas ceux de Pravi ou d’Eden, mais ceux d’une “petite-main” comme ils les appelaient. En grande discussion avec un autre homme qu’il ne connaissait pas, Soàan n’osa pas s’approcher. Il crut l’entendre parler d’argent et pester contre la situation sans vraiment pouvoir comprendre les détails. C’était bien eux… Eden et Pravi se trouvaient dans les environs… et se prostituaient vraiment à même la rue… L’idée, plus réelle que jamais, fit frémit Soàan. Il contourna les deux hommes et pressa le pas dans la rue en scrutant la moindre allée. Il croisa une autre petite-main en pleine transaction, et apperçut une femme rousse attendre en retrait… la pauvre…
Soàan se maudissait. Il aurait aimé pouvoir tous les aider mais il se fourvoyait et surtout… il ne valait pas mieux que les autres.
Il marchait si vite qu’il courrait presque… et dans sa précipitation, un homme le bouscula, manquant de la faire tomber sur le sol crasseux : ❝Regarde où tu vas, abruti !❞ Il cracha et reprit sa course, comme s’il fuyait quelque chose ou quelqu’un… mais rien ne le poursuivait. Soàan resta interdit un instant et fixa la direction d’où il venait… Un mauvais pressentiment enserra sa gorge.
Bien sûr, le quartier était malfamé et il se faisait sûrement des films mais… qu’avait-il à fuir ici à part…?
Soàan s’empressa de reprendre sa route, fouillant chaque recoin de rue…. jusqu’à ce que son coeur s’arrête.

Il lui passa presque devant sans le voir. Rien n’aurait pu l’alerter, pas même un son d’agonie… mais il aperçut une jambe dépasser de derrière un container. Soàan n’eut qu’une seconde d’hésitation entachée par la peur… Qui que ça pouvait être, cette personne avait besoin d’aide.
Il s’engouffra dans la ruelle et découvrit avec horreur que ses prières n’avaient pas été entendues.
❝EDEN !❞
Il gisait là, contre le mur. Immobile.
Mort ?
Un blizzard douloureux glaça ses os. Non. Pitié. Pas ça. Pas lui.
Soàan se jeta au sol, constatant avec plus d’effroi encore la tâche pourpre que la main ne suffisait plus à cacher. Le Celestien sentit tout le désespoir du monde s’abattre sur ses épaules. ❝Eden…! Parle-moi, je t’en supplie… reste avec moi…❞ Il ne devait pas partir. Il ne devait pas partir.
Pourquoi ? Comment était-ce arrivé ?
Il chassa ses questions malgré le flot de panique qui tombait sur lui comme une cascade glacée. Il n’était pas prêt pour ça… Comment aurait-il pu ?
Il luttait contre l’affolement, les mains tremblantes sur le corps presque inerte d’Eden. Ne meurs pas…
Tout se mélangeait dans sa tête. La Raison s’effaçait sous la Terreur. ❝E-Eden…❞ Il regarda autour de lui en vain. ❝A l’aide !❞ Mais qui viendrait…? Ici…?
Alors il fouilla son sac qui ne contenait que quelques crescents et de la nourriture. Aucun matériel médical. Et ses mains vides ne portaient pas la marque de caducée… Ses mains…
Il les plaqua contre le visage d’Eden et généra sa lumière pour la diffuser en lui. Ça ne le guérirait pas…mais ça lui donnerait peut-être la force de se lever. ❝Eden… il faut que tu te lèves… Il faut que je te sorte de là… Je t’en prie, aide moi…❞ Il déchira sa cape et pressa le tissu sur la plaie d’Eden, le forçant à faire tenir sa main. Là, il fit passer son autre bras autour de ses épaules et le souleva pour le remettre sur pied. La misère d’Eden ne le rendait pas trop lourd… mais il fallait qu’il marche et compresse sa plaie. Si seulement il avait été healer… ou bien qu’il avait hérité d’un pouvoir plus utile comme celui de Menya…
Il secoua la tête, chassant les larmes qui embrumaient ses yeux et raffermissant sa prise autour d’Eden. D’une main, il continuait de propager sa lumière en lui. Il devait agir et vite. Sur le chemin, il avait vu un hôtel… Il allait l’y amener le temps de trouver une solution ou un healer. ❝Tiens bon Eden… je vais m’occuper de toi… Tiens bon…❞

