Au delà de l’azur de ces rêves honnis aux effluves capiteux, Haru avait compris que n’existait pour lui que servitude en ces contrées irisées. Pour l’homme qui ne rêvait pas, qui refusait de rêver autant qu’il le pouvait, Midrias était empreinte d’un goût acidulé de regret, de trop peu pour celui gardant ses distances avec les étoiles. Loin de ces histoires que son aînée lui contait enfant, ces ruelles où venait s’éteindre les ombres étaient peuplées non pas de créatures chimériques ni de héros en devenir. Seulement d’anonymes, leurs iris désintéressés creusant à même les côtes de l’étranger les sillons de leur mépris. Gamin égaré, esseulé, en un univers qu’il ne comprenait que trop peu, le Sakai sentait brûler en ses veines la fièvre de ses plus insensés espoirs ainsi que l’amertume de ses doutes. La nouvelle était tombée sans prévenir, arrachant au quotidien le naufragé égaré au cœur de la nuit. Aveuglé par ce sémaphore, Haru ne pouvait résister à l’appel de cette flamme brûlant au milieu de l’océan. De ce nom sur un bout de papier, les caractères douloureusement inconnus en leur composition, le jeune homme arrachait bientôt une vie passée à lutter contre l’oubli. Naëbi. Reproduction imparfaite d’une émotion, d’un souvenir. Roulaient entre les lèvres de l’inconscient les syllabes de ce nom qui ne lui évoquait rien, auquel pourtant il attribuait tout.
La silhouette féminine arrachée à l’éther, comme créée de toute pièce par la force de son désir, l’homme n’était soudain qu’enfant. Qu’un gamin prêt à courir au jupon de sa sœur, prêt à oublier les années écoulées en son absence. La solitude, les doutes, cette peau devenue diaphane à force de porter le suaire de son propre anonymat. Pourtant, les iris incandescents de son attention rompaient l’échine de l’inconnue, cette femme espoir qu’il suivait maladroitement. Se tenant aux ombres, longeant les murs, indifférents au monde qui continuait à tourner autour d’eux, Haru était bien piètre voyou. Il trébuchait sur ses attentes, sur ses craintes, se perdait d’un regard à vouloir retrouver en ces traits étrangers quelque chose de l’enfant qui l’avait abandonnée. À se demander quel mythe elle tisserait de ses plus douces fabulations pour venir adoucir les confluents de ces blessures qu’il n’avait jamais su voir cicatriser. La gorge nouée, aux yeux quelques embruns égarés à ses prunelles, les traits délités par une fragilité qu’il ne se reconnaissait pas, qu’il ne connût que trop, il exhalait avec trop de révérence. “Excusez-moi?” Sa voix, un animal apeuré par son propre écho, sembla s’éteindre au gré du fracas que son pied engendra en faisant tomber des vétilles entravant son chemin. Dans sa cruauté, la réalité n’avait rien du goût de ses songes pour celui qui s’était imaginé la retrouver en ce lieu où on l’avait observé à plusieurs reprises. Si loin de lui, pourtant diligentes-en ces excursions nocturnes en des contrées lui étant étrangères. Amorçant l’ersatz d’un sourire, ses lippes fendues de trop les avoir rongées de doutes, la courbe de ses lèvres était maladroite, inquiétante pour celui qui ne souriait que trop peu. “Vous êtes bien Naëbi? Naëbi Grim?” Une simple phrase qu’il peina pourtant lourdement à arracher à ses lèvres, trébuchant au détour des syllabes, s’effondrant sous le poids de son regard. L’absence de reconnaissance  s’écoulant des prunelles de la jeune femme. Buvant la cigüe jusqu’à la lie, la tête sous l’eau, il refusait de s’éteindre avant de savoir. Quand bien même il n’était qu’un inconnu à ses yeux qui la haranguait après l’avoir suivie au beau milieu de la nuit. “Je m’appelle Haru.” La bête en son buste affolée rongeait les barreaux de sa cage tandis que ses traits délavés peinaient à camoufler ce mélange de terreur et d’espoir qui faisait trembler ses fondations. Quatre lettres. Juste quatre lettres. La relique d’une histoire qu’il espérait être leur, ce prénom qu’elle lui avait donné. Qu’il avait tant besoin qu’elle soit celle lui ayant donné.

