Bal des grâces
MARS 2023

❝ Love is heavy and light, bright and dark, hot and cold, sick and healthy, asleep and awake- its everything except what it is !

À l’entrée l’impatience le démange déjà, il se hisse sur la pointe des pieds par-dessus la foule pour espérer la reconnaître. Mais ce soir tout le monde se ressemble, les masques brouillent les pistes pour corser le divertissement de la soirée. Il s’est pointé au bal sans connaître les codes, quand on lui a donné de quoi le rendre anonyme il ignorait qu’il serait prisonnier de cet accessoire jusqu’à minuit. Lorsque son arcade l’a démangé, il a tiré sur le masque doucement puis comme un acharné, bousculant un couple d’amis qui en a renversé leur coupe de champagne.
Il ne savait pas non plus qu’il devait récupérer son morceau de papier ensorcelé par le vase, il s’est simplement interrogé sur sa valeur. Peut-être qu’il pourrait rapporter pas mal, de quoi se racheter du mobilier pour leur maison en ruine ou une superbe bécane ! Après cette réflexion il a simplement piétiné l’indice qui lui était destiné sans y faire attention.
Lui les vases à la con qui crache des confettis il s'en fout, ce qu’il cherche c’est Misty.
Il en bouscule du monde pour la trouver. Il se faufile entre les gens, essaie de capter sa voix mais elles se mélangent toutes, c’est presque impossible d’en dissocier une dans la masse. Il grimpe alors des escaliers qui lui permettent d’embrasser la salle du regard se confrontant à une éclipse de bonheur, irréelle pour quelqu’un comme lui qui il y’a quelques semaines encore était entassé dans le sous-sol de sa maison avec sa famille pour fuir un mal increvable. Il s’attarde, bras croisés sur la rambarde, menton planté sur ses avant-bras pour regarder ce spectacle qu’il aimerait bien pouvoir partager avec Dusk. Elle adorerait les déguisements, la nourriture, l’ivresse… Faire semblant d’être comme eux.
Peut-être qu’il pourrait lui apprendre, fuir pour devenir quelqu’un d’autre ça semble lui réussir. En tout cas, cette vie-là le rend heureux et il le doit à elle.
Il se balade dans les couloirs du Palace, là où l’effervescence laisse place à l’intimité. La musique est ténue, les conversations sont des murmures amoureux et les illusions sont presque absentes. De rares papillons volent à sa hauteur puis se dissolvent en pluie de diamant colorée, comme s’ils avaient franchi une limite invisible qui les fait à nouveau renaître plus bas.
Peut-être devrait-il redescendre, il ne la trouvera pas ici.
Avant d’y retourner, quelque chose, son instinct sans doute le guide jusqu’à un balcon qui donne sur un grand jardin constellé de lucioles. Quelqu’un s’y promène, une silhouette plus que familière. Il se propulse au bord du balcon, ce qui le fait pencher dangereusement vers le vide. « MISTY ! » Hurle-t-il, les commissures prêtes à craquer de cette radiation de joie. Elle se rapproche, jusqu’à se trouver sous lui.
« Ce soir, c’est toi qui me cherchais ? » Allusion à cette fameuse nuit où il a grimpé jusqu’à sa fenêtre pour comprendre pourquoi elle le rejetait.
C’est derrière eux tout ça, pense-t-il en constatant que Ward ne l’accompagne pas, son sourire n’en est que plus grand.
« J’arrive ! » Il court, dévale les escaliers, esquive quelques invités, la bouche pleine d’une euphorie intarissable. Il se perd, peinant à s’orienter dans ce décor vivant qui lui donne en cet instant l’apparence d’un labyrinthe.
Dix minutes s’écoulent avant qu’ils ne se rencontrent à nouveau, elle semble être en pleine conversation avec quelqu’un d’impossible à discerner derrière le masque. Il attend qu’elle termine pour la saisir par la taille et l’entraîner à l’écart.
« J’savais que je te retrouverai. » C’est l’enfer qu’il lui fait goûter, un capharnaüm de fièvre à en abîmer les lèvres et en altérer le souffle. De l’amour difforme à prendre à dose d’overdose, il ne sait plus s’arrêter. Elle peut sentir les vibrations de son myocarde en émoi et voir dans son regard la malédiction rubis lui dévorer l'humanité.
Captivant comme un rêve, effrayant comme un cauchemar.
« Viens, on se tire. »
En résumé, un maudit piège.

indices : 01. par dizaine des ailes dansent et volent
02. les fleurs entrouvrent leurs corolles
03. pétales d'argent comme auréole

bal des Grâces
MARS 2023

❝ Love is heavy and light, bright and dark, hot and cold, sick and healthy, asleep and awake- its everything except what it is !