Il ne sait pas exactement combien de temps il attend…
… ni même ce qu’il attend.
Son “collègue”, il imagine.
Ou autre chose.
Vaut mieux pas y penser ceci dit à cette autre chose. Ce n’est pas recommandé. C’est admettre qu’on baisse les bras… et pourtant ce ne serait pas si grave de le faire.
Dans son cas, il est même entré dans cette période de moment idéal pour le faire.
Pas d’attachement, d’un côté, comme de l’autre. Les personnes auxquelles il aurait pu manquer l’attendent de l’autre côté. Ici… ce n’est que son utilité qu’on déplorera.
Et puis il y a les rêves.
Qu’est-ce qu’il loupe ?
Là, la main pressée sur sa blessure, la main poisseuse du sang qu’il ne peut retenir, il ferme les yeux un instant et se l’imagine.

Le but.
Le grand but ultime de sa vie.
Il n’en n’a plus vraiment. Il sait.
Il s’imagine pourtant que quelques temps en arrière, il aurait répondu se tirer de là… avec un peu d’argent en poche… prendre un bâteau, ou peu importe et refaire sa vie ailleurs.
Alors il essaie d’imaginer un peu cet ailleurs.
ça passe le temps… l’autre ne revient pas… alors faut bien s’occuper.
Il se perd pourtant à un endroit qui n’existe plus… un endroit que tout l’or du monde ne saurait lui offrir.
Chez lui
C’est comme ça que ça s’appelle… là bas…. sous l’eau…
Et parce qu’il ne force pas vraiment le réalisme de s’imaginer un vrai but, il revoit sa maison, sa chambre, cette cuisine dans laquelle son père faisait des expériences culinaires…

Son prénom il l’entend.
Le nouveau du moins.
Il se sent même un peu secoué.
Mais il soupire. Parce qu’il est fatigué et qu’il n’a pas envie d’ouvrir les yeux.
Au pire, si c’est lui, il fera ce qu’il faut et il finira par se réveiller quelque part.
Si c’est quelqu’un d’autre, tant pis.
Il aurait bien râlé pourtant. Parce qu’il sent qu’on insiste… et il n’a pas l’énergie d’ouvrir les yeux.
Peut-être qu’il pourrait oublier de le faire…
Si son but est devenu le passé… c’est ce qu’il y a de mieux à faire même.
La pensée effleure trop rapidement ses idées tandis qu’il préfère user de ses forces pour mieux dessiner les détails d’une cuisine.
S’il faut s’endormir… il voudrait cuisiner des cookies avec son père.
Pensée égoïste… ce n’est que son imagination… même pas un vrai rêve… s’il faut s’endormir, il aurait dû aller piquer un somme dans les rêves d’un autre pour offrir une ou deux dernières images.

Pourtant, il lui semble presque entendre la voix de son père.
ça y ressemble…
Et puis non…
ça n’a plus rien à voir.
C’est une ruelle à Ketterdam… une ruelle miteuse… et Soàan… qui fait tâche dans le décor… alors il secoue la tête
« T’arrives trop tard… j’ai terminé mon service pour ce soir… » pourtant, Soàan est plutôt le genre à venir en début de soirée.
Est-ce que c’est amusant ?
ça doit, puisqu’il tente un sourire avant de râler. Parce que si Soàan a placé quelque chose entre ses mains qu’il serre contre sa blessure, il le force surtout à se relever et ça lui plait moins.

