Un dernier verre de whisky et il quitte le bar où il s’était réfugié, tranquillité dérangée par une histoire d’orgueil qui ne l’intéresse guère ce soir – ou bien est-ce le matin ? Le temps devient dérisoire quand on se terre sous la surface, où les nuits sont éternelles et les promesses funestes. Il n’est plus remonté depuis des jours, affairé dans ces rues cruelles et délirantes qui sont les siennes, qu’il arpente avec aisance. L’aura qui dérange, mais aux parfums agréables, sournoise elle se dérobe aux injustices qui devraient lui être dues. Mal qui le ronge et qui en ces lieux pourtant, le rassure plus qu’il ne faudrait. Il n’attend pas longtemps avant d’allumer une clope, saloperies ajoutées dans ses veines déjà noyées d’alcool, mais ce n’est jamais assez tant son corps lui en demande. Il avance sans direction et les voix le dérangent, les lumières sont trop criardes, alors il bifurque.. Il bouillonne sans raison comme bien souvent, pensées assourdissantes qui l’emmènent dans la pénombre et sous son épiderme, le mal qui rampe chaque jour un peu plus vers son cœur abîmé, corruptible. Il avance entre les bâtisses d’une ruelle à l’autre, labyrinthe lugubre qui perd de son éclat au fil des mètres et sous le regard d’un ciel néant, Artemiy soudain s’arrête. Aux voix féroces qui insultent et menacent, il tend l’oreille et face aux silhouettes robustes qui malmènent, il sourit. Lâcheté affligeante de ceux qui dépouillent les solitaires ou pire, victimes d’un monde où la loi n’arrange que ces ordures – lui compris, mais de ces injustices qui le répugnent, il ne détourne jamais le regard. Dans cette ruelle étroite où les lumières vacillent, Artemiy fait grincer sa fine lame le long d’un mur en s’approchant, interrompant ces hyènes aux rires acérés. « What’s going on here? » Il est d’un calme sidérant alors qu’un trio se dresse devant lui, prêts à en découdre, mais son regard tombe sur le misérable coincé sous leur joug à quelques mètres. Il ne distingue qu’une partie de son visage et peu de choses vraiment, joyau caché derrière ces pillards hideux. « Go off moron, this one’s a freak and it’s ours. » it ? Sourcil haussé et la tête qu’il penche vers ledit monstre, curiosité amorcée sur tous les aspects. La magie n’est que trop crainte ici bas, jalousée, mais les êtres rongés par le fold comme lui, eux sont aussi haïs. Alors qu’en est-il de celui-ci ? « You still alive there? » Nonchalance apparente et les imbéciles ignorés perdent lentement patience tandis que le zaunard observe, bien décidé à ne pas reculer peu importe le ton des réponses qui fendront l'air. Il a le sourire aux lèvres, habillées toujours d'une cigarette entamée et dans son esprit déjà, se tissent les méandres d’une scène illusion, peu effrayé par le nombre de ces forcenés.

