à ses oreilles, le nom sonne faux, un rassemblement de syllabes sans sens, qui devient de plus en plus familier à travers les ans. adopté en situation d'urgence ; zinnia emprunté aux fleurs qui poussaient sous ses pieds à cet instant, vaughn volé au coin de journal trempé sur le banc à côté et zeke arraché à une boutique qu'elle avait croisée quelques minutes auparavant. nouvelle identité papier machée qu'elle traine encore aujourd'hui. et peut-être que si elle avait su qu'elle serait zinnia zeke-vaughn aussi longtemps, elle y aurait mis plus d'efforts.

iris saegar est disparue, continue de vivre ailleurs, sous d'autres traits. zee est l'unique gardienne d'une vérité oubliée, qu'elle ne peut  effacer de son esprit. fille de violet remilly et carmine saegar, elle appartient au monde des faux-semblants et de manigance ; son oubli est un dommage collatéral d'une conspiration lacunaire -- car on a oublié, un instant, dans la joie et la célébration du miracle, que toute magie a un prix.

loin au-delà de l'horizon, après des heures à survoler le vaste turquoise, ce sont les architectures verdures de linhaven qui s'étendent sous les prunelles. jolie ville biophilique, c'est dans la communion avec la nature qu'elle s'est développée, a tentée de combler la disparition de la magie. c'est au cœur du havre de paix qu'iris saegar est née, en plein printemps, quand les fleurs ont commencé à bourgeonner.

magicienne des apparences, les traits changent, prennent la forme désirée. zee elle peut être n'importe qui, tout le monde et personne à la fois. les visages sont comme des masques qu'elle enfile et retire, interchange, sans qu'on ne voit jamais le sien. elle porte plusieurs noms à l'amadeus ; la fille aux milles visages qui acclame son spectacle, la fille sans visage pour les âmes pessimistes, ou les empathes qui arrivent à s'imaginer ne jamais pouvoir être soi-même, doppleganger quand elle s'amuse à prendre les traits de ses collègues, emmêle les visiteurs en les mettant au défi de séparer le vrai du faux. amuseuse des foules qui se cache tantôt parmi les employés, tantôt parmi les curieux.ses, d'autres fois encore, laisse déferler une vague de rumeurs quand ce sont les traits de la dernière célébrité à la mode qu'on murmure avoir aperçue sous les chapiteaux.

et quand les rideaux tombent et qu'elle retourne à sa roulotte, ce sont les clients privés dénichés par mama qui y défilent. à la demande (et en échange d'une coquette somme) de la clientèle, zee prend les traits de la personne désirée (morte ou vivante, connue comme inconnue) et est à votre service pour les quinze minutes à venir. les demandes, autrefois pures et sentimentales, deviennent de plus en plus vicieuses, perverties par l'autorité que les crescents payés offrent. les excuses, les adieux et les secrets sont, de plus en plus fréquemment, (tw ; agressions sexuelles, violence) entrecoupés d'hurlements et d'ecchymoses fleurissant sur l'épiderme ou de mains baladeuses et de lèvres avides désirant explorer les soies. et quand satine en efface les traces, mama promet que ça ne se reproduira plus, que c'était la dernière fois. mais ça recommence, inévitablement.

cœur funambule, elle s'entiche des uns et des autres ; des courbes délicates aux traits angulaires. les âmes ne gardent en commun qu'une chose : zee n'a jamais emprunté leurs traits. bons comme mauvais souvenirs doivent rester dans les esprits, uniques traces indélébiles de son existence. mais les idylles ne durent jamais, car les sentiments sont volatils.

loin de la richesse autrefois promise. la fortune des saegar est lointaine, inatteignable, et zee doit se satisfaire des gains qui lui sont attribués ; petite part des pièces dorées qui gonflent les coffres de l'amadeus circus depuis qu'il s'est enraciné dans la brillante midrias. ce n'est pas la richesse qui lui creuse le cœur, mais la faim d'une reconnaissance qui glisse entre ses doigts, insaisissable pour celle qui vit de visages empruntés.

