"stop. moving." qu'elle lui répète pour la millième fois, concentrée et penchée sur la membrane des ailes du shymer. lentement, centimètre carré après centimètre carré, elle y passe une serviette imbibée d'eau tiède et de désinfectant. ses efforts sont supposés finir de réchauffer les ailes, venir à bout de leur pellicule de glace qui n'avait pas encore totalement fondu lorsque kane est arrivé sur son perron, tout chancelant. après ça elle devra porter une attention particulière sur les endroits déchirés, appliquer un baume pour favoriser leur cicatrisation et, peut-être, si c'est nécessaire, (et elle espère de toutes ses forces que ça ne le sera pas), recoudre les bouts de membrane les uns avec les autres.

ce n'est pas la première fois qu'elle voit les ailes de kane — ni ses cornes. et pourtant la situation a quelque chose de nouveau et d'inattendu. ils sont dans la salle de bain des savage, assis comme ils peuvent sur le rebord de la baignoire, l'une des ailes entièrement dépliée et tendue au dessus de la dite baignoire, remplie d'eau chaude — là encore, la vapeur est supposée réchauffer la membrane en douceur.

pour parvenir à la salle de bain il a traversé la cuisine et le salon, tous les deux en sale état, mis à sac par elle ne sait quoi, peut-être les seadandas, peut-être les soldats. la famille a déjà commencé à remettre certaines choses à leur place, les plus utiles du moins. dusk a vérifié que la gazinière fonctionnait encore ; a aidé à relever la petite table de la cuisine ; le grand sapin effondré qui bloquait le passage pour aller au salon, minablement échoué avec toutes ses décorations ; a retiré quelques planches des fenêtres, qu'ils avaient calfeutrées avant la bataille, elle ne sait même plus pourquoi. pendant toute la traversée kane n'a rien dit, parce qu'il y avait plus grave, même si voir la maison dans cet état faisait un choc, car dawn et karma mettaient toujours un point d'honneur à ce qu'un minimum d'ordre y règne.

karma était occupé au sous-sol, il n'a pas vu kane rentrer. dawn et raven s'affairaient dans les chambres. ils ont croisé locke dans le salon, la mine déconfite, il n'a rien dit. "kane. stop. moving. — i'm trying." qu'il fait remarquer entre ses dents. serrées par la douleur, elle suppose, bien qu'elle fasse de son mieux pour être douce et l'épargner. "i think it's getting better." fait-elle remarquer, se redressant un peu et éloignant son visage des ailes sur lesquelles elle était si concentrée. "look. it's starting to look like you again." pour l'aile gauche, du moins. reste encore la deuxième, pour le moment repliée, et elle sait d'avance que la déplier arrachera à kane quelques gémissements d'agonie. elle se souvient du sms qu'il lui a envoyé un peu plus tôt, uh, i may need help with something? l'hôpital l'aurait mieux soigné, il aurait dû y rester, surtout après être allé au chevet de sarkan. mais kane a fait son kane.

i'm trying. et il essaye, vraiment. le reste de son corps porte peu de stigmates du froid, protégé qu'il l'a été par les écailles d'un noir aux reflets violets qui le recouvrent — si finement entrelacées qu'elles semblent ne faire qu'un. de la glace s'est pourtant logée ici et là à travers les remparts de son corps, bout des doigts gelés sous les griffes, mais il n'y pense pas : rien n'est comparable à l'état des ailes que dusk s'efforce de rattraper en douceur.

plis encore attaquées par le froid, extrémités écorchées d'avoir été trainées au sol, elles frémissent à chaque contact pour une raison évidente ((les blessures)) et une autre qu'il n'évoque pas ((l'intimité du geste)). parce qu'elle n'est pas une créature ailée, dusk, et qu'elle ne se doute sans doute pas de combien rares sont ceux autorisés à les approcher de si près, appendices aussi lourds que sensibles, aussi encombrants et solides que vulnérables. la fine membrane aux innombrables veinures répond si intensément à la proximité de dusk que kane serre les dents, entre douleur extérieure et agonie intérieure, comme au supplice ; elle n'a aucune idée de l'effet qu'elle lui fait.