Il doit attendre ici. Et tant pis s’il attend en vain … il lui semble le dire « Je dois attendre, ça va… » quelque chose comme ça.
Mais peut-être qu’il ne le fait pas. Ou qu’il a une absence à un moment… puisqu’il se retrouve sur un lit… qui n’a jamais été le sien… il croit.
Dans sa main, il presse toujours un tissu… son regard vacille vers un plafond et quelque chose le perturbe sur ce lustre défraichi par le temps… peut-être parce qu’il manque une ampoule sur les trois et que les deux restantes ne doivent plus si bien marcher… ou alors elles tournent trop… c’est elles qu’il fixe… l’image de sa maison lui a échappé… il se sent déçu… et son coeur se pince… tandis qu’il ne sait pas vraiment s’il se plaint tout haut d’un « Je veux faire des cookies… » il est question d’appeler un healer, il croit… et il lui semble faire plus de sens quand il dit « Je dois attendre là-bas. » se faire soigner ailleurs, dans un établissement, il aurait dit non… là… il croit qu’il laisse faire…
Est-ce que c’est vraiment Soàan qui est là ?
Il l’imagine peut-être… ça ne semble pas cohérent ici… ou alors il a consommé quelque chose qui lui tourne la tête… ça doit être pour ça que cette ampoule clignote de cette façon étrange.

Il ouvre les yeux. Le corps entier de Soàan fait un bond : il est vivant ! Il vivant ! Il remercie les Grâces même si celles-ci n’ont pas entièrement exaucé son souhait. Au moins, il n’est pas mort.
Pas encore.
Même s’il arrive trop tard…?  ❝N-non… ! Dis pas ça… !❞ Sa voix s’étrangle couvrant presque la fin de la phrase d’Eden qui le plonge dans une plus grande confusion. Son service…? Soàan secoue la tête. Comment peut-il songer à un truc pareil ? Est-ce de l’humour ? A un moment pareil ? Eh bien ce n’est pas drôle ! ❝I-Idiot ! C’est pas… ❞ Mais Soàan se tait. Il n’a pas le temps de se défendre contre des paroles absurdes. Il doit aider Eden. Il doit l’aider même s’il râle et ne semble pas vouloir le suivre. Attendre quoi ? Ils n’ont pas le temps d’attendre ! ❝Je vais m’occuper de toi…❞ Soàan répète, il ne lui laisse pas le choix, concentrant ses forces sur la marche et l’énergie qu’il diffuse dans le corps du blessé. Il prie pour qu’il ne perde pas trop de sang ; il prie pour que l’hotel ne soit pas loin ; il prie pour qu’Eden reste en vie.

Pourquoi ?
Pourquoi est-ce arrivé ?
C’est ainsi derrière les murs. Soàan le sait bien pourtant. Il a beau essayé de l’ignorer depuis autant d’année qu’il a quitté les pacifieurs, il sait ô combien ce monde est injuste et cruel. Et s’il est parvenu à fermer les yeux même lors de ses dernières escapades, il s’est assez confronté à la misère, l’a même embrassé, pour ne pas avoir le droit d’être surpris.
Zaun. Ketterdam. La pauvreté. La folie. Tout ce chaos concentré sous les pieds méprisants des gens de la Haute. Toutes ces pauvres âmes qu’on ne regarde que lorsqu’ils peuvent être utiles. Les enfants gifted qu’on rafle. Les corps qu’on se paie.
Soàan Aiwenor est aussi pourri que ses voisins, riches et lâches. S’il nourrit de sincères sentiments envers Pravi et Eden, que leur a-t-il apporté ? Des biscuits ? De la gentillesse ?
Pathétique. Rien de tout ça n’aurait pu empêcher ce drame.
Il n’a rien fait de bien pour Eden, Soàan. Et maintenant, il va mourir.

Non. Non. Le Aiwenor le refuse. Péniblement, il traine Eden à travers les rues. Par moment, il sent le corps du garçon se faire plus pesant et le Celestien doit le redresser, mieux le tenir. Il lui conjure de garder sa main sur sa plaie. La moitié de son haut est macculé d’un rouge poisseux qui manque de faire tourner la tête à Soàan. Mais il avance. ❝Tiens bon, Eden !❞ Une prière comme une formule magique.
Sur le chemin, personne ne les aide. La plupart s’écartent dégoutés, certains poussent des cris horrifiés. Sur les derniers pas, Eden ne marche plus. Soàan s’affole, retenant péniblement ses larmes. Sa magie ne suffit plus à lui faire garder connaissance. Et si c’était vraiment trop tard…. ?