Journée tranquille aux odeurs de routine si familière. Personnes étrangères, de passage dans sa vie alors qu'elle voguait à ses occupations, livre en main pour refuser quelque peu ou faire genre. Le pas rapide, la démarche assurée avant de se faire stopper. Voix étrange, les pupilles se posant sur cet homme aux allures apeurées, animal en cage proie en ses émotions. La jeune femme regarda aux alentours pour savoir si c'était réellement à elle qu'il s'était adressée avant de sourire doucement, rassurante pour calmer ce tourbillon d'émotion versatile qui tournait autour de lui. "Oui? Puis-je vous aider?" Les bras redescendant contre son corps à la recherche de la raison de son envie de parler soudainement. Une certaine fragilité se discernait chez cet étranger qui l'interpellait. La confusion se diffusa sur son visage à la prononciation de son prénom, observant les traits de son visage pour savoir si elle l'avait déjà vu, déjà rencontré. Etait il une de ses personnes qu'elle avait soigné lors de ses escapades nocturnes? Etrange, pas impossible. "C'est bien moi....Naëbi Grim."
L'incompréhension palpable, resserrant doucement son livre entre ses doigts comme si les lignes pouvaient lui raconter l'histoire du jeune homme sous ses yeux. Pas énormément plus vieux qu'elle, peut-être plus jeune. Mais la vie l'avait eu à l'usure. Son regard ne comptait que récits, triste et sombre, démontrant une grande détresse émotionnelle. Etait elle une ligne d'espoir malgré elle? Un fil conducteur pour une nouvelle vie. Son prénom tomba dans ses oreilles, roulant doucement sans aucune réponse. "Haru." murmura t elle comme pour lui donner une quelconque suggestion. Le néant habitait ses lèvres, profondément collé l'une à l'autre de peur de briser son interlocuteur. La main se levant finalement, désignant un endroit pour s'asseoir. "Venez avec moi." Rassurante, douce, l'envie de s'asseoir pour comprendre et mesurer l'ampleur de la situation, de ce moment si fatidique. La main douce sur la peau du jeune homme, tirant doucement comme si elle allait cassé une poupée de porcelaine. "Je..." susurra t elle comme pour mettre les mots exactes, les termes recherchaient à ses questions silencieuses. "Je ne sais pas ce que vous attendez de moi...je suis désolée...pourrais je avoir un peu plus d'explication s'il vous plait?" Voix douce et tendre, ne cherchant qu'à rassurer la personne, l'âme de sauveuse, l'envie de simplement aider son prochain.

Le gamin avait bu l’océan à l’attendre là où elle l’avait laissé. Il s’était abandonné à la marée incapable de trouver son mirage au gré de ces jours décharnés. Pourtant, vacillant, l’espoir lui ne l’avait jamais tout à fait quitté. Même quand le reflet de son aînée échappa au mausolée de sa mémoire, les astres ne lui laissant pas même l’ombre de son sourire comme souvenir. Chasseur d’étoiles filantes, inconscient suivant les lueurs chancelantes de trop de tentatives désespérées, dans le fond Haru ne savait même plus ce qu’il cherchait. Soutenant les prunelles de l’étrangère, de cette sœur qu’il rêvait sienne, il sentait l’Atlantique s’inviter en ses veines tandis que seule la confusion éclaboussait les traits de son opposée. Créature blessée se surprenant à voir le sang éclabousser la lame, le rêveur se savait idiot de souffrir telle déception. Lui qui s’était égaré en tant de voie sans issue, chassant une ombre au gré d’astres les ayant conspués. Il ne savait pourtant pas comment se conjuguer sans que ne s’ébranlent ses fondations face à la Grim et son incompréhension.