Maison close qui s’éloigne derrière lui comme un vieux mirage. Silhouette gracile qui se perd dans les langueurs de pénombre comme un automatisme ancien. Veste sur ses épaules, ballante, et le regard sans fond qui se perd sur les routes nocturnes. Labyrinthe qu’il arpente, et l’absence de soleil qui le réconforte. Si l’aube est proche, sa lumière ne vient jamais jusqu’à Zaun. Condamnés. Quartier de l’abandon, la misère domine et la brutalité est monnaie courante. Il le sait bien Juniper. Lueur absente lorsqu’il observe les ombres autour de lui. Leur palpitant aussi rongé que son corps des noirceurs du Fold. Endroit où les innocents naissent coupables et les crimes restent impunis. Juniper guère mieux, aucune gloire à accrocher à ses pas, aucune pureté à offrir lorsqu’il tend ses mains pour des étreintes. Et dans ses draps la jouissance va de pair avec l’horreur, parce que beaucoup ne savent plus exprimer leur affection qu’à coups de poings, à coups de violence. Inhumanité qu’on condamne, et pourtant présence à laquelle on aspire. Paradoxe tendre et dans ses postures, la luxure qui suinte son diaphane de porcelaine. Il est presque beau dans sa laideur Juniper. Orbes Tartare dans lequel nul reflet ne s’y trouve, écailles diamants, couleur hyaline qui intrigue, passionne, hypnotise. Il est presque beau dans ce semblant d’humanité qu’il recherche. Pourtant quand sa nature reprend ses droits, cette préciosité se change en quelque chose de maudit. Du noir de ses ongles qui maculent ses doigts comme un sang sombre, des cornes qui poussent délicates pour mieux se recourber, et le reste des attributs qui continuent de le défigurer. Comme maintenant. Il doit exaucer un vœu. Grimace à l’idée, et la finalité qu’il ne fuit pas. Pas même lorsqu’un bras s’enroule autour de sa taille. Pas même lorsque son visage s’éclaire d’un néon rouge vacillant et qu’on le raille. Corps malmené, poupée marionnette qui s’effondre. Il doit exaucer un vœu. Rires sournois, et le derme tiraillé lorsqu’on lui relève la tête par sa chevelure, début de cornes qui apparait, là derrière ses oreilles. « How can it be as pretty and as ugly like that? » Sourire en offrande, et le coup qui part, marque sa joue. Pourtant les éclats dissonants de leur voix s’arrêtent lorsqu’une nouvelle s’ajoute à la dysharmonie. Propriété réclamée, et il ne peut que renifler dédaigneusement. Mauvaise idée, et le coup de genou dans son ventre, le fait plier sous la douleur. Mais les lippes toujours étirées comme un mauvais rêve. « Alive ... That’s a nice word. » Il n’est pas vivant Juniper. Mort. Mort-né en vérité. On lui rappelle assez. Qu’il n’a rien à faire là. Qu’il devrait mettre fin à ses jours. Pensées pernicieuses qui s’agitent autour de lui comme des oiseaux de mauvaise augure. Il sait. Il sait. Il sait. « It’s okay. I can handle them. Wait for your turn boy. » Ça ira. Des ecchymoses en aumônes qui ne maculeront pas le diaphane plus de quelques jours, et peut-être même un vœu. Il sait y faire Juniper. Il a l’habitude. Cruelle norme qui définit sa vie.

Il est de marbre face aux menaces et si le coup de genou est remarqué, il ne fait rien de plus que tirer sur sa nicotine en approuvant les mots du malheureux. La survie est quotidienne en pareille cité et si rester en vie paraît un luxe, se sentir vivant l'est plus encore. Rares chanceux dont il ne fait plus partie, mais ce soir la distraction est plaisante et ses doigts le démangent autour du couteau avec lequel il s'amuse. Les rires s'élèvent de plus belle face à si maigre menace et la confiance gonfle les poumons de ces idiots tandis que deux s'avancent, le dernier toujours accroché à leur butin sur pattes. « Sure you can, no help needed here obviously. » L'ironie se veut légère, envie certaine d'aider cet enfant maudit au même titre que lui et si la conviction est là, intuitive, la curiosité elle dévore de l'admirer plus longtemps. Garçon étrange au regard bien sombre, si toutefois le faible éclairage ne le trompe pas, mais il ne peut se concentrer trop longtemps sur lui lorsqu'il lui faut piéger deux esprits. Il a le regard qui balance entre deux paires d'yeux éveillés, d'une soif de violence que doivent refléter les siens et lentement le jeu commence. Les voix qui tentaient d'attirer son attention doucement s'éteignent et sa voix seule vient briser le silence, « you should look down, my friends. » Ils ne résistent pas tant avant de suivre son conseil et sous leurs yeux hébétés, une mare inonde leurs pieds et s'étend sur leurs mollets, l'incompréhension visible jusqu'à ce que le coupable agisse. Cigarette jetée pour une étincelle de victoire et c'est une roue de feu qui entoure les deux malfrats, flammes dévorantes sur leur corps affolés et les insultes fusent ; sale magie pointée du doigt durant leur fuite alors qu'aux yeux