A bout de force, Soàan pousse la porte de la première auberge qu’il trouve. Il n’est pas sûr que ce soit l’hotel qu’il a vu plus tôt et si le receptionniste grimace, Soàan jette une trop grosse somme sur le comptoir pour que l’homme leur refuse une chambre bien en dessous du prix qu’on lui propose.
Avec difficulté, il hisse Eden sur son dos pour monter les escaliers. La chambre est miteuse et il n’y aurait jamais mis un orteil s’il n’avait un Zaunard à moitié mort sur le dos.
Doucement, ou du moins, autant qu’il lui est possible, Soàan dépose le corps d’Eden dans le lit. Il se penche, tremblant, sur lui, à la recherche d’une respiration. Elle est là. Lente, irrégulière, mais bien là.
En se relevant, la tête lui tourne mais il l’ignore et s’oblige à regarder la blessure. Là encore, il manque de tourner l’oeil mais s’accroche. Ses mains sont aussi souillées que celles d’Eden et le reflet d’un vieux miroir lui renvoie furtivement l’allure déplorable qu’il aborde désormais. Il a perdu son couvre-chef, ses cheveux décoiffés sont colorés par endroit d’un pourpre sombre, et ses vêtements n’ont plus rien de propres. Il se fond presque mieux dans le décor… Mais bien sûr, Soàan ne prend pas le temps de s’admirer.
Sa main passe sur le visage pâle d’Eden : ❝Ne t’endors pas Eden…. S’il te plait… On va te soigner… Ca va aller…❞ De son autre main, il compresse la plaie à la recherche d’une solution temporaire… doit-il recoudre lui-même ? L’idée lui donne le vertige mais surtout il n’a pas le matériel. Alors il arrache la taie d’un traversin et la noue autour du ventre d’Eden et celle d’un autre oreiller faisant pression sur la blessure. Ce n’est que le pansement provisoire achevé que la voix d’Eden se fait de nouveau entendre… Des cookies…? Confus, Soàan le considère une seconde. S’il parle, c’est qu’il ne part pas encore de l’autre côté… Mais doit-il être rassuré par ses délires ?
Ravalant sa peur, Soàan effleure doucement le front du blessé : ❝…Je te promets que tu en auras si tu tiens bon… Je vais appeler un healer, il va te soigner alors accroche toi… ❞ Est-il assez rassurant ? Il s’efforce de ne pas trop trembler, mais c’est impossible. Voir Eden ainsi le ronge… Il craint qu’à tout instant la vie ne le quitte.
Pitié, pas ça. Pitié.
Quand Eden s’exprime à nouveau, Soàan implore déjà l’aide d’un healer. Faire venir un guérisseur de Celestia à Ketterdam coûte cher et surtout, il doit le convaincre de longues minutes… Le Aiwenor s’apprête même à user de son nom quand enfin le healer accepte. Soàan manque de s'effondrer à la fin de l’appel mais il tient bon, non sans laisser rouler quelques larmes avant de revenir au chevet d’Eden. ❝Ca va aller…❞ Instinctivement, il glisse sa main dans la sienne et la presse de toute sa chaleur. Désespéré, il tente d’insuffler encore de l’énergie dans ce corps épuisé alors que le sien l’alerte sur ses propres limites… mais il a peur… il a si peur qu’Eden s’en aille trop vite…

Une heure s’écoule. La plus longue de toute sa vie. Le ventre comprimé par l’angoisse, le coeur plus lourd que jamais. Il n’a rompu le contact qu’une fois pour mouiller un gant et le passer sur le visage d’Eden. L’énergie, il n’a cessé d’en donner… juste assez pour tenter de maintenir un souffle… Quand on toque enfin à la porte de la chambre, Soàan se lève si vite qu’il manque de tomber. Il se résout à laisser cette main et ouvre.
Le visage du guérisseur est familier. Un ancien élève de l’académie. Un souvenir lointain. Peu importe. Il lui faudra une heure de plus pour venir à bout de la plaie. Le healer parle de chance alors que Soàan lui offre une part de la nourriture qu’il conservait dans son sac. Sa vie n’est plus en danger mais il faut que le garçon se repose car il a perdu beaucoup de sang. Quand il estime son travail terminé, il réclame son argent et tandis que Soàan lui transfert les crescents demandés, il lui fait remarquer son teint blème… mais il en a assez fait pour aujourd’hui. Ce n’est rien. Soàan n’exige rien de plus, remercie l’homme … et retourne près d’Eden.
Il n’est plus en danger.
Soàan se laisse presque tomber près du matelas, laissant aller tête contre les draps, tandis que sa main retrouve doucement celle d’Eden pour la serrer. Il ne diffuse plus sa lumière, se laissant emporter par la fatigue… Juste quelques minutes, pour qu’il puisse être là quand Eden se réveillera…
Eden va vivre. Il ne va pas le perdre.

