Face à ce mur couvert de photos et de pistes, Levi porte sa bouteille à ses lèvres. Ecoeuré lui-même par l’odeur qui s’en dégage, il laisse son bras retomber le long de son corps avec une grimace de dégoût. Il retient un hoquet observe la façon dont ses doigts se soulèvent un à un pour que la bouteille chute au sol. Les sens troublés, il l’entend vaguement rouler jusqu’au meuble contre lequel elle bute, répandant au sol le liquide ambré. Il sait dans le fond que s’enivrer ne sert à rien, l’alcool ne l’aide et ne l’aidera pas à oublier. Tombant soudainement dans le gouffre de ses souvenirs, les images effervescentes de sa sœur jumelle envahirent sa tête. C’était chaque fois pareil. D’une violence inouïe pour ce garçon meurtri. Les rires cristallins de Levana, tranchants comme des couteaux, lui brisèrent le cœur. La constatation qu’il ne pourrait plus jamais l’entendre lui coupait le souffle, lui rappelant que leur enfance insouciante avait fui sans retour, emportant avec elle l'inséparable lien fraternel. Leur vie adulte s'était épanouie, pourtant leur attachement demeurait indéfectible. Mais aujourd’hui, elle n’était plus là, et le poids de son absence l’empêchait de rester digne, l’empêchait d’avancer … Le jour de l'enterrement, le ciel s'était obscurci, et le monde de Levi avait sombré dans les abysses. A quoi bon rester dans la lumière quand tout lui paraissait si fade et injuste. le monde continuait de tourner et c’était le spectacle le plus cruel qu’il était amené à voir … Il subissait les jours et les semaines qui passaient, ne résistait à l’envie de la rejoindre que pour venger sa mort et lui faire justice. Retrouver l’homme et le tuer.


Levi n'arrivait pas à comprendre. La vie avait pris un tour plus sombre à l’approche de leur 20 ans, rempli de difficultés et d'adversités, les jumeaux avaient traversé chaque épreuve ensemble, renforçant leur lien et soulignant leur amour inconditionnel. La douleur de la perte lui était insoutenable, à tel point qu’il sentait son âme mutilée. Du garçon souriant et sociable, il ne restait qu’un jeune homme plongé dans sa folie obsessionnelle. Sans qu’il ne réalise, ses pas l’avaient mené au lieu de l’horreur. Levi errait dans les rues sombres de la ville, le visage blême et les yeux emplis de douleur. Il passait des heures assis à l’endroit où sa sœur avait été retrouvé comme s’il cherchait encore et encore un indice qui lui aurait échappé. un indice qu’il aurait manqué et qui complèterait enfin ce puzzle inexplicable. Rien n’était cohérent et ça le rendait fou. Assis, il fixe le mur où un symbole avait été vainement frotté. Il n’en restait que la moitié vulgairement effacée à peine cachée derrière un container.

Surpris il se redresse, ses sens en alerte, il pousse le container avec force et reste devant jusqu’à ce que son esprit termine de retracer la moitié du symbole. Il le savait, il en était persuadé, il avait déjà vu ça quelque part, mais où…? réfléchis, réfléchis, réfléchis, ne cessait-il de se répéter les dents serrées. Ce n’est qu’un flash, mais cela lui suffit. Il avait vu ce symbole sur les photos que Leora avait prises des mois plus tôt. La tête en ébullition et le coeur aux aboies, il se redresse précipitamment et hèle le premier taxi qu’il trouve pour rejoindre la demeure de la jeune femme. Il doit lui parler. Maintenant. C’est la première piste qu’il trouve depuis des semaines, comment avait-il pu passer à côté ? Il aimerait croire que cela le guidera jusqu’à l’assassin de sa sœur mais il lui reste encore tant à faire … Les coups qui pleuvent sur la porte de la jeune femme sont rapides et brutaux. Il crie son prénom dans l’espoir de la presser à sa rencontre. qu’elle entende sa précipitation et qu’elle calme la folie qui s’était emparée de son amie. les photos j’ai besoin de voir les photos ! Ne cessait-il de se répéter.

