01

Il y a un cri qui lui revient souvent en mémoire.

Elle l’entend surtout dans ses rêves, dans ces moments où son cerveau est le plus libre. Toujours le même. Ce n’est pas celui d’une victime, elle reconnaîtrait un cri de douleur ou de plaisir. Chaque matin après ce rêve, elle doit faire un effort pour se le remémorer. Ce n’est pas un cri de victime, parce que c’est celui d’un enfant.

C’est tout ce dont elle arrive à se rappeler.


Elle ne se souvient pas de tout le reste. Elle ne se souvient pas que cet enfant partage son sang, qu’elle était jeune quand elle l’a connu, qu’elle a grandit avec lui, l’a aidé à se déplacer puisque c’était si compliqué pour lui. Qu’il avait bien plus d’ailes qu’elle, bien plus belles, bien plus douces. Que c’était un véritable chérubin, son chérubin à elle, qu’elle était prête à protéger du monde entier. Qu’elle lui avait fait la promesse, à Edden, de toujours être là pour ellui. Qu’iel l’appelait Edna comme iel l’appelait grande sœur, de manière parfaitement interchangeable

Elle ne se souvient pas de lui avoir transmis sa passion pour les acrobaties, pour la grâce qu’elle trouve dans la danse et les pirouettes. Elle ne se souvient pas de leur lien indéfectible, de cette marque qu’ils ont créé ensemble, qui est leur lien, leur cœur. Elle ne se souvient pas non plus de ce jour où elle est sortie et où elle n’est jamais revenue, capturée par des mains plus puissantes qu’elle, par des esprits plus malins, par des drogues plus perfides qui ont endormi son esprit jusqu’à son réveil.


02

Quand elle se réveille et qu’elle fouille sa mémoire à la recherche de ce cri, il lui arrive souvent de caresser la plante de son pied. Un endroit que personne ne voit ou presque. Personne, sauf elle. Il n’y a qu’elle qui peut voir ce qu’elle y a gravé : un symbole qui ne lui rappelle rien, qui appartient à un passé oublié, qui l’a empêchée de marcher correctement pendant plusieurs jours, mais qu’elle a subi même sans ses souvenirs parce qu’elle savait.

Elle ne se souvenait pas mais elle savait que c’était à elle, pas à ceux qui l’entouraient, qui lui disaient quoi faire, quoi dire et où aller.

Ce symbole c’est son secret.


03

Les Dimov sont sa famille.

C’est ce qu’ils lui ont toujours répété, ce qu’elle a fini par croire, au moins partiellement, à défaut de s’en souvenir.

Ils lui ont donné son éducation. Ils l’ont modelée, façonnée, transformée. Ce sont eux qui lui ont appris à manier les dagues, pour les fois où ses griffes ne suffiraient pas. Ce sont eux qui lui ont appris à tenir son propre commerce et à lui en donner une grande part. Ce sont eux qui se sont servi de ses vœux sans se soucier des conséquences, qui lui ont donné toute la puissance qu’il lui fallait pour grandir, pour devenir plus importante que ce clan de criminels, de tueurs, de voleurs.

Ce sont eux qui lui ont donné le goût du sang. Pas parce qu’ils l’ont forcé à tuer d’autres cibles sans importance. Parce qu’en les tuant, en décimant cette famille, elle a souri pour la première fois. Leur mort était sa renaissance. Ils lui ont tout appris, elle leur en sera toujours reconnaissant, mais il ne restait qu’une chose qu’ils pouvaient lui donner : la liberté.


04

Talons qui claquent, langue qui siffle.

Alyssa sait annoncer sa venue dans la chambre. Massive, débordante de luxe, des toiles de soie de chaque côté d’un lit bien trop grand pour une personne seule, mais pile de la bonne taille pour Mihaela et ses conquêtes.

Alyssa n’est pas vraiment elle-même, cependant. Son corps est le sien, caché sous une couche d’habits dérangeante mais cachant chaque centimètre de sa peau tatouée. Elle ne peut pas les montrer, elle serait trop facilement reconnaissable, même avec son visage changé pour celui d’une femme de Zaun qui a échangé un vœu contre la mort de son ancien mari.

Mihaela la voit venir, l’entend entrer, et l’attire vers elle avec tout le charme dont elle a l’habitude de faire preuve, héritière d’une grande famille de Midrias. Si seulement elle n’avait pas froissé son frère. Si seulement il n’avait pas désiré sa place, la fortune qui l’attendait.

Ça n’empêche pas Alyssa d’en profiter. Elle sait se faire aimer et elle en joue, elle aime se sentir importante pour quelques instants. Pas par besoin de compenser quoi que ce soit, pas parce qu’elle est seule : la solitude ne la dérange pas. Non, elle aime seulement être révérée, désirée, parce que c’est amusant.

Et lorsqu’elle a eu le plaisir qu’elle cherchait, elle accomplit sa mission.

Froidement, sans remord, avec un murmure dans l’oreille de sa victime et les griffes dans sa gorge alors qu’elle reprend sa forme originelle.