C'est la valse de l'ennui, du d é p i t, de la grande impatience parce que tout ce qu'était la fête des Grâces pour elle, elle s'en trouve interdite, c'est l'exil au cœur de son propre jeu des apparences puisqu'elle même n'y croit plus, dans la mascarade du paraître elle ne s'inventait aucun rôle, elle incarnait sans le moindre effort. Romance et elle ne faisaient pas semblant d'être le couple parfait, ils l'étaient, aux yeux de tous, mais avant tout aux siens. Pour la première fois de cette mascarade elle se retrouve actrice, le masque d'argent moulé à sa peau camoufle son identité - à peine sa lassitude - les soupirs s'enivrent au bord des coupes de champagne qui défilent entre ses doigts, pendues entre deux phalanges elle y trempe les lèvres faisant mine de se prêter à l'énigme tirée.  

Elle se demande si Romance est de meilleure disposition qu'elle ? Si comme autrefois il s'affole du compte à rebours lancé, des aiguilles qui défilent mettant à l'épreuve leur réussite commune ? Puisqu'avant tout il s'agit de gagner devant un auditoire qui ne peut qu'être témoin de tout ce qu'il tant à être. Voir et être vu — au rythme d'une cadence par tous respectés, Misty y trouve son salut, puisque dans cette société où tout semble creux (( SENTIMENTS )), vain (( PROPOS )) et brillant (( DÉCORS )) y compris elle, chacun sait où est sa place. Elle ne peut nier un certain confort, un certain plaisir sécuritaire à savoir exactement d'où elle vient et où elle va, courir après la sacro-sainte reconnaissante est devenu banal, s'attendre à la prochaine mélodie est devenu normal.  

Tomber amoureuse d'un traître à la figure d'ange n'est pas une raison suffisante pour se révolter, ces choses-là arrivent tout le temps, il y aurait de quoi devenir folle si tenté que ce soit publiquement récréatif, officiellement a c c l a m é.  Ainsi elle met si peu d'effort à la tâche, que les lucioles sont décriées au profit des papillons nocturnes déposant leurs ailes graciles sur les épaules d'une connaissance, elle se perd en badinages et en quadrilles, pourquoi serait-elle la seule à n'obtenir qu'une promesse fanée ? Elle ne trouvera pas Romance, n'en éprouve même plus l'envie. Elle préfère perdre son temps à retarder les autres, toutes ses amies et autres plus chanceuses qu'elle jalouse derrière sa mine pincée. Quelle sombre injustice ! Si préoccupée par l'intention de ne p a s trouver son fiancé qu'elle n'a pas pris la peine de déplier jusqu'au bout le morceau de parchemin cracheté par le vase du Destin.


[ [ Oh ! ] ]
et tout déraille
et tout s'oublie

d é f a i l l e interne

Puisque le cœur décramponne, puisque l'esprit s'agite d'une évidence qui la pousse à espérer, soudainement elle y croit de nouveau, aux Grâces elle se range avec servitude, admet leurs desseins avec la rapidité affolante d'une dévote -- digne héritière Wicke qu'elle est.


L'indice bouscule les certitudes
u n L o c k
la voie qui la ramène à lui


Un léger coup d’œil au charm pendant à son poignet fait dévier le regard par-delà des illusions, derrière le rideau d'étincelles magiques s'anime un parterre de lumière, elle y glisse comme dans un rêve et se retrouve entre deux bosquets d'hortensias à faire voleter des dizaines de lucioles à chaque pas. Elles se partagent les jardins du palace, couvant les couples qui s'y faufilent de leur douce lueur -- petites étoiles entre les dalles, créatrices de splendeurs.

Le prénom résonne dans l'urgence et la candeur, il a une drôle de saveur lorsqu'il le hurle comme s'il représentait dans sa bouche à lui seul le début et la fin de tout, il a la grandeur du monde, la passion de l'aventure, la nécessité des retrouvailles et maintenant qu'il l'a trouvé réalise-t-il combien il se démarque encore ? Le sourire s'anime d'un rire quand les pas la rapprochent du balcon où il se penche dangereusement, sa robe de satin fait la belle aux astres, un diadème de fleurs d'argent couronne les mèches blanches volontairement relevées sur sa nuque, elle y dévoile une peau diamantée, des arabesques de strass cavalant jusqu'à ses clavicules.  — Toi ici ! fait-elle mine de s'étonner  — Qui te dit que je te cherchais ? Peut-être voulais-je seulement profiter des plaisirs du grand air, ne trouves-tu pas ces ornements floraux époustouflants ? Tandis qu'elle fléchie légèrement pour sentir une penivelle elle espère demeurer la plus belle fleur de ce jardin, celle qu'il trouve époustouflante, éclipsant jusqu'à la belle nébuleuse du ciel nocturne : — Ne descendras-tu pas les humer à ton tour ? L'invitation e x p l i c i t e s'accentue d'une risette enjôleuse donnant le coup du départ. Il n'en faut pas plus au jeune homme pour disparaître en un éclair, laissant tout le loisir à Misty de s'amuser de cette précipitation qu'elle accueille désormais d'un rire paisible. Une impatience jugée bien opportune, presque indécente dans leurs premiers échanges, qui aujourd'hui la ravie tant elle lui devient familière.