ça fait mal
Un truc vient le compresser, et faiblement, ses doigts viennent chercher le tissu d’un traversin qui le compresse sans qu’il n’arrive à le retirer.
Ses doigts tirent à peine, puis il soupire « Laisse ça…   »
Qui ?
Soàan
Il croit du moins.
ça ne fait pas de sens, mais c’est bien lui qu’il entrevoit parfois.
Depuis quand il n’a plus vu le Celestien ?
Un moment. Longtemps. Il ne sait plus trop.
Des mois. Ou moins.
Le temps s’est fait long depuis qu’ils ne sont plus au bordel.
C’est les nuits… elles s’étirent… elles deviennent de plus en plus longues... trop pour que de vivre la dernière ne soit finalement pas perçue comme une délivrance.

Il a sommeil.
Les cookies lui échappent, et il aimerait dormir.
Pourtant Soàan lui en parle. Il croit. De ça ou d’un healer. Quelle importance ?
Il a l’impression qu’il n’y en a pas vraiment.
Et si une nouvelle fois il essaie de retirer ce truc qui comprime sa blessure… il ne sait plus pourquoi il abandonne.
Parce qu’on le réprimande.
Ou parce qu’il n’en n’a plus la force.

Dormir. Un peu au moins.
Ses yeux abandonnent la pénible ampoule pour le noir complet. ça lui demande plus d’efforts… de voyager là bas… et quand enfin il lui semble percevoir les premiers éléments qui composent une cuisine où doit l’attendre son père… il se sent à nouveau secoué… viré… par une déplaisante chaleur qui lui fait visualiser l’ampoule à nouveau.
Il soupire… se laisse aller une fois de plus… et encore cette chaleur au creux de sa main vient l’obliger à se concentrer sur sa douleur.
Il est fatigué…
« Je veux dormir…   » mais il ne sait pas qu’il doit accuser pour ça…
Laisse moi partir... c’est pourtant la phrase que ses pensées cherchent à former… il ne sait pas. S’il parvient à la dire ou non. A un moment l’ampoule disparait… mais Kelos ne revient pas….

C’est le trou noir.
Un vide sans rêves.
C’est comme ça qu’il dort.
Il n’a même pas l’idée de s’en agacer. Une fugace déception. Tout au plus.
Quelques flash d’une ampoules qui grésillent ensuite… le noir à nouveau… il finit pourtant par parvenir à concentrer ses yeux sur un plafond qu’il ne reconnait pas. Il sent comme un poids dans sa main… quelque chose qu’il a serré quelques secondes plus tôt dans un spasme… mais ses yeux ne viennent pas chercher à comprendre. Pas tout de suite.
Il ne sait pas au bout de combien de temps sa tête se tourne… combien de temps ça lui prend pour chercher des réponses dans son esprit rendu vaseux… mais au bout d’un moment, son regard passe vaguement sur une pièce qui ne reconnait pas jusqu’à identifier une silhouette qui lui semble familière…
Il en a rêvé. Ou pas. C’est pas tant son truc. Mais elle lui semble plus proche dans le temps qu’elle ne l’est réellement. Comme s’il venait de voir Soàan… qu’il n’a pourtant plus revu depuis des semaines. Et ça vient embrumer davantage ses pensées…
Quelque chose ne va pas.