La nuit qui s’étendait, les ombres tout autour qui s’étiraient. La sienne qui murmurait avec plaisir à ses côtés. Toujours les rumeurs qu’elle entendait, les secrets qu’elle apercevait. Souffles que Leora ne parvenait pas toujours à repousser. Malgré les mains qu’elle portait à ses oreilles pour faire taire. La voix qui semblait provenir de l’intérieur par moment. Les soupirs, les frustrations et les errances dans le manoir. Le sommeil à nouveau qui la fuyait. La chambre de son meilleur ami trouvé vide, il n’était pas là pour la rassurer ce soir. Elle déambulait dans les couloirs, perdue dans les méandres de son esprit, de ses questionnements. Avec les jours, avec les mois, la nuit lui semblait moins glaciale, moins effrayante qu’elle ne l’avait un jour été. L’anxiété qui ne l’avait pas quitté, mais ce désir de changer qui avait bien un poids sur sa vie. Et si elle avait toujours de la difficulté à s’endormir, si les cauchemars ne la quittaient jamais vraiment, elle se sentait souvent moins désemparée lorsque venait le temps d’affronter le monde.

Un des petits salons retrouvés. Assise sur un canapé après ses nombreux allers-retours d’une pièce à une autre. Les jambes repliées contre elle et la seule lueur d’une flamme de foyer pour l’éclairer. Les minutes si longues alors qu’elle se tenait immobile. Avec ses seules réflexions comme compagnie. Jusqu’à ce que le bruit la fasse sursauter. Sa tête se tournait si vite vers la porte de la pièce. Dans le silence, les coups étaient portés jusqu’à ses oreilles et elle se sentit blêmir. Car qui pouvait bien être là à cette heure ? Images cauchemardesques qui envahirent son esprit alors qu’elle se levait. Qu’elle s’approchait du cadre pour jeter un coup d’œil dans le couloir, vers l’entrée. Tremblement dans ses membres et ses bras qui vinrent se serrer contre elle dans une tentative de se rassurer elle-même. Seule, dans ce grand manoir à l’air gothique, dont les silhouettes pouvaient effrayer dans chaque recoin. Noirceur à laquelle elle était habituée, mais qui pourtant pouvait entretenir ses frayeurs toute à la fois.

La porte qui tambourinait toujours. Avec une intensité, une urgence qui l’effrayait. Quelques minutes avant de reconnaître finalement la voix qui appelait désespérément son nom. La peur qui glissait en elle fut peu à peu remplacée par une curiosité, par une incompréhension. Et elle s’approcha enfin pour ouvrir la porte. Se retrouver devant un visage qu’elle connaissait. Levi, affolé. Qui lui répétait les mêmes mots, sans cesse. Les photos. Il devait voir les photos. Situation qui s’emmêlait dans la confusion et Leora ne comprenait pas. Dépassée par l’agitation vive, elle chercha à prendre du recul, à faire sens de ce qu’il lui disait. « Levi, calme-toi, s’il te plait. Je ne comprends pas. » Mots partagés en douceur, timbre qui se voulait rassurant, calmant. Car la folie ne menait à rien, elle le savait trop bien. Elle ne voulait pas se laisser inquiéter même si son cœur accélérait, entretenant l’idée de céder à la panique sous les questionnements. « D’abord, entre. Il fait encore trop froid la nuit. » Sa main qui voulait attraper son bras, qui voulait l’attirer à l’intérieur avant de refermer la porte derrière lui. Leora dont la température la faisait maintenant frissonner, malgré sa résistance au froid. Elle n’avait revêtu qu’une légère robe de chambre par-dessus sa chemise de nuit. Le vent glissait glacial entre ses jambes. Elle l’incita à rentrer, d’un mouvement pressé pour verrouiller la porte une fois à l’intérieur. « T’es congelé. Ça fait combien de temps que t’es dehors ? » Leora posait un regard à la fois sévère et intrigué sur lui, repoussant d’une main ses longues mèches décoiffées. Elle le guida ensuite jusqu’au petit salon où elle s’était recueillie quelques instants plus tôt. Là où le feu brûlait toujours, se voulant apaisant et chaleureux. « Je te proposerais bien un thé, mais tu m’as l’air pressé. Tu me parlais de photos. Lesquelles ? » Leora qui retrouvait le canapé qu’elle avait quitté. Posée Leora, qui ne voulait pas laisser paraitre ses angoisses. Elle invitait Levi à prendre place. À lui expliquer. Dans le calme de ce manoir réconfortant pour elle. Levi qu’elle connaissait. Dont elle savait la quête, le besoin qu’il avait de la mener à bien. Sujet des photos qui l’intriguait et elle attendait la suite. Raison de la présence défini, mais Leora ne comprenait pas très bien l’urgence, ni la profondeur d’énervement dans laquelle se trouvait Levi. S’était-il passé quelque chose ?