sorry to bother you with that, reprend-il pour s'arracher au brouillard de ses pensées. ses griffes crissent régulièrement contre l'émail de la baignoire, cherchant une prise dans l'inconfort global de l'instant. you've got a lot to think about already. i think it's getting better, elle se contente de répondre, look. it's starting to look like you again. il y prête une attention considérable, prunelles détaillant presque amoureusement le patagium, sous toutes ses coutures ; elle retrouve des couleurs, constate-t-il avec soulagement, s'apercevant de combien voir virer ses ailes à un sombre bleu glacé l'avait terrifié. thank you. il l'admire un instant encore, la ferme et la déplie lentement, consciencieusement, grimaçant encore ici et là lorsque peau se replie sur elle-même. dusk le gronde gentiment pour l'inciter à la laisser au repos, mais il ne peut s'empêcher de profiter de l'effet paradoxal de l'eau chaude dont les vapeurs piquent et délassent son aile, tout à la fois. i can't wait to feel whole again, murmure-t-il pensivement en s'appliquant à la courber en douceur pour laisser place à la seconde. dusk et lui changent de place pour s'attaquer à la seconde étape des soins improvisés, et un râle de souffrance lui échappe dès les première tentatives d'étirer sa deuxième aile. i know what you're thinking, commente-t-il à la vue de son air soucieux, front plissé comme si elle morflait avec lui. that i should have stayed at the hospital. il l'a lu dans ses yeux à son arrivée sur son perron défoncé. they wouldn't have me though, révèle-t-il avec un haussement d'épaules peut-être faussement détaché, mais certainement blasé. they don't make room for people like me. shymer, descendant d'un Crow, un nom qui ferme les portes aussitôt énoncé. i'm not sarkan, i'm no gifted and i can't get help from these people. but it's okay, i've got you, offre-t-il de son timbre flegmatique et râpeux. les iris violets s'ancrent dans ceux de sa vieille amie et il lui adresse un sourire en coin. how bad? kane en revient à son aile à présent, pli tracassé creusé entre les sourcils. lance une œillade inquiète vers l'aiguille que dusk a apportée et désinfectée avec soin, dont il espère de tout cœur qu'elle ne se servira pas.

"thank you." elle retire ses mains, le laisse se réapproprier son aile. la fermer, la déplier de nouveau, constater que les dégâts s'amenuisent et qu'elle fonctionne encore bien, qu'il ne pourra surement pas voler tout de suite mais bientôt. "i can't wait to feel whole again." elle a envie de lui demander s'il se sent morcelé lorsqu'il les cache. s'il n'y a qu'en haut du bateau qu'il se sent complet, à regarder les vagues en contrebas.

elle s'apprête à passer à l'autre aile lorsqu'il commence : "i know what you're thinking. — hum hum? — that i should have stayed at the hospital. — damn right." qu'elle commente, car kane a fait son kane, sans le regarder dans les yeux, le nécessaire de soins toujours dans les mains. elle fait de son mieux avec, mais elle n'a rien d'une professionnelle. les ailes de kane iront mieux à la fin de la soirée, mais elles seront toujours percées. elle s'apprête à lui vanter tous les bienfaits de l'hôpital, des médecins compétents, elle s'apprête presque à tenter de le convaincre d'y retourner lorsqu'il dit : "they wouldn't have me though. they don't make room for people like me." il n'y a déjà pas beaucoup de place pour les ketterdamiens. il y en a encore moins pour les ketterdamiens shymer. et encore encore moins pour les ketterdamiens shymers descendants de crows.

elle reste muette face à l'évidence, elle aurait dû y penser toute seule. qu'il passerait en dernier, après tous les autres patients, même après des cas moins graves. et que de toute façon, personne ne saurait soigner des ailes correctement. "i'm not sarkan, i'm no gifted and i can't get help from these people. — you're right" qu'elle admet, et elle déteste l'admettre. "but it's okay, i've got you." il le fait sonner comme si elle était meilleure qu'elle ne l'est réellement. comme s'il avait une vision d'elle aussi parfaite que déformée. "i'm not sure i can compete with trained medics, but i'll do my best." sa réponse sonne comme une platitude, sa réponse sonne fade. ils mettront ça sur le compte de la fatigue, du choc et de la concentration, pas sur le compte du fait qu'elle ne savait pas comment réagir à ça, ce it's okay, i've got you.

"how bad?" qu'il questionne enfin, et elle se demande s'il est mieux de lui dire la vérité ou de lui mentir. "it's..." qu'elle commence, avant de se raviser et de chercher les bons mots. "that wing probably saw better days." qu'elle avoue finalement, les yeux rivés sur une déchirure d'une bonne dizaine de centimètres. "lemme see." elle se lève, se penche, pose ses doigts sur la membrane et il frisonne. "does it hurt?" moitié curieuse, moitié inquiète. il acquiesce, et d'un ton d'excuses elle répond : "i'm trying to be careful, i swear." tandis qu'elle s'affaire sur la blessure, recousant méticuleusement les deux morceaux de patagium ensemble, elle se risque à demander : "what where you doing? flying over the battlefield? that's mad dangerous. looking out for sarkan?" wild guess, mais quelque chose dans l'attitude de kane lui laisse entendre qu'elle a touché juste. "i thought you guys were mad at each other." car si elle sait quelque chose sur les frères azantys, c'est qu'ils sont à peu près toujours en désaccord. "how's he?" elle cache un sourire, car si la bataille avait pu être une trêve pour eux, les rapprocher un peu, ce serait bien la seule chose positive qu'elle aurait amené.