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Elle n'oublie pas qu'il doit la rejoindre, y parviendra-t-il seulement ? Elle doute, l'espace d'un instant, tandis qu'elle complimente le pendentif d'émeraude resplendissant au cou de Bianca Hopkins, la demoiselle n'a cure de jouer aux devinettes du bal — fiancée il y a deux ans, mariée l'été dernier et déjà enceinte de son premier enfant. Misty ne peut s'empêcher de jeter des regards indiscrets vers son ventre à peine plus arrondi qu'après avoir abusé du buffet de desserts, partagée entre l'envie et une forme d'effroi frôlant la condescendance : pourvu qu'elle ne devienne pas aussi ennuyeuse que Bianca Hopkins ! Pourvu que ses robes la siéent d'avantage durant sa grossesse !  — J'ai toujours su que Romance et toi vous remettriez ensemble, quand Anne m'a appris vos fiançailles je n'étais point surprise. — Oh vraiment ? répond-t-elle une pointe d'agacement dans la voix, ce que Bianca ne semble absolument pas remarquer, trop empressée de vanter son instinct presque prophétique à l'écouter. — Avez-vous déjà fixé une date ? Tu sais, il faut s'y prendre tôt sinon tout sera réservé d'ici cet été. Cela m'étonne que Romance n'ait pas attendu la fête des Grâces pour te demander ta main, c'est porteur de chance tu sais ? Tom lui avait tout fait dans les règles de l'art. Tu as choisi les faire-parts ? Pitié ne prend surtout pas cet horrible imprimé menthe que Gwen avait sélectionné, ils sont parfaitement hideux. Je t'enverrai l'adresse d'Ethereal, là où j'ai fait les miens, ils sont très professionnels tu verras. Ne trouves-tu pas que juillet est le mois idéal ? Le soleil était radieux durant notre cérémonie, si tu choisis le weekend du 8 nous fêterons nos noces le même jour, ce ne serait pas charmant d'avoir la même date d'anniversaire ? certainement pas l'odieuse proposition provoque un coup de vent tel qu'il dérobe à Bianca sa coiffe qui s'en va rouler sur la pelouse derrière elles. — Je me rappelle surtout des dizaines de guêpes qui voletaient autour des invités, puisque tu as eu la riche idée de dresser ton buffet en plein air et le soleil était en effet si "radieux", que le glaçage de la pièce montée avait presque totalement fondu. Tournant les talons la Wicke la laisse courir après son costume, peut-être Bianca a-t-elle compris sa bavure, le courant d'air la poursuivant n'étant certainement pas le fruit du hasard. Misty s'en moque. — Moi, une Wicke, partager ma date de mariage avec elle ? Ridicule. s'échine-t-elle à protester au moment même où elle se sent happer en arrière.

Une étreinte aussitôt reconnue, révélée par tout ce qu'elle a de
b r u t e, délicieusement avide de retrouvailles, il ne la laisse pas parler que déjà ses lèvres s'abîment sur les siennes. Un ballet de baisers à en perdre haleine, on pourrait les voir, mais la nuit les protège, les masques leur donnent leur bénédiction, la musique de la gigue des Grâces les encourage à frôler l'interdit. Elle n'a pas envie de faire marche arrière, de lui échapper. Elle sent monter en elle un sentiment d'exaltation, la franche intensité du regard qu'il pose sur elle est déjà une pénétration.

Pourtant, lorsqu'il lui propose la fuite, les excuses s'invitent d'elles-même entre eux avec un tel naturel qu'elles semblent programmées et d'une certaine façon, le sont-elles. — Partir... ? Mais, il n'est même pas minuit. Il y a des traditions à respecter, que diront ses sœurs si elles réalisent qu'elle est partie sans même les prévenir ? — Je dois retrouver Romance. Elle réalise alors, l'énonçant à voix haute combien cela sonne faux, elle n'en a pas la moindre intention, pas plus maintenant qu'en arrivant au Palace. — Pour aller où ? Finit-elle par demander, si proche de céder, la curiosité anime ses doigts s'entrelaçant aux siens, comme chaque fois qu'elle est en sa présence sa peau devient si sensible qu'elle réagit au moindre frôlement. Un frisson lui parcourt le dos, éveillant tous ses nerfs.

— Tu m'as trouvé grâce aux lucioles ? Elle cherche alors à savoir à quel point leurs indices se rejoignaient, peut-être tient-elle absolument à justifier son envie de lui par quelque chose de plus noble, de plus romantique et par conséquent socialement plus a c c e p t a b l e pour la femme engagée qu'elle est. Elle ne veut pas être comme Romance, victime d'un désir pernicieux. Parce qu'on lui a appris à avoir honte de sa propre sensualité, elle sent son visage s'empourprer contre le torse de Locke, se dissimule à sa vue incertaine du sentiment qui l'habite. Elle ne sait pas pourquoi, mais elle repense à Bianca et sa main posée en geste protecteur sur son ventre. — D'accord- souffle-t-elle précipitamment dans un murmure étouffé par le tissu de sa chemise — Tirons-nous.