c'est en secret, dans l'intimité de la modeste maison sans nom de ketterdam, qu'iris entre en contact avec l'artéfact familial. délicate petite chaine discrète vidée de sa magie depuis des générations, mais pour laquelle on priait encore qu'elle offre un dernier miracle. cupidité des parents, à subtiliser l'artéfact mourant, pour en être les seuls bénéficiaires si la chance devait tourner. le pari risqué semble porter fruit quand le métal s'éveille au toucher de la gamine... simplement un peu trop tard, un autre subterfuge ayant prévalu. alors on garde le secret, en attendant le bon moment pour dévoiler la supercherie et reprendre le pouvoir.

- ability
^copy

de son contact avec l'artéfact nait la capacité de copier certains aspects physiques (notamment l'apparence, et la voix) d'autrui. la qualité de l'illusion est proportionnelle aux informations connues par zinnia ; avoir une bonne connaissance (comportement, voix, habitudes, visuelle, etc.) de la personne qu'elle souhaite copier permet un résultat optimal, une personne qu'elle connait à peine ou dont les détails lui sont relayés se limitera à ces informations fournies, une image donnera un résultat aussi crédible que sa qualité, ainsi, il sera très difficile pour elle de copier une personne sans visuel, et encore plus si elle ne l'a jamais rencontré. de même, copier quelqu'un basé sur une image ne changera pas sa voix ou sa façon de bouger, qu'il lui serait possible d'inclure avec un original vidéo ou en personne.

plus elle est familière avec l'original, plus il lui est aisé de prendre son apparence et plus elle peut la conserver longtemps. sa limite actuelle est d'1h30 pour les gens avec qui elle est très familière (les membres du cirque amadeus), et de 15minutes pour tout ce qui lui est plus abstrait (visuel très bas fidélité). il lui est possible d'échanger d'apparence aussi souvent que désiré, mais pour chaque personne différente, il lui faut 24h une fois arrivée à sa limite pour la copier à nouveau. évidemment, le pouvoir nécessite une certaine concentration, et la laisse épuisée à la fin de la journée. elle souffre souvent de maux de tête perçant qui la mène parfois à s'évanouir. elle est devenue plus apte à travers les années à jauger ses propres limites, rendant ces petits incidents plus rares.

- side effect
^erased

et c'est comme si les mémoires rejetaient ces multiples identités, incapables d'assimiler les physiques différents à un même être. c'est subtil, c'est progressif, c'est insidieux. les originaux dont on vole l'apparence sont affectés, voient lentement leurs souvenirs de la voleuse s'effacer. plus elle devient eux, et plus leur mémoire l'efface. ça commence par des moments banaux partagés qui s'envolent, des promesses oubliées, c'est le nom de zinnia sur le bout de la langue, mais qu'on n'arrive plus à retrouver, ce sont les détails qu'on oublie : son allergie au pollen (comble de l'ironie pour ce nom qu'elle a choisi), son incapacité de boire du café, le fait qu'elle préfère le chocolat à la vanille. il faut créer de nouveaux souvenirs, réapprendre à la connaitre, ou l'oublier, entièrement. c'est un combat perdu d'avance tant que le physique sera emprunté, mais c'est l'unique façon de ne pas l'abandonner à l'oubli.

autrefois, le nom brillait, bercé aux creux des étoiles célestiennes de velaris. d'une renommée à en faire ombre à certaines des grandes familles d'aujourd'hui... mais l'astre est tombée, s'est fait météore jusqu'à chuter des cieux. c'est la magie qui leur a tourné le dos la première, artéfact rejetant les progénitures, incapable de les bénir à leur tour. on leur coupe les ailes pour les enchainer au sol, à regretter ce qu'ils ont perdu. alors on dit adieu au berceau, on fuit pour garder sa dignité, jalousie vorace envers les étoiles qui subsistent dans le firmament.