that wing probably saw better days, statue-t-elle, et il frissonne à l'idée que l'état de celle-ci soit pire que la précédente. lemme see. il ne répond rien, étend seulement docilement son aile du mieux qu'il peut avant de grimacer, en peine. does it hurt? hm, émet-il sourdement en guise de réponse positive. détourne les yeux lorsqu'elle attrape l'aiguille et qu'elle s'applique à rassembler la peau en lambeaux, le laissant en sueur. what where you doing? flying over the battlefield? that's mad dangerous. looking out for sarkan? elle tente peut-être de détourner son attention de l'instrument de torture qui transperce le derme — si c'est le cas, c'est peine perdue. il est incroyablement conscient de chaque geste, chaque mouvement. petite agonie, supportable cependant s'il la compare à la douleur qui le tord à chaque fois que repoussent ses ailes ; que les griffes lui transpercent le dos, que la structure osseuse revient peser sur la colonne vertébrale et les épaules, réformant toute sa silhouette. had to see if- il s'arrête, retient péniblement son souffle pour contenir un râle de peine, if they were okay i guess? il lui a avoué sa folie à son arrivée et s'attendait à ce qu'elle ne comprenne pas, lui non plus n'aurait pas accepté cette explication si les rôles avaient été inversés. il ne peut pas justifier à quel point le besoin s'est avéré viscéral, impossible à ignorer. elle ne l'a pas directement blâmé, bien qu'elle aurai pu ; sans doute a-t-elle l'habitude, à présent, de ses frasques inattendues. mom and him, précise-t-il pour expliciter le they énoncé un instant plus tôt. sounds stupid i know, but the wait was unbearable. haussement d'épaules faussement détaché. homme de peu de mots, à tenter d'en placer sur une (ré)action insensée. you would have done the same, assure-t-il avant de se corriger : you did. came all the way down here despite the risks. il n'y a pas d'émotions dans sa phrase, il se demande si elle perçoit la résignation qu'il éprouve à l'idée qu'elle se soit ainsi mise en danger. il n'aurait pas tenté de la convaincre de rester en sécurité à midrias, kane, s'il avait eu vent de ses plans : est lui-même trop bien placé pour comprendre son refus de rester sagement à l'abris tandis que ses proches subissaient le danger. mais il l'aurait suivie, pour sûr, quitte à subir la suspicion de ses frères, danger imminent avant même que la bataille n'éclate.

peut-être aurait-il apprécié leur suspicion, le fait que leur méfiance sème dans l'esprit de dusk la possibilité d'un autre type de relation entre eux.

((ou peut-être aurait-il seulement eu plus mal,
si elle avait ri de l'absurdité de la chose,
car après tout, il n'est que son meilleur ami))

i thought you guys were mad at each other, elle réplique, et il se tend. phrases déjà péniblement sorties du fait de la douleur, il se tasse cette fois sur lui-même avec dépit. i'm not… mad at him, ment-il plus ou moins, sans trop savoir comment expliquer son ressenti. bien sûr qu'il lui en veut. bien sûr qu'il ne le comprend pas. bien sûr qu'ils sont en mauvais termes. we just don't get each other. we're too different, constate-t-il amèrement, know what i'm saying? tic de langage qui vient parer la majorité de ses déclarations, une conclusion habituelle à ses propos vagues. how's he? he's alive and thinks it's good enough, the fool, crache-t-il alors même que sur ce point, ils sont bel et bien de la même veine. maugrée : threw himself under some building to save the dragons know who. and yet he doesn't understand why i wanted to keep an eye on him. tsk. l'évidence est pourtant là : sarkan et son fichu complexe du héros ne pouvaient que se précipiter vers le danger. c'est dans son sang, mais dusk ne peut qu'imaginer — kane ne les a jamais présentés l'un à l'autre, préférant la garder jalousement pour lui-même. de peur, peut-être, qu'elle ne tombe sous le charme du witcher, si drastiquement différent de lui — tellement plus lumineux, et plus droit, et plus lié à la haute-ville que kane ne le sera jamais. il expire difficilement tandis qu'elle pose l'aiguille, préfère ne pas regarder son œuvre. i trust you, répond-il simplement lorsqu'elle le lui propose. il est incapable de refermer l'aile abimée, la laisse frémir et saigner au-dessus de l'eau qui refroidit progressivement.

sa main crépite lorsqu'elle épouse la courbe de la joue de dusk, l'espace d'un bref écart. what about you? i guess it's not been easy to be stuck down here. les doigts chutent sur ceux, rougis, de dusk, qui griffe nerveusement la peau aux abords de ses ongles, et il serre ses deux mains jointes pour l'apaiser. it's okay now. you're safe. you did well, assure-t-il pour l'apaiser, si tant est que l'on puisse considérer comme safe le fait de survivre à zaun dans une demeure retournée par les brutes des deux camps.