Pardon, Eden. Pardon… je suis tellement désolé…
Eden a mal. Eden souffre. Et Soàan, il est celui qui le retient dans ce monde douloureux. Mais l’autre côté, aussi fascinant semble-t-il pour sa soeur, n’a pas encore le droit d’accueillir Eden. Alors le Celestien supplie, retient ces mains dissidentes qui veulent défaire son pansement de fortune, retient cet esprit qui ne demande qu’à partir. Non, Eden… Tu ne dois pas dormir… pas encore…
La bataille est longue, douloureuse pour tous les deux.
Et puis, elle prend fin.
Alors que la porte d’une chambre se ferme, que les taies empourprées gisent sur le sol poussiéreux, le danger s’écarte et la lutte n’a plus lieu. Là, à demi-couché sur le lit, Soàan veille de ses dernières forces sur le garçon sauvé. Il croit. Il espère.
C’est bon… tu peux te reposer…
C’est ce qu’il lui semble souffler avant de partir à son tour, sans qu’il ne puisse lutter. Une part de lui se maudit pour dormir si impunément alors qu’il a empêché si longtemps Eden de le faire et qu’il doit encore veiller sur lui. Mais cette culpabilité seule ne suffit pas à réveiller un Soàan aux batteries quasi vides. Le petit Soleil n’a plus rien à brûler.

Il ne rêve pas. Heureusement, car il aurait probablement fait d’affreux cauchemars. Le temps s’écoule sans qu’il n’en ait la moindre conscience. Une voix dans sa tête répète qu’il ne se repose que quelques minutes, quelques petites minutes… mais quand la réalité le ramène lentement dans cette chambre grise, les aiguilles ont parcouru du chemin sur l’horloge.
Il ignore si ce sont les légers mouvements d’Eden qui le réveillent ou bien le regard qui se fixe sur lui, mais Soàan finit par émerger, péniblement. Le trop plein d'émotions et de magie rend le réveille brumeux et il lui faut quelques secondes pour retrouver ses esprits. Quelques secondes pour que ses yeux en croisent d’autres… et que son coeur ne sursaute. Alors tout lui revient et il en bondit presque. ❝Eden !❞ Il se redresse vivement et sa main se porte au visage du garçon. Il est chaud, mais pas fiévreux. Il va bien. Il va bien. Les yeux de Soàan s’emplissent de larmes qu’il ne peut retenir. Il est si soulagé… ❝Pardon… c’est juste que… j’ai eu tellement peur…❞ D’un revers de sa main libre, il tente de chasser ses pleures ridicules. Eden doit être encore fatigué mais il le sent moins ailleurs que tout à l’heure. En fait, il semble même découvrir la présence de Soàan.
La détestable pensée qu’il n’est pas présentable pour des retrouvailles vient le piquer.
Idiot, ce n’est pas le moment…
Il mâchonne sa lèvre et attrape le gant abandonné sur la table de chevet. Il n’est plus très humide mais Soàan l’applique doucement sur le front d’Eden pour le débarbouiller en douceur, bien qu’il n’en ait pas vraiment besoin. ❝… Tu dois être encore fatigué… Le healer a dit que c’était normal, il fallait que tu te reposes encore pour que ton corps récupère… ❞ Tout ce sang que tu as perdu… ce même sang qui macule une partie des draps et bousille ses vêtements. Il faudrait peut-être qu’Eden se change mais ils n’ont rien sous la main pour cela…
A la place, Soàan fouille son sac pour déposer sur les jambes du zaunard les quelques vivres qu’il lui a ramené : des boules de riz fourrées à la viande, un bol de soupe riche et chaude, hermétiquement fermé ; ainsi qu’un assortiment de yakgwa et de dasik. ❝Je suis désolé, je n’ai pas de cookie mais… je peux aller en acheter… ou bien je peux t’en faire pour la prochaine fois…❞ Il a fait et pris ce qu’il y avait de plus simple et plus utile pour eux qui n’ont plus de toit. Le froid devient mordant par ici… Mais si Soàan avait su qu’Eden voulait des cookies, il en aurait fait des douzaines, peut-être même des centaines…
D’une caresse sur la main, il l’encourage à manger. Lui n’a pas si faim - le sang, l’émotion - ont tordu son ventre. L’heure lui indique le temps de son absence et il rougit d’embarras. Au moins a-t-il assez récupérer pour ne pas avoir l’air faible mais il ne pourra pas utiliser son pouvoir avant une bonne nuit de sommeil. Une chose qui ne lui est pas si facile ces derniers temps…