carmine saegar voit le jour à linhaven, à des lieues de l'éclatante velaris. famille bien nantie, elle n'a rien à envier à quiconque dans la métropole biophilique, mais le cœur appartient toujours aux cieux célestiens ; versent encore les larmes de tout ce qui a été perdu, du vide laissé par la magie au sein des veines et qui se ressent encore aujourd'hui. il est excité comme une puce quand la famille se prépare à faire le pèlerinage pour ses 8 ans ; il s'est rêvé la cité étincelante toute son enfance, de ces rêves espoirs où il se découvrirait choisi par la magie. mais ce ne sont que des rêves, et rien ne change quand sa huitième année débute ; pas même cette conviction profonde que son destin est de ramener l'honneur et la magie à sa famille. quand, de son union avec la linhavienne violet remilly, naît une jeune fille, carmine repose tous ses espoirs en elle.

trop jeune pour réellement se rappeler son premier voyage à velaris, iris saegar ignore tout des manigances fourbes de ses ainés, ignore que sous la distraction du rassemblement traditionnel, l'artéfact familial est subtilisé, n'est laissé derrière qu'une réplique du trésor. et comme tous les autres, c'est un soupire de chagrin qui franchit les lèvres quand la magie refuse de se manifester, encore. quelle n'est pas la surprise, plusieurs années plus tard, quand une nièce se présente à l'artéfact pour en recevoir la bénédiction divine. miracle sinistre de voir l'enchantement s'élever d'une imitation forgée de rien, surtout pas de magie. arnaqueur arnaqué, dupé par l'un de ses frères ou l'une de ses sœurs, pourtant incapable de hurler la supercherie sans dévoiler ses propres cartes. alors on ravale la haine, et on sourit, on célèbre l'ère de renouveau des saegar. on s'arme de patience et on se promet d'afficher la supercherie tôt ou tard.

à l'aube de son 8e anniversaire, c'est au tour d'iris de faire le pèlerinage jusqu'à la ville lumière. dans la carcasse de métal traversant lieues séparant linhaven de velaris, ils sont quatre, là où il ne devrait y avoir que trois : carmine saegar, violet remilly, iris saegar, et l'intrus qu'ils entrainent dans leur sillage... gamine d'environ 8 ans aussi, orpheline recueillie sur un autre continent pour sa ressemblance à l'héritière. elle aussi répond au nom d'iris saegar quand on lui adresse la parole, incident qui ne manque habituellement pas à faire naître des traits boudeurs sur le visage de la princesse, mais pas aujourd'hui, pas quand, du hublot, elle aperçoit les étincelles de celestia, comme des millions de pierres précieuses ancrées dans la brique.

elle s'attendait aux tours de joyaux et aux draps de soie, mais c'est une petite demeure discrète au centre de ketterdam que l'étrange famille se retrouve. c'est devant les regards uniques de papa et maman qu'elle passe son rituel. rien de grandiose comme on lui avait décrit ceux des ainés, d'une solennité modeste. mais la joie, elle est réelle, quand les traits copient, s'effacent pour renvoyer les sourires triomphants. éloges et compliments, déversement d'amour qu'on lui offre ; iris, tu es notre sauveuse. mais c'est elle qu'on abandonne dans l'humble demeure avec les servants et c'est l'autre qu'on emmène, qu'on parade devant la famille pour vivre l'humiliation de ne pas recevoir la bénédiction de l'artéfact factice. c'est aussi elle qu'on laisse à ketterdam. ils sont venus à quatre, mais seulement trois repartiront, laissant des promesses de retours fréquents à la gamine à peine assez vieille pour comprendre. elle obéit, parce qu'elle n'a jamais vu aussi grande fierté dans les prunelles que lorsqu'on lui a intimé de rester, et d'apprivoiser sa magie.

les promesses sont tenues. les voyages d'affaires de violet et carmine les amène à revenir plus fréquemment à velaris et les détours à ketterdam sont constants. ce sont leurs traits qu'iris copie, tous les jours ; à base de photographies qui s'accumulent dans la petite demeure, à jouer à l'ombre et au miroir quand ils sont présents dans la chaire. poupée marionnette existe dans une prison dorée, condamnée à devenir un autre. les cours sont donnés à la maison, professeurs particuliers sous contrats onéreux (presque autant que la paie) ; les sorties limitées qui deviennent d'énièmes exercices quand on refuse de l'emmener si elle n'a pas emprunté l'apparence d'un ou une servante.