Spoiler:

"i'm not… mad at him. we just don't get each other. we're too different, know what i'm saying?" elle sait, pour être l'exact opposé de karma, ou presque, elle sait. car toutes les frasques faites avec locke ont parfois caché l'incompréhension qu'il y avait entre la petite dernière et le grand ainé. "he's alive and thinks it's good enough, the fool." nouveau sourire, nouveau point de suture. "still better than dead" qu'elle fait remarquer avec un fond de sarcasme qui ne lui ressemble pas, elle qui est toujours si énergique, si optimiste, elle qui semble parfois vivre dans un autre monde, un monde fait de mensonges perpétrés avec locke, un monde encore plus illusoire que les illusions de locke, un monde où leur pauvreté n'existe pas et où ils ne vivent pas à zaun. se contenter d'un homme en vie, ce n'est pas elle — c'est la guerre contre les seadanda, la guerre contre le froid, et kane en vrac dans sa salle de bain. "threw himself under some building to save the dragons know who. — knowing him... it could be a cat." elle ne le connait pas réellement, mais elle a rencontré le portrait que kane lui en a fait, au fil des années. sarkan, ce héros. sarkan, ce prince charmant. sarkan et ses larges épaules de pacifieur, sarkan et ses muscles de witcher. "a ginger stray cat" qu'elle s'amuse à imaginer, et alors c'est un bout de la dusk d'avant qui revient.

"it's done." elle parle de sa deuxième aile, et désinfecte de nouveau l'aiguille avant de la ranger. "wanna take a look?" qu'elle demande tout en épongeant délicatement le sang qui a coulé sur la membrane. "i trust you" lui répond kane, et elle s'inquiète qu'il répugne tant à regarder ses propres ailes, tandis que lui s'inquiète pour elle : "what about you? i guess it's not been easy to be stuck down here." le contact sur sa joue est nouveau. nouveau et elle rougit, ce qu'il ne peut pas voir car les vapeurs du bain se sont déjà chargées de lui donner des couleurs. "it w-was..." qu'elle bégaye lamentablement ; "it's okay now. you're safe. you did well. — no, i didn't. i haven't been useful." elle marque un temps d'arrêt, puis se remet à ranger les ustensiles dont elle s'est servie dans la trousse de premiers soins des savages, et les mots se déversent par flots. "we got stuck in the basement, i freaked out like crazy. locke too. he wanted to help me, made me a fake teddy bear, and then the thing started bleeding real mad, and then karma had a vision, a nasty one, and then raven asked if it was over, and i tried to open the trapdoor but the fucking thing was locked, or shut, or whatever, by something on top of it and-" elle s'arrête le temps de prendre une longue inspiration et repart de plus belle : "and then i freaked out even more. all i did was panicking, worrying about you, worrying about my family, worrying about myself too, and also..." ses yeux se posent sur la grande trousse qu'elle tient dans ses mains, remplie de pansements, bandages, onguents. "... also bringing this." qu'elle remarque alors, s'apercevant que c'est le contenu du sac qu'elle a ramené de midrias qui lui a permis de soigner son meilleur ami. "guess it wasn't that useless" qu'elle réalise soudainement, et ses yeux s'illuminent alors d'une petite lumière.

"come with me." elle se lève, époussette une poussière inexistante de son pantalon, et vient doucement saisir kane par la taille pour l'aider à se relever. "let's go to the kitchen. what's left of it. you need to eat something warm." dans la cuisine dawn a préparé une marmite d'elle-ne-sait-quoi, et le récipient en fonte est maintenu au chaud sur un feu doux. les meubles ont été remis en place mais certains objets sont encore au sol, car la priorité n'est pas à la décoration. elle leur sert deux assiettes et, avant qu'ils ne s'installent tous les deux à la petite table, elle revient du salon avec un plaid qu'elle lui met sur les épaules, évitant l'aile encore écorchée qui refuse de totalement se replier. dans un grand verre, l'un des survivants, l'un des seuls qui n'ont pas été cassés, elle lui sert une potion de rétablissement noirâtre qui ne donne pas envie, semblable à du pétrole sur un océan. "looks awful and probably tastes awful but works like crazy, from what i've been told." qu'elle lui explique, avant de se pencher sur leurs assiettes. le contenu est globalement orange et fume encore. "white beans, i think. with... tomato sauce ?" qu'elle tente de deviner, incertaine. "i'm betting on that. what's your guess?"