C’est pourtant bien Soàan qui est là.
ça y ressemble, vu de plus près aussi.
Ses yeux se ferment… s’ouvrent à nouveau, et Soàan est toujours là…
Il lutte… à garder conscience… il s’efforce pourtant à émerger… ou il sombre quelques minutes de plus avant de recommencer ses efforts…
… Pour constater à nouveau que c’est bien Soàan qui est là… curieux… étrange… aucune logique là-dedans et pourtant le mirage ne s’évapore pas.
Il finit même par croiser son regard et entendre sa voix…
C’est bien la sienne… qui dit son prénom maintenant.
Il soupire. Ses yeux se ferment à nouveau pour retrouver dans les secondes suivantes le visage de celui qui presse le sien.
« Soàan…   » c’est une question. Il manque le ton, mais c’est bien une question à laquelle son regard peut répondre tout seul.

Il sent quelque chose sur son front, et il laisse faire un Soàan dont il détaille un instant les traits sans rien dire.
Il essaie d’assembler des pièces… il finit par se rappeler un truc ou deux.
Parce que Soàan parle d’un healer… ça finit par lui revenir un peu en tout cas… et ses doigts viennent chercher un instant vers son ventre… sur lequel il ne sent pas grand chose… c’est rêche… par endroit… mais le sang séché, son regard ne vient pas le chercher.
Il se souvient un peu.
La ruelle. Ce client. Et puis… et puis… Soàan ?

ça doit être ça du coup…
Il lui parle de cookie et il ne comprend pas tellement cette partie… alors il cherche à y répondre sur les traits de celui qui semble en proie à une certaine agitation.
Il lui semble fatigué.
Sans trop y regarder… il n’a pas bonne mine… il semble sale… et il finit par comprendre deux trois trucs en plus… comme le fait qu’il en est le principal responsable.

Il était dans cette ruelle…
Les choses ont mal tournées.
Puis Soàan l’a trouvé ?
… et amené ici pour le faire soigner … ?
Ici où ?
Un motel… son regard passe sur les murs et il ne reconnaît pas l’endroit.
Au moins il se redresse enfin… sa tête lui tourne et il ne va pas plus loin qu’assis. Il regarde les offrandes éparpillées et il se demande quand Soàan a été cherché tout ça…
Et qu’est-ce qu’il fait là ?
…
Il est bizarre Soàan… à se soucier des putes…
La pensée traverse sa tête puis il la tourne enfin vers la fenêtre avant de demander dans un début pas si logique…

« Soàan il est quelle heure ? » il fait nuit… c’est tout.
Il doit travailler.
Il n’y a pas à réfléchir plus.
Faut qu’il se lève et qu’il retourne à la rue… on le cherche probablement déjà…
Depuis combien de temps Soàan l’a t’il amené ici ?
Son regard se repose sur lui, et il détaille ses traits avant de pousser d’une main les vivres vers lui « T’as pas bonne mine.   » sans doute que lui non plus, mais ses doigts se tendent pour effleurer une joue et en faire le constat autrement que de manière visuelle

Comme souvent, l’entendre prononcer son prénom fait bondir son coeur. La percussion n’a toutefois rien de joyeuse cette fois. Elle est pénible et triste. Parce que le Eden qui ne lui fait pas vraiment face est à des kilomètres du doux séducteur qu’il rencontrait dans la Basse-Ville. Si le Ceslestien a conscience que le zaunard ne menait pas une vie de rêve au bordel, ces dernières semaines loin de l’enseigne dorée a profondément marqué ses traits. La rue, le froid, la cruauté des hommes… tant de blessures qu’aucune âme ne devrait subir. Et là, perdu dans ces draps délavés et tâchés, son tendre Eden n’est plus que l’ombre de lui-même.
❝Je suis là…❞ répond Soàan dans un souffle étranglé. Doucement, sa main presse la sienne dans une promesse à demi-silencieuse. Il est là, il va prendre soin de lui. De son maigre pouvoir, il va tenter de panser les plaies injustes causées par un monde pourri.

