Invité

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Il s’égarait, s’enfonçant dans les méandres nébuleux de ses pensées devenues, au fil des années, contradictoires aux principes qu’il s’était imposés. Tel un marin solitaire, voguant sur une mer inconnue, il s'était laissé entraîner loin de son cap initial. Promesses enchanteresses des sirènes qui avaient su captiver son esprit, noyant sa raison dans leur chant envoûtant. Leurs voix mélodieuses murmuraient des illusions de bonheur éphémère, détournant son regard des horizons lointains qu'il avait autrefois si ardemment désirés. Bonheur éphémère d’un apport financier conséquent, conséquent lorsque l’on relevait la « simplicité » de la mission. Une capture, sans nécessairement faire usage de la force, et une livraison. Et aussi simple cela semblait-il, Jahaeryn ne pouvait empêcher cette sensation d’inconfort de s’immiscer dans sa poitrine. Zev. Un être humain que l’on aurait aisément pu méprendre pour l’une de ces immondices que le jeune héritier traquait. Minimiser les traits peu avantageux de son client serait une tâche délicate, presque un euphémisme. Son apparence singulière transcendait les limites de la simple difficulté. Il aurait été cependant injuste de s'arrêter à cette première impression. Car derrière cette apparence atypique aurait pu se cacher une richesse intérieure insoupçonné. Une supposition que Jahaeryn n’avait eu aucun mal à infirmer. Ses traits singuliers semblaient refléter les contours tortueux de son âme, laissant entrevoir une noirceur sournoise qui ne demandait qu'à se répandre.

Adossait à un mur, lèvres pinçées autour d’une cigarette, il revoyait la malice perfide qui transperçait le regard de Zev. La question se posait inévitablement : était-il réellement la victime innocente d'un shymer ou bien le persécuteur qui savourait son pouvoir sur autrui ? Jahaeryn, quand bien même avait conscience que ses missions consistaient à se salir les mains à la place d’autrui, détestait l’idée d’agir pour le compte d’un être perfide. La philosophie des Ayshire ne se résumait-elle pas, au fond, à éliminer toute créature constituant une menace pour l’existence humaine ? Inspirant une bouffée,  il observait le cabaret, songeur. Tel un prédateur dont seule l'acte importait, sans se soucier de l'objectif à atteindre, était-ce réellement sa motivation profonde de chasser pour le simple plaisir de la chasse ?

Dans un instant d'inattention, il aurait pu tout gâcher, réduisant à néant les longues heures d'attente et de repérage qui l'avaient conduit jusqu'ici. Sa proie, la raison de sa présence dans ces lieux, ne se trouvait qu’à quelques pas de lui, inconscient du danger qui l’entourait. Mégot au sol, Jahaeryn ne prenait pas la peine de venir l’écraser, se dirigeant nonchalamment vers le cabaret. Qu’on ne se mente pas, le jeune garde de l’ordre et ultérieurement chasseur, se démarquait aisément dans les rues de la basse ville. Avec sa peau de porcelaine et son allure soigneusement impeccable, il ne fallait pas être un fin observateur pour comprendre qu'il était étranger à cet univers. Il ne faisait d'ailleurs aucun effort pour dissimuler cette différence. Il n’y avait rien de pire, aux yeux du jeune homme, que de prétendre appartenir à un milieu social différent du sien. Rien n'éveillait davantage la méfiance des autres que cette prétention. « Sympa la queue léonine. » lâchait-il en passant à côté de Kova, pour ne guère l’appeler la proie. Poursuivant sa marche vers l'entrée du cabaret, il marqua toutefois une brève pause, comme suspendu dans le temps, avant de faire volte-face. « Tu travailles ici ? » demanda-t-il. Jahaeryn tâtait le terrain, évaluant la température de l'eau. Il ne ressentait aucune précipitation, aucun empressement à capturer l'inconnu dans les heures à venir. Peut-être attendrait-il plusieurs jours, voire des semaines, avant de passer à l'action. La précipitation n'était pas son mode de fonctionnement privilégié, à moins, bien sûr, qu'on y mette le prix. Et même si Zev était généreux, il n'avait pas encore atteint le niveau de générosité requis par Jahaeryn.