du dernier lâche, seule la démence aurait pu toucher ses complices. Aucune flamme aux yeux des autres, aucune flaque d'alcool ni aucune magie, juste lui. Artemiy et ses pas qui approchent du dernier rustre, lumières rouges qui brillent dans ses yeux froids et le sourire n'est plus là. Il n'aura besoin d'aucun subterfuge pour celui-là, non pas quand les coups donnés lui seront rendus – œil pour œil... même si les coups ne lui étaient pas destinés. Le face à face est accepté et le joyau a été relâché pour contrer la première charge, brutalité symphonique où les cœurs se déchaînent et l'exaltation, certaine. Il a toujours eu ça dans le sang, avant même de s'en nourrir pour assouvir son appétit sans fin.. et la douleur pour rappeler sa part d'humanité, pour ne pas se laisser sombrer. Violences paradoxes qui l'emmènent toujours au bord du gouffre, ancrage à double-tranchant et il sait Artemiy, qu'il finira par sauter – tôt ou tard, s'il continue ainsi. Les secondes filent, des minutes avant que la musique ne s'arrête. Contre un mur repose le corps inerte de son opposant et à ses pieds, une lame tâchée qu'il toise avec le plus grand dédain. « This fucker ruined my shirt. » Une chance qu'il respire encore, assommé pour quelques heures ou moins, peu lui importe tandis qu'il se tourne vers l'inconnu toujours là. Il aurait parié que l'homme en aurait profité pour fuir, mais il peut enfin en admirer les traits sans gêne. Il n'est pas de ceux dont il détournerait le regard malgré ses yeux noirâtres et son sourire espiègle réapparaît. « You're welcome, I guess. What's your name? » Et s'il reste à distance, ce n'est ni par crainte ni par dégoût. Chaleur dérangeante qui s'écoule le long de son bras gauche, figé alors qu'il admire une dernière fois les dégâts de sa chemise déchirée à l'épaule, alors que c'est une de ses préférées. Il est contrarié, mais pas plus que de devoir s'allumer une cigarette avec une seule main. Il est irrité, mais il est bien impatient de pouvoir mettre un nom sur ce shymer aux airs inoffensifs, belle gueule d'ange pour ce qu'il en voit ici.

Situation courante. Normes tristes. Et lorsque les remarques et les coups fusent, il encaisse Juniper. Il encaisse sans rien dire. Comme toujours. Comme d’habitude. Apparence qui reprend ses droits, comme le Fold sur les terres humaines, et il pourrait l’oublier sa différence. Beauté dérangeante, panache funeste, il y a des détails qui accrochent les yeux, et d’autres qu’on devine à peine. Mais la réalité est là, et le mot apposé comme un anathème. Shymer. Freak. Les appellations nombreuses, mais la finalité toujours aussi cruelle. Assez attirant pour les bas-fonds, assez séduisant pour qu’on l’arrête, assez monstrueux pour qu’on le raille, l’abime. Corps fatigué sous sa propre malédiction, il se laisse faire, malmener, avec contre ses tempes sa propre voix qui résonne. Un vœu. Juniper, exauce un vœu. Ou bien … Ou bien quoi ? Laideur qui continuera sa course. Cornes qui se feront plus visible, et le noir de ses doigts qui rongera un peu plus sa peau. Derme souillé, les mains ensuite, puis peu à peu le reste. Nature qu’il ne peut renier, et personne pour changer la donne. Quotidien presque troublé pourtant. Intérêt nouveau sur sa personne, et la pitié offerte derrière un coup de main qui dérange. Assurance qu’il peut se débrouiller seul, ce n’est ni la première fois, ni la dernière, les fleurs en hématomes finissent toujours par mourir. Mais les coups blessent toujours sur le moment, l’ironie qu’il a en guise de réponse le fait tiquer. Et le voilà spectateur. Juniper soudainement en retrait tandis que l’attention est déviée, comme un animal à qui on laisse un peu de temps pour lécher ses plaies. Si deux fuient sans demander leur reste, le voilà à observer un face à face presque déloyal. Violence paradée, et les égos qui se font adversaires.  Jusqu’à ce que l’un des deux tombent. Et que dans sa silhouette inerte s’envolent les restes d’un vœu qu’il ne pourra offrir ce soir. Attitude nonchalante, Juniper qui se relève, constate les dégâts sur sa carcasse. Il devine le début d’une ecchymose sur sa joue et lorsque ses doigts passent sur son ventre il ne peut empêcher une grimace. Ça ne plaira pas. Si autant le visage peut-être fardé, le corps est offert aux yeux concupiscents sans artifice. « Urg, you should talk. » Son corps contre un morceau de tissu, les comparaisons sont faciles. Et lorsqu’il accepte ses soi-disant remerciements, il ne peut que renifler dédaigneusement Juniper. « Juniper. Didn’t ask for your help tho, big boy. » Regard qui coule sur la silhouette, et dans ses habitudes de la maison close, il est félin quand il s’approche. Main qui accroche le briquet tandis qu’il allume la cigarette dans un « let me. » murmuré, traits dévoilés à la lumière des néons rougeoyants.