Cantique condamné d’une épopée révolue, le Sakai entonna son prénom plein d’une révérence qu’elle lui avait enseignée. Plein d’un espoir qui se souffrait à persister. Les syllabes roulèrent entre les lippes de l’étrangère douloureusement incapables de lui rendre un passé qu’on lui avait volé il y a tant d’années déjà. L’échine plus que porcelaine, la faïence laissait voir au monde l’émail écaillé de ses plus profondes douleurs. Ses traits soudainement douloureusement fatigués tandis que l’homme regrettait la folie de cette excursion, l’inconscience de cet espoir refusant de s’éteindre entre ses côtes. Le feu qui ne reprit que de plus belle tandis que Naëbi lui demandait de s’asseoir un instant. Qu’elle manipulait l’animal terrassé qu’il était plein d’une sollicitude incompréhensible dans un monde comme le sien. Brisé en trop d’endroits que pour savoir encore comment se protéger du monde, Haru s’assit à côté de la jeune femme, les yeux rivés sur ses mains reposant mollement sur ses cuisses. Le silence emplissant ses lippes grondant entre eux tandis qu’il ne savait plus même ce qu’il attendait d’elle. La peur de retrouver sa sœur tout aussi douloureuse que la blessure laissée par son absence. “Je cherche ma soeur.” Souffla-t-il soudainement. Piteusement. Levant le regard vers la jeune femme, il cherchait dans ses traits le fantôme d’une familiarité. Quelque chose auquel se raccrocher. “Elle a été enlevée dans une rafle, probablement même éduquée dans une bonne famille célestienne.” Peut-être même que la vie était plus aisée au-delà du brouillard, loin des relents méphitiques de ce quartier les ayant enfantés. Peut-être que l’histoire s’était achevée plus précocement encore que cela et qu’il courrait après un fantôme depuis des années. Exhalant péniblement, Haru portait plein les prunelles cette supplique muette. Ce besoin désespéré qu’elle se reconnaisse dans le peu qu’il pouvait raconter. “J'espérais..." Trébuchant à même sa fébrilité, le jeune homme se reprit. "On m'a informé que peut-être nos histoires coïncidaient."

Journée chamboulée par une rencontre hasardeuse - si peu prémédité d'un côté. L'incompréhension de tomber sur ce visage si fragile, la carrure si nerveuse pour un si grand gaillard. Naëbi avait l'impression de voir un chaton en cage, cherchant une aide inconnue dont elle n'était pas certaine de pouvoir trouver. L'envie d'aider, sauver son prochain bien trop importante pour pouvoir le renvoyer. On lui répétait souvenait qu'elle ne faisait pas attention au moment dangereux. Mais comment pouvait elle le trouver dangereux dans un tel état?
Le regard posé sur cet inconnu. Non, sur Haru, elle l'observait, cherchant d'éventuel blessure à guérir pour l'apaiser un peu plus. Mais la surprise fut bien plus rapide, se bloquant doucement sur sa présence ici. Il cherchait sa soeur. Son regard remonta doucement à son visage, cherchant à voir une certaine similitude avec elle. Rien. Tout le démontrait. Elle n'était pas celle qu'il cherchait. Il n'était pas celui qu'elle cherchait. Elle l'écouta, décrire une histoire qui lui correspondait plus ou moins, vestiges du passé préférant oublier ce moment rempli de traumatisme. Son ton était implorant, elle entendait sa souffrance dans de simple parole - J'espérais.... Des mots puissants qui l'habitaient régulièrement. L'espoir - douce hérésie de ce monde permettant l'un et l'autre de survivre dans un monde bien trop sombre. La jeune femme le savait parfaitement. Elle espérait elle aussi. Mais jamais rien ne venait.
Son regard se fixa au loin, essayant d'avaler cette boule nouée dans sa gorge avant de secouer la tête. "Malheureusement, je pense que vous avez votre réponse..." Voix douce pour tempérer la vérité si cruelle. Ses mains se renfermèrent sur le tissu de sa jupe, la froissant au passage. "J'ai perdu ma famille, je me souviens simplement que j'ai deux frères." Son regard coula vers lui, secouant doucement la tête. "Comment...comment s'appelle votre soeur?" Se penchant doucement, posant une main réconfortante sur la sienne. Elle partageait ses maux, sa détresse, cet espoir si durement bousillé. "Racontez moi vos histoires..." Peut-être qu'inconsciemment, elle la connaissait, l'avait déjà croisé dans un recoin de l'école, de Celestia. Peu importait, tout était bon à prendre pour rassuré ce pauvre homme à ses côtés. Il en était plus que fragile qu'elle. Et cela lui faisait se poser des questions sur sa famille à elle. Qu'en était-il? Etait ils dans le même état? Désespérés à la revoir? Ou au contraire, indifférents? Tant de questions sans réponses.