Alors doucement, ravalant ses larmes idiotes, il lui parle et s’efforce de l’aider à se resituer. Peut-être pas si bien car il croise la confusion au fond de ses iris. Mais ce n’est pas si simple d’être clair. Ce n’est pas si simple d’évoquer ce qu’il a vu… ce sang, désormais séché, qui témoigne de l’état dans lequel il l’a trouvé ; cette lueur de vie qui a manqué de quitter ses yeux…
Aussi, quand Eden tente de se redresser, Soàan le soutient tout en le retenant : ❝Doucement Eden… Tu dois rester au lit… Le healer a refermé ta blessure mais tu…❞ Soàan marque une pause, les lèvres sèches. D’une morsure à l'intérieur de la joue, il se fait violence : Eden doit savoir. ❝… tu as perdu beaucoup de sang… il faut que ton corps se remette.❞ Tu as failli mourir Eden. Si je ne t’avais pas cherché ce soir, tu serais mort.
Soàan ferme les yeux une seconde et retient ses larmes. Puis calmement, il présente de nouveau la nourriture qu’Eden a manqué de faire tomber… mais avant qu’il ne lui suggère de manger, Eden s’exprime.

❝Oh, c’est…❞ De toute évidence, il a atterri et brutalement. Le Célestien suit son regard vers la fenêtre qui ne donne que sur la nuit. Lui-même ignore combien de temps exactement s’est écoulé… Alors, il attrape son téléphone et constate l’heure : ❝22h45… Mais tu ne peux pas y retourner !❞ ajoute-t-il précipitamment, une main sur son torse en prévention. ❝Tu n’es pas en état…❞ A-t-il encore mal ? Si la blessure n’existe plus, il sait que la douleur peut parfois persister quelque temps. ❝… il n’y avait personne quand je t’ai trouvé… alors je t’ai amené ici…❞ Un instant, Soàan se plaît à croire qu’ils ont oublié Eden. Que peut-être, ils le croient mort…. Serait-il libre de cette façon…?
Sa tentative pour l’inciter à manger échoue de nouveau alors que le garçon repousse la nourriture vers lui. Mais ce n’est pas le riche Celestien qui en a besoin. ❝Eden… il faut que tu manges…❞ Ses prunelles détaillent les traits amaigris de celui qui occupe presque toutes ses pensées. Si la beauté ne semble jamais faner chez lui, il ne respire clairement pas la santé pour autant.
Néanmoins, c’est Eden qui formule cette pensée à son encontre le premier. Soàan hausse un sourcil avant de légèrement détourner le visage, honteux. Il sait qu’il ne ressemble à rien mais il aurait aimé qu’Eden ne le relève pas… Il est naïf d’avoir cru que leurs retrouvailles se passeraient plus joliment. D’un geste futile, il tente de recoiffer ses cheveux qui n’ont plus temps l’allure du nacre. ❝Pardon, je n’ai pas eu le temps de me débarbouiller… J’aurais préféré que tu me voies autrement…❞ Et puis, il y a ce contact sur sa peau. Celui qui le fait frissonner et provoque de nouveaux battements dans sa poitrine. Le trouble passe dans un regard qui glisse timidement vers un autre. Il a toujours honte mais la douceur d’Eden ne lui a que trop manqué pour qu’il se dérobe. Alors, avec douceur, Soàan vient caresser la main curieuse. ❝Ce n’est rien…❞ souffle-t-il avec un petit sourire rassurant. ❝J’ai seulement besoin d’un peu de sommeil…❞ Ce qui est la vérité. Du bout des doigts, Soàan caresse la peau d’une main, puis d’un poignet et d’un bras. ❝Tu veux bien manger un peu ? J’ai préparé ça pour toi… C’est à la viande et ça, c’est une soupe. Elle est encore chaude. Et si tu as envie, après ça, il y a des petits gateaux sucrés…❞