Les priorités d'Artemiy ne font pas toujours sens et même si une gêne l'empêche de bouger son bras, c'est plutôt l'état de sa manche qui le préoccupe en ce moment. Il se fiche bien de savoir si l'autre type respire encore, son inertie est suffisante pour lui arracher un soupir d'aise et une clope de son paquet. La main tremble sur son briquet et s'il ne cherchait qu'à tempérer sa nervosité, voilà qu'elle s'apaise sous un regard sombre. Il n'oppose aucune résistance face au geste généreux et lorsque la cigarette s'illumine, il ne s'écarte pas tout de suite. Il ne récupère pas l'objet non plus, occupé à détailler les traits de ce shymer sans discrétion. Et quelque chose l'a attiré dans ses cheveux, là derrière son oreille.. quelque chose qui pourrait l'effrayer ou lui rappeler la cruauté de ce monde. « They could've ripped off these horns showin' up here.. as a trophy. » Il murmure à son tour et dans un élan d'audace, vient frôler la zone avec ses doigts sans les toucher. Les occasions se font rares pour Artemiy, il n'a que peu croisé ces hybrides au cours de sa vie et chacun d'entre eux était différent. Les seules différences qu'il pourrait avoir avec d'autres daemonis, se nommeraient sur leurs addictions. Rien ne le distingue plus qu'un autre, alors qu'il y aurait tout à découvrir chez son vis-à-vis. Juniper, a-t-il dit. Libéré de sa transe, Artemiy recule enfin et questionne d'une voix plus claire, son regard à présent tourné vers le vaurien assommé. « What were you doin' with those jerks, Juniper? » Il tire deux fois sur sa clope et s'adosse contre un mur, ruelle étroite qui ne les éloigne pas vraiment. « Tradin' wishes for ... bruises? s'not how it works, even here. I know we're livin' in hell but still. » Lois criminelles certes, mais les principes restent les mêmes. Si on ne peut offrir de l'argent, on négocie autrement et ces types-là ne lui auraient rien apporté si ce n'est plus de souffrance. Il se doute de l'urgence au vu des traits inhumains qui prolifèrent sur son être, mais pas comme ça. Les yeux fermés, il laisse la nicotine agir sur son corps affamé alors que l'adrénaline quitte lentement ses veines. L'alcool qui anesthésiait ses sens s'évapore lui aussi, ne laissant qu'un brouillard épais dans son esprit troublé. Il a connu pire. Son bras lui pèse et son épaule lui lance, mais il a connu pire. Il peut serrer les dents pour cette fois, un peu plus longtemps pour rester là. Il ne montre pas souvent ses faiblesses, il n'aime pas vraiment ça Artemiy. Un faux pas et il se ferait dévorer ici bas, ses responsabilités ne le lui permettent pas. Alors la pitié le rend agressif, à défaut. « Should I ask for a wish, as a reward? » Il se fout bien des récompenses, pourtant. Il n'est pas intervenu pour un merci ni pour profiter de cette maudite magie. C'est maladroit, c'est il ne sait quoi. Juniper ne lui demandait rien avant qu'il ne se blesse, ni après. didn't ask for your help. didn't have to.