et les oublis commencent. les discussions décousues et les voyages qui sautent, les visites qui s'espacent. iris, elle croit que c'est que ses progrès sont décevants, alors elle redouble d'ardeur... et plus elle prend leurs traits, plus la situation dégénère, jusqu'à ce qu'un jour, ils ne reviennent simplement plus. les jours s'enchainent sans communication, sans visite. les employés quittent, les uns après les autres, car les vivres ont été coupés, jusqu'à ce qu'il ne reste que la princesse oubliée dans la modeste demeure (devenue trop grande depuis qu'elle s'est vidée).

iris a quinze ans quand elle se retrouve seule au monde, sans domicile ni argent. sans nom découvre-t-elle, quelques semaines plus tard, sur un journal ; photographie glorieuse des magnats de l'agriculture, carmine saegar, violet remilly et leur fille, iris saegar. le faux devenu réel quand les souvenirs des manigances (et d'elle) se sont effacés, ne reste que les mensonges d'une orpheline devenue héritière (elles ne sont dorénavant que deux à connaître la vérité).

perdue, dans son cœur, comme dans les méandres à la lisière de ketterdam et de zaun, elle découvre l'amadeus circus. grand chapiteau et musique entrainante, à l'entrainer dans sa frénésie. elle en oublie ses maux devant les spectacles envoûtants, chacun à leurs façons. et quand le rideau tombe, elle demeure, seule ; silhouette abandonnée sur les gradins, jusqu'à ce qu'on lui adresse la parole et qu'elle s'écrit aussitôt : je veux rejoindre le cirque. gamine terrorisée par l'abandon, seule et sans repères ; elle n'est qu'un pantin sans marionnettiste à chercher désespérer un endroit où appartenir. alors elle fait l'unique chose qu'elle sait faire, des années à dédier corps et âme à son art ; charme mama de ses traits changeants, de sa capacité à être tout le monde, et personne à la fois ; taille dans sa chaire un pacte avec le démon ange. bienvenue à l'amadeus circus... zinnia zeke-vaughn.

c'est tout naturellement qu'elle se glisse dans cette nouvelle vie (pas si différente de l'ancienne). zee s'amuse des réactions, prends fierté dans les sourires et les applaudissements qu'on lui déverse, verse des larmes et offre conseils aux âmes qui se retrouvent à l'entrée de sa roulotte, viennent y chercher un réconfort hors de porté, pour une raison ou une autre. elle apprend, grâce à ses collègues (devenu.e.s ami.e.s, famille) que l'oubli n'est pas la fin, que les souvenirs peuvent être générés à l'infini, différents, mais tout aussi précieux. idylle éphémère pour celle qui se voile les yeux, refuse de voir les zones ténébreuses dans son paradis artificiel. routine si simple, si confortable qu'elle en oublie presque qui elle est et ce qu'elle a perdu.

dix-huit ans, majorité. c'est à croire que l'océan ténèbres n'attendait que ça pour l'avaler. le changement est subtil sous certaines facettes, drastiques sous d'autres. ce sont les applaudissements qui ne gonflent plus autant le cœur, et les sourires qui semblent être volés. l'impression qu'on ne la connait pas qui pèse dans les entrailles. pour celle qui n'existe que sous les traits d'autrui, elle se sent seule, incomprise... invisible. elle semble étouffer sous les nombreux masques. ce sont aussi les sourires lubriques des clients, et (tw ; agressions sexuelles, violence) les mains baladeuses sous les étoffes. ce sont les marques écarlates qui brûlent sur l'épiderme quand elle ose élever la voix et dire non. aux doux rêves se mêlent lentement les cauchemars, mais l'illusion demeure malgré les premières fissures. zee se plait au cirque, dans cette seconde famille construite de toutes pièces ; et c'est là qu'elle appartient, malgré les missions interrompues qui semblent l'appeler, demander son attention à travers le chaos de son existence.