Si le déni devait porter un nom, il s’appellerait Rhaedyn. Les jours passent, exacerbant cette frustration qu’il ose à peine regarder en face. Ce visage si familier qu’il hante ses rêves. Ce rire si apaisant qu’il cherche sans cesse. Il y a des signes qui ne trompent pas, puis il y a ces choses qu’on préfère ignorer. S’il n’inspire son parfum ce n’est qu’en un simple réflexe inconscient. S’il guette l’heure chaque fois qu’elle rentre tard ce n’est que par habitude. S’il prépare à manger pour deux ce n’est que par politesse. Et ces heures qu’il passe à chercher de nouveaux livres à relire, ce n’est que par ennui.
Difficile pour lui d’admettre qu’elle lui manque. Qu’il supporte mal l’idée que ce soir encore elle pourrait rentrer avec l’odeur d’un autre sur elle. Que ses journées n’ont de sens que si elle vient se blottir contre lui pour qu’il puisse lui lire quelques pages de ses romans. Rhaedyn se ferme à tout ce qui pourrait le rendre heureux et d’une façon ou d’une autre seule Cassia était capable de s’immiscer ainsi dans sa vie, sa tête, … son coeur. Réalisait-il seulement qu’il ne souriait qu’en sa présence ? Quel homme têtu, borné, qui se ment à lui même de peur de perdre la seule chose qui lui donne envie de tenir le coup à Ketterdam.
Il mentirait s’il disait que son coeur ne rate pas un battement quand il entend la serrure, ni qu’il sent son corps se tendre d’impatience. La voilà qui arrive, de son pas léger qu’il reconnaîtrait entre mille, elle traverse le salon et s’allonge sur lui. Aucune explication n’est nécessaire depuis un moment. Elle prend ce qu’elle désire. C’est tout ce qu’il peut lui offrir. Elle sent un mélange de tabac et de fumée. Mais surtout une odeur de pierre mouillée entêtante. Le genre d’odeur que porte un homme. Il retient une grimace et pose un bras dans le creux de ses reins pour l’empêcher de tomber (lui dira t il). Il la serre contre lui pour soulager un manque qu’il croit discret. Il ne parle pas. Pas tant qu’elle ne brisera pas le silence. Il sait de quoi elle a besoin, ne sait juste pas pourquoi. Il baisse son visage vers elle, sa moue là rend enfantine mais le voile de triste … et de colère dans son regard le touche. Il n’est pas certain de savoir décoder ses émotions parfaitement mais il sait comment chasser ce nuage noir au dessus de sa tête.
Il attrape un livre qu’il avait rangé sous le coussin soutenant sa tête et lui montre. « J’ai trouvé ça à la bibliothèque. J’ai pensé que cela pourrait te plaire » et juste comme ça il referme leur bulle sur elle. Sa main libre vient se glisser dans sa nuque pour la masser et la détendre. Cette main immense trouve facilement chemin sous ses cheveux bruns et sait qu’il saura lui arracher quelques soupirs d’aises. Sans aucune arrière pensée si ce n’est celle de l’apaiser.
Une odeur de cerise flotte lorsqu’elle est là et les sens de Rhaedyn s’enivrent en un silence coupable. Ses doigts s’affairent à dénouer les tensions de sa nuque alors qu’il se met à lire doucement.

Une part de lui se persuade qu’elle savait ce qu’elle faisait. Elle n’était pas aussi innocente ni stupide. Elle savait que son souffle s'écraserait sur le sien. Elle savait que son corps se loverait contre le sien. Qu’il y avait dans leur échange trop de douceur pour que ce soit anodin, mais cela faisait partie de leur jeu. Un déni que l’on préfère côtoyer. Une façon d’ignorer la vérité pourtant évidente. Lui s’appliquait à ça d’ailleurs. A ne pas voir à quel point il désirait l’embrasser. De voir qu’elle lui faisait de l’effet. Il préférait ignorer le grincement de son lit quand le soir elle se donnait du plaisir. Il reconnaissait les fois où la douche durait plus longtemps. Il savait à l’odeur de sa peau quand elle était pleine de plaisir. Il savait quand elle était furieuse et quand elle était en colère. Il savait quand elle était heureuse et qu’elle était satisfaite. Il reconnaissait à l’expression de son visage tout ce qu’un homme amoureux retient. Ses goûts. Ses préférences. Il savait comment lui plaire et surtout comment lui faire plaisir. Et dieu qu’il avait conscience de cette façon qu’elle avait de le frôler. Mais chaque fois, chaque fois, il s’en détournait avec un sourire. Comme si de rien n’était.

Comme si à cet instant son souffle cerise ne s’écrasait pas sur sa bouche lui donnant irrémédiablement envie de l’embrasser. Comme si son je t’aime n’avait pas touché son cœur de plein fouet et que son regard qu’il croise un instant ne résonne pas de vérité. Il caresse le creux de ses reins comme bien souvent. Une partie de son corps qu’il apprécie particulièrement et qui apparaît plus que de raison dans ses songes. Il lutte, de toutes ses forces, pour que son image ne soit pas doublée via son don de dreamer. Comment pourrait-il lui expliquer sa nudité et cet air mutin sur le visage. Oh oui il lutte Rhaedyn… pour ne pas assouvir avec son petit corps ses désirs malsains. Il s’oblige à la voir comme une enfant pour ne pas laisser libre court à ses pensées lubrique. Elle est tellement plus que ça … elle est si précieuse … il voudrait la soulager de sa colère. De sa frustration. De sa peine. Il voudrait lui offrir sa quête. Chasser ce nuage qui encombre son esprit. Il voudrait qu’elle soit heureuse. Vraiment heureuse. Il s’était promis de l’aider comme il pouvait, mais Rhaedyn avait conscience qu’il ne pourrait jamais l’aimer. Il avait réussis à se convaincre qu’il n’était pas fait pour elle.

N’était ce pas la meilleure des solutions pour que cet homme privé d’amour puisse fuir ?

« Cassia … » murmure t il en lui donnant un élan de sa cuisse pour la remonter sur lui. Autant pour s’épargner un contact qui lui donnerait du désir que pour avoir son visage à la hauteur du sien. Lentement ses doigts remontent le long de ses bras pour attraper le lit et le ferme. Il le laisse tomber dans le vide dans un bruit sourd alors que ses mains restent enroulées aux siennes. Ainsi rivées au-dessus de leur têtes elles pendent nonchalamment, obligeant leur corps à de toucher plus encore. Il déglutit un instant à la sensation de sa poitrine contre la sienne et de son bassin assis sur son ventre. D’une main qui tient ses poignets il se libère une prise pour venir caresser sa joue. Il frôle sa lèvre du bout de son pouce et murmure « La tristesse ne sied pas vos traits … » en citant un passage de leur livre préféré. Il pourrait faire semblant tout le reste de la soirée mais il sent, ce soir plus que les autres fois, un besoin d’attention. Un besoin de chaleur. Un besoin de contact.

Ce soir elle a besoin de lui …

Il lorgne sur sa bouche en un instant de faiblesse et remonte à son visage. « Préfères tu qu’on reste enfoncés dans ce canapé tout le reste de la nuit à lire ou discuter … ou veux tu que je te fasse couler un bain et je ne chercherais pas à savoir ce qui te rend si triste ce soir ? » il pouvait même continuer de lire dans le bain si elle désirait. Assis à ses côtés. Avec suffisamment de mousse, il ignorait les courbes de son corps sous l’eau et tournerait les pages et encore et encore jusqu’à ce qu’elle puisse